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Décisions

CJCE, 11 mars 1980, n° 104-79

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Foglia

Défendeur :

Novello

CJCE n° 104-79

11 mars 1980

LA COUR,

1. Par ordonnance du 6 juin 1979, parvenue à la Cour le 29 juin suivant, le Pretore de Dra a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, cinq questions relatives à l'interprétation des articles 92, 95 et 177 du traité.

2. Le litige devant le Pretore concerne les frais d'expédition encourus par le requérant, M. Foglia, négociant en vins établi à Santa Vittoria d'Alba, dans la province de Cuneo, Piemont, Italie, pour l'envoi à Menton, en France, de quelques cartons de vins de liqueur italiens qu'il avait vendus à la défenderesse, M Novello.

3. Il ressort du dossier que le contrat de vente entre Foglia et Novello stipulait que d'éventuelles impositions exigées par les autorités italiennes ou françaises et contraires au régime de libre circulation des marchandises entre les deux pays, ou du moins indues, ne seraient pas mises à la charge de Novello. Foglia a repris une clause similaire dans son contrat avec l'entreprise Danzas qu'il a chargée de transporter les cartons de vins de liqueur à menton; cette clause prévoyait que ces mêmes impositions illégales ou indues ne seraient pas mises à la charge de Foglia.

4. L'ordonnance de renvoi constate que l'objet du litige se limite à la seule somme payée au titre des droits de consommation lors de l'introduction des vins de liqueur sur le territoire français. Il apparaît du dossier, et des débats devant la Cour de justice, que ces droits de consommation ont été payés à l'Administration française par Danzas, sans protestation ni réclamation; que la note de frais pour l'expédition que Danzas a présenté à Foglia, et que celui-ci a réglé, englobait le montant de ces taxes; que Novello a refusé de rembourser ce dernier montant à Foglia, en invoquant la clause expressément convenue dans le contrat de vente en ce qui concerne les impositions illégales ou indues.

5. Les moyens de défense avancés par Novello ont été compris par le Pretore dans ce sens qu'ils mettent en jeu la validité de la législation française concernant les droits de consommation sur les vins de liqueur au regard de l'article 95 du traité CEE.

6. L'attitude de Foglia au cours de l'instance devant le Pretore peut être qualifiée de neutre. Foglia a en effet soutenu que le montant correspondant aux droits de consommation français ne pouvait en aucun cas être à sa charge, car si ces taxes avaient été légalement perçues, elles devraient être supportées par Novello, tandis qu'elles seraient à la charge de Danzas au cas où elles seraient illégales.

7. Ce point de vue a amené Foglia à demander au juge national d'élargir le débat et de mettre en cause l'entreprise Danzas en tant que tiers intéressé au litige. Le juge a toutefois considéré qu'avant de pouvoir statuer sur cette demande il fallait trancher le problème de savoir si la perception des droits de consommation payés par Danzas était conforme ou contraire aux dispositions du traité CEE.

8. Les parties au principal ont soumis au Pretore un certain nombre de documents, qui lui ont permis d'examiner la législation française en matière de taxation des vins de liqueur et autres produits comparables. Le juge en a conclu que cette législation se caractérisait par une " grave discrimination " au détriment des vins de liqueur et des vins naturels de degré élevé italiens par le truchement d'un régime spécial accordé aux vins de liqueur français dénommés " vins doux naturels " et des préférences fiscales données à certains vins naturels français d'un degré élevé et portant une appellation d'origine. C'est sur la base de cette conclusion que le juge a formulé les questions qu'il a posées à la Cour.

9. Dans leurs observations écrites soumises à la Cour, les deux parties au principal ont décrit de façon essentiellement identique les discriminations fiscales qui caractériseraient la législation française en matière de taxation des vins de liqueur; les deux parties estiment que cette législation est incompatible avec le droit communautaire. Pendant la procédure orale devant la Cour, Foglia a indiqué que sa présence dans la procédure devant la Cour s'explique par l'intérêt que porte son entreprise, à titre individuel comme en tant qu'entreprise appartenant à une certaine catégorie d'opérateurs économiques italiens, à la solution des problèmes juridiques soulevés par le litige.

10. Il apparaît ainsi que les parties au principal visent à obtenir une condamnation du régime fiscal français des vins de liqueur par le biais d'une procédure devant une juridiction italienne entre deux parties privées qui sont d'accord sur le résultat à atteindre et qui ont inséré une clause dans leur contrat en vue d'amener la juridiction italienne à se prononcer sur ce point. Le caractère artificiel de cette construction est d'autant plus manifeste que les voies de recours ouvertes par le droit français contre l'imposition des droits de consommation n'ont pas été utilisées par l'entreprise Danzas, qui avait cependant tout intérêt à le faire, étant donné la clause contractuelle par laquelle elle aussi était liée, et qu'au surplus, Foglia a payé la note de cette entreprise, qui englobait un montant payé au titre de cette taxe, sans protester.

11. La fonction confiée à la Cour de justice par l'article 177 du traité consiste à fournir à toute juridiction de la Communauté les éléments d'interprétation du droit communautaire qui lui sont nécessaires pour la solution de litiges réels qui lui sont soumis. Si, par le biais d'arrangements du genre de ceux ci-dessus décrits, la Cour était obligée à statuer, il serait porté atteinte au système de l'ensemble des voies de recours juridictionnelles dont disposent les particuliers pour se protéger contre l'application de lois fiscales qui seraient contraires aux dispositions du traité.

12. Il en résulte que les questions posées par la juridiction nationale, compte tenu des circonstances de l'espèce, ne se situent pas dans le cadre de la mission juridictionnelle qui incombe à la Cour de justice en application de l'article 177 du traité.

13. La Cour de justice n'est dès lors pas compétente pour statuer sur les questions posées par la juridiction nationale.

14. Les frais exposés par le Gouvernement de la République française et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet de remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur les questions à elle soumises par le Pretore de Bra, par ordonnance du 6 juin 1979, dit pour droit:

La Cour de justice n'est pas compétente pour statuer sur les questions posées par la juridiction nationale.