CJCE, 25 novembre 2003, n° C-278/01
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes
Défendeur :
Royaume d'Espagne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Skouris
Présidents de chambre :
MM. Timmermans, Gulmann, Cunha Rodrigues
Avocat général :
M. Mischo.
Juges :
MM. Edward, La Pergola, Puissochet, Schintgen, von Bahr, Mmes Macken, Colneric
LA COUR (assemblée plénière)
1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 13 juillet 2001, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 228 CE, un recours visant, d'une part, à faire constater que, en ne prenant pas les mesures nécessaires pour s'assurer que la qualité des eaux de baignade intérieures sur le territoire espagnol soit rendue conforme aux valeurs limites fixées en vertu de l'article 3 de la directive 76-160-CEE du Conseil, du 8 décembre 1975, concernant la qualité des eaux de baignade (JO 1976, L 31, p. 1, ci-après la "directive"), en dépit des obligations qui lui incombent en vertu de l'article 4 de cette directive, le Royaume d'Espagne n'a pas exécuté l'arrêt de la Cour du 12 février 1998, Commission/Espagne (C-92-96, Rec. p. I-505), et a manqué de ce fait aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 228 CE ainsi que, d'autre part, à voir ordonner au Royaume d'Espagne de payer à la Commission, sur le compte "ressources propres de la Communauté européenne", une astreinte de 45 600 euro par jour de retard dans l'adoption des mesures nécessaires pour exécuter l'arrêt Commission/Espagne, précité, depuis le jour où l'arrêt aura été rendu dans la présente affaire jusqu'au jour où l'arrêt Commission/Espagne, précité, aura été exécuté.
La réglementation communautaire
2. La directive tend, conformément à son premier considérant, à protéger l'environnement et la santé publique par la réduction de la pollution des eaux de baignade et la protection de celles-ci d'une dégradation ultérieure.
3. Par ses articles 2 et 3, la directive impose aux États membres de fixer les valeurs applicables aux eaux de baignade en ce qui concerne les paramètres physicochimiques et microbiologiques indiqués à son annexe, valeurs qui ne peuvent être moins sévères que celles mentionnées dans la colonne I de cette même annexe.
4. Selon l'article 4, paragraphe 1, de la directive, la qualité des eaux de baignade doit être rendue conforme aux valeurs fixées en vertu de l'article 3 dans un délai de dix ans à compter de la notification de la directive.
5. L'article 395 de l'acte relatif aux conditions d'adhésion du Royaume d'Espagne et de la République portugaise et aux adaptations des traités (JO 1985, L 302, p. 23) ne prévoyant, en faveur du Royaume d'Espagne, aucune dérogation en ce qui concerne la directive, la qualité des eaux de baignade espagnoles devait être conforme aux valeurs limites fixées par la directive à partir du 1er janvier 1986.
6. Aux termes de l'article 13 de la directive, telle que modifiée par la directive 91-692-CEE du Conseil, du 23 décembre 1991, visant à la standardisation et à la rationalisation des rapports relatifs à la mise en œuvre de certaines directives concernant l'environnement (JO L 377, p. 48):
"Tous les ans et pour la première fois le 31 décembre 1993, les États membres communiquent à la Commission un rapport sur la mise en œuvre pour cette année de la présente directive. Ce rapport est établi sur la base d'un questionnaire ou d'un schéma élaboré par la Commission selon la procédure prévue à l'article 6 de la directive 91-692-CEE. Le questionnaire ou le schéma est adressé aux États membres six mois avant le début de la période couverte par le rapport. Le rapport est transmis à la Commission avant la fin de l'année en question.
La Commission publie un rapport communautaire sur la mise en œuvre de la directive dans les quatre mois suivant la réception des rapports des États membres."
L'arrêt Commission/Espagne
7. Par l'arrêt Commission/Espagne, précité, la Cour a constaté que, en ne prenant pas les dispositions nécessaires pour que la qualité des eaux de baignade intérieures sur le territoire espagnol soit rendue conforme aux valeurs limites fixées en vertu de l'article 3 de la directive, le Royaume d'Espagne avait manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu de l'article 4 de cette directive.
La procédure précontentieuse
8. Par lettre du 17 mars 1998, la Commission a rappelé aux autorités espagnoles la nécessité de se conformer aux obligations découlant de l'arrêt Commission/Espagne, précité.
9. En réponse, par lettres des 5, 11 et 19 juin 1998 ainsi que des 5 janvier et 12 mars 1999, les autorités espagnoles ont informé la Commission des mesures adoptées ou en cours pour se conformer audit arrêt, parmi lesquelles l'exécution de certains projets d'épuration des eaux résiduelles urbaines dans le cadre du plan national d'épuration de 1995, le contrôle, le suivi et la sanction des rejets ainsi que l'interdiction de la baignade dans les zones identifiées comme non conformes, l'adoption de certaines mesures concrètes et le lancement, en 1999, d'un travail qui visait à étudier les zones de baignade, les rejets qui affectaient les différentes zones, les caractéristiques qualitatives des eaux de baignade et l'influence des rejets dans chaque zone, ainsi que les solutions prévues et proposées en fonction des conclusions obtenues.
10. Le 24 janvier 2000, la Commission a envoyé au Royaume d'Espagne, en application de l'article 228 CE, une lettre de mise en demeure, considérant qu'il n'avait pas pris les mesures nécessaires pour se conformer à l'arrêt Commission/Espagne, précité.
11. Par lettre du 26 mai 2000, les autorités espagnoles ont indiqué à la Commission que le ministère de l'Environnement avait commandé une étude sur l'état des eaux intérieures destinées à la baignade conformément à la directive, étude qui, selon lesdites autorités, devait être terminée dans le courant de l'année 2000. Ces dernières indiquaient également les objectifs et la portée de l'étude, ainsi que le calendrier des actions à engager pour une mise en conformité avec la directive qui, selon les estimations, devait s'achever en 2005.
12. Considérant que ces mesures ne permettaient pas de démontrer qu'il avait été mis fin au manquement, la Commission a, le 27 juillet 2000, envoyé un avis motivé au Royaume d'Espagne en application de l'article 228 CE. Elle y concluait que, ayant manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu de l'article 4 de la directive, en n'adoptant pas les mesures nécessaires pour que la qualité des eaux de baignade intérieures sur le territoire espagnol soit rendue conforme aux valeurs limites fixées en vertu de l'article 3 de la directive, cet État membre n'avait pas exécuté l'arrêt Commission/Espagne, précité, et avait manqué de ce fait aux obligations qui lui incombaient en vertu de l'article 228 CE. La Commission rappelait audit État membre que, si le litige était porté devant la Cour, elle proposerait d'imposer une astreinte. Elle fixait un délai de deux mois pour que le Royaume d'Espagne adopte les mesures nécessaires pour se conformer à l'avis motivé.
13. En réponse à cet avis, le gouvernement espagnol a envoyé deux lettres, datées des 26 et 27 septembre 2000, informant la Commission de l'existence d'un plan d'action, du degré de conformité de la qualité des eaux de baignade au cours des saisons balnéaires 1998 et 1999 ainsi que de l'exécution d'un plan national d'assainissement et d'épuration des eaux résiduelles urbaines.
14. Une réunion s'est tenue le 11 janvier 2001 entre le ministère de l'Environnement espagnol et la direction générale de l'Environnement de la Commission, afin de permettre au gouvernement espagnol de compléter les informations relatives auxdites mesures.
15. Le 16 janvier 2001, le ministre de l'Environnement espagnol a adressé au membre de la Commission chargé de l'environnement une lettre par laquelle il transmettait un nouveau plan d'action et s'engageait à achever les actions nécessaires en 2003.
16. Le 26 mars 2001, les autorités espagnoles ont envoyé à la Commission un rapport élaboré par le ministère de l'Environnement sur l'avancement des actions entreprises pour exécuter l'arrêt Commission/Espagne, précité, ainsi qu'une lettre du secrétaire d'État chargé des eaux et des côtes.
17. Considérant que le Royaume d'Espagne n'avait pas exécuté ledit arrêt, la Commission a décidé d'introduire le présent recours.
Les conclusions des parties
18. La Commission conclut à ce qu'il plaise à la Cour:
- constater que, en ne prenant pas les mesures nécessaires pour s'assurer que la qualité des eaux de baignade intérieures sur le territoire espagnol soit rendue conforme aux valeurs limites fixées en vertu de l'article 3 de la directive, en dépit des obligations qui lui incombent en vertu de l'article 4 de la directive, le Royaume d'Espagne n'a pas exécuté l'arrêt Commission/Espagne, précité, et a manqué de ce fait aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 228 CE;
- ordonner au Royaume d'Espagne de payer à la Commission, sur le compte "ressources propres de la Communauté européenne", une astreinte de 45 600 euro par jour de retard dans l'adoption des mesures nécessaires pour exécuter l'arrêt Commission/Espagne, précité, depuis le jour où l'arrêt aura été rendu dans la présente affaire jusqu'au jour où l'arrêt Commission/Espagne, précité, aura été exécuté;
- condamner le Royaume d'Espagne aux dépens.
19. Le Royaume d'Espagne conclut à ce qu'il plaise à la Cour:
- rejeter le recours dans son ensemble;
- à titre subsidiaire, rejeter la demande tendant au paiement d'une astreinte journalière;
- à titre plus subsidiaire encore, imposer une astreinte journalière qui ne soit pas supérieure à 11 400 euro;
- en tout état de cause, condamner la Commission aux dépens.
Sur le fond
Arguments des parties
20. Dans sa requête, la Commission fait valoir, pour ce qui concerne la qualité des eaux de baignade intérieures sur le territoire espagnol, que le pourcentage des zones de baignade conformes aux valeurs impératives de la directive était de 73 % pour la saison balnéaire 1998, de 76,5 % pour la saison balnéaire 1999 et de 79,2 % pour la saison balnéaire 2000.
21. En cours de procédure, elle a également informé la Cour que ce pourcentage était de 80 % pour la saison balnéaire 2001 et de 85,1 % pour la saison balnéaire 2002.
22. Le Royaume d'Espagne ne conteste pas ces chiffres, qui résultent d'ailleurs des rapports qu'il a lui-même communiqués à la Commission en application de l'article 13 de la directive modifiée.
23. Le Royaume d'Espagne considère néanmoins qu'il y a lieu de rejeter le recours, au motif que la Commission n'a pas attendu un délai suffisant pour pouvoir conclure que l'arrêt Commission/Espagne, précité, n'avait pas été exécuté. Selon lui, un délai plus long que celui accordé par la Commission, à savoir du 12 février 1998, date de prononcé dudit arrêt, jusqu'au 27 septembre 2000, date d'expiration du délai fixé dans l'avis motivé émis en l'espèce, était nécessaire pour exécuter entièrement l'arrêt précité, compte tenu des spécificités de la directive et des eaux espagnoles.
24. En effet, dans la majorité des cas, plusieurs saisons balnéaires seraient nécessaires pour déterminer les véritables sources de pollution et, une fois le problème détecté, la solution requerrait l'élaboration et l'exécution de plans d'action, voire de longs programmes d'amélioration des pratiques agraires. La solution aux problèmes de qualité d'eaux de baignade passerait par la réalisation de travaux parfois importants qui nécessiteraient des démarches strictes, en vertu des directives communautaires sur les marchés publics. En outre, il conviendrait de tenir compte du grand nombre de zones de baignade déclarées par les autorités espagnoles, ainsi que du fait que les cours d'eau en Espagne n'ont pas un grand débit, en comparaison des cours d'eau dans la majorité des autres États membres. Par conséquent, la Commission aurait dû attendre la fin de l'exécution du calendrier d'action qui lui a été remis en réponse à la lettre de mise en demeure, annoncée, dans un premier temps, pour la fin de l'année 2005, comme il est indiqué dans la lettre du 26 mai 2000 des autorités espagnoles, et, dans un second temps, pour 2003, comme il est précisé dans la lettre du 16 janvier 2001 du ministre de l'Environnement espagnol.
Appréciation de la Cour
25. Par son arrêt Commission/Espagne, précité, la Cour a jugé que, en ne prenant pas les dispositions nécessaires pour que la qualité des eaux de baignade intérieures sur le territoire espagnol soit rendue conforme aux valeurs limites fixées en vertu de l'article 3 de la directive, le Royaume d'Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 4 de cette directive.
26. En vertu de l'article 228, paragraphe 1, CE, le Royaume d'Espagne était tenu de prendre les mesures que comporte l'exécution de cet arrêt.
27. L'article 228 CE ne précise pas le délai dans lequel l'exécution d'un arrêt doit intervenir. Toutefois, selon une jurisprudence constante, l'intérêt qui s'attache à une application immédiate et uniforme du droit communautaire exige que cette exécution soit entamée immédiatement et aboutisse dans des délais aussi brefs que possible (arrêt du 4 juillet 2000, Commission/Grèce, C-387-97, Rec. p. I-5047, point 82, et jurisprudence citée).
28. Selon l'article 228, paragraphe 2, CE, si l'État membre concerné n'a pas pris les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt de la Cour dans le délai fixé par la Commission dans son avis motivé, celle-ci peut saisir la Cour en indiquant le montant de la somme forfaitaire ou de l'astreinte à payer par l'État membre concerné, qu'elle estime adapté aux circonstances.
29. Pour ce faire, la Commission doit évaluer les circonstances telles qu'elles se présentent à l'expiration du délai fixé par elle dans son avis motivé adopté sur le fondement de l'article 228, paragraphe 2, premier alinéa, CE.
30. Il faut relever que, entre le prononcé de l'arrêt Commission/Espagne, précité, et l'expiration du délai fixé dans l'avis motivé en l'espèce, trois saisons balnéaires s'étaient écoulées. Même si l'exécution dudit arrêt implique des opérations complexes et de longue haleine, comme l'allègue le gouvernement espagnol, il y a lieu de considérer qu'un tel délai est suffisant pour prendre les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt de la Cour aux termes de l'article 228 CE.
31. Les considérations invoquées par le gouvernement espagnol et tenant à la complexité et à la durée des opérations nécessaires pour exécuter l'arrêt Commission/Espagne, précité, ne peuvent donc pas conduire au rejet du présent recours.
32. En ce qui concerne les mesures prises par le Royaume d'Espagne en vue de l'exécution dudit arrêt, les statistiques les plus récentes communiquées à la Cour indiquent que le taux de conformité des eaux de baignade en question aux valeurs impératives fixées en vertu de la directive a connu une certaine progression, atteignant 85,1 % pour la saison balnéaire 2002. Néanmoins, il est constant que les eaux de baignade intérieures sur le territoire espagnol n'ont toujours pas été rendues conformes auxdites valeurs impératives.
33. La Commission a encore fait observer que le gouvernement espagnol aurait réduit au fil des ans le nombre de zones de baignade dans les eaux de baignade intérieures sans justifier cette suppression. Selon elle, 39 zones auraient été supprimées en 1998, 10 en 1999 et 14 en 2000. Le nombre de zones de baignade dans les eaux de baignade intérieures serait passé de 302 en 1996 à 202 en 2000. Le Royaume d'Espagne viserait ainsi à l'exécution de l'arrêt Commission/Espagne, précité, non pas par une amélioration de la qualité de ces eaux, mais par un artifice consistant à réduire le nombre desdites zones.
34. Sans se prononcer sur le bien-fondé d'un tel argument, il suffit de relever qu'il n'est pas pertinent à la constatation d'un manquement en l'espèce puisque la Commission a basé le présent recours sur les chiffres figurant dans ses rapports annuels et repris aux points 20 et 21 du présent arrêt, lesquels font abstraction des zones retirées de la liste des zones de baignade.
35. Au vu de l'ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que, en ne prenant pas les mesures nécessaires pour s'assurer que la qualité des eaux de baignade intérieures sur le territoire espagnol soit rendue conforme aux valeurs limites fixées en vertu de l'article 3 de la directive, en dépit des obligations qui lui incombent en vertu de l'article 4 de cette directive, le Royaume d'Espagne n'a pas pris toutes les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt Commission/Espagne, précité, et a manqué de ce fait aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 228 CE.
Sur la fixation de l'astreinte
Arguments des parties
36. Se fondant sur la méthode de calcul telle qu'elle l'a définie dans ses communications 96-C 242-07, du 21 août 1996, concernant la mise en œuvre de l'article [228] du traité (JO C 242, p. 6), et 97-C 63-02, du 28 février 1997, concernant la méthode de calcul de l'astreinte prévue à l'article [228] du traité CE (JO C 63, p. 2), la Commission propose à la Cour d'infliger au Royaume d'Espagne une astreinte de 45 600 euro par jour de retard pour sanctionner l'inexécution de l'arrêt Commission/Espagne, précité, à compter de la date du prononcé de l'arrêt dans la présente affaire jusqu'au jour où l'arrêt Commission/Espagne, précité, aura été exécuté.
37. La Commission considère que la condamnation au paiement d'une astreinte est l'instrument le plus approprié pour mettre un terme, le plus rapidement possible, à une infraction constatée et que, dans le cas d'espèce, une astreinte de 45 600 euro par jour de retard est adaptée à la gravité et à la durée de l'infraction tout en tenant compte de la nécessité de rendre la sanction effective. Ce montant serait calculé en multipliant une base uniforme de 500 euro par un coefficient de 4 (sur une échelle de 1 à 20) pour la gravité de l'infraction, un coefficient de 2 (sur une échelle de 1 à 3) pour la durée de l'infraction et un coefficient de 11,4 (fondé sur le produit intérieur brut de l'État membre en cause et sur la pondération des voix au Conseil de l'Union européenne) censé représenter la capacité de paiement de l'État membre concerné.
38. Le Royaume d'Espagne fait valoir que l'astreinte journalière n'est pas le mécanisme adéquat pour parvenir à l'exécution de l'arrêt Commission/Espagne, précité. Une telle astreinte ne cesserait pas d'être applicable si l'État membre adoptait toutes les mesures nécessaires à l'exécution de cet arrêt. Il faudrait attendre de disposer des données relatives à la saison balnéaire suivante pour vérifier si le résultat obtenu est celui souhaité. La Commission aurait dû examiner l'opportunité de proposer une astreinte annuelle qui serait versée en fonction de la mise à disposition des résultats de chaque saison balnéaire. Il n'y aurait aucun sens à imposer une astreinte journalière pour contraindre au respect d'une obligation qui ne peut être atteinte que d'année en année.
39. À titre subsidiaire, le Royaume d'Espagne soutient que le montant de l'astreinte proposée est, en tout état de cause, excessif. En ce qui concerne le coefficient relatif à la durée de l'infraction, le nombre réduit de saisons balnéaires écoulées depuis le prononcé de l'arrêt Commission/Espagne, précité, justifierait un coefficient non pas de 2 mais de 1. Quant au coefficient relatif à la gravité de l'infraction, il conviendrait de tenir compte du fait que, lors du dépôt de la requête dans la présente affaire, le pourcentage de conformité des zones de baignade dans les eaux de baignade intérieures sur le territoire espagnol aux valeurs impératives de la directive avait atteint 79,2 %. Il faudrait également tenir compte du fait que le Royaume d'Espagne n'aurait pas bénéficié des dix années de délai de mise en œuvre dont ont disposé d'autres États membres. En tenant compte de ces deux éléments, il conviendrait de réduire le coefficient relatif à la gravité de l'infraction de 4 à 2. En appliquant ces deux corrections au calcul de l'astreinte journalière, le montant de celle-ci serait ramené à 11 400 euro.
Appréciation de la Cour
40. La Cour ayant reconnu que le Royaume d'Espagne ne s'est pas conformé à son arrêt Commission/Espagne, précité, elle peut lui infliger, en application de l'article 228, paragraphe 2, troisième alinéa, CE, le paiement d'une somme forfaitaire ou d'une astreinte.
41. À cet égard, il convient de rappeler que les propositions de la Commission ne sauraient lier la Cour et ne constituent qu'une base de référence utile. Dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, il appartient à la Cour de fixer la somme forfaitaire ou l'astreinte de telle sorte que celle-ci soit, d'une part, adaptée aux circonstances et, d'autre part, proportionnée au manquement constaté ainsi qu'à la capacité de paiement de l'État membre concerné (voir, en ce sens, arrêt Commission/Grèce, précité, points 89 et 90).
42. Il est clair qu'une astreinte est susceptible d'inciter l'État membre défaillant à mettre fin, dans les plus brefs délais, au manquement constaté. Aux fins de l'imposer en l'espèce, il convient d'examiner, premièrement, la périodicité de l'astreinte proposée, deuxièmement, le caractère constant ou dégressif du montant de cette astreinte et, troisièmement, le calcul exact du montant de celle-ci.
43. En ce qui concerne la périodicité de l'astreinte proposée en l'espèce, il y a lieu de rappeler que, selon l'article 13 de la directive modifiée, la constatation de l'état des eaux de baignade se fait sur une base annuelle. En vertu de cette disposition, les États membres sont obligés de communiquer à la Commission un rapport sur la mise en œuvre de la directive tous les ans. Le rapport doit être transmis à la Commission avant la fin de l'année en question.
44. Il s'ensuit que la constatation éventuelle de la fin de l'infraction ne pourrait intervenir qu'annuellement, lors de la présentation de ces rapports.
45. Une astreinte journalière pourrait donc être due pour une période au cours de laquelle les exigences imposées par la directive auraient déjà été atteintes, et alors même qu'il ne serait possible de faire constater une telle exécution de la directive qu'ultérieurement. L'État membre pourrait donc être contraint de verser l'astreinte pour des périodes où l'infraction aurait en réalité pris fin.
46. L'astreinte doit ainsi être infligée non pas sur une base journalière mais sur une base annuelle, à la suite de la présentation du rapport annuel relatif à la mise en œuvre de la directive par l'État membre concerné.
47. En ce qui concerne le caractère constant du montant de l'astreinte proposé par la Commission, il faut relever qu'il est particulièrement difficile pour les États membres de parvenir à une exécution complète de la directive, comme M. l'avocat général l'a fait remarquer aux points 66 et 67 de ses conclusions.
48. Au vu de cette particularité, il est envisageable que l'État membre défendeur parvienne à augmenter substantiellement le degré d'exécution de la directive sans arriver à une exécution complète à court terme. Si le montant de l'astreinte était constant, celle-ci continuerait d'être exigible dans sa totalité aussi longtemps que l'État membre concerné n'a pas réalisé une mise en œuvre complète de la directive.
49. Dans ces conditions, une sanction qui ne tiendrait pas compte des progrès éventuellement réalisés par l'État membre dans l'exécution de ses obligations ne serait ni adaptée aux circonstances ni proportionnée au manquement constaté.
50. Pour que l'astreinte soit adaptée aux circonstances particulières du cas d'espèce et proportionnée au manquement constaté, son montant doit tenir compte des progrès accomplis par l'État membre défendeur dans l'exécution de l'arrêt Commission/Espagne, précité. À cette fin, il convient d'imposer à cet État le paiement annuel d'un montant calculé en fonction du pourcentage de zones de baignade dans les eaux intérieures espagnoles non encore rendues conformes aux valeurs impératives fixées en vertu de la directive.
51. Le paiement en sera dû à partir de la constatation de la qualité des eaux de baignade atteinte lors de la première saison balnéaire suivant le prononcé du présent arrêt et, le cas échéant, au moment des constatations annuelles suivantes.
52. En ce qui concerne le montant de l'astreinte, les critères de base qui doivent être pris en compte sont, en principe, la durée de l'infraction, son degré de gravité et la capacité de payer de l'État membre en cause (voir arrêt Commission/Grèce, précité, point 92).
53. S'agissant de la durée de l'infraction, il convient de reconnaître que l'exécution de l'arrêt Commission/Espagne, précité, par l'État membre concerné est difficilement réalisable dans un bref laps de temps. En l'espèce, cette exécution suppose de détecter les problèmes, d'élaborer des plans d'action et d'exécuter ces plans. Dans ce cadre, il y a lieu de tenir compte, entre autres, du fait que les directives communautaires sur les marchés publics imposent notamment que les cahiers des charges soient exhaustivement établis avant le lancement de la procédure de passation des marchés, sans pouvoir être modifiés par la suite. En outre, ces directives imposent aux pouvoirs adjudicateurs certains délais incompressibles et limitent strictement la possibilité de recourir à des procédures d'urgence.
54. Eu égard à ces considérations, il convient de conclure que le coefficient de 2 (sur une échelle de 1 à 3) proposé par la Commission pour tenir compte de la durée de l'infraction en l'espèce apparaît trop sévère et qu'un coefficient de 1,5 est plus approprié.
55. S'agissant de la gravité de l'infraction, il convient de rejeter l'argument du gouvernement espagnol selon lequel il faudrait tenir compte pour la fixation de l'astreinte du fait que 79,2 % des zones de baignade concernées étaient déjà conformes aux valeurs limites de la directive au moment de l'introduction du présent recours. Il ressort du dossier que la Commission, dans sa proposition, a déjà pris en considération le degré d'exécution de la directive atteint par les autorités espagnoles en améliorant le taux de conformité des eaux en question de 54,5 % en 1992 à 79,2 % en 2000.
56. Il convient également de rejeter l'argument du gouvernement espagnol tiré de ce qu'il n'aurait pas bénéficié des dix années de délai de mise en œuvre dont ont disposé d'autres États membres. En effet, il était loisible au Royaume d'Espagne de demander une période transitoire pour l'application de la directive lors de son adhésion aux Communautés européennes. N'ayant pas fait une telle demande, celui-ci ne saurait aujourd'hui se prévaloir de son inaction pour réclamer une réduction de l'astreinte.
57. Il y a lieu en outre de rappeler que la mise en conformité des eaux de baignade avec les valeurs limites de la directive vise à protéger la santé publique et l'environnement. Dans la mesure où le manquement constaté au point 35 du présent arrêt peut mettre en danger la santé de l'homme et porter préjudice à l'environnement, il revêt une importance certaine.
58. En tenant compte de ces éléments, le coefficient de 4 (sur une échelle de 1 à 20) proposé par la Commission apparaît comme reflétant adéquatement le degré de gravité de l'infraction.
59. La proposition de la Commission de multiplier un montant de base par un coefficient de 11,4, fondé sur le produit intérieur brut du Royaume d'Espagne et sur le nombre de voix dont celui-ci dispose au Conseil, constitue une manière appropriée de refléter la capacité de paiement de cet État membre tout en maintenant un écart raisonnable entre les divers États membres (voir arrêt Commission/Grèce, précité, point 88).
60. La multiplication du montant de base de 500 euro par les coefficients de 11,4 (pour la capacité de paiement), de 4 (pour la gravité de l'infraction) et de 1,5 (pour la durée de l'infraction) aboutit à un montant de 34 200 euro par jour, soit 12 483 000 euro par an. Ce montant étant fondé sur la considération que 20 % des zones de baignade concernées n'étaient pas conformes aux valeurs limites de la directive, il convient de le diviser par 20 pour obtenir le montant correspondant à 1 % de zones non conformes, à savoir 624 150 euro par an.
61. Il sera donc fait une juste appréciation des circonstances particulières de l'espèce en fixant le montant de l'astreinte à 624 150 euro par an et pour 1 % de zones de baignade non conformes aux valeurs limites de la directive.
62. Par conséquent, il convient de condamner le Royaume d'Espagne à payer à la Commission, sur le compte "ressources propres de la Communauté européenne", une astreinte de 624 150 euro par an et pour 1 % de zones de baignade dans les eaux intérieures espagnoles dont la non-conformité avec les valeurs limites fixées en vertu de la directive aura été constatée pour l'année en question, à compter de la constatation de la qualité des eaux de baignade atteinte lors de la première saison balnéaire suivant le prononcé du présent arrêt jusqu'à l'année au cours de laquelle aura lieu la pleine exécution de l'arrêt Commission/Espagne, précité.
Sur les dépens
63. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du Royaume d'Espagne aux dépens et ce dernier ayant succombé en l'essentiel de ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (assemblée plénière)
Déclare et arrête:
1) En ne prenant pas les mesures nécessaires pour s'assurer que la qualité des eaux de baignade intérieures sur le territoire espagnol soit rendue conforme aux valeurs limites fixées en vertu de l'article 3 de la directive 76-160-CEE du Conseil, du 8 décembre 1975, concernant la qualité des eaux de baignade, en dépit des obligations qui lui incombent en vertu de l'article 4 de cette directive, le Royaume d'Espagne n'a pas pris toutes les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt de la Cour du 12 février 1998, Commission/Espagne (C-92-96), et a manqué de ce fait aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 228 CE.
2) Le Royaume d'Espagne est condamné à payer à la Commission des Communautés européennes, sur le compte "ressources propres de la Communauté européenne", une astreinte de 624 150 euro par an et pour 1 % de zones de baignade dans les eaux intérieures espagnoles dont la non-conformité avec les valeurs limites fixées en vertu de la directive 76-160 aura été constatée pour l'année en question, à compter de la constatation de la qualité des eaux de baignade atteinte lors de la première saison balnéaire suivant le prononcé du présent arrêt jusqu'à l'année au cours de laquelle aura lieu la pleine exécution de l'arrêt Commission/Espagne, précité.