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Décisions

CJCE, 28 avril 1971, n° 4-69

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Alfons Lütticke GmbH

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocat :

Me Wendt

CJCE n° 4-69

28 avril 1971

LA COUR,

1. Attendu que la requérante demande à la Cour, sur la base des articles 178 et 215, alinéa 2, du traité CEE, de condamner la Communauté à réparer les dommages qui lui auraient été causés du fait de l'omission, par la Commission, d'avoir adressé à la République Fédérale d'Allemagne une directive ou une décision en application de l'article 97, alinéa 2, en vue d'obtenir que la taxe perçue en compensation de la taxe sur le chiffre d'affaires pour le lait en poudre soit, à compter du 1er janvier 1962, supprimée ou, à tout le moins, réduite à un niveau compatible avec les prescriptions des articles 95 et 97, alinéa 1 ;

Sur la recevabilité

2. Attendu que la défenderesse soutient que la requête ne satisfait pas aux conditions posées par l'article 38, paragraphe 1, du règlement de procédure, du fait que, d'une part, elle renverrait, pour certains éléments du litige, à des arguments développés dans d'autres affaires portées devant la Cour et, d'autre part, ne justifierait pas la demande portant sur les intérêts de 8 % ajoutés à la somme réclamée à titre principal ;

3. Attendu qu'aux termes de l'article 38, paragraphe 1, du règlement de procédure, la requête doit contenir, entre autres, l'indication de l'objet du litige, l'exposé sommaire des moyens invoqués et les conclusions du requérant ;

Que la requête a satisfait à ces exigences, puisqu'elle contient toutes les indications nécessaires permettant d'établir avec certitude qu'elles sont l'objet du litige et la portée juridique des moyens invoqués à l'appui des conclusions ;

Que, dans ces conditions, un renvoi, à titre complémentaire, à d'autres procédures portées devant la Cour ne saurait affecter la recevabilité du présent recours ;

Que la question de la justification de l'intérêt réclame en sus de la somme principale appartient au fond du litige et est, comme telle, étrangère à la question de recevabilité ;

4. Que, dès lors, l'exception tirée de l'article 38, paragraphe 1, du règlement de procédure doit être écartée ;

5. Attendu qu'en second lieu, la défenderesse conteste la recevabilité du recours en raison du fait que celui-ci, bien qu'introduit sur la base des articles 178 et 215, alinéa 2, viserait en réalité à faire constater une carence de la Commission et à contraindre indirectement celle-ci à engager contre la République Fédérale d'Allemagne la procédure de l'article 97, alinéa 2, et, éventuellement, celle de l'article 169 ;

Que cette manière de procéder aurait pour effet de tourner les conditions auxquelles l'article 175 a subordonné les recours en carence ;

6. Attendu que le recours en indemnité des articles 178 et 215, alinéa 2, a été institué par le traité comme une voie de recours autonome, ayant sa fonction particulière dans le cadre du système des voies de recours et subordonnée à des conditions d'exercice conçues en vue de son objet spécifique ;

Qu'il serait contraire à cette autonomie du recours, autant qu'à l'efficacité du système général des voies de droit instituées par le traité, de considérer comme cause d'irrecevabilité le fait que, dans certaines circonstances, l'exercice du recours en indemnité pourrait conduire à un résultat comparable à celui du recours en carence institué par l'article 175 ;

7. Que cette exception d'irrecevabilité doit donc être rejetée ;

8. Attendu que la défenderesse faisant encore valoir que les droits à indemnité invoqués par la requérante seraient, pour la plupart, prescrits, il convient de faire observer que cette exception concerne, en réalité, non la recevabilité du recours mais l'étendue de la réparation, et qu'elle doit donc être écartée ;

Sur le fond

9. Attendu que la requérante, astreinte au paiement, en vertu de la législation fiscale allemande, de la taxe compensatoire de la taxe sur le chiffre d'affaires sur certains produits, fonde son recours sur le fait que la Commission se serait refusée à faire usage des pouvoirs que lui confèrent les articles 97, alinéa 2, 155 et 169, en vue d'obtenir que la taxe en cause soit éliminée entièrement ou, à tout le moins, ramenée au niveau d'imposition déterminé par les articles 95 et 97, alinéa 1, et ceci avec effet rétroactif au 1er janvier 1962 ;

10. Attendu qu'en vertu de l'article 215, alinéa 2, et des principes généraux auxquels il est renvoyé par cette disposition la responsabilité de la Communauté suppose la réunion d'un ensemble de conditions en ce qui concerne la réalité du dommage, l'existence d'un lien de causalité entre le préjudice invoqué et le comportement reproché aux institutions et l'illégalité de ce comportement ;

11. Qu'en l'occurrence, il convient d'examiner d'abord la question de savoir si la Commission, agissant comme elle l'a fait, a manqué aux obligations que lui impose l'article 97, alinéa 2 ;

12. Attendu qu'aux termes de l'article 95, aucun Etat membre ne frappe directement ou indirectement les produits des autres Etats membres d'impositions intérieures, de quelque nature qu'elles soient, supérieures à celles qui frappent directement ou indirectement les produits nationaux similaires ;

Que selon l'article 97, invoqué par la requérante comme fondement de son action, les Etats membres qui perçoivent la taxe sur le chiffre d'affaires d'après le système de la taxe cumulative a cascadé peuvent, pour les impositions intérieures dont ils frappent les produits importés, procéder à la fixation de " taux moyens " par produits ou groupes de produits sans toutefois porter atteinte aux principes énoncés à l'article 95 ;

Qu'aux termes de l'alinéa 2 du même article, au cas où les taux moyens fixés par un Etat membre ne sont pas conformes aux principes précités, " la Commission adresse à cet Etat les directives ou décisions appropriées " ;

13. Attendu que l'article 97 a pour objet, en ce qui concerne les importations, d'assurer la conformité, avec les principes de l'article 95, des taxes compensatoires perçues dans le cadre d'un système de taxe cumulative à cascade ;

Que, compte tenu des caractéristiques propres à ce système d'imposition, dont l'incidence économique donne lieu le plus souvent à des appréciations approximatives, le traité permet aux Etats membres de prendre certaines mesures de caractère forfaitaire, consistant dans la fixation de taux moyens d'imposition à l'importation, pour des produits déterminés ou pour des groupes de produits ;

Qu'un tel régime implique nécessairement, de la part des Etats qui l'appliquent, l'exercice d'une faculté d'appréciation en ce qui concerne tant l'évaluation de la charge des impositions frappant la production intérieure qui détermine le niveau des taux moyens que les modalités de l'imposition, compte tenu du système général de la législation fiscale en cause ;

14. Qu'en vue de sauvegarder les exigences des articles 95 et 97, alinéa 1, la Commission exerce, en vertu de l'article 97, alinéa 2, une compétence particulière de surveillance dont l'exercice suppose, lui aussi, un pouvoir d'appréciation des éléments que l'Etat a pris en considération ;

15. Que cette mission a été conférée à la Commission en vue d'assurer la conformité des systèmes fiscaux nationaux avec les exigences de libre circulation et de non-discrimination qui forment l'objectif des articles 95 et 97 ;

Qu'à cet effet, l'article 97, alinéa 2, donne à la Commission le pouvoir de définir, par voie de directives ou de décisions, à l'adresse des Etats, les exigences découlant du traité au regard des législations fiscales visées ;

16. Que, dès lors, compte tenu tant de la part d'estimation qu'implique la conversion en " taux moyens " des données complexes de taxes cumulatives à cascade que de la nature des moyens d'action prévus par l'article 97, alinéa 2, l'exercice de la mission de surveillance prévue à cette disposition implique qu'il soit tenu compte de la marge d'appréciation que le premier alinéa laisse aux Etats membres concernés ;

17. Attendu qu'il est constant que dès 1962 la Commission a entamé, avec les experts des Etats membres, l'examen des taux moyens prévus par les législations nationales en vue d'en vérifier la compatibilité avec les exigences des articles 95 et 97, alinéa 1 ;

Qu'au cours de cet examen elle a discuté avec les autorités allemandes ainsi qu'avec celles des autres Etats membres intéressés au commerce de la poudre de lait le taux applicable à ce produit ;

Qu'après avoir pris connaissance des justifications fournies par le Gouvernement allemand, elle a informé celui-ci de ce que le taux moyen de 4 %, en vigueur pour les importations de poudre de lait dans la République Fédérale, lui semblait trop élevé ;

Que la République Fédérale ayant ramené, à la suite de ces interventions, de 4 % a 3 % le taux de la taxe litigieuse, avec effet au 1er avril 1965 - date reportée dans la suite au 1er janvier 1962 - la Commission a estimé qu'il n'y avait plus lieu d'adopter une directive ou une décision au titre de l'article 97 en vue d'obtenir un abaissement plus important ;

Que d'ailleurs, il n'a pas été fait état d'une réclamation quelconque des Etats membres dont les exportations auraient pu être affectées par le régime fiscal critiqué par la requérante ;

Qu'il ressort de ce qui précède qu'en l'occurrence la Commission n'a pas manqué d'exercer sa mission de surveillance ;

18. Que d'ailleurs, le rapport d'expertise produit par la requérante à l'appui de sa thèse, s'il arrive à la conclusion que pour la poudre de lait un taux moyen moins élevé s'imposerait, est de nature à confirmer que le calcul des charges indirectes grevant ce produit comporte toute une série d'éléments aléatoires qui se prêtent à des appréciations fort divergentes de sorte qu'il n'est en général possible que d'établir certaines limites maxima et minima entre lesquelles plusieurs solutions paraissent également justifiables ;

19. Que la requérante n'a pas établi que pour le produit litigieux un taux moyen de 3% dépasse les limites découlant des articles 95 et 97, que la Commission est appelée à sauvegarder ;

Que, dès lors, le recours doit être rejeté ;

20. Attendu qu'aux termes de l'article 69, paragraphe 2, alinéa 1, du réglement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens ;

Que la requérante a succombé en ses moyens ;

Qu'elle doit donc être condamnée aux dépens de l'instance ;

LA COUR, rejetant toutes autres conclusions plus amples ou contraires, déclare et arrête :

1) Le recours est rejeté ;

2) La requérante est condamnée aux dépens.