Ministre de l’Économie, 25 mai 2005, n° ECOC0500115Y
MINISTRE DE L’ÉCONOMIE
Lettre
PARTIES
Demandeur :
MINISTRE DE L'ECONOMIE
Défendeur :
Conseils des sociétés France télévisions et TF1
MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE
Maîtres,
Par dépôt d'un dossier déclaré complet le 22 avril 2005, vous avez notifié la création, par les sociétés France télévisions et TF1, d'une entreprise commune ayant pour objet social la création et l'exploitation d'une chaîne télévisée d'information internationale distribuée exclusivement à l'étranger (ci-après la " Chaîne française d'information internationale " ou la " CFII ").
I. - Les entreprises concernées et l'opération
Les entreprises concernées par l'opération notifiée sont les sociétés mères de la CFII, les sociétés TF1 et France télévisions.
La société TF1 (ci-après " TF1 "), exploite une chaîne généraliste nationale hertzienne en clair sur le territoire français, édite plusieurs chaînes thématiques et contrôle conjointement (1), avec M6, le bouquet de chaînes par satellite TPS (2). En outre, elle contrôle plusieurs filiales par l'intermédiaire desquelles elle exerce les activités de régie publicitaire (TF1 Publicité), de production, de commercialisation de droits audiovisuels et de films, de produits dérivés et d'exploitation de sites internet. Le chiffre d'affaires total consolidé réalisé par TF1 en 2003 a atteint 2,8 milliards d'euro, dont 2,5 milliards réalisés en France. La société TF1 est contrôlée par le groupe Bouygues, principalement actif dans les secteurs des médias, des télécoms, des services, de la construction, des routes et de l'immobilier, qui a réalisé en 2003, un chiffre d'affaires total consolidé de 22 milliards d'euro dont 16 milliards d'euro réalisés en France.
Le groupe France télévisions (ci-après " France télévisions ") édite les chaînes généralistes nationales hertziennes France 2, France 3 et France 5 ainsi que plusieurs chaînes thématiques. Il a, en outre, créé deux nouvelles chaînes sélectionnées par le Conseil supérieur de l'audiovisuel pour faire partie des chaînes de la télévision numérique terrestre gratuite : France 4 et Gulliver (3). Le chiffre d'affaires total de France télévisions, en 2003, a atteint 2,4 milliards d'euro et a été réalisé exclusivement en France.
L'opération notifiée a pour objet de créer une chaîne française d'information internationale qui sera distribuée dans un premier temps dans l'ensemble de l'Europe (à l'exception de la France), de l'Afrique et du Moyen-Orient. Dans un second temps, la distribution s'étendra à l'Asie, l'Amérique du Nord et l'Amérique latine pour devenir globale. La langue de diffusion sera majoritairement le français mais des décrochages linguistiques, d'abord en anglais et en arabe, puis en espagnol, sont prévus.
Le financement de la CFII sera assuré par une subvention accordée par l'Etat (en vertu d'une convention de subvention entre l'Etat, France télévisions et TF1 [4]) et, à titre accessoire, par des ressources propres prenant la forme de recettes publicitaires et de parrainages.
La société commune créée par TF1 et France télévisions peut être qualifiée d'entreprise de plein exercice. En effet, si elle bénéficie de l'influence déterminante de ses sociétés fondatrices, élément indispensable à sa qualification d'entreprise " commune ", elle ne constitue pas moins " une entité économique autonome, active sur un marché en y accomplissant toutes les fonctions normalement exercées par les autres entreprises présentes sur ce marché ", ce qui lui confère son caractère de " plein exercice " (5).
En ce qu'elle entraîne la création d'une entreprise commune de plein exercice, la présente opération constitue une concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce. Compte tenu des chiffres d'affaires des entreprises concernées, elle ne revêt pas une dimension communautaire et est soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce relatifs à la concentration économique.
II. - Marchés concernés
Les autorités nationales et communautaires de la concurrence distinguent le marché de la télévision gratuite de celui de la télévision payante (6). A l'amont du marché de la télévision payante, se situe celui de la commercialisation et de l'exploitation de chaînes thématiques diffusées sur la télévision à péage (7).
Les marchés connexes à celui de la commercialisation et de l'exploitation de chaînes thématiques sont, d'une part, celui de l'acquisition des droits de diffusion, sur lequel les offreurs sont les producteurs de programmes et les demandeurs les éditeurs de chaînes et, d'autre part, celui de la publicité télévisée (8) qui met en relation les offreurs (régies publicitaires) et les demandeurs (annonceurs) d'espaces publicitaires.
S'agissant du marché de la commercialisation et de l'exploitation des chaînes thématiques, et dans la continuité de la pratique décisionnelle des autorités nationales et communautaire de la concurrence, la question de la segmentation du marché par thématique peut être laissée ouverte, les conclusions de l'analyse demeurant inchangées (9).
En ce qui concerne le marché de l'acquisition des droits de diffusion, la Commission a opéré une distinction entre les droits relatifs au sport, les droits relatifs aux ouvres cinématographiques et les droits relatifs à des programmes spécifiquement édités pour une diffusion à la télévision (10). En outre, aux termes de la lettre d'autorisation de l'opération Canal Plus/UGC DA (11), le ministre distingue les programmes de stocks (films, téléfilms...) de ceux de flux (programmes d'information, magazines, jeux...). La cour d'appel de Paris, dans un arrêt en date du 15 juin 1999, a défini un marché spécifique des droits de diffusion des films d'expression française récents sur les chaînes de télévision à péage. En tout état de cause, il n'apparaît pas nécessaire d'approfondir l'analyse de la segmentation du marché des droits de diffusion, les conclusions de l'analyse demeurant inchangées.
S'agissant du marché de la publicité télévisée, la pratique décisionnelle des autorités nationales et communautaire de la concurrence reconnaît que chaque média possède des qualités propres de nature à le rendre insubstituable à un autre en termes de campagne publicitaire et que la publicité télévisée constitue donc un marché distinct par rapport à la publicité ayant pour support d'autres médias (12).
Aux termes de la pratique décisionnelle communautaire et nationale (13), la dimension géographique des marchés précédemment identifiés est nationale. S'appuyant sur cette délimitation, les parties à l'opération estiment que, la CFII étant destinée à ne pas être distribuée en France, le marché de la publicité concerné n'est pas le marché français. Elles soulignent d'ailleurs le fait que les annonceurs présents sur le marché français sont différents des annonceurs éventuellement intéressés par les spots publicitaires diffusés sur la CFII.
On peut toutefois s'interroger sur l'existence d'un marché ou d'un segment de marché sur lequel se situeraient les annonceurs intéressés par une chaîne française d'information internationale. La CFII, qui va exploiter son image de chaîne française, va notamment être distribuée dans tous les pays d'Europe et du Proche et Moyen-Orient puis en Asie et en Amérique du Nord. En outre, il est clairement indiqué, dans la convention de subvention, que la clientèle cible de la CFII est constituée " des décideurs économiques et politiques (ainsi que des catégories socioprofessionnelles supérieures en général), des professionnels des médias et finalement du grand public ", donc, en priorité, des catégories à fort pouvoir d'achat. Les annonceurs les plus importants, clients de TF1, pourraient donc être intéressés par la CFII et tentés de négocier, en France, les spots publicitaires diffusés à l'étranger par cette chaîne. Aux termes de leurs réponses au test de marché, les opérateurs contactés estiment cependant qu'un tel comportement n'est pas vraisemblable (14).
En tout état de cause, la définition d'un segment de marché ou d'un marché à part entière concernant la publicité diffusée sur les chaînes d'information internationale (francophones ou toutes langues de diffusion confondues) peut être laissée ouverte, les conclusions de l'analyse demeurant inchangées (15).
III. - Analyse concurrentielle
La dimension géographique des marchés habituellement concernés par les opérations qui interviennent dans le secteur audiovisuel est nationale. La CFII étant destinée, aux termes de la convention signée entre les parties, à être distribuée en dehors du territoire français, aucun des marchés précédemment définis n'est concerné par l'opération.
Aucun risque d'atteinte à la concurrence ne peut donc être relevé, notamment sur le marché français de la publicité télévisée. Il en aurait été autrement en cas de distribution de la CFII en France (expressément exclue par les termes de la convention de subvention signée par les parties et l'Etat) associée à la prise en charge de la publicité de la chaîne par la régie publicitaire de TF1 ou par toute autre régie liée capitalistiquement à TF1 (16). En effet, la position dominante de TF1 sur le marché français de la publicité télévisée a été, à plusieurs reprises, constatée par les autorités nationales de la concurrence (17).
Par ailleurs, la CFII étant présente sur des marchés connexes de ceux sur lesquels ses sociétés mères restent toutes deux actives, une éventuelle coordination de celles-ci au travers de la CFII doit être examinée. En effet, tout obstacle à la commercialisation des programmes produits par la CFII auprès des concurrents des parties pourrait constituer une distorsion de concurrence. Il en irait de même de tout avantage financier que la CFII pourrait consentir, toujours dans le cadre de la commercialisation de ses programmes, aux chaînes appartenant aux parties. Un tel risque d'atteinte à la concurrence doit cependant être écarté à la lecture de l'article 10.2 de la convention de subvention, qui prévoit expressément que " les tarifs pratiqués par la CFII pour toutes ses offres commerciales sont conformes aux conditions du marché ". Un audit réalisé tous les deux ans par un organisme indépendant, et ayant notamment pour objectif de vérifier l'exécution de cette obligation, est prévu par le même article de la convention de subvention (18).
En conclusion, il ressort de l'instruction du dossier que l'opération notifiée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence, notamment par création ou renforcement de position dominante. Je vous informe donc que j'autorise cette opération.
Je vous prie d'agréer, Maîtres, l'expression de ma considération distinguée.
(1) Le ministre a reconnu, aux termes de la lettre d'autorisation de l'opération M6/TPS, en date du 12 septembre 2002 et publiée au BOCCRF n° 4 en date du 31 mars 2003, que " les droits de veto dont dispose M6 la mettent en mesure d'exercer, conjointement avec TF1, une influence déterminante sur TPS ".
(2) En outre, deux chaînes appartenant à TF1 ont été sélectionnées par le Conseil supérieur de l'audiovisuel et font donc partie des chaînes de la télévision numérique terrestre gratuite : TF1 et TMC (détenue conjointement avec le groupe AB).
(3) Chaîne détenue conjointement avec le groupe Lagardère et dont la création a été notifiée à la Commission européenne, en avril 2005, au titre du contrôle des concentrations.
(4) Celle-ci a été notifiée à la Commission européenne au titre du contrôle des aides d'Etat.
(5) Parmi les éléments composant le faisceau d'indices caractérisant le caractère de plein exercice de la CFII, il convient de souligner : la relative indépendance de la chaîne vis-à-vis de ses fondatrices en ce qui concerne l'approvisionnement en images et en programmes, l'obligation de moyen relative au développement de ressources propres et diverses garanties du fonctionnement durable de la CFII.
(6) Voir notamment les décisions du Conseil de la concurrence n° 03-D-59 du 9 décembre 2003 et n° 98-D-70 du 24 novembre 1998, la lettre précitée d'autorisation de l'opération M6/TPS en date du 12 septembre 2002 et les décisions de la Commission européenne IV/36.237 TPS du 3 mars 1999 et IV/36.539 British Interactive Broadcasting du 15 septembre 1999.
(7) Voir la décision de la Commission européenne n° 1999/242/CE en date du 3 mars 1999 et la décision précitée du Conseil de la concurrence n° 03-D-59 du 9 décembre 2003 relative à la saisine et à la demande de mesures conservatoires présentées par les sociétés ITélé et Groupe Canal plus.
(8) Voir la décision de la Commission européenne IV/M.553 RTL/Veronica/Endemol en date du 20 septembre 1995, la décision du Conseil de la concurrence n° 99-D-85 en date du 22 décembre 1999 relative à des pratiques de la société TF1 dans le secteur de la production, de l'édition et de la publicité des vidéogrammes et la lettre d'autorisation du ministre de l'opération TF1-AB/TMC en date du 27 octobre 2004 et publiée au BOCCRF n° 1 du 21 janvier 2005.
(9) Pour certaines thématiques, le Conseil de la concurrence, cependant, n'exclut pas la possibilité que ce marché " comporte des segments de marché ou des sous-marchés, plus étroits, en fonction des thématiques offertes ". Le conseil se réfère à la communication de la Commission européenne en date du 15 septembre 1999, aux termes de laquelle sont distinguées les chaînes thématiques de sport et celles de cinéma. Le conseil distingue également les chaînes thématiques d'information générale : voir la décision n° 03-D-59 du 9 décembre 2003 relative à la saisine et à la demande de mesures conservatoires présentées par les sociétés ITélé et Groupe Canal plus.
(10) Voir les décisions de la Commission européenne M.2876 News- corp/Telepiu du 2 avril 2003, JV 57 TF1-M6/TPS du 30 avril 2002 et M.2050 Vivendi/Canal+/Seagram du 13 octobre 2000.
(11) Lettre d'autorisation de l'opération Canal Plus/UGC DA, en date du 7 octobre 1996 et publiée au BOCCRF du 5 décembre 1996.
(12) Voir les décisions précitées ainsi que celle du Conseil de la concurrence en date 18 juin 1996 (n° 96-D-44). Voir la lettre d'autorisation du ministre de l'opération TF1-AB/TMC en date du 27 octobre 2004 et publiée au BOCCRF n° 1 du 21 janvier 2005.
(13) Décision de la Commission européenne n° IV/36.237 TPS en date du 3 mars 1999. Décision précitée de la Commission européenne IV/M.553 RTL/Veronica/Endemol en date du 20 septembre 1995. Décisions du ministre et avis du Conseil de la concurrence précités.
(14) En effet, il ressort notamment des réponses au test de marché qu'un très petit nombre d'annonceurs pourrait être intéressé par la diffusion de spots publicitaires sur la CFII.
(15) Les recettes publicitaires de la CFII, telles qu'elles sont prévues par la convention de subvention, sont accessoires, la grande majorité du financement de la chaîne étant assurée par la subvention. L'impact des ressources publicitaires de cette chaîne sur le marché de la publicité concerné sera donc probablement très peu significatif.
(16) Les parties indiquent que la régie chargée de commercialiser les espaces publicitaires de la CFII sera désignée après l'établissement d'un cahier des charges et le lancement d'un appel d'offres ayant pour objectif de sélectionner la régie la plus adaptée au marché international.
(17) Voir la décision du Conseil de la concurrence 00-D-67 en date du 13 février 2001 et la lettre d'autorisation du ministre de l'opération TF1-AB/TMC en date du 27 octobre 2004 et publiée au BOCCRF n° 1 du 21 janvier 2005.
(18) De manière plus extensive, l'article 10.2 de la convention stipule que " L'organisme indépendant s'assure notamment que les prestations effectuées par les fondateurs et leurs filiales respectives au profit de la société sont rémunérées selon des conditions normales de marché et qu'il en va de même pour les éventuelles prestations effectuées par la société au profit de ces entreprises. (...) L'organisme indépendant contrôle que les tarifs pratiqués par la CFII pour toutes ses offres commerciales sont conformes aux conditions du marché "