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Décisions

CJCE, 5e ch., 11 juin 1987, n° 14-86

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Pretore di Salò

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Galmot

Avocat général :

M. Mancini

Juges :

MM. Bosco, Everling, Joliet, Moitinho De Almeida

Avocat :

Me Ferri.

CJCE n° 14-86

11 juin 1987

LA COUR,

1. Par ordonnance du 13 janvier 1986, parvenue à la Cour le 21 janvier suivant, le Pretore de Salò a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, deux questions préjudicielles relatives à l'interprétation de la directive 78-659 du Conseil, du 18 juillet 1978, concernant la qualité des eaux douces ayant besoin d'être protégées ou améliorées pour être aptes à la vie des poissons (JO L 222, p. 1).

2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'une procédure pénale contre inconnus relative à certains délits et contraventions qui auraient été commis en violation de plusieurs dispositions légales dans le domaine de la protection des eaux.

3. Cette procédure trouve son origine dans une plainte déposée par une association de pécheurs à la suite de la mort de nombreux poissons dans la rivière Chiese, qui serait due essentiellement aux nombreux barrages installés à des fins hydroélectriques et d'irrigation, lesquels provoqueraient de fortes et brusques variations du débit de l'eau. D'autres associations de pécheurs s'étaient déjà plaintes des mêmes faits et aussi de décharges de substances nocives dans la même rivière, mais ces plaintes avaient été classées sans suite.

4. Dans le cadre de l'instruction pénale ainsi engagée, le Pretore de Salò a estimée nécessaire de poser à la Cour les questions suivantes:

"1) la réglementation actuelle de la République italienne en matière de protection des eaux contre la pollution est-elle adaptée aux principes et aux objectifs de qualité établis par la directive 78-659-CEE, du 18 juillet 1978, concernant la qualité des eaux douces ayant besoin d'être protégées ou améliorées pour être aptes à la vie des poissons?

2) les objectifs de qualité, tels qu'ils ont été établis par la directive, n'impliquent-ils pas une gestion globale des eaux, c'est-à-dire la garantie du régime de débit et de quantité et, par conséquent, la nécessité, pour les bassins ou les cours d'eau, de normes susceptibles de protéger la régularité du flux en vue du maintien de la quantité minimale d'eau indispensable pour le développement des poissons?"

5. En ce qui concerne les faits de l'affaire, le déroulement de la procédure et les observations présentées par le Gouvernement italien et par la Commission, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

6. Le Gouvernement italien, sans soulever expressément l'incompétence de la Cour pour répondre aux questions posées, attire l'attention de la Cour sur la nature des fonctions exercées en l'espèce par le "Pretore", lesquelles relèveraient à la fois des fonctions de Ministère public et de celles de juge d'instruction. Le Pretore mène les enquêtes préliminaires en qualité de Ministère public, et, en cas de résultat négatif, prononce l'ordonnance de non-lieu en lieu et place du juge d'instruction. Cette ordonnance ne serait pas un acte juridictionnel, puisqu'elle n'est pas susceptible d'acquérir force de chose jugée ou de créer une situation procédurale irrévocable et qu'elle n'a pas à être motivée, alors que cette obligation est imposée par l'article 111 de la constitution italienne pour les actes juridictionnels.

7. Il y a lieu d'observer que les Pretori sont des magistrats qui, dans une procédure comme celle ayant donne lieu à la présente saisine de la Cour, cumulent les fonctions de Ministère public et de juge d'instruction. La Cour a compétence pour répondre à la demande préjudicielle, celle-ci émanant d'une juridiction qui a agi dans le cadre général de sa mission de juger, en indépendance et conformément au droit, des affaires pour lesquelles la loi lui confère compétence, même si certaines des fonctions qui incombent à cette juridiction dans la procédure ayant donne lieu au renvoi préjudiciel n'ont pas un caractère strictement juridictionnel.

8. A l'audience, le Gouvernement italien a également soutenu que, compte tenu de l'état actuel de la procédure, ou les faits ne se trouvent pas suffisamment éclaircis et ou les éventuels responsables ne sont pas encore déterminés, le renvoi préjudiciel est prématuré.

9. La Commission considère que la demande de renvoi n'est pas admissible parce que, s'agissant d'une procédure pénale contre inconnus, il est possible qu'une décision au fond n'intervienne jamais. Il suffirait pour qu'il en soit ainsi que le ou les responsables ne soient jamais identifiés. A l'audience, la Commission a également invoqué un autre argument à l'appui de l'incompétence de la Cour : si, après la décision de la Cour, les responsables étaient connus, ceux-ci seraient empêchés de soutenir devant la Cour l'interprétation du droit communautaire la plus conforme à leurs intérêts. Une atteinte serait ainsi portée aux droits de la défense.

10. Il y a lieu de remarquer tout d'abord que, ainsi que la Cour l'a jugé dans son arrêt du 10 mars 1981 (Irish Creamery, 36 et 71-80, Rec. p. 735), pour que l'interprétation du droit communautaire soit utile au juge national, il est nécessaire que soit défini le cadre juridique dans lequel l'interprétation demandée doit se placer. Dans cette perspective, il peut être avantageux, selon les circonstances, que les faits de l'affaire soient établis et que les problèmes de pur droit national soient tranches au moment du renvoi à la Cour, de manière à permettre à celle-ci de manière tous les éléments de fait et de droit qui peuvent être importants pour l'interprétation qu'elle est appelée à donner du droit communautaire.

11. Cependant, ainsi que la Cour l'a déjà juge (voir le même arrêt et, en dernier lieu, l'arrêt du 20 juillet 1984, Campus Oil, 72-83, Rec. p. 2727), ces considérations ne limitent en rien le pouvoir d'appréciation du juge national, qui est le seul à avoir une connaissance directe des faits de l'affaire et des arguments des parties, qui doit assumer la responsabilité de la décision judiciaire à intervenir et qui est ainsi le mieux place pour apprécier à quel stade de la procédure il a besoin d'une décision préjudicielle de la Cour. Le choix du moment où il convient d'introduire en l'espèce la demande préjudicielle en vertu de l'article 177 obéit donc à des considérations d'économie et d'utilité procédurales dont l'appréciation n'appartient pas à la Cour, mais à la seule juridiction nationale.

12. Il y a lieu aussi de remarquer que, selon une jurisprudence constante, le caractère obligatoire que revêtent les arrêts préjudiciels à l'égard des juridictions nationales ne fait pas obstacle à ce que le juge national destinataire d'un tel arrêt saisisse à nouveau la Cour s'il l'estime nécessaire en vue de trancher le litige au principal. Un tel renvoi peut être justifié lorsque le juge national se heurte à des difficultés de compréhension ou d'application de l'arrêt, lorsqu'il pose à la Cour une nouvelle question de droit ou, encore, lorsqu'il lui soumet de nouveaux éléments d'appréciation susceptibles de conduire la Cour à répondre différemment à une question déjà tranchée (voir, en dernier lieu, ordonnance du 5 mars 1986, Wuensche, 69-85, Rec. p. 947 et suiv.).

13. Il s'ensuit que, dans le cas ou des prévenus sont identifiés postérieurement à la demande préjudicielle, et si l'une des conditions mentionnées se vérifie, le juge national pourra interroger à nouveau la Cour en assurant ainsi le respect du aux droits de la défense.

14. Il y a lieu, dans ces conditions, d'écarter les objections que la Commission et le Gouvernement italien ont émises en l'espèce à l'encontre de la compétence de la Cour.

Sur la première question

15. Conformément à la jurisprudence constante de la Cour, celle-ci, dans le cadre de l'application de l'article 177 du traité CEE, n'est pas compétente pour statuer sur la compatibilité d'une disposition nationale avec le droit communautaire (voir, en dernier lieu, arrêt du 9 octobre 1984, Heineken, 91 et 127-83, Rec. p. 3435).

16. La Cour peut cependant dégager du libelle des questions formulées par le juge national, eu égard aux données exposées par celui-ci, les éléments relevant de l'interprétation du droit communautaire en vue de permettre à ce juge de résoudre le problème juridique dont il se trouve saisi. En l'espèce, toutefois, compte tenu de la généralité de la question et en l'absence d'éléments concrets permettant d'identifier les doutes du juge de renvoi, la Cour se trouve dans l'impossibilité de répondre à la question posée.

Sur la deuxième question

17. Selon l'ordonnance de renvoi du juge national, la réglementation communautaire concerne les questions pénales soulevées devant lui "tant en raison de son caractère de condition préalable essentielle au regard des éléments de base de l'enquête que de son importance déterminante pour les critères d'application de la réglementation pénale en vigueur et des indéniables perspectives d'élargissement de la sphère de protection pénale qui pouvaient dériver de la directive ".

18. La juridiction nationale vise donc, en substance, à savoir si la directive 78-659 peut avoir, par elle-même et indépendamment de la loi interne d'un état, l'effet de déterminer ou d'aggraver la responsabilité pénale de ceux qui agissent en infraction à ses dispositions.

19. A cet égard, la Cour a déjà jugé dans son arrêt du 26 février 1986 (Marshall, 152-84, Rec. p. 723, 727) "qu'une directive ne peut pas par elle-même créer des obligations dans le chef d'un particulier et qu'une disposition d'une directive ne peut donc pas être invoquée en tant que telle à l'encontre d'une telle personne". D'une directive non transposée dans l'ordre juridique interne d'un Etat membre ne peuvent donc résulter des obligations pour des particuliers ni à l'égard d'autres particuliers ni, à plus forte raison, à l'égard de l'état lui-même.

20. En conséquence, il y a lieu de répondre à la deuxième question que la directive 78-659 du Conseil, du 18 juillet 1978, ne peut pas avoir comme effet, par elle-même et indépendamment d'une loi interne d'un Etat membre prise pour son application, de déterminer ou d'aggraver la responsabilité pénale de ceux qui agissent en infraction à ses dispositions.

Sur les dépens

21. Les frais exposés par le Gouvernement italien et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre),

Statuant sur les questions a elle soumises par le Pretore de Salò, par ordonnance du 13 janvier 1986,

Dit pour droit:

La directive 78-659 du Conseil, du 18 juillet 1978 (JO L 222, p. 1), ne peut pas avoir comme effet, par elle-même et indépendamment d'une loi interne d'un Etat membre prise pour son application, de déterminer ou d'aggraver la responsabilité pénale de ceux qui agissent en infraction à ses dispositions.