CJCE, 6e ch., 14 janvier 1993, n° C-257/90
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
arrêt
PARTIES
Demandeur :
Italsolar SpA
Défendeur :
Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Kakouris
Avocat général :
M. Lenz
Juges :
MM. Murray, Mancini, Schockweiler, Díez de Velasco
Avocats :
Mes Siragusa, Nicolazzi, Scassellati-Sforzolini.
LA COUR (sixième chambre),
1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 22 août 1990, Italsolar SpA a introduit, sur le fondement des articles 173, deuxième alinéa, 175, troisième alinéa, 178 et 215, deuxième alinéa, du traité CEE, un recours visant, en premier lieu, l'annulation de l'acte de la Commission, communiqué à la requérante par lettre du 12 juin 1990 de la direction générale "Développement", dans laquelle celle-ci a confirmé que le secrétaire exécutif du comité permanent inter-États pour la lutte contre la sécheresse dans le Sahel (ci-après "CILSS") n'avait pas retenu l'offre présentée par la requérante dans le cadre d'un appel d'offres concernant un marché de fourniture et d'installation d'équipements solaires photovoltaïques au profit des pays réunis au sein de cet organisme. Le recours vise en second lieu à faire déclarer que la Commission a omis d'adopter les mesures qu'elle était tenue de prendre à l'égard de la requérante pour la faire réadmettre dans la procédure d'appel d'offres. Enfin, le recours vise à obtenir la réparation des dommages causés à la requérante par son exclusion de ladite procédure.
2 Le marché précité entre dans le cadre d'un programme régional d'utilisation de l'énergie solaire, financé par le Fonds européen de développement, conformément aux dispositions de la troisième convention ACP-CEE signée à Lomé le 8 décembre 1984 (JO 1986, L 86, p. 3, ci-après "convention").
3 Conformément à l'article 222 de la convention, un accord de financement du projet a été conclu entre la Communauté, représentée par la Commission, et les neuf pays du Sahel concernés, représentés par le CILSS.
4 A la suite de l'avis n 2731, relatif à une présélection des entreprises (JO S 62 du 29.3.1988), la requérante a présenté une demande de participation à l'appel d'offres restreint identifié comme projet sous le numéro 6100.20.94.216 (REG/6116).
5 Par lettre du 6 juillet 1989 signée par le secrétaire exécutif du CILSS, la requérante a été invitée à participer à l'appel d'offres restreint et à faire parvenir à cet effet avant le 6 novembre 1989, à l'adresse de la direction générale "Développement", susmentionnée, son offre établie conformément aux dispositions du dossier d'appel d'offres joint à l'invitation. Il était notamment précisé qu'était applicable au marché le cahier général des charges des marchés publics de travaux et de fournitures financés par le FED (JO 1972, L 39, p. 3).
6 La requérante a présenté son offre dans les délais impartis. Après l'ouverture des enveloppes contenant les offres reçues et l'examen de celles-ci, diverses informations et explications ont été demandées aux soumissionnaires et la requérante a fourni dans les délais les informations qui lui ont été demandées.
7 A un stade ultérieur de la procédure, le CILSS a proposé d'attribuer provisoirement le marché à d'autres entreprises soumissionnaires que la requérante et de procéder pour ces dernières à la phase des essais techniques, conformément au dossier d'appel d'offres. Cette proposition a été acceptée par la Commission le 30 avril 1990.
8 En conséquence, par télex du 3 mai 1990, confirmé par lettre du 7 mai suivant, le CILSS a informé la requérante du rejet de son offre.
9 Estimant que son offre était économiquement la plus avantageuse et avait été écartée illégalement, la requérante a, par lettre du 7 mai 1990, fait valoir auprès de la Commission que si la communication du 3 mai devait lui parvenir sous sa forme définitive, elle la considérerait comme illégale pour des motifs très graves qu'elle ne manquerait pas de faire connaître. La requérante se réservait, en outre, la possibilité de préserver ses droits devant les juridictions compétentes. La lettre concluait en ces termes: "en espérant que la communication que nous avons reçue est le résultat d'une méprise, une prompte réponse de votre part nous obligerait à ce propos".
10 Par lettre du 12 juin 1990, la Commission a répondu à la requérante que le pouvoir de désigner l'adjudicataire du marché appartenait au secrétaire exécutif du CILSS et que la requérante devait exprimer ses réserves sur la procédure d'adjudication auprès de cet organisme. La Commission a précisé qu'en tout état de cause elle avait suivi le dossier avec attention et que le CILSS s'était entouré du concours d'experts internationaux pour apprécier les spécifications techniques des différentes soumissions.
11 Par lettre du 9 juillet 1990, adressée au secrétaire exécutif du CILSS, la requérante a demandé le retrait de la décision d'exclusion et l'autorisation de participer à la suite de la procédure jusqu'à l'attribution finale du marché. A défaut de mesures favorables à son égard, elle engagerait la procédure d'arbitrage prévue par l'article 238 de la convention pour faire reconnaître son droit de participer à la procédure et se faire attribuer le marché en raison de son offre économiquement la plus avantageuse, ou, à défaut, pour obtenir des dommages et intérêts.
12 Par acte déposé au greffe de la Cour le même jour que le présent recours, la requérante a introduit, en vertu des articles 185 et 186 du traité CEE, une demande en référé visant à obtenir le sursis à l'exécution de l'acte attaqué ou toutes autres mesures provisoires propres à assurer la réadmission de la requérante à la procédure d'adjudication. Cette demande a été rejetée par ordonnance du président de la Cour du 25 octobre 1990.
13 Le 4 décembre 1990, la requérante a saisi la Chambre de commerce internationale d'une demande d'arbitrage dirigée contre le CILSS.
14 A la demande de la requérante, la Cour a invité la Commission à produire des documents relatifs à la procédure d'appel d'offres litigieuse. Ces documents ont été produits le 7 février 1992 par la Commission qui a toutefois observé qu'ils étaient confidentiels.
15 Par décision du 20 février 1992, le président de la sixième chambre a ordonné que les documents en cause soient retirés du dossier et soient restitués à la Commission en raison de leur caractère confidentiel. En conséquence, ces documents n'ont pas été pris en considération par la Cour aux fins du présent arrêt.
16 Pour un plus ample exposé des faits du litige, du déroulement de la procédure ainsi que des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
Sur la recevabilité du recours en annulation
17 La requérante soutient en substance que par l'acte attaqué la Commission a approuvé l'attribution provisoire du marché par le CILSS aux autres soumissionnaires et, partant, accepté tacitement l'exclusion de la requérante de la procédure d'appel d'offres, tout en refusant de prendre les mesures sollicitées par la requérante pour la sauvegarde de ses intérêts.
18 L'attribution provisoire du marché et, partant, l'exclusion de la requérante, seraient imputables à la Commission qui aurait conduit elle-même la procédure de présélection des entreprises soumissionnaires pour le compte du CILSS. Celui-ci dépendrait entièrement de la Commission pour le financement du projet et la décision d'exclusion prise par cet organisme aurait été purement formelle.
19 La requérante fait également valoir que les dispositions de la convention relatives à la coopération financière et technique confiaient au CILSS et à la Commission la responsabilité conjointe de la procédure d'appel d'offres, en ce compris l'attribution du marché, la compétence exclusive du CILSS portant uniquement sur la conclusion du contrat avec le soumissionnaire choisi.
20 La Commission conteste la recevabilité du recours en annulation en soutenant au contraire que, selon les règles de répartition des compétences entre la Commission et les autorités des États ACP dans le cadre de la procédure d'appel d'offres, telles qu'interprétées de façon constante par la Cour, il ne saurait exister, vis-à-vis des entreprises soumissionnaires, d'acte décisionnel émanant de la Commission susceptible de faire l'objet d'un recours en annulation.
21 Afin d'apprécier la recevabilité du recours en annulation, il y a lieu d'examiner la nature de l'acte attaqué. En effet, selon une jurisprudence constante de la Cour, ne constituent des actes susceptibles de faire l'objet d'un recours en annulation que les mesures produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant (voir notamment arrêt du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60-81, Rec. p. 2639, point 9).
22 Tel n'est pas le cas de l'acte attaqué. Selon la jurisprudence de la Cour, (voir notamment arrêts du 10 juillet 1984, STS/Commission, 126-83, Rec. p. 2769, points 16 à 18, et du 10 juillet 1985, CMC/Commission, 118-83, Rec. p. 2325, point 28), les marchés publics bénéficiant d'un financement du FED demeurent des marchés nationaux, que seuls les représentants des États ACP ont la responsabilité de préparer, négocier et conclure les interventions des représentants de la Commission dans la procédure de passation de ces marchés tendant uniquement à constater que les conditions du financement communautaire sont ou non réunies. En outre, les entreprises soumissionnaires ou attributaires des marchés en cause n'entretiennent de relations juridiques qu'avec l'État ACP responsable du marché et les actes des représentants de la Commission ne peuvent avoir pour effet de substituer à leur égard une décision communautaire à la décision des États ACP.
23 Il s'ensuit que la décision d'attribution du marché elle-même relève de la compétence réservée aux États ACP par la convention, le représentant de la Commission se limitant à cet égard à approuver, aux fins de la régularité financière de l'opération, la proposition d'attribution du marché émanant du représentant des États ACP.
24 En outre, cette compétence des États ACP est confirmée par l'article 45 du cahier général des charges précité, d'après lequel le choix de l'offre économiquement la plus avantageuse appartient à l'administration des États ACP.
25 Il s'ensuit que, dans sa lettre du 12 mai 1990 précitée, la Commission s'est bornée à répondre à la requérante que le pouvoir de désigner l'adjudicataire du marché appartenait au secrétaire exécutif du CILSS et qu'il incombait à la requérante de faire part à cet organisme de ses réserves sur la procédure d'adjudication.
26 Il résulte de ces constatations que l'acte attaqué ne peut être considéré comme produisant des effets juridiques à l'égard de la requérante et n'est donc pas susceptible de faire l'objet d'un recours en annulation de sa part.
27 Il s'ensuit que le recours en annulation doit être rejeté comme irrecevable.
Sur la recevabilité du recours en carence
28 La requérante soutient en substance, à l'appui de son recours en carence, que la Commission s'est abstenue de prendre les mesures nécessaires pour obtenir la réadmission de la requérante dans la procédure d'appel d'offres alors qu'il lui incombait d'adopter de telles mesures dès lors qu'elle devait assurer la régularité de la procédure d'appel d'offres.
29 La Commission conteste la recevabilité du recours en carence, au motif que, eu égard à la répartition des compétences entre elle-même et les autorités des États ACP, il ne saurait exister, vis-à-vis des entreprises soumissionnaires, d'omission de sa part, susceptible de faire l'objet d'un recours en carence.
30 Il suffit de relever qu'en raison de la répartition des compétences, évoquée ci-dessus, entre la Commission et le CILSS, la Commission n'aurait pu, en tout état de cause, adopter à l'égard de la requérante un acte autre qu'une recommandation ou un avis au sens de l'article 175, troisième alinéa, du traité.
31 Dans ces conditions, le recours en carence doit être rejeté comme irrecevable.
Sur le recours en indemnité
32 La requérante allègue que son exclusion illégale de la procédure d'appel d'offres, qui est imputable au comportement pour le moins négligent de la Commission, lui a causé un préjudice grave dont il lui serait dû réparation.
33 Selon une jurisprudence constante de la Cour (voir notamment arrêt du 8 avril 1992, Cato/Commission, C-55-90, Rec. p. I-2533, point 18), il ressort de l'article 215, deuxième alinéa, du traité que l'engagement de la responsabilité extra-contractuelle de la Communauté et la mise en œuvre du droit à la réparation du préjudice subi dépendent de la réunion d'un ensemble de conditions, à savoir l'illégalité du comportement reproché aux institutions communautaires, la réalité du dommage et l'existence d'un lien de causalité entre ce comportement et le préjudice invoqué.
34 En ce qui concerne l'illégalité du comportement reproché à la Commission, il y a lieu de relever que dès lors que la compétence de la Commission se limite à constater que les conditions du financement communautaire sont ou non réunies, il ne lui incombait aucune obligation, à l'égard de la requérante, de s'opposer à l'exclusion de celle-ci, ou d'intervenir en vue de sa réintégration.
35 Par ailleurs, la requérante n'a été en mesure d'établir ni que la Commission avait illégalement influencé le CILSS dans le but de l'exclure de la procédure d'adjudication ni qu'elle avait eu un comportement fautif en estimant ne pas avoir de motifs raisonnables pour considérer que les conditions du financement communautaire du projet n'étaient pas réunies.
36 Dans ces conditions, il y a lieu de rejeter le recours en indemnité, sans qu'il y ait lieu de se prononcer sur le dommage et sur le lien de causalité entre celui-ci et le comportement reproché à la Commission.
Sur les dépens
37 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s'il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens, y compris ceux de la procédure en référé.
Par ces motifs,
LA COUR (sixième chambre)
Déclare et arrête:
1) Le recours en annulation est rejeté comme irrecevable.
2) Le recours en carence est rejeté comme irrecevable.
3) Le recours en indemnité est rejeté comme non fondé.
4) La requérante est condamnée aux dépens, y compris ceux de la procédure en référé.