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Décisions

Ministre de l’Économie, 18 mai 2004, n° ECOC0500092Y

MINISTRE DE L’ÉCONOMIE

Lettre

PARTIES

Demandeur :

MINISTRE DE L'ECONOMIE

Défendeur :

Conseil de la société Financière Granulats

Ministre de l’Économie n° ECOC0500092Y

18 mai 2004

MINISTRE D'ÉTAT, MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE

Maîtres,

Par dépôt d'un dossier déclaré complet le 14 avril 2004, vous avez notifié le projet d'acquisition du contrôle exclusif de la société Hupfer Holding et de ses filiales (ci-après " Hupfer " pour l'ensemble du groupe) par la société Financière Granulats, filiale du groupe Lafarge (ci-après " Lafarge "). L'acquisition a été formalisée par un contrat de cession signé le 24 mars 2004.

1. Les entreprises concernées et l'opération

Hupfer est actif dans l'extraction et la vente de granulats (Nièvre, Saône-et-Loire, Haut-Rhin, Bas-Rhin, Suisse et Allemagne) ainsi que dans la fabrication et la vente de béton prêt à l'emploi (Suisse et Haut-Rhin), et possède également des participations dans des sociétés exploitant des centrales d'enrobés à chaud en Alsace et en Suisse. Hupfer a réalisé en 2002 un chiffre d'affaires total de 73 millions d'euro, dont 30 millions dans l'Union européenne, et 27 millions en France.

Lafarge est un des principaux groupes mondiaux de matériaux de construction (ciment, béton prêt à l'emploi, granulats, plâtre et toiture). Le groupe a réalisé en 2002 un chiffre d'affaires total de 14 610 millions d'euro, dont 6 005 millions dans l'Union européenne et 2 007 millions en France.

L'acquisition d'Hupfer permet à Lafarge de renforcer son réseau de carrières, tout particulièrement dans des zones où le groupe était absent (Mulhouse-Bâle, Zurich) ou peu présent (Strasbourg).

L'opération notifiée a pour effet d'entraîner le contrôle exclusif de Lafarge sur Hupfer. Elle constitue donc une concentration au sens des dispositions de l'article L. 430-1 du Code de commerce et, compte tenu des chiffres d'affaires des entreprises concernées, ne revêt pas une dimension communautaire. L'opération susvisée revêt un caractère irrévocable à compter du 24 mars 2004, date à laquelle le contrat de cession a été signé par les parties. Les seuils de chiffres d'affaires mentionnés à l'article L. 430-2 du Code de commerce à prendre en compte sont donc ceux qui étaient en vigueur avant la modification introduite par l'ordonnance n° 2004-274 du 25 mars 2004, publiée au Journal officiel du 27 mars 2004. Au cas d'espèce, ces seuils sont franchis. L'opération notifiée est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce relatifs à la concentration économique.

2. Définitions des marchés

Le secteur économique concerné par l'opération notifiée est celui des matériaux de construction. Plus particulièrement, Hupfer et Lafarge sont tous deux actifs dans l'extraction et la vente de granulats.

Selon l'Union nationale des producteurs de granulats (UNPG), " les granulats sont des petits morceaux de roches destinés à réaliser des ouvrages de travaux publics, de génie civil et de bâtiment (1). " Les professionnels distinguent trois catégories principales de granulats en fonction de leur nature et de leur origine : (i) les granulats d'origine alluvionnaire, (alluviale marine et autres dépôts), (ii) les granulats de roches massives (roches éruptives, calcaires, autres roches sédimentaires et roches métamorphiques), (iii) les granulats de recyclage et artificiels (bétons recyclés, laitiers de hauts fourneaux).

Une fois extraits des carrières, les granulats subissent plusieurs traitements : concassage (essentiellement pour les granulats de roches massives), criblage (sélection des grains en fonction de leur taille) et lavage.

Du fait de leurs caractéristiques, certaines catégories de granulats sont préférées à d'autres selon les types de travaux.

Ainsi, le Centre expérimental de recherches et d'études du bâtiment et des travaux publics (CEBTP) souligne que " dans le domaine des bétons hydrauliques, il est utilisé actuellement dans le Bassin parisien au sens large comme dans beaucoup d'autres régions françaises, quasi exclusivement des matériaux d'origine alluvionnaires extraits des lits mineurs et majeurs des rivières. (...) En effet (...) l'angularité des granulats (...) a une très forte influence sur la maniabilité du béton frais. De cette dernière propriété, capitale pour les entreprises qui mettent en ouvre le béton sur chantier ou usine, découle la très forte tendance à utiliser prioritairement des granulats roulés pour la confection des bétons hydrauliques (2). "

De même, l'UNPG précise que, en matière de viabilité routière, " on utilise des éléments concassés dont la forme anguleuse permet un autoblocage des matériaux. Des granulats ronds ne seraient pas suffisamment stables. Les surfaces de roulement doivent être exécutées avec des granulats de surface rugueuse permettant une bonne adhérence des pneus (3). "

Toutefois, les granulats sont des matériaux pondéreux et de faible valeur, et, de ce fait, ne sont généralement pas transportés sur de longues distances. Les professionnels estiment en effet que le prix " rendu " (prix au départ de la carrière + prix du transport) du granulat transporté par route double au-delà d'une quarantaine de kilomètres. Aussi, dès lors que les contraintes géologiques locales ne permettent pas de disposer de tous les types de granulats, les professionnels s'adaptent en substituant certains types de granulats à d'autres.

Le cas du Bas-Rhin, où sont implantés Lafarge et Hupfer, est particulièrement illustratif. Dans ce département, près de 90 % de la production de granulats provient de carrières alluvionnaires. De ce fait, la quasi-totalité des travaux de construction et de viabilité nécessitant des granulats est réalisée à partir de granulats alluvionnaires (4).

Constatant que les différentes catégories de granulats étaient substituables entre elles, les autorités de concurrence, tant françaises que communautaire, ont donc jusqu'à présent mené leurs analyses en considérant un seul marché de produits des granulats (5).

On peut cependant observer que les départements de la Nièvre et de Saône-et-Loire, dans lesquels Lafarge et Hupfer exploitent tous deux des carrières, possèdent des gisements produisant aussi bien des granulats alluvionnaires que des granulats de roches massives (éruptifs et calcaires), et que la substitution entre granulats alluvionnaires et granulats de roches massives n'apparaît pas très développée.

Tout d'abord, il ressort des schémas départementaux des carrières (SDC) de la Nièvre et de Saône-et-Loire que le béton hydraulique est fabriqué quasi exclusivement avec des granulats alluvionnaires (à hauteur de 98 % dans la Nièvre et de 95 % dans la Saône-et-Loire). Les couches de roulement sont, quant à elles, réalisées avec quasi exclusivement des granulats de roche massive (à hauteur de 95 % dans la Nièvre et de 84 % dans la Saône-et-Loire) (6). Enfin, au moins pour ce qui concerne la Nièvre, les granulats utilisés pour les autres travaux de viabilité (couches d'assise, remblais etc.) sont issus à plus de 85 % de roches massives (7).

Ensuite, l'ensemble des producteurs ou utilisateurs de granulats locaux interrogés a confirmé la faible substitution entre granulats alluvionnaires et granulats de roches massives, notamment en matière de bétons et de couches de roulement. S'agissant de ces dernières, ils ont confirmé qu'elles sont quasi exclusivement réalisées avec de la roche massive, tout particulièrement dans la Nièvre. En ce qui concerne les autres travaux de viabilité routière, les professionnels interrogés ont également confirmé la forte prédominance des granulats de roches massives, tout en précisant que le choix du granulat était plus fonction de son prix " rendu " que de considérations techniques.

Enfin, on peut observer que les principaux clients des carrières de roches éruptives possédées par Lafarge ou Hupfer dans la Nièvre ou la Saône-et-Loire sont quasiment tous, hors la SNCF, des entrepreneurs de travaux routiers.

Ces constatations s'inscrivent dans un contexte où, depuis le début des années 1980, dans la Nièvre et dans la Saône-et-Loire, la part des granulats alluvionnaires a sensiblement baissé au profit des granulats de roches massives (8). Les SDC évoqués encouragent cette substitution. Celui de la Nièvre estime nécessaire de " faire évoluer les habitudes d'utilisation " et donc de " restreindre l'utilisation d'alluvionnaires aux seuls usages où leurs caractéristiques les rendent indispensables (9). " Pour ce faire, les deux SDC souhaitent réduire de 2 % par an les extractions de granulats alluvionnaires, notamment en gelant les nouvelles autorisations d'extraction. Un tel dispositif est donc susceptible d'accroître l'usage sélectif, déjà existant, des granulats de roches massives et des granulats alluvionnaires.

Selon l'annexe I du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002, " Un marché pertinent de produits comprend tous les produits ou services que le consommateur considère comme interchangeables ou substituables en raison de leurs caractéristiques, de leur prix et de l'usage auquel ils sont destinés. "

L'usage sélectif des granulats de roches massives et des granulats alluvionnaires, le SDC de la Nièvre évoquant des habitudes d'utilisation, pourrait amener à se poser la question de l'existence, dans la Nièvre et la Saône-et-Loire, de deux marchés de produits séparés.

La question de l'existence, au niveau local, de marchés de produits séparés, alors que les produits desdits marchés sont techniquement substituables du point de vue de la demande, a déjà été posée dans d'autres affaires.

Ainsi en est-il de l'affaire Koramic Wienerberger/Migeon et Bish (10), dans laquelle le Conseil de la concurrence a considéré que " la substituabilité entre (...) deux types de produits doit (...) être analysée en tenant compte des caractères propres des marchés géographiques concernés. "

Lafarge observe cependant que la substituabilité parfaite n'existe que très rarement et qu'il n'y a pas lieu de définir plusieurs marchés de produits de granulats pour la Nièvre et la Saône-et-Loire. Pour appuyer sa position, Lafarge a communiqué des éléments chiffrés concernant les prix " rendus " des granulats.

Ainsi, s'agissant de la Nièvre, Lafarge estime, en s'appuyant sur l'exemple de deux de ses carrières, que les écarts de prix " rendu " sont neutralisés par les coûts de transport : pour un client situé à Nevers, le prix " rendu " du granulat alluvionnaire de la carrière de Saint-Ouen serait très proche de celui du granulat issu de la carrière de Fléty, alors que le prix de vente du granulat alluvionnaire au départ de la carrière est nettement plus élevé que celui du granulat éruptif (11).

A l'inverse, à partir d'autres exemples locaux (bassins d'agglomération de Lyon, de Nantes et de Marseille), Lafarge constate que, dès lors que le prix " rendu " d'une catégorie de granulat est, du fait notamment des contraintes géologiques locales, très nettement inférieur au prix " rendu " d'autres types de granulats, la demande privilégie massivement, pour tous types de travaux, le granulat le moins cher.

Dès lors, selon Lafarge, une variation de l'ordre de 10 % du prix " rendu " du granulat suffirait à induire de fortes variations des consommations respectives des différents types de granulats, compte tenu des contraintes géologiques et d'éloignement des carrières par rapport à la demande.

Ces éléments, apportés par Lafarge, appellent les observations suivantes.

En premier lieu, les exemples des bassins de Nantes, de Marseille et de Lyon mentionnés par Lafarge font apparaître des écarts de prix rendu sensiblement supérieurs au taux de 10 % évoqué par Lafarge. Il n'est donc pas possible, à partir de ces exemples, de vérifier l'affirmation de Lafarge selon laquelle une variation du prix de l'ordre de 10 % du prix " rendu " suffirait à induire de fortes variations des consommations respectives des différents types de granulats.

En second lieu, les délais impartis à l'instruction, ainsi que l'absence de statistiques exhaustives en matière de prix des granulats (12), n'ont pas permis, pour ce qui concerne la Nièvre et la Saône-et-Loire, d'analyser de manière approfondie la structure des prix " rendus " des granulats, et donc de vérifier que les exemples de Fléty et de Saint-Ouen étaient représentatifs de la situation prévalant dans les deux départements. Pour les mêmes raisons, il n'a pas été possible de mesurer, pour la Nièvre et la Saône-et-Loire, l'élasticité croisée de la demande par rapport aux " prix rendus " entre granulats alluvionnaires et granulats de roches massives.

La vérification de l'existence de marchés de produits plus étroits en matière de granulats, dans les départements de la Nièvre et de Saône-et-Loire, nécessiterait donc des investigations supplémentaires substantielles.

En tout état de cause, pour ce qui concerne la Nièvre et la Saône-et-Loire, la question de l'existence de marchés de produits séparés n'a pas besoin d'être tranchée car, quelle que soit la définition de marché de produits retenue, les conclusions de l'analyse demeureront inchangées.

En ce qui concerne le Bas-Rhin, la question d'une définition de marchés de produits de granulats plus étroits n'a pas lieu d'être posée, dans la mesure où ce département consomme quasi exclusivement des granulats alluvionnaires.

Marchés géographiques

S'agissant des marchés géographiques de granulats, il ressort de la pratique décisionnelle évoquée qu'ils sont largement locaux, la distance d'achalandage d'une carrière étant d'environ 40 kilomètres du fait du caractère pondéreux et de la faible valeur des granulats.

Par ailleurs, le ministre a eu l'occasion de poser la question de l'existence, en sus de marchés locaux, d'un marché national de granulats, dans la mesure où, notamment, des régions déficitaires en granulats ont besoin d'en importer d'autres régions (13). En outre, certains clients, tels que la SNCF pour ses besoins en matière de ballast, exigent des granulats avec des qualités spécifiques, ce qui implique également des flux transrégionaux (notamment par chemin de fer) de granulats. La question d'une dimension supranationale pourrait même éventuellement être posée dans la mesure où la SNCF a agréé deux carrières situées en Belgique pour la fourniture de ballast.

S'agissant de la Nièvre et de la Saône-et-Loire, Lafarge considère cependant que les marchés géographiques doivent être définis non par rapport aux périmètres des carrières mais par rapport aux principaux bassins de consommation, qui correspondent, au cas d'espèce, aux 3 principales agglomérations de ces deux départements (Nevers, Le Creusot et Chalon-sur-Saône). Lafarge estime que le SDC de Saône-et-Loire confirme cette approche, puisque ce document indique que, dans le département, " les grandes agglomérations urbaines sont plus consommatrices de granulats que les zones plus rurales ".

En revanche, pour le Bas-Rhin, Lafarge considère que l'analyse peut se baser sur les périmètres établis autour des carrières, car dans ce département il existe un plus grand nombre de villes importantes qui se répartissent par ailleurs de manière plus homogène que dans la Nièvre ou la Saône-et-Loire.

En matière de définition des marchés géographiques dans la Nièvre et dans la Saône-et-Loire, la démarche de Lafarge, si elle n'apparaît pas dénuée de fondements, ne peut cependant être retenue.

Certes, il est logique que les granulats destinés à la fabrication du béton soient consommés pour l'essentiel dans les principales agglomérations.

Ainsi, en matière de béton prêt à l'emploi, le Conseil de la concurrence a déjà considéré que les centrales à béton, qui consomment des granulats, sont généralement près des centres urbains consommateurs de béton, à une distance maximale de 25 à 30 kilomètres (14). Un tel constat a d'ailleurs amené le Conseil de la concurrence à considérer que " les marchés géographiques de béton prêt à l'emploi sont définis comme des zones circulaires situées autour des centres urbains consommateurs de béton et ayant de vingt à vingt-cinq, voire trente, kilomètres de rayon " et que " cette définition impose, pour déterminer les conditions de l'offre sur chacun de ces marchés, de tracer sur une carte des cercles centrés sur les agglomérations consommatrices (et non sur les unités de production, contrairement à la méthode appliquée par la société Financière Granulats dans ses écritures) et de retenir les centrales de production situées à l'intérieur de chacun de ces cercles ". Par ailleurs, lorsque le béton n'est pas prêt à l'emploi, il peut être fabriqué sur le chantier même. Dans ce cas, le granulat est transporté jusque sur le chantier qui se trouve dans l'agglomération même.

En revanche, en ce qui concerne les travaux de viabilité, il apparaît qu'une part plus importante est vraisemblablement réalisée en dehors des agglomérations évoquées.

Ainsi, dans le cas de travaux de viabilité routière, les granulats sont livrés soit à la centrale d'enrobage pour fabriquer l'enrobé, soit directement sur le chantier.

Or, en premier lieu, on peut constater que, parmi les principaux clients des carrières de Lafarge situées dans la Nièvre, se trouvent des centrales d'enrobage implantées nettement en dehors desdites agglomérations (15).

En deuxième lieu, les professionnels locaux interrogés ont indiqué que des livraisons significatives de granulats étaient effectuées sur des chantiers de travaux routiers situées nettement en dehors des dites agglomérations. Bien qu'il n'ait pas été possible de mesurer précisément la part que représentent les travaux routiers réalisés en dehors de ces agglomérations, on peut cependant constater que le réseau routier non communal (autoroutes, routes nationales, routes départementales), dont la majeure partie se situe en dehors des principales agglomérations, représente, en termes de kilométrage, 47 % du réseau routier total de la Nièvre et 38 % du réseau routier total de Saône-et-Loire.

En conséquence, afin de tenir compte des zones qui sont situées en dehors des bassins d'agglomération évoqués par Lafarge, l'analyse concurrentielle s'appuiera sur des zones de chalandises déterminées à partir des périmètres carrières. S'agissant de la Nièvre et de la Saône-et-Loire, les professionnels locaux interrogés ont indiqué que la distance d'achalandage des carrières pouvait aller jusqu'à 70-80 kilomètres.

En conséquence, il sera retenu une distance d'achalandage d'environ 80 kilomètres pour les carrières des zones concernées de la Nièvre et de Saône-et-Loire.

Par ailleurs, il n'est pas nécessaire, au cas d'espèce, de trancher la question de l'existence d'un marché national de granulats, car qu'elle que soit la définition de marché retenue, les conclusions de l'analyse demeureront inchangées.

3. Analyse concurrentielle

Marchés de la Nièvre et de Saône-et-Loire

Dans la Nièvre et Saône-et-Loire, départements limitrophes, l'opération permet à Lafarge d'acquérir les carrières de roches éruptives de Montauté (Nièvre) et de Marmagne (Saône-et-Loire). Lafarge possède déjà dans la Nièvre une carrière d'alluvionnaires (Saint-Ouen) et une carrière de roches éruptives (Fléty), ainsi qu'une carrière de roches éruptives dans le sud de la Côte-d'Or, à Arnay-le-Duc, non loin de la Nièvre et de Saône-et-Loire.

La carrière de Montauté est située dans l'est de la Nièvre, où sont concentrées les carrières de roches éruptives de la Nièvre : site de Corbigny (à 10 kilomètres de Montauté) exploité par le groupe indépendant Bocahut, sites de Rouy et de Moulins-Engilbert (à 28-29 kilomètres de Montauté) exploités par le groupe Colas, site de Fléty (à 58 kilomètres de Montauté) exploité par Lafarge. Au-delà de ces carrières, se trouvent plusieurs carrières d'alluvionnaires, dont la carrière de Saint-Ouen exploitée par Lafarge (à 64 kilomètres de Montauté et à 55 kilomètres de Fléty), ou de calcaire. La carrière de Marmagne (Hupfer) est située à 88 kilomètres de Montauté et à 43 kilomètres de Fléty. Celle d'Arnay-le-Duc (Lafarge) est distante de 83 kilomètres de Montauté.

Dans le périmètre constitué des zones de chalandise pour lesquelles l'opération crée le chevauchement le plus important, les parts de production (en %) de Lafarge, d'Hupfer et de leurs concurrents sont les suivantes, sur la base des informations communiquées par Lafarge :

<emplacement tableau>

A la suite de l'acquisition, Lafarge renforcerait sa position de premier producteur de granulats sur la zone considérée (16).

Ce renforcement doit cependant être relativisé pour les raisons suivantes :

En premier lieu, Lafarge restera confronté à des concurrents de taille significative qui, pour certains d'entre eux, tels que Colas, sont intégrés verticalement sur la zone considérée (contrôle d'entreprises de travaux publics et de centrales d'enrobés), alors que Lafarge comme Hupfer ne sont pas intégrés verticalement sur ladite zone.

En deuxième lieu, Lafarge sera également confronté à des clients qui appartiennent aux grands groupes de travaux routiers (Colas, Eurovia, Appia) et qui disposent d'une puissance de négociation importante.

En troisième lieu, il peut être noté que, eu égard à la situation géographique des carrières de Lafarge et d'Hupfer, l'opération notifiée ne donnerait guère la possibilité à Lafarge, en augmentant le prix du granulat (ou en réduisant la production) d'une de ses carrières de roches éruptives, de bénéficier d'un report de la demande vers une autre de ses carrières de roches éruptives. Les clients auraient en effet la possibilité de se reporter vers une carrière concurrente, moins éloignée que toute autre carrière de Lafarge ou d'Hupfer, produisant le plus proche substitut, à savoir du granulat éruptif (17).

Il peut être noté que les concurrents et clients interrogés ont estimé que Lafarge ne serait pas en mesure, à la suite de l'opération, de disposer d'un pouvoir de marché lui permettant de s'abstraire de la concurrence.

Il résulte de ce qui précède que l'acquisition d'Hupfer par Lafarge ne sera pas de nature à porter atteinte à la concurrence, tant par le renforcement ou la création d'une position dominante que par le jeu d'effets unilatéraux, sur les marchés locaux des granulats de la Nièvre et de Saône-et-Loire.

Marchés du Bas-Rhin

Dans le Bas-Rhin, Lafarge possède une carrière d'alluvionnaires, à Gerstheim, tandis qu'Hupfer est propriétaire de trois carrières d'alluvionnaires situées au nord de Gerstheim, à Ostwald, Bischoffsheim et Stattmatten. Ces trois dernières carrières sont respectivement situées à 21 kilomètres, 25 kilomètres et 63 kilomètres du site de Gerstheim.

L'intersection la plus importante entre les zones de chalandise des quatre carrières précitées se situe au niveau du site d'Ostwald. Dans un rayon d'environ 40 kilomètres autour de ce site, et sur la base des informations communiquées par Lafarge, Lafarge et Hupfer réalisent respectivement [0-10] % et [10-20] % de la production de granulats de l'ensemble de cette zone. Cette dernière comprend au moins 24 carrières (18), dont plusieurs sont exploitées par des concurrents significatifs (tels que Helmbacher : [10-20] % de la production ; Holcim : [10-20] % ; GSM : [0-10] %). Un élargissement de la zone de chalandise d'Ostwald diluerait sensiblement les parts de production de Lafarge et d'Hupfer, puisque ces derniers ne possèdent pas d'autre carrière dans le Bas-Rhin.

Lafarge ne contrôle pas d'activité située en aval de la production de granulats, tant dans le Bas-Rhin que dans le Haut-Rhin.

En revanche, Hupfer détient une participation de [> 30 ]% dans une centrale d'enrobés à chaud, sur le site d'Ostwald dans le Bas-Rhin, ainsi que deux centrales à béton, à Saint-Louis et Sierrentz dans le Haut-Rhin. Toutefois, la centrale d'enrobés d'Ostwald ne représente que [0-10] % de la production totale d'enrobés à chaud de sa zone de chalandise (délimitée, conformément à la pratique décisionnelle, sur un rayon de 40 kilomètres) et les deux centrales à béton sont distantes de plus de 100 kilomètres de la carrière la plus proche appartenant à Lafarge, à savoir la carrière de Gerstheim (19).

Eu égard à ces éléments, il apparaît, d'une part, que l'opération ne sera pas susceptible de créer ou de renforcer une position dominante au profit de Lafarge sur les marchés des granulats dans le Bas-Rhin et, d'autre part, que Lafarge ne sera pas en mesure de détenir un pouvoir de forclusion sur un quelconque marché aval.

Marché national des granulats

Lafarge et Hupfer possèdent respectivement cinq carrières et une carrière, qui vendent des granulats à la SNCF pour ses besoins en ballast.

Selon les informations fournies par Lafarge, la SNCF a agréé une vingtaine de carrières françaises pour la fourniture du ballast, ainsi que deux carrières belges. S'agissant du ballast destiné aux lignes à grande vitesse (LGV), qui requiert des spécificités plus sévères, seules douze de ces carrières sont agréées par la SNCF. Parmi celles-ci se trouvent deux carrières de Lafarge ([...]).

Selon l'instruction, les parts de ventes combinées des parties seraient de l'ordre de [0-10] %, aussi bien pour l'ensemble du ballast que pour le ballast LGV.

A la suite de l'opération, Lafarge sera confronté à plusieurs autres concurrents significatifs, dont six en matière de ballast LGV, parmi lesquels Colas et Eurovia.

Il peut donc s'en conclure que l'opération ne sera pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur un marché national des granulats.

Il résulte de ce qui précède que l'opération notifiée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence. En conséquence, je vous informe que je l'autorise.

Veuillez agréer, Maîtres, l'expression de mes sentiments les meilleurs.

(1) Dossier pédagogique intitulé " Les granulats ", 1997, UNPG.

(2) " Orientations des conclusions techniques quant aux possibilités d'emploi des granulats concassés dans le béton ", note de synthèse du CEBTP d'une étude réalisée dans le cadre du schéma interrégional d'approvisionnement du bassin parisien en matériaux de construction, 1999.

(3) Dossier pédagogique intitulé " Les granulats ", 1997, UNPG.

(4) Le schéma départemental des carrières du Bas-Rhin précise que " les alluvions de la plaine d'Alsace conviennent aussi bien pour la réalisation de béton hydraulique et de béton prêt à l'emploi que pour les travaux routiers ". Ces éléments ont été confirmés par la direction de l'équipement du Bas-Rhin et le laboratoire régional des ponts et chaussées de Strasbourg.

(5) Au niveau communautaire : cas n° IV/M.1030 Lafarge/Redland (décision du 16/12/1997) ; cas n° IV/M.1779 Anglo American/Tarmac (décision du 13/11/2000). Au niveau français : avis du Conseil de la concurrence n° 01-A-08 du 5 juin 2001(Vinci/GTM) et arrêté interministériel du 22 juin 2001 (Vinci/GTM).

(6) Il ressort du SDC de la Nièvre que les couches de roulement y sont exclusivement réalisées avec des granulats de type éruptif (données de 1995). Selon le SDC de Saône-et-Loire, les couches de roulement y sont réalisées pour 76 % avec des granulats éruptifs et pour 8 % avec des granulats calcaires (données de 1996).

(7) Le SDC de Saône-et-Loire ne donne pas d'information sur ce point.

(8) Le SDC de la Nièvre note que, de 1982 à 1995, alors que les extractions de granulats ont augmenté de 50 %, la part des alluvionnaires est passée de 42 à 23 % de la production totale, la part des roches massives passant de 58 à 73 % sur la même période.

(9) Page 12 du SDC de la Nièvre.

(10) Avis n° 99-A-09 du 1er juin 1999.

(11) Lafarge a communiqué des prix de granulats pour ses carrières de Saint-Ouen et de Fléty situées dans la Nièvre, respectivement à 18 kilomètres et 74 kilomètres de Nevers. En matière de gravier 4/14 (pouvant être utilisé pour les couches de roulement), le prix de l'alluvionnaire de la carrière de Saint-Ouen ([...] Euro la tonne) est supérieur de [...] % au prix de l'éruptif de la carrière de Fléty ([...] Euro). En matière de granulat destiné aux remblais des chaussées, la carrière de Saint-Ouen affiche un prix ([...] Euro la tonne) représentant [...] fois celui de la carrière de Fléty ([...] Euro). Après intégration du prix du transport, Lafarge affirme que le prix " rendu " du gravier 14/4 serait de [...] Euro pour Saint-Ouen et de [...] Euro pour Fléty ; le prix " rendu " du granulat destiné aux remblais serait de [...] Euro pour Saint-Ouen et de [...] Euro pour Fléty.

(12) Selon Lafarge, les syndicats professionnels ne disposent pas de données de prix locaux par catégorie de granulat.

(13) Arrêté interministériel (Vinci/GTM) précité.

(14) Décision n° 99-D-48 du 6 juillet 1999 relative à des pratiques relevées dans le secteur du béton prêt à l'emploi dans les régions de Bourgogne, Centre et Ile-de-France.

(15) Mesvres-sur-Loire (agglomération la plus proche : Nevers à 32 kilomètres), Corbigny (agglomération la plus proche : Nevers à 58 kilomètres).

(16) Les parts de production de Lafarge et de Hupfer mentionnées dans le tableau incluent la production de granulats que certaines carrières [...]) vendent à la SNCF pour ses besoins en ballast. Ces granulats ne sont donc pas vendus sur la zone locale analysée. Toutefois, si l'on excluait les volumes de granulats vendus à la SNCF, les parts de Lafarge et d'Hupfer seraient un peu moins élevées, sans pour autant que soient modifiés les ordres de grandeur du tableau.

(17) Voire du granulat calcaire comme plus proche substitut au granulat de la carrière de Marmagne. En effet, s'agissant de cette dernière carrière, il ressort de l'instruction du dossier que le granulat éruptif qu'elle produit n'est pas de qualité suffisante pour être utilisé, comme les autres granulats éruptifs de la zone, dans la réalisation des couches de roulement. De ce fait, l'ensemble des professionnels interrogés ont considéré que le granulat calcaire est le substitut le plus proche du granulat éruptif de Marmagne.

(18) Il convient de noter que les parts de production mentionnées ont été calculées par rapport à un total de production excluant la production des carrières dont l'autorisation préfectorale d'exploitation arrive à échéance en 2004 ou en 2005. (19) Les centrales de Saint-Louis et de Sierrentz sont respectivement distantes de 114 kilomètres et de 104 kilomètres de la carrière de Gerstheim.

Nota. - A la demande des parties notifiantes, des informations relatives au secret des affaires ont été occultées et la part de marché exacte remplacée par une fourchette plus générale.

Ces informations relèvent du " secret des affaires ", en application de l'article 8 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence