CJCE, 5e ch., 11 février 2004, n° C-438/03
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
ordonnance
PARTIES
Demandeur :
Antonio Cannito, Pasqualina Murgolo, Vincenzo Manfredi, Nicolò Tricarico
Défendeur :
La Fondiaria Assicurazioni SpA, Assitalia Assicurazioni SpA, Lloyd Adriatico Assicurazioni SpA, Assitalia Assicurazioni SpA
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Gulmann
Juges :
M. von Bahr, Silva de Lapuerta
Avocat général :
M. Geelhoed.
LA COUR (cinquième chambre)
1. Par ordonnances des:
- 6 octobre 2003, parvenues à la Cour le 16 octobre 2003 (C-438-03 et C-439-03),
- 21 novembre 2003, parvenue à la Cour le 4 décembre 2003 (C-509-03),
- et 20 décembre 2003, parvenue à la Cour le 5 janvier 2004 (C-2-04),
le Giudice di pace di Bitonto (juge de paix de Bitonto) a posé, en application de l'article 234 CE, plusieurs questions préjudicielles portant sur l'interprétation, notamment, des articles 81 CE et 82 CE.
2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre de demandes en dommages et intérêts introduites par M. Cannito, Mme Murgolo, MM. Manfredi et Tricarico contre, respectivement, les sociétés d'assurances Fondiaria Assicurazioni SpA, Assitalia Assicurazioni SpA, Lloyd Adriatico Assicurazioni SpA et Assitalia Assicurazioni SpA qui, selon l'Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato (autorité italienne de la concurrence, ci-après l'"AGCM"), ont participé à un cartel dans le secteur des assurances.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
3. Il ressort des ordonnances de renvoi que l'AGCM a adopté une décision concernant un cartel mis sur pied par diverses sociétés d'assurances dans le domaine de la responsabilité civile relative aux accidents de la route. Cette décision, attaquée par les entreprises concernées, a donné lieu à un arrêt du 5 juillet 2001 du Tribunale amministrativo regionale del Lazio (Italie) (Tribunal administratif régional du Latium) puis à un arrêt du 23 avril 2002 du Consiglio di Stato (Italie) (Conseil d'État).
4. Considérant que la solution des litiges pendants devant lui nécessitait une interprétation du droit communautaire, notamment, des articles 81 CE et 82 CE, le Guidice di pace di Bitonto a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
- Dans les affaires C-438-03 et C-439-03:
"1) Les faits définitivement constatés dans l'arrêt du Consiglio di Stato n° 2 199, du 23 avril 2002, et dans le jugement n° 6 139 du Tribunale amministrativo regionale del Lazio], du 5 juillet 2001, censés intégralement repris et reproduits, constituent-ils des infractions au droit communautaire, et en particulier aux articles 81 [CE] et 82 [CE]?
2) L'infraction aux articles 81 [CE] et 82 [CE] comporte-t-elle, à charge de ceux qui l'ont commise, l'obligation de réparer les préjudices aux consommateurs finals et à tous ceux qui démontrent avoir subi une nuisance, de quelque façon que ce soit?
3) Dans l'évaluation du dommage, outre la restitution des sommes perçues en violation des règles de droit communautaire, le juge national (toujours en vertu du droit communautaire) doit-il attribuer à la personne lésée une somme à titre de dommages et intérêts ayant un caractère de sanction incombant à ceux qui ont mis en œuvre l'entente prohibée ou l'abus de position dominante?
4) Selon le droit communautaire, convient-il d'admettre aussi la réparation du dommage moral?
5) En vertu du droit communautaire, le juge doit-il prononcer, même d'office, les dommages et intérêts ayant un caractère de sanction et la réparation du dommage moral?
6) Un délai de prescription de l'action en dommages et intérêts pour infraction aux articles 81 [CE] et 82 CE, d'un an selon la législation nationale italienne, serait-il contraire au droit communautaire en raison d'une trop grande brièveté?
7) Le droit communautaire impose-t-il de considérer comme dies a quo pour que coure la prescription de l'action en dommages et intérêts le jour où l'infraction aux articles 81 [CE] et 82 [CE] a été commise ou le jour où cette infraction a cessé?
8) Le droit communautaire comporte-t-il pour le juge national l'obligation de ne pas appliquer les dispositions nationales qui lui sont contraires ou, en toute hypothèse, d'en donner une interprétation conforme?"
- Dans les affaires C-509-03 et C-2-04:
"1) Les faits définitivement constatés dans l'arrêt du Consiglio di Stato n° 2199, du 23 avril 2002, et dans le jugement n° 6 139 du [Tribunale amministrativo regionale del Lazio], du 5 juillet 2001, censés intégralement repris et reproduits, de même que la décision de l'AGCM italienne, à laquelle l'une et l'autre de ces décisions de justice se réfèrent (relative à un cartel mis sur pied par différentes compagnies d'assurance pour l'assurance responsabilité civile automobile) constituent-ils des infractions au droit communautaire, et en particulier aux articles 81 [CE] et 82 CE?
2) L'infraction aux articles 81 [CE] et 82 CE comporte-t-elle, à charge de ceux qui l'ont commise, l'obligation de réparer les préjudices aux consommateurs finals et à tous ceux, tiers par rapport à l'entente ou à l'abus, qui démontrent avoir subi une nuisance, de quelque façon que ce soit?
3) Dans l'évaluation du dommage, outre la restitution des sommes perçues en violation des règles de droit communautaire, le juge national (toujours en vertu du droit communautaire) doit-il attribuer à la personne lésée une somme à titre de dommages et intérêts ayant un caractère de sanction incombant à ceux qui ont mis en œuvre l'entente prohibée ou l'abus de position dominante?
4) Selon le droit communautaire, convient-il d'admettre aussi la réparation du dommage moral?
5) En vertu du droit communautaire, le juge doit-il prononcer, même d'office, les dommages et intérêts ayant un caractère de sanction et la réparation du dommage moral?
6) Un délai de prescription de l'action en dommages et intérêts pour infraction aux articles 81 [CE] et 82 CE, d'un an selon la législation nationale italienne, serait-il contraire au droit communautaire en raison d'une trop grande brièveté?
7) Le droit communautaire impose-t-il de considérer comme dies a quo pour que coure le délai de prescription de l'action en dommages et intérêts le jour où l'infraction aux articles 81 [CE] et 82 [CE] a été commise ou le jour où cette infraction a cessé?
8) Le droit communautaire de la concurrence et/ou les principes fondamentaux du droit communautaire (en se référant en particulier à l'article 6, paragraphe 1 et à l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales) s'oppose-t-il à une législation nationale de portée analogue à celle de l'article 3, deuxième alinéa, de la loi italienne n° 287, du 10 octobre 1990, qui impose au consommateur ou à un tiers, ayant subi un préjudice dû à une entente illicite et nulle en vertu de l'article 81 CE ou à une pratique d'abus de position dominante illicite en vertu de l'article 82 CE, de s'adresser, pour obtenir la réparation des dommages subis, à un autre juge que celui qui serait compétent matériellement, territorialement et selon la valeur du litige conformément aux règles nationales ordinaires de la compétence, l'article 33 de la loi n° 287-90 impliquant une augmentation du coût et de la durée de la procédure qui ne se produirait pas s'il était fait application des règles nationales ordinaires de la compétence territoriale, matérielle et de la compétence liée à la valeur du litige?
9) Le droit communautaire de la concurrence et/ou les principes fondamentaux du droit communautaire (en se référant en particulier à l'article 6 et à l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales) s'opposent-ils à une législation nationale qui impose au consommateur ou à un tiers, ayant subi un préjudice dû à une entente illicite et nulle en vertu de l'article 81 CE ou à une pratique d'abus de position dominante illicite en vertu de l'article 82 CE, de s'adresser, pour obtenir la réparation des dommages subis, à un autre juge que celui qui serait compétent territorialement au titre du lieu où est établie la succursale de la compagnie d'assurances dans l'arrondissement judiciaire où la personne lésée possède sa résidence, eu égard notamment à la différence du montant des frais de procès que l'une ou l'autre solution implique?
10) Le droit communautaire comporte-t-il pour le juge national l'obligation de ne pas appliquer les dispositions nationales qui lui sont contraires ou, en toute hypothèse, d'en donner une interprétation conforme?"
Sur la jonction
5. Les affaires C-438-03, C-439-03, C-509-03 et C-2-04 étant connexes dans leur objet, il convient, en application de l'article 43 du règlement de procédure, de les joindre aux fins de la présente ordonnance.
Sur la recevabilité
6. Il importe de rappeler que la nécessité de parvenir à une interprétation du droit communautaire qui soit utile pour le juge national exige que celui-ci définisse le cadre factuel et réglementaire dans lequel s'insèrent les questions qu'il pose ou que, à tout le moins, il explique les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont fondées (voir, notamment, arrêt du 26 janvier 1993, Telemarsicabruzzo e.a., C-320-90 à C-322-90, Rec. p. I-393, point 6; ordonnances du 19 mars 1993, Banchero, C-157-92, Rec. p. I-1085, point 4; du 30 avril 1998, Testa et Modesti, C-128-97 et C-137-97, Rec. p. I-2181, point 5; du 8 juillet 1998, Agostini, C-9-98, Rec. p. I-4261, point 4; du 2 mars 1999, Colonia Versicherung e.a., C-422-98, Rec. p. I-1279, point 4; arrêt du 13 avril 2000, Lehtonen et Castors Braine, C-176-96, Rec. I-2681, point 22, et ordonnance du 28 juin 2000, Laguillaumie, C-116-00, Rec. p. I4979, point 15). Cette exigence vaut tout particulièrement dans le domaine de la concurrence, qui est caractérisé par des situations de fait et de droit complexes (ordonnance Banchero, précitée, point 5; arrêt Lehtonen et Castors Braine, précité, point 22, et ordonnance Laguillaumie, précitée, point 19).
7. La Cour a également insisté sur l'importance de l'indication, par le juge de renvoi, des raisons précises qui l'ont conduit à s'interroger sur l'interprétation du droit communautaire et à estimer nécessaire de poser des questions préjudicielles (ordonnances du 25 juin 1996, Italia Testa, C-101-96, Rec. p. I-3081, point 6; Testa et Modesti, précitée, point 15, et Agostini, précitée, point 6). Ainsi, la Cour a jugé qu'il est indispensable que le juge national donne un minimum d'explications sur les raisons du choix des dispositions communautaires dont il demande l'interprétation et sur le lien qu'il établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige (ordonnances du 7 avril 1995, Grau Gomis e.a., C-167-94, Rec. p. I-1023, point 9, et Laguillaumie, précitée, point 16).
8. Enfin, il convient de rappeler que les informations fournies dans les décisions de renvoi ne servent pas seulement à permettre à la Cour de donner des réponses utiles, mais également à donner aux gouvernements des États membres ainsi qu'aux autres parties intéressées la possibilité de présenter des observations conformément à l'article 23 du statut de la Cour de justice (ordonnance Colonia Versicherung e.a., précitée, point 5). Il incombe à la Cour de veiller à ce que cette possibilité soit sauvegardée, compte tenu du fait que, en vertu de la disposition précitée, seules les décisions de renvoi sont notifiées aux parties intéressées (arrêt du 1er avril 1982, Holdijk e.a., 141-81 à 143-81, Rec. p. 1299, point 6; ordonnance du 13 mars 1996, Banco de Fomento e Exterior, C-326-95, Rec. p. I-1385, point 7; arrêt Lehtonen et Castors Braine, précité, point 23, et ordonnance Laguillaumie, précitée, point 14).
9. Force est de constater que les ordonnances de renvoi ne contiennent pas d'indications suffisantes de nature à répondre à ces exigences.
10. En effet, les ordonnances de renvoi ne définissent pas le cadre factuel et réglementaire dans lequel s'insèrent les questions posées par la juridiction de renvoi. Elles n'explicitent pas non plus les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont fondées. Les ordonnances indiquent seulement que ladite juridiction estime nécessaire de soumettre des questions préjudicielles à la Cour pour pouvoir statuer au principal.
11. En outre, la juridiction de renvoi n'explicite pas le lien qui devrait exister entre les articles 81 CE et 82 CE et la situation factuelle ou la législation nationale applicable. Ainsi, notamment, elle ne précise pas en quoi consisterait le cartel entre les sociétés d'assurances contraire à l'article 81 CE, ou l'abus de position dominante contesté au regard de l'article 82 CE. Elle n'indique pas davantage les dispositions nationales auxquelles elle devrait éventuellement donner une interprétation conforme ou qu'elle serait tenue d'écarter.
12. Dans ces conditions, une simple référence aux faits constatés dans d'autres jugements ou dans une décision de l'autorité compétente en matière de concurrence ne permettrait pas, en tout état de cause, à la Cour de donner des réponses utiles ni à mettre les gouvernements des États membres en mesure de présenter des observations.
13. Dès lors, il convient, dès ce stade de la procédure, de constater, en application des articles 92, paragraphe 1, et 103, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, que les questions posées sont manifestement irrecevables.
Décisions sur les dépenses
Sur les dépens
14. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Dispositif
Par ces motifs,
LA COUR (cinquième chambre)
ordonne:
1) Les affaires C-438-03, C-439-03, C-509-03 et C-2-04 sont jointes aux fins de l'ordonnance.
2) Les demandes de décision préjudicielle présentées par le Giudice di pace di Bitonto, par ordonnances des 6 octobre 2003 (C-438-03 et C-439-03), 21 novembre 2003 (C-509-03) et 20 décembre 2003 (C-2-04) sont irrecevables.