Cass. com., 21 février 1995, n° 93-15.387
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
United Distillers France (Sté), John Walker and sons limited (Sté), Tanqueray Gordon et compagnie limited (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bézard
Rapporteur :
M. Huglo
Avocat général :
M. Raynaud
Avocats :
SCP Célice, Blancpain, SCP Ancel, Couturier-Heller
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 11 janvier 1993), que les sociétés United Distillers France, John Walker and sons limited et Tanqueray Gordon et compagnie limited (les sociétés) ont assigné l'Etat en réparation du préjudice causé par une circulaire du 10 octobre 1980 du ministère de la Justice prescrivant au Ministère public d'engager des poursuites pénales pour toute publicité pour un produit importé effectuée en violation des articles L. 17 et L. 18 du Code des débits de boissons, dans leur rédaction alors en vigueur, en invoquant les arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes du 27 février 1980 (Commission contre France) et du 10 juillet 1980 (Commission contre France) ayant déclaré ces dispositions contraires à l'article 30 du traité instituant la Communauté européenne ;
Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche : (sans intérêt) ;
Et sur le moyen unique, pris en sa cinquième branche : - Vu l'article L. 781-1 du Code de l'organisation judiciaire, ensemble l'article 171 du traité instituant la Communauté européenne ; - Attendu que, pour statuer comme il a fait, l'arrêt retient qu'une faute lourde ne résulte pas des termes d'une circulaire interprétant le sens et déterminant la portée, fût-ce de manière erronée, d'un arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que, dans son arrêt du 27 février 1980, auquel renvoie l'arrêt du 10 juillet 1980 ayant constaté le manquement de la République française du fait de la réglementation de la publicité des boissons alcoolisées prévue par les articles L. 17 et L. 18 du Code des débits de boissons, la Cour de justice a précisé " qu'il n'est pas nécessaire, pour donner une solution au présent litige, de se prononcer sur la question de savoir si les boissons spiritueuses concernées sont, ou non, en partie ou en totalité, des produits similaires au sens de l'article 95, alinéa 1er, alors qu'on ne saurait raisonnablement contester qu'elles se trouvent, sans exception, dans un rapport de concurrence à tout le moins partielle avec les produits nationaux ", qu'il résulte d'une jurisprudence constante de la Cour de justice des Communautés européennes (notamment arrêt du 13 juillet 1972, Commission contre Italie) que l'effet du droit communautaire implique, pour des autorités nationales compétentes, prohibition de plein droit d'appliquer une prescription nationale reconnue incompatible avec le traité, que la circulaire litigieuse, en invitant le Ministère public à exercer des poursuites pénales pour toute publicité pour un produit importé effectuée en violation des articles L. 17 et L. 18 du Code des débits de boissons au motif qu'il appartient au juge pénal de déterminer si le produit importé doit être considéré comme similaire ou entrant en concurrence avec un produit national a méconnu la portée des arrêts de la Cour de justice des 27 février et 10 juillet 1980 et que son adoption constitue ainsi une faute lourde, la cour d'appel a violé les dispositions susvisées ;
Et sur le moyen unique, pris en sa sixième branche : - Vu l'article L. 781-1 du Code de l'organisation judiciaire ; - Attendu que, pour se déterminer comme il a fait, l'arrêt retient qu'à défaut de poursuites pénales à l'encontre des sociétés, celles-ci ne peuvent se prévaloir d'un préjudice trouvant sa cause dans la circulaire litigieuse ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si la renonciation des sociétés à l'organisation de publicité, pour leurs boissons, du fait de l'exercice des poursuites pénales prévu par la circulaire litigieuse, n'avait pas causé une atteinte aux conditions de la concurrence constitutive d'un préjudice, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen : Casse et annule, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 janvier 1993 entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Douai.