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Décisions

CJCE, 29 novembre 1956, n° 9-55

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Société des Charbonnages de Beeringen, Société des Charbonnages de Houthalen, Société des Charbonnages de Helchteren et Zolder

Défendeur :

Haute Autorité de la Communauté européenne du charbon et de l'acier

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocats :

Mes Rolin, Mertens de Wilmars, Van Hecke.

CJCE n° 9-55

29 novembre 1956

LA COUR,

A - Quant à la recevabilité du recours

Le recours tend à l'annulation :

1) de la décision de la Haute Autorité n°22-55, du 28 mai 1955, et du barème y annexé, publiés au Journal Officiel de la Communauté n°12 du 31 mai 1955 en tant qu'ils fixent des prix en baisse pour certaines sortes de charbon.

2) des décisions contenues dans la lettre adressée par la Haute Autorité au Gouvernement belge en date du 28 mai 1955 et dans le tableau des taux de péréquation joint à cette lettre :

A) en tant qu'une discrimination entre producteurs de sortes identiques de charbon est établie par le retrait ou la réduction de la péréquation dans le cas de certains charbonnages,

B) en tant qu'aux termes de ladite lettre les versements de péréquation seront ou pourront être retirés à certaines entreprises, motif pris de ce qu'elles ne réaliseraient pas l'effort de rééquipement jugé possible et nécessaire ou refuseraient d'effectuer les cessions ou échangés de gisements jugés indispensables à un meilleur aménagement de champs d'exploitation.

En ce qui concerne la décision n°22-55, les requérantes prétendent que celle-ci est une décision individuelle ; la défenderesse soutient au contraire qu'il s'agit d'une décision générale. Pour les requérantes, le caractère individuel de la décision se déduit du fait que, en raison du lien indissoluble entre la péréquation et la fixation des prix, les effets du barème des prix sont différents pour les trois charbonnages de la campine et pour les autres mines belges dans la mesure où la péréquation accordée aux trois charbonnages n'est pas la même que celle que reçoivent les autres mines.

Sans nier que les effets du barème des prix varieront dans la mesure où la péréquation varie elle-même, la Cour rejette la thèse des requérantes selon laquelle ces variations des effets du barème des prix conditionnent la qualification de la décision n°22-55. En effet, cette décision a été prise dans le cadre d'un régime spécial prévu par le paragraphe 26 de la Convention pour le cas de la Belgique, pour la durée de la période de transition, et applicable suivant des modalités concrètes, si détaillées et si variées soient-elles, à la totalité des entreprises et à toutes les transactions tombant sous le régime visé.

Dans le cadre de ce régime, la décision vise les entreprises en raison de leur seule caractéristique d'être productrices de charbon, et sans aucune spécification. Au cas où un gisement nouveau viendrait à être découvert, en Belgique, son exploitant serait tenu de vendre aux prix fixés par la décision. D'autre part, la limitation territoriale n'implique aucune spécification individuelle et se justifie du fait que l'industrie belge a besoin de la péréquation.

Le fait que la décision n°22-55 comporte une règlementation détaillée et concrète, applicable à des situations différentes, n'est pas en contradiction avec le caractère général de la décision. En effet, le traité dans son article 50, paragraphe 2, dit que les conditions d'assiette et de perception du prélèvement sont fixées par une décision générale de la Haute Autorité, ce qui démontre que les conséquences concrètes détaillées et variées d'une décision générale ne préjudicient pas du caractère général de celle-ci.

Quant aux décisions contenues dans la lettre du 28 mai 1955, les parties estiment que la première, relative à la réduction et au retrait de la péréquation, à un caractère individuel, et que la seconde, relative à la menace de retirer la péréquation, à un caractère général ; sur ce point, la Cour se rallie à la position des parties.

Au cours de la procédure orale, la défenderesse a posé la question de savoir s' il est permis de considérer cette dernière déclaration comme étant une décision susceptible de former l'objet d'un recours en annulation conformément à l'article 33 du traité. Or, dans sa lettre du 28 mai 1955, la Haute Autorité a reconnu que l'aide de péréquation doit obligatoirement être accompagnée d' un ensemble de mesures incombant au Gouvernement belge ; elle estime en outre que le Gouvernement belge devrait appliquer quatre mesures, indiquées sous litt. A), B), C) et D). L'énoncé de litt. D) fait donc partie de l'ensemble des mesures que le Gouvernement belge serait obligé de prendre, le cas échéant. La Haute Autorité à déterminer ainsi, de manière non équivoque, l'attitude qu'elle décide dès à présent de prendre au cas où les conditions indiquées sous 2, litt. D) de la lettre se trouveraient réalisées. En d'autres termes, elle a établi une règle susceptible d'être appliquée, le cas échéant. Il faut donc y voir une décision au sens de l'article 14 du traité.

Le caractère individuel ou général de chacune des décisions ayant été établi, les requérantes sont en droit de demander l'annulation de la réduction et du retrait de la péréquation - décision individuelle contenue dans la lettre du 28 mai 1955 - en invoquant tous les moyens visés à l'article 33 du traité ; elles sont en droit de former un recours en annulation des deux autres décisions dans la mesure où elles estiment celles-ci entachées de détournement de pouvoir à leur égard, ces décisions étant générales.

Pour que le recours en annulation d'une décision générale soit recevable, il suffit que les parties requérantes allèguent formellement un détournement de pouvoir à leur égard, tout en indiquant d'une façon pertinente les raisons dont découle, à leur avis, ce détournement de pouvoir.

Quant aux quatrième et cinquième griefs la défenderesse a soulevé la question de savoir si la requête introduite par les requérantes répond aux exigences de l'article 22 du statut de la Cour ainsi que de l'article 29 du règlement de celle-ci, notamment en ce qui concerne la mention des moyens invoqués ainsi que l'exposé sommaire de ceux-ci.

Or, les conclusions de la requête indiquent les moyens invoqués à l'appui de ces griefs, ce qui suffit pour répondre aux dispositions précitées. De même, on peut considérer qu'un exposé sommaire de ces moyens est incorporé dans la requête à l'appui du cinquième grief, mais tel n'est pas le cas en ce qui concerne le quatrième grief. En effet, le quatrième grief ne consiste que dans une référence faite à " la dénonciation contenue dans la requête de Fedechar de l'illégalité de la décision de la Haute Autorité en tant qu'elle fixe d'autorité au barème des prix en baisse pour certaines sortes de charbon ". En dépit de la connexité incontestable des deux recours, une référence générale à ce qui est dit dans une autre affaire ne suffit pas pour que la requête soit conforme aux dispositions précitées et cela d'autant moins que la référence - comme c'est le cas pour le quatrième grief du présent recours - a été faite sans demander en même temps la jonction des affaires, une telle demande n'étant intervenue qu'au début de la procédure orale ; le quatrième grief n'est pas recevable.

De même, les moyens que les parties ont soulevés pour la première fois dans leur réplique sans en avoir fait aucune mention dans la requête, doivent être déclarés irrecevables ; ceci vise donc la relation entre prix de vente et coûts de production prévisibles ainsi que l'intervention du Gouvernement belge.

Sous réserve de ce qui précède, le recours est recevable.

Cependant, l'opinion des parties diffère sur la portée exacte de l'article 33 du traité quant à l'admissibilité de certains moyens invoqués par les requérantes à l'encontre des décisions générales.

La défenderesse prétend qu'une entreprise ne peut invoquer le moyen de détournement de pouvoir à son égard que si la Haute Autorité a camouflé sous l'apparence d'une mesure réglementaire et générale, une décision individuelle " à l'égard " de cette entreprise.

Cette thèse doit être rejetée ; en effet, une décision individuelle camouflée reste une décision individuelle, le caractère d'une décision ne dépendant pas de sa forme mais de sa portée. En outre, une telle interprétation de l'article 33 et notamment celle des mots " à leur, égard " ne saurait être retenue, l'expression " à leur égard " n'ayant d'autre sens que celui des mots qui l'expriment, à savoir qu'il s'agit d'une entreprise qui est l'objet ou tout au moins la victime du détournement de pouvoir qu'elle allègue. La Cour estime que l'article 33 dit clairement que les associations et les entreprises peuvent attaquer non seulement des décisions individuelles mais aussi des décisions générales au sens propre du terme.

En ordre subsidiaire, la défenderesse soutient que les moyens que les requérantes sont en droit d'invoquer sont limités au seul moyen de détournement de pouvoir, tous les autres moyens devant être écartés. Les requérantes, au contraire, estiment non seulement qu'elles sont en droit d'invoquer tous les moyens d'annulation pourvu qu'elles allèguent d'une manière motivée un détournement de pouvoir, mais encore qu'elles peuvent faire la preuve des autres vices pour étayer le détournement de pouvoir ; à leur avis, le traité établirait un système juridique où les entreprises privées ne disposent, pour être recevables, que du seul moyen de détournement de pouvoir à leur égard ; il serait illogique, pour ce motif, de ne conférer à ce moyen qu'un caractère exceptionnel et subsidiaire.

Cette thèse doit être rejetée ; si le traité prévoit que les entreprises privées disposent du droit de réclamer l'annulation d'une décision générale pour cause de détournement de pouvoir à leur égard, c'est qu'un droit de recours pour d'autres motifs ne leur est pas attribué.

Si la thèse des requérantes était exacte, les entreprises auraient un droit de recours aussi complet que celui des Etats et du Conseil, et il serait inexplicable que l'article 33, au lieu d'assimiler tout simplement les recours des entreprises à ceux des Etats ou du Conseil ait introduit une distinction très nette entre les décisions individuelles et les décisions générales, tout en limitant, dans le cas des entreprises, l'annulation des décisions générales au moyen de détournement de pouvoir à leur égard. L'incise " dans les mêmes conditions " ne saurait être interprétée comme signifiant que les entreprises, après avoir établi un cas de détournement de pouvoir à leur égard, seraient en droit d'invoquer en outre les autres moyens d'annulation, car, lorsque le détournement de pouvoir est établi à leur égard, l'annulation de la décision en cause est acquise sans devoir être prononcée à nouveau pour d'autres motifs.

Ces considérations contredisent nettement l'illogisme des requérantes faisant supposer qu'il faut subordonner l'interprétation du traité au désir d'ouvrir aux entreprises privées un droit de recours pratiquement identique à celui des Etats et du Conseil. Un tel voeu peut se comprendre, mais le traité ne contient aucune indication permettant de conclure à l'octroi aux entreprises privées d'un tel droit au contrôle de la " constitutionnalité " des décisions générales, c'est à dire de leur conformité avec le traité alors qu'il s'agit d'actes quasi législatifs émanant d'une autorité publique et ayant un effet normatif " erga omnes ".

Il est vrai que l'article 33 admet un droit de recours en annulation d'une décision générale pour cause de détournement de pouvoir à l'égard d'une entreprise, mais il s'agit d'une exception expliquée par le fait que, dans ce cas, c'est encore l'élément individuel qui prévaut.

Les requérantes ne sont donc recevables à invoquer contre les décisions générales que le seul moyen du détournement de pouvoir à leur égard ; en ce qui concerne la décision individuelle, les parties étant d'accord sur cette qualification, les requérantes sont recevables à se fonder sur tous les moyens indiqués à l'alinéa 1 de l'article 33.

B - Quant au fond

Premier grief. - réduction ou retrait de la péréquation pour certaines entreprises

Les requérantes font valoir en premier lieu que l'introduction, dans le système de péréquation, d'un critère sélectif, c'est-à-dire l'adaptation de la péréquation à la situation individuelle des entreprises, constitue une discrimination interdite par le traité.

Cette thèse doit être rejetée. A la suite de la décision contenue dans la lettre de la Haute Autorité du 28 mai 1955, la péréquation se trouve réduite, voire même supprimée, dans la mesure où les désavantages résultant des conditions géologiques moins favorables qui sont une des prémisses mêmes du régime spécial accordé à l'industrie charbonnière belge, s'avèrent éliminés en fait. Il en résulte que la différenciation des montants de péréquation suivant les conditions de production réelles tend à reconnaître des différences existant en fait en vue d'assurer un bénéfice égal à des cas comparables et, dès lors, d'éviter des discriminations. La thèse des requérantes ne serait pertinente que si la Haute Autorité n'avait pas appliqué un critère objectif et uniforme pour vérifier si la situation individuelle des entreprises était conforme aux prémisses de la péréquation. Or, la décision contenue dans la lettre a défini un tel critère et, au surplus, la conformité de la situation des trois charbonnages à ce critère n'a pas été contestée.

En second lieu, les requérantes sont d'avis que le fait que le paragraphe 26, 2 parle de "charbon belge" et que les péréquations visées sous B) et C) sont d' un caractère global, est déterminant pour la nature également globale de la péréquation A).

Cet argument n'est pas concluant étant donné que les péréquations B) et C) sont nettement destinées à mettre la sidérurgie belge ainsi que les exportateurs de charbon à même de supporter la concurrence du Marché commun au cas où la limite résultant des coûts de production prévisibles serait trop au-dessus des prix du Marché commun. Pour ces raisons, les buts poursuivis par les péréquations B) et C) sont d'une nature autre que celui de la péréquation A). De plus, les paragraphes B) et C) se trouvent assortis d'un ensemble de dispositions destinées à régler la réparation de ces péréquations, alors que pour la péréquation A) de telles règles font défaut. Vu ces différences entre les paragraphes A), B) et C) et vu que l'expression " charbon belge " s'explique dans l'une comme dans l'autre hypothèse, le texte du paragraphe 26 à lui seul ne permet pas de conclure que la péréquation A) doit revêtir un caractère global.

Or, dans l'hypothèse où les versements de péréquation A) seraient uniformes pour toutes les entreprises sans tenir compte des différences de leurs conditions de production, la péréquation deviendrait discriminatoire et perdrait sa raison d'être, parce qu'elle se transformerait en subvention dans la mesure où elle serait accordée à des entreprises dont les conditions de production ne seraient pas exposées aux désavantages qui sont les prémisses mêmes de la péréquation. Il s'ensuit que la péréquation doit nécessairement tenir compte de la situation individuelle des entreprises en ce qui concerne leurs conditions de production.

Pour défendre leur thèse, les requérantes se basent encore sur l'existence d'une garantie du maintien des recettes.

Malgré le silence de la Convention sur l'existence, le cas échéant d'une relation entre la péréquation et les recettes, celles-ci étant mentionnées uniquement au paragraphe 25 en relation avec l'assiette du prélèvement, pareille interprétation ne serait admissible que si la péréquation devait nécessairement et en toutes circonstances, couvrir la totalité de la différence entre les prix de vente abaissés et les recettes existant au début de la période de transition. Or, tel n'est pas le cas, la péréquation n'étant qu'une mesure de sauvegarde nécessaire pour éviter que se produisent des déplacements de production précipités et dangereux. Le régime exceptionnel prévu dans ce but, doit, conformément au paragraphe 24 de la Convention, tenir compte des situations existant au moment de l'établissement du Marché commun. Il n'est cependant pas permis d'interpréter cette disposition de manière extensive, c'est à dire dans le sens d'une garantie du maintien du niveau initial des recettes. L'introduction d'un régime exceptionnel, tel que celui de la péréquation, s'explique par l'existence en Belgique de certaines conditions de production qui diffèrent essentiellement de celles des autres pays participant au Marché commun. La péréquation ne saurait donc dépasser les limites de ce qui est strictement nécessaire en vue de neutraliser dans une certaine mesure les effets du désavantage résultant de ces différences, ce qui n' implique pas la garantie du maintien des recettes initiales. La question de savoir dans quelle mesure le total du prix de vente et de la péréquation - total qui détermine les recettes des entreprises - doit varier au cours de la période de transition, est une question que la Haute Autorité doit examiner en fonction des progrès de rééquipement et de la réorganisation des charbonnages belges.

En outre, la péréquation, si elle était destinée à garantir le maintien des recettes initiales, serait en contradiction avec le principe de la dégressivité qui se trouve inscrit au paragraphe 25 de la Convention. Au surplus, la Convention vise, conformément à son premier paragraphe, l'adaptation progressive des productions aux conditions nouvelles résultant de l'établissement du Marché commun, et non pas l'adaptation des conditions nouvelles au maintien des situations existant au début de la période de transition.

D' ailleurs, si la péréquation devait, comme les requérantes le soutiennent, assurer aux charbonnages les moyens financiers jugés indispensables à l'exécution de leurs programmes de rééquipement, l'objet de la péréquation dépasserait largement les causes qui l'expliquent et la transformerait en une mesure destinée à contribuer d'une manière active et directe à la réorganisation des mines belges, ce qui serait contraire au caractère plutôt passif d'une mesure de sauvegarde.

Les requérantes ont fait valoir en dernier lieu que la péréquation doit être uniforme pour tous les charbonnages en raison du fait que le traité et la Convention prévoient, notamment aux articles 5 alinéa 4, et 62 du traité ainsi qu'au paragraphe 24 sous B et paragraphe 26, 4 de la Convention, des mesures spéciales destinées à égaliser des différences existant entre les charbonnages pris individuellement.

Cet argument n'est pas valable, car si les dispositions précitées prévoient d'autres mesures que la péréquation pour remédier à des différences existant entre les charbonnages, cela ne s'oppose d'aucune façon à ce que, dans le cas de la Belgique, la péréquation tienne également compte des différences individuelles dans la mesure où le régime de péréquation prévu pour ce pays le comporte.

En conséquence, le présent grief n'est pas fondé.

Deuxième grief. - détermination forfaitaire des nouveaux taux de péréquation

Ce grief allègue que la nouvelle méthode, qui consiste dans la détermination forfaitaire des nouveaux taux de péréquation sans indication du barème " de compte ", se révèle arbitraire et s'inspire de motifs étrangers au paragraphe 26 de la Convention.

Il y a lieu tout d' abord d'observer que le prix de vente fixé pour chaque sorte avec la péréquation équivaut à ce qui était appelé antérieurement prix " de compte " et que le total de ces deux éléments est inférieur dans 4 cas et supérieur dans 52 cas aux prix " de compte " antérieurement en vigueur. Avant d'examiner si les nouveaux montants de péréquation s'ajoutant aux nouveaux prix de vente revêtent un caractère arbitraire, il y a lieu de constater que ce caractère de la péréquation ne peut pas être établi à la suite des variations résultant du " principe de sélectivité " que la Haute Autorité était en droit d'appliquer.

Or, quant à la fixation de la péréquation pour les diverses sortes et catégories de charbon, la Cour estime que la nature même de la péréquation oblige la Haute Autorité à adapter celle-ci aux besoins des entreprises. Il y a lieu d'ajouter que la Haute Autorité doit tenir compte notamment de la dégressivité des fonds de péréquation disponibles ainsi que des progrès réalisés ou jugés réalisables en ce qui concerne l'effort de rééquipement et de réorganisation des charbonnages belges.

Des considérations précédentes il résulte que les montants de la péréquation varieront nécessairement selon le cas, sans que l'existence de ces variations, à elles seules, puisse démontrer que la Haute Autorité a fixé péréquation d'une façon arbitraire et étrangère à l'objectif que la Convention impose ; le présent grief doit donc être rejeté.

Troisième grief. - menace de retirer la péréquation

La péréquation étant une mesure de sauvegarde permettant d'incorporer le charbon belge dans le Marché commun dès le début de la période de transition pendant laquelle l'œuvre de réorganisation et de rééquipement devra être réalisée, elle n'est pas destinée à y contribuer d'une façon directe et active. Il est évident que la péréquation est octroyée dans l'hypothèse ou la réorganisation et le rééquipement des charbonnages belges sont réalisables dans une mesure suffisante pour permettre l'incorporation définitive du charbon belge dans le Marché commun à la fin de la période transitoire.

La péréquation n'a pas pour but le financement du rééquipement et de la réorganisation des charbonnages. D'autre part, s'il apparaissait que cette œuvre de réorganisation et de rééquipement n'était pas réalisée par certaines entreprises, et cela d'une manière telle que leur responsabilité serait engagée, il faudrait reconnaître que la péréquation aurait perdu son fondement ou sa raison d'être. Ces entreprises se seraient ainsi privées elles-mêmes, par leur faute, du droit au bénéfice de la péréquation.

La Haute Autorité doit tenir compte de pareille éventualité. Elle l'a fait notamment dans sa lettre du 28 mai 1955, au point 2-D, sous une forme conditionnelle, en autorisant le Gouvernement belge à retirer éventuellement la péréquation sous réserve de l'accord préalable de la Haute Autorité. Or, le texte de la lettre ne permet pas de conclure que la Haute Autorité aurait subordonné son accord à des critères non objectifs et injustifiés en fait. La Haute Autorité n'a donc pas commis un détournement de pouvoir et le recours n'est pas fondé sur ce point.

Cinquième grief. - fixation de prix de vente sans péréquation dans certains cas

La défenderesse allègue que l'exclusion du bénéfice de la péréquation dans le cas des charbons gras non classés de la campine n'implique nullement que ces sortes soient déjà suffisamment intégrées dans le Marché commun pour être mises hors du système de péréquation ; elle est d'avis qu'il faut tenir compte du cas où il y aurait lieu d'assurer à nouveau un certain abaissement des prix belges et de reprendre, le cas échéant, les paiements de péréquation aussi pour les charbonnages de la campine.

En effet, la lettre du 28 mai 1955 maintient les sortes de charbon en question dans le système de péréquation malgré les modifications qu'elle apporte aux règles suivant lesquelles, pour certaines entreprises, le montant de la péréquation est déterminé ; dès lors le régime prévu au paragraphe 26, 2A, de la Convention est applicable à ces sortes, notamment en ce qui concerne le besoin d'assurer les pleins effets de ce régime au moyen d'une fixation des prix par la Haute Autorité.

Or, la fixation des prix s'explique comme une mesure générale et indispensable à l'application du régime exceptionnel prévu au paragraphe 26, 2, pour la généralité de la production charbonnière belge.

La question de savoir si ce régime est de nature à permettre de réduire ou même de retirer la péréquation selon les conditions de production de certaines entreprises individuelles fait l'objet du grief relatif au principe de la sélectivité dans l'application du paragraphe 26. La légitimité de la sélectivité a été établie en liaison avec l'ensemble des dispositions de la lettre de la Haute Autorité au Gouvernement belge en date du 28 mai 1955. On peut constater d'autre part qu'on ne saurait concevoir l'existence pour l'ensemble des consommateurs de charbon belge de plusieurs barèmes de prix, pas plus que la coexistence, pour une même sorte, de charbon à prix libres et de charbon à prix fixes.

Il s'ensuit que dans le cas précité la réduction ou même le retrait de la péréquation pour certaines sortes et dans certains cas individuels seulement, n'entraîne pas la mise hors barème de ces sortes, le barème de prix résultant de l'application du paragraphe 26, 2 ne pouvant être qu'unique pour l'ensemble des consommateurs de charbon belge.

La décision n°22-55 s'explique donc par l'application normale du régime visé au paragraphe 26 et l'exercice normal d'un pouvoir nécessaire à la réalisation de ce régime ; le moyen de détournement de pouvoir n'est donc pas fondé.

Aux termes de l'article 60 du règlement de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens ; il y a donc lieu de condamner les requérantes aux dépens de l'instance.

LA COUR, Rejetant toutes autres conclusions plus amples ou contraires, déclare et arrête :

Le recours en annulation de certaines décisions de la Haute Autorité résultant de la lettre adressée par celle-ci le 28 mai 1955 au Gouvernement du Royaume de Belgique relative à l'aménagement du système de péréquation et de la décision de la Haute Autorité n°22-55 en date du 28 mai 1955 est rejeté.

Les requérantes sont condamnées aux dépens de l'instance.