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Décisions

CJCE, 6 mars 2003, n° C-466/00

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

arrêt

PARTIES

Demandeur :

Arben Kaba

Défendeur :

Secretary of State for the Home Department

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rodríguez Iglesias

Présidents de chambre :

MM. Puissochet, Wathelet, Schintgen, Timmermans

Juges :

MM. Edward, Jann, von Bahr, Cunha Rodrigues, Mmes Macken, Colneric

Avocat général :

M. Ruiz-Jarabo Colomer

Avocats :

Mes Eicke, Rollason.

CJCE n° C-466/00

6 mars 2003

LA COUR

1 Par ordonnance du 19 décembre 2000, parvenue à la Cour le 27 décembre suivant, l'Immigration Adjudicator a posé, en application de l'article 234 CE, deux questions préjudicielles relatives à l'interprétation des principes généraux du droit régissant la procédure devant la Cour de justice ainsi que de l'article 7, paragraphe 2, du règlement CEE n° 1612-68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté (JO L 257, p. 2).

2 Ces questions ont été posées dans le cadre d'un litige opposant M. Kaba au Secretary of State for the Home Department au sujet du refus de ce dernier de lui accorder une autorisation de séjourner indéfiniment sur le territoire du Royaume-Uni.

Le cadre juridique

La réglementation communautaire

3 L'article 7, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 1612-68 prévoit:

"1. Le travailleur ressortissant d'un État membre ne peut, sur le territoire des autres États membres, être, en raison de sa nationalité, traité différemment des travailleurs nationaux, pour toutes conditions d'emploi et de travail, notamment en matière de rémunération, de licenciement et de réintégration professionnelle ou de réemploi s'il est tombé en chômage.

2. Il y bénéficie des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux."

4 L'article 10, paragraphe 1, dudit règlement est libellé comme suit:

"Ont le droit de s'installer avec le travailleur ressortissant d'un État membre employé sur le territoire d'un autre État membre, quelle que soit leur nationalité:

a) son conjoint et leurs descendants de moins de vingt et un ans ou à charge;

b) les ascendants de ce travailleur et de son conjoint qui sont à sa charge."

5 L'article 4, paragraphe 4, de la directive 68-360-CEE du Conseil, du 15 octobre 1968, relative à la suppression des restrictions au déplacement et au séjour des travailleurs des États membres et de leur famille à l'intérieur de la Communauté (JO L 257, p. 13), dispose :

"Lorsqu'un membre de la famille n'a pas la nationalité d'un État membre, il lui est délivré un document de séjour ayant la même validité que celui délivré au travailleur dont il dépend."

La réglementation nationale

6 Les dispositions pertinentes du droit national sont l'Immigration Act 1971 (loi de 1971 relative à l'immigration), l'Immigration (European Economic Area) Order 1994 (ordonnance de 1994 relative à l'immigration en provenance de l'Espace économique européen, ci-après l'"EEA Order") et les United Kingdom Immigration Rules (House of Commons Paper 395) (règles sur l'immigration adoptées par le Parlement du Royaume-Uni en 1994, ci-après les "Immigration Rules"), dans leur version en vigueur à la date des faits au principal. Ces dispositions régissent l'admission et le séjour au Royaume-Uni.

7 L'EEA Order a été abrogée par les Immigration (European Economic Area) Regulations 2000 (règlements de 2000 relatifs à l'immigration en provenance de l'Espace économique européen). Les dispositions de ceux-ci ne sont toutefois pas applicables à l'affaire au principal.

8 Le point 255 des Immigration Rules disposait:

"Un ressortissant de l'EEE [Espace économique européen] (autre qu'un étudiant), ou le membre de la famille d'une telle personne, qui a obtenu un permis de séjour ou un titre de séjour valide pour cinq ans, et qui a séjourné au Royaume-Uni, conformément aux dispositions de l'EEA Order 1994, pendant quatre ans et continue à y séjourner, peut, sur sa demande, voir apposer sur son permis de séjour ou, le cas échéant, son titre de séjour une mention indiquant qu'il est autorisé à séjourner indéfiniment sur le territoire du Royaume-Uni."

9 Le point 287 des Immigration Rules était libellé comme suit:

"Pour que le conjoint d'une personne présente et établie au Royaume-Uni obtienne une autorisation d'y séjourner indéfiniment, il faut:

i) que le demandeur ait été admis sur le territoire du Royaume-Uni ou ait obtenu une prolongation de séjour pour une période de douze mois et qu'il ait accompli une période de douze mois en tant que conjoint d'une personne présente et établie au Royaume-Uni, et

ii) que le demandeur soit toujours le conjoint de la personne qu'il a été autorisé à rejoindre ou en considération de laquelle il a obtenu une prolongation de séjour et que le mariage subsiste, et

iii) que chacune des parties ait l'intention de vivre de façon permanente avec l'autre en tant que conjoint."

10 Aux termes de l'article 33, paragraphe 2 A, de l'Immigration Act 1971, "les références à une personne établie au Royaume-Uni signifient que cette personne y est ordinairement résidente, sans être soumise, en vertu des lois sur l'immigration, à quelque restriction que ce soit en ce qui concerne la période pendant laquelle elle peut séjourner sur le territoire".

11 En vertu de la jurisprudence nationale pertinente, un travailleur migrant ressortissant d'un État membre de l'Union européenne qui réside au Royaume-Uni n'y est pas, de ce seul fait, "établi", au sens de cette disposition.

12 Selon le libellé de l'article 2, paragraphe 1, de l'EEA Order, un ressortissant de l'EEE est un ressortissant d'un État partie contractante à l'accord sur l'Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3), autre que le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord.

13 Aux termes de l'article 4, paragraphe 1, de l'EEA Order, une "personne qualifiée" avait le droit de séjourner au Royaume-Uni aussi longtemps qu'elle conservait cette qualité, ce droit étant étendu aux membres de la famille, y compris au conjoint, par l'article 4, paragraphe 2, de l'EEA Order. Selon l'article 6 de celle-ci, était notamment une "personne qualifiée" le ressortissant d'un État membre de l'EEE qui exerçait au Royaume-Uni une activité de travailleur.

14 L'article 7, paragraphe 1, de l'Immigration Act 1988 prévoit:

"Aux fins de la législation principale [l'Immigration Act 1971], il ne saurait être exigé d'une personne une autorisation d'entrée ou de séjour au Royaume-Uni si elle est habilitée par les dispositions du droit communautaire applicables ou par toute disposition prise en application de l'article 2, paragraphe 2, de la European Communities Act 1972 [loi de 1972 sur les Communautés européennes]."

15 En vertu de l'article 3, paragraphe 4, de l'Immigration Act 1971, une autorisation d'entrée ou de séjour devenait normalement caduque dès lors que son titulaire quittait le "common travel area" (c'est-à-dire le Royaume-Uni, l'Irlande, les îles anglo-normandes et l'île de Man).

16 Toutefois, le point 18 des Immigration Rules dispose:

"Une personne sollicitant une autorisation d'entrée au Royaume-Uni, en qualité de résident retournant au pays, peut être admise sur le territoire aux fins d'établissement si le fonctionnaire de l'immigration est convaincu que le demandeur satisfait aux conditions suivantes:

i) il était titulaire d'une autorisation d'entrer ou de séjourner indéfiniment au Royaume-Uni lorsqu'il a quitté le territoire pour la dernière fois;

ii) il n'a pas quitté le Royaume-Uni pour une période de plus de deux ans;

iii) il n'a pas bénéficié de fonds publics pour couvrir les frais de son départ du Royaume-Uni;

iv) il sollicite à présent une admission aux fins d'établissement."

Les faits et le litige au principal

17 M. Kaba, ressortissant yougoslave, est arrivé au Royaume-Uni le 5 août 1991. Sa demande d'autorisation d'entrer sur le territoire de cet État membre pour un mois en tant que visiteur a été rejetée, mais il n'a pas quitté le Royaume-Uni. En février 1992, une demande d'asile a été introduite en son nom.

18 Le 4 mai 1994, M. Kaba a épousé Mlle Michonneau, une ressortissante française, dont il a fait la connaissance en 1993 alors qu'elle travaillait au Royaume-Uni. Le couple a vécu ensemble depuis le mariage. Provisoirement retournée en France, Mme Michonneau est revenue au Royaume-Uni en janvier 1994 en tant que demandeur d'emploi et a trouvé un emploi en avril 1994. En novembre 1994, elle a obtenu un permis de séjour de cinq ans valable jusqu'au 2 novembre 1999. M. Kaba a obtenu une autorisation de séjourner sur le territoire du Royaume-Uni pour la même période, en tant qu'époux d'une ressortissante communautaire exerçant au Royaume-Uni les droits qu'elle tire du traité CE.

19 Le 23 janvier 1996, M. Kaba a introduit une demande d'autorisation de séjourner indéfiniment sur le territoire du Royaume-Uni.

20 Sa demande a été rejetée par décision du 9 septembre 1996 du Secretary of State for the Home Department. Par lettre du 3 octobre 1996, ce dernier a expliqué que M. Kaba ne remplissait pas les conditions exigées par le point 255 des Immigration Rules, puisque son épouse ne séjournait au Royaume-Uni conformément aux dispositions de l'EEA Order que depuis un an et dix mois.

21 Le 15 septembre 1996, M. Kaba a fait appel de cette décision devant l'Immigration Adjudicator, en faisant valoir que les dispositions des Immigration Rules applicables aux personnes "présentes et établies" au Royaume-Uni sont plus favorables que celles applicables à son épouse et à lui-même.

22 C'est dans ces circonstances que l'Immigration Adjudicator a, par ordonnance du 25 septembre 1998 (ci-après la "première ordonnance de renvoi"), décidé de surseoir à statuer une première fois et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

"1) Le droit de solliciter une autorisation de séjourner indéfiniment sur le territoire du Royaume-Uni et le droit de voir cette demande examinée sont-ils un `avantage social' au sens de l'article 7, paragraphe 2, du règlement (CEE) n° 1612-68?

2) L'obligation imposée aux conjoints de ressortissants communautaires d'avoir résidé au Royaume-Uni depuis quatre ans avant de pouvoir demander une autorisation de séjourner indéfiniment sur le territoire du Royaume-Uni et de voir cette demande examinée (voir le point 255 des Immigration Rules, House of Commons Paper 395), comparée à l'obligation d'un séjour de douze mois imposée aux conjoints de ressortissants britanniques et aux conjoints de personnes présentes et établies au Royaume-Uni (point 287 des Immigration Rules, House of Commons Paper 395), est-elle une discrimination illégale, contraire à l'article 7, paragraphe 2, du règlement (CEE) n° 1612-68?"

23 L'audience devant la Cour a eu lieu le 15 juin 1999 et l'avocat général a présenté ses conclusions le 30 septembre 1999 (ci-après les "premières conclusions"). Une version anglaise de celles-ci a été envoyée à M. Kaba le 27 janvier 2000.

24 Par télécopie du 3 février 2000, M. Kaba a fait part à la Cour des doutes qu'il avait quant à l'exactitude de certains points de fait sur lesquels semblaient être fondées les premières conclusions. Ces inexactitudes constituant, selon lui, des motifs exceptionnels justifiant la réouverture de la procédure orale, il a annoncé le dépôt prochain d'observations complémentaires.

25 Par télécopie du 16 mars 2000, M. Kaba a soumis des observations écrites complémentaires, dont la conclusion était libellée de la manière suivante:

"Les considérations qui précèdent sont étayées par des documents déjà soumis à la Cour. Toutefois, si celle-ci estimait nécessaire de rouvrir la procédure orale pour garantir la parfaite compréhension des aspects décisifs et rectifier les déductions erronées faites par l'avocat général, les conseils de M. Kaba y seraient tout disposés."

26 Par lettre en date du 31 mars 2000, le greffier de la Cour a accusé réception de ces observations écrites complémentaires et a précisé à l'intention de M. Kaba que le règlement de procédure de la Cour ne prévoyait pas le dépôt d'observations après la clôture de la procédure orale. Dans ces conditions, lesdites observations ont été renvoyées et n'ont pas été admises à faire partie du dossier de la Cour.

27 Dans son arrêt du 11 avril 2000, Kaba (C-356-98, Rec. p. I-2623), tel que rectifié par ordonnance du 4 mai 2001 (non publiée au Recueil), la Cour a dit pour droit:

"Une réglementation d'un État membre qui impose aux conjoints de travailleurs migrants ressortissants d'autres États membres d'avoir résidé pendant quatre ans sur le territoire de cet État membre avant de pouvoir demander une autorisation d'y séjourner indéfiniment et voir cette demande examinée, tandis qu'elle n'impose qu'une obligation de résidence de douze mois aux conjoints de personnes établies sur ledit territoire qui ne sont soumises à aucune restriction en ce qui concerne la période pendant laquelle elles peuvent y séjourner, ne constitue pas une discrimination contraire à l'article 7, paragraphe 2, du règlement [$] n° 1612-68 [$]"

28 À la suite de cet arrêt, M. Kaba a fait valoir devant l'Immigration Adjudicator que les premières conclusions étaient fondées sur une mauvaise compréhension des faits, tels que constatés dans la première ordonnance de renvoi, ainsi que de la réglementation nationale pertinente.

29 En effet, il estime, en premier lieu, que la Cour a qualifié à tort l'autorisation de séjourner indéfiniment au Royaume-Uni comme substantiellement plus sûre ou plus stable que le statut dont bénéficient les ressortissants communautaires à l'intérieur de cet État membre. Cette qualification a pu, selon l'Immigration Adjudicator, avoir été influencée par lesdites conclusions de M. l'avocat général qui aurait interprété les observations faites par le Gouvernement du Royaume-Uni comme fournissant une justification de la différence de traitement constatée entre une personne telle que M. Kaba et le conjoint d'une personne "présente et établie" au Royaume-Uni. Or, ces observations auraient en réalité été fondées sur la comparabilité des situations. La question de la justification n'aurait pas été soulevée au cours de la procédure devant la Cour.

30 En deuxième lieu, M. Kaba soutient que l'avocat général a requalifié les faits à la base de l'affaire au principal. L'Immigration Adjudicator se rallie à cette argumentation dans la mesure où, selon elle, le seul aspect problématique figurant dans la première ordonnance de renvoi était la différence entre les périodes de résidence exigées des deux catégories de personnes en question.

31 L'Immigration Adjudicator relève que, si l'autorisation de séjourner indéfiniment au Royaume-Uni ne peut être assortie d'une condition expresse quant à sa durée de validité, tel est également le cas du droit de séjour d'un travailleur ressortissant d'un État membre. Elle considère, en outre, que, dès lors qu'une personne titulaire d'une autorisation de séjourner indéfiniment quitte le Royaume-Uni, son autorisation devient caduque, en vertu de l'article 3, paragraphe 4, de l'Immigration Act 1971, et elle doit obtenir une nouvelle autorisation d'entrée, qui est subordonnée aux conditions fixées au point 18 des Immigration Rules. Elle fait valoir également que tant les titulaires d'une autorisation de séjourner indéfiniment au Royaume-Uni que les travailleurs ressortissants communautaires peuvent être expulsés de cet État membre pour des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique.

32 M. Kaba se réfère en outre à la pratique constante de la direction de la nationalité du Home Office (ministère de l'Intérieur) qui considérerait les ressortissants des États membres comme établis au Royaume-Uni, ce qui constitue un élément supplémentaire tendant à démontrer que les conjoints de ressortissants communautaires se trouvent dans une situation comparable à celle des conjoints de ressortissants britanniques et de personnes établies au Royaume-Uni. S'agissant de ce dernier point, l'Immigration Adjudicator ne se prononce pas davantage étant donné qu'elle ne dispose pas d'une argumentation complète à ce sujet.

33 En troisième lieu, l'Immigration Adjudicator constate que M. l'avocat général a déclaré, au point 3 des premières conclusions, que l'EEA Order ne visait pas les ressortissants britanniques ou les membres de leur famille. Or, une telle affirmation serait inexacte dans la mesure où l'EEA Order est appliquée, en conformité avec l'arrêt du 7 juillet 1992, Singh (C-370-90, Rec. p. I-4265), à tous les ressortissants britanniques et à leur famille qui retournent au Royaume-Uni après avoir exercé, dans un autre État membre, leurs droits découlant du traité.

34 Dans ces conditions, l'Immigration Adjudicator s'interroge sur la compatibilité du déroulement de la procédure devant la Cour avec l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la "CEDH"). Elle relève, à cet égard, que la procédure devant la Cour fait partie intégrante de la procédure devant elle et qu'elle est donc responsable de toute violation dudit article 6. Elle se réfère à cet égard à l'ordonnance du 4 février 2000, Emesa Sugar (C-17-98, Rec. p. I-665).

35 L'Immigration Adjudicator fait également état de certaines hésitations concernant la réponse donnée aux questions préjudicielles dans l'arrêt Kaba, précité.

36 C'est dans ces circonstances que l'Immigration Adjudicator a décidé de surseoir à statuer une seconde fois et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

"1) a) De quels mécanismes la juridiction de renvoi ou les parties à la procédure (devant la juridiction de renvoi et la Cour) disposent-elles pour assurer que l'ensemble de la procédure soit conforme aux obligations découlant de l'article 6 de la CEDH et, en conséquence, pour assurer qu'il ne se produise aucune violation de l'article 6 de la CEDH dont il faille répondre au regard de la législation nationale en matière de Droits de l'Homme ou devant la Cour européenne des Droits de l'Homme?

b) La procédure suivie dans la présente affaire était-elle conforme aux exigences de l'article 6 de la CEDH et, dans la négative, quelle incidence cette situation a-t-elle sur la validité du premier arrêt?

2) L'Immigration Adjudicator ayant constaté que le demandeur, d'une part, et le conjoint d'une personne présente et établie au Royaume-Uni, d'autre part, ont (ou auraient) fait l'objet d'un traitement différent dans la mesure où:

a) le demandeur, entré au Royaume-Uni en tant que conjoint d'un ressortissant de l'Union européenne exerçant des droits de libre circulation, était tenu de se trouver au Royaume-Uni depuis quatre ans avant de pouvoir demander une autorisation de séjourner indéfiniment au Royaume-Uni,

b) tandis que le conjoint d'une personne présente et établie au Royaume-Uni (qu'elle soit ressortissante britannique ou qu'elle ait été autorisée à séjourner indéfiniment au Royaume-Uni) aurait la possibilité après une année d'être autorisée à séjourner indéfiniment au Royaume-Uni;

aucune preuve (ou argumentation) concernant la justification de cette différence de traitement entre le demandeur et un tel conjoint d'une personne présente et établie n'ayant été fournie à la juridiction de renvoi, que ce soit lors de l'audience ayant conduit à l'ordonnance de renvoi du 25 septembre 1998, dans le cadre des observations écrites ou orales présentées par le défendeur devant la Cour de justice européenne ou lors de l'audience ayant conduit à la présente ordonnance de renvoi, et ce malgré la demande par l'Adjudicator d'une argumentation complète, l'Immigration Adjudicator pose les questions suivantes:

i) Quelle que soit la réponse à la première question ci-dessus, l'arrêt rendu par la Cour le 11 avril 2000 dans la présente affaire (C-356-98) doit-il être interprété en ce sens qu'il déclare que, dans ces circonstances, il y a eu discrimination contraire à l'article 39 CE et/ou à l'article 7, paragraphe 2, du règlement n° 1612-68?

ii) Après une nouvelle appréciation des faits, y a-t-il discrimination contraire à l'article 39 CE et/ou à l'article 7, paragraphe 2, du règlement n° 1612-68?"

Sur les questions préjudicielles

37 Afin de donner une réponse utile à la juridiction de renvoi, il convient de commencer par l'examen de la seconde question posée.

Sur la seconde question

38 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande en substance si la réponse donnée par la Cour aux questions préjudicielles dans l'arrêt Kaba, précité, aurait été différente si la Cour avait tenu compte de ce que, d'une part, la situation en droit national du conjoint d'un travailleur migrant ressortissant d'un État membre autre que le Royaume-Uni et celle du conjoint d'une personne "présente et établie" au Royaume-Uni sont en tous points comparables, sauf en ce qui concerne la période de séjour antérieur exigée aux fins de l'octroi d'une autorisation de séjourner indéfiniment sur le territoire du Royaume-Uni, et, d'autre part, aucun argument n'a été invoqué par les autorités compétentes du Royaume-Uni pour justifier une telle différence de traitement.

39 À titre liminaire, il convient de rappeler que l'autorité dont est revêtu un arrêt rendu en matière préjudicielle ne fait pas obstacle à ce que le juge national destinataire de cet arrêt puisse estimer nécessaire de saisir de nouveau la Cour avant de trancher le litige au principal. Un tel recours peut être justifié lorsque le juge national se heurte à des difficultés de compréhension ou d'application de l'arrêt, lorsqu'il pose à la Cour une nouvelle question de droit, ou encore lorsqu'il lui soumet de nouveaux éléments d'appréciation susceptibles de conduire la Cour à répondre différemment à une question déjà posée (ordonnance du 5 mars 1986, Wünsche, 69-85, Rec. p. 947, point 15).

40 Par ailleurs, il est de jurisprudence constante que, la faculté de déterminer les questions à poser étant dévolue au seul juge national, les parties ne peuvent en changer la teneur (arrêts du 15 juin 1972, Grassi, 5-72, Rec. p. 443, point 4, et du 21 mars 1996, Bruyère e.a., C-297-94, Rec. p. I-1551, point 19).

41 Il s'ensuit que la Cour doit en principe limiter son examen aux éléments d'appréciation que la juridiction de renvoi a décidé de lui soumettre. S'agissant de l'application de la réglementation nationale pertinente, la Cour doit, dès lors, s'en tenir à la situation que ladite juridiction considère comme établie et elle ne saurait être liée par des hypothèses émises par l'une des parties au principal, que la juridiction nationale se borne à reproduire sans prendre position à leur égard.

42 En ce qui concerne la question de savoir si le conjoint d'un travailleur migrant ressortissant d'un État membre autre que le Royaume-Uni se trouve dans une situation en tous points comparable à celle du conjoint d'une personne "présente et établie" au Royaume-Uni aux fins de l'octroi d'une autorisation de séjourner indéfiniment sur le territoire de celui-ci, la juridiction de renvoi relève que, selon sa propre appréciation, les deux situations ne se distinguent que par les différentes périodes de séjour exigées des deux catégories de personnes.

43 Il convient toutefois de préciser que la question de savoir si l'article 7, paragraphe 2, du règlement n° 1612-68 s'oppose à l'application d'une réglementation nationale au motif que celle-ci est discriminatoire est une question d'interprétation du droit communautaire.

44 Dès lors, la question de savoir si deux catégories de personnes se trouvent dans une situation comparable et doivent de ce fait bénéficier d'un avantage social dans les mêmes conditions est également une question d'interprétation du droit communautaire.

45 Il s'ensuit que la constatation opérée par une juridiction nationale selon laquelle deux catégories de personnes se trouvent dans une situation comparable du point de vue du droit national ne saurait empêcher la Cour de considérer, le cas échéant, que ces deux catégories présentent des différences au regard du droit communautaire.

46 En l'espèce, la Cour a constaté, au point 30 de l'arrêt Kaba, précité, que, en l'état actuel du droit communautaire, le droit de séjour des ressortissants d'un État membre sur le territoire d'un autre État membre n'est pas inconditionnel. Elle s'est référée à cet égard, d'une part, aux dispositions en matière de libre circulation des personnes contenues au titre III de la troisième partie du traité et aux dispositions du droit dérivé prises pour leur application et, d'autre part, aux dispositions de la deuxième partie du traité, et plus particulièrement à l'article 8 A du traité CE (devenu, après modification, article 18 CE), qui, tout en accordant aux citoyens de l'Union le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, renvoie expressément aux limitations et conditions prévues par le traité et par les dispositions prises pour son application.

47 Il y a lieu d'ajouter, en ce qui concerne plus précisément la situation d'un travailleur migrant ressortissant d'un État membre, que le droit de séjour de celui-ci n'est pas inconditionnel dans la mesure où il est subordonné au maintien de la qualité de travailleur ou, le cas échéant, de personne à la recherche d'un emploi (voir, à cet égard, arrêt du 26 février 1991, Antonissen, C-292-89, Rec. p. I-745), sauf s'il tire ce droit d'autres dispositions du droit communautaire.

48 En revanche, il ressort des informations fournies à la Cour au sujet de la réglementation nationale en cause au principal qu'une personne "présente et établie" au Royaume-Uni n'est soumise à aucune restriction en ce qui concerne la période pendant laquelle elle peut séjourner sur le territoire de cet État membre et qu'elle ne doit, pendant son séjour, remplir aucune condition comparable à celles prévues par les dispositions du droit communautaire mentionnées au point 46 du présent arrêt.

49 Il s'ensuit que le droit de séjour conféré par ces dernières dispositions aux ressortissants d'autres États membres n'est pas en tous points comparable à celui dont bénéficie une personne "présente et établie" au Royaume-Uni en vertu de la législation de cet État membre.

50 Le droit de séjour de ces deux catégories de personnes n'étant pas en tous points comparable, il en est de même de la situation de leurs conjoints, s'agissant en particulier de la question de savoir quelle est la durée de la période de séjour à l'issue de laquelle un droit de séjourner indéfiniment sur le territoire du Royaume-Uni peut leur être conféré.

51 La juridiction de renvoi invoque toutefois différents éléments afin de démontrer que les situations en question sont comparables.

52 Elle fait observer, en premier lieu, que ni l'autorisation de séjourner indéfiniment sur le territoire du Royaume-Uni ni le droit de séjour d'un travailleur migrant communautaire ne sont assortis d'une condition expresse quant à leur durée de validité. En deuxième lieu, l'autorisation de séjourner indéfiniment deviendrait caduque dès lors que le bénéficiaire de celle-ci quitte le Royaume-Uni. En troisième lieu, tout comme les travailleurs migrants d'autres États membres, les titulaires d'une autorisation de séjourner indéfiniment au Royaume-Uni pourraient être expulsés pour des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique. En quatrième lieu, l'EEA Order s'appliquerait non seulement aux ressortissants d'États membres autres que le Royaume-Uni, mais également aux ressortissants britanniques et aux membres de leur famille qui retournent au Royaume-Uni après avoir exercé leurs droits découlant du traité dans un autre État membre.

53 Il y a lieu de constater qu'aucun de ces éléments n'infirme le bien-fondé de l'interprétation selon laquelle les situations ne sont pas en tous points comparables en ce qu'un travailleur migrant ressortissant d'un État membre autre que le Royaume-Uni doit continuer à remplir certaines conditions afin de conserver son droit de séjour, lesquelles ne sont pas exigées d'une personne "présente et établie" au Royaume-Uni.

54 Ne sont pertinents à cet égard ni le fait que ces conditions ne consistent pas en une limitation expresse de la durée de séjour dans le temps ni le fait que l'autorisation de séjourner indéfiniment peut également, dans certaines circonstances, cesser de produire ses effets. La circonstance que l'EEA Order est susceptible de s'appliquer également à des ressortissants britanniques est, elle aussi, dépourvue d'incidence à cet égard.

55 Au demeurant, il ressort de ce qui précède que le raisonnement suivi par la Cour dans son arrêt Kaba, précité, est fondé sur l'absence de comparabilité des situations en cause et non pas sur la justification d'une différence de traitement entre le conjoint d'un travailleur migrant ressortissant d'un État membre autre que le Royaume-Uni et celui d'une personne "présente et établie" au Royaume-Uni, les situations régies respectivement par les articles 255 et 287 des Immigration Rules n'étant pas comparables.

56 Il convient par conséquent de répondre à la seconde question que la réponse donnée par la Cour aux questions préjudicielles dans son arrêt Kaba, précité, n'aurait pas été différente si la Cour avait tenu compte de ce que la situation en droit national du conjoint d'un travailleur migrant ressortissant d'un État membre autre que le Royaume-Uni et celle du conjoint d'une personne "présente et établie" au Royaume-Uni sont, selon la juridiction de renvoi, en tous points comparables, sauf en ce qui concerne la période de séjour antérieur exigée aux fins de l'octroi d'une autorisation de séjourner indéfiniment sur le territoire du Royaume-Uni. En raison de l'absence de comparabilité des situations en droit communautaire, la question de savoir si une telle différence de traitement peut être justifiée est dépourvue de pertinence à cet égard.

Sur la première question

57 En examinant la seconde question posée, la Cour a répondu aux doutes qui ont incité la juridiction de renvoi à poser de nouvelles questions préjudicielles.

58 Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de répondre à la première question.

Sur les dépens

59 Les frais exposés par les Gouvernements du Royaume-Uni et néerlandais, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur les questions à elle soumises par l'Immigration Adjudicator, par ordonnance du 19 décembre 2000, dit pour droit:

La réponse donnée par la Cour aux questions préjudicielles dans son arrêt du 11 avril 2000, Kaba (C-356-98), n'aurait pas été différente si la Cour avait tenu compte de ce que la situation en droit national du conjoint d'un travailleur migrant ressortissant d'un État membre autre que le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord et celle du conjoint d'une personne "présente et établie" au Royaume-Uni sont, selon la juridiction de renvoi, en tous points comparables, sauf en ce qui concerne la période de séjour antérieur exigée aux fins de l'octroi d'une autorisation de séjourner indéfiniment sur le territoire du Royaume-Uni. En raison de l'absence de comparabilité des situations en droit communautaire, la question de savoir si une telle différence de traitement peut être justifiée est dépourvue de pertinence à cet égard.