CJCE, 6e ch., 11 mars 2004, n° C-496/01
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes
Défendeur :
République française
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Skouris
Juges :
MM. Gulmann, Puissochet, Schintgen, Mme Colneric
Avocat général :
M. Mischo.
LA COUR (sixième chambre)
1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 21 décembre 2001, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 226 CE, un recours visant à faire constater que,
- en imposant aux laboratoires d'analyses de biologie médicale établis dans d'autres États membres la condition d'avoir leur siège d'exploitation sur le territoire français afin d'obtenir l'autorisation de fonctionnement nécessaire;
- en excluant tout remboursement des frais pour des analyses de biologie médicale effectuées par un laboratoire d'analyses de biologie médicale établi dans un autre État membre, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 43 CE et 49 CE.
Le cadre juridique
La réglementation nationale relative à la santé publique
2. La réglementation française relative à la santé publique figure au Code de la santé publique. La partie législative de celui-ci a été refondue par l'ordonnance n° 2000548, du 15 juin 2000, relative à la partie Législative du Code de la santé publique (JORF du 22 juin 2000, p. 9340), et publiée en annexe à cette ordonnance. Cette refonte a eu pour objectif essentiel d'ordonner, selon un plan rationnel, les textes applicables et de renuméroter les anciens articles dudit Code.
3. L'article L. 6211-1 de ce Code dispose que les analyses de biologie médicale sont les examens biologiques qui concourent au diagnostic, au traitement ou à la prévention des maladies humaines ou qui font apparaître toute autre modification de l'état physiologique, à l'exclusion des actes d'anatomie et de cytologie pathologiques exécutés par les médecins spécialistes de cette discipline. Les laboratoires ne peuvent exercer leurs activités que sous la responsabilité de leurs directeurs ou directeurs adjoints.
4. En vertu de l'article L. 6221-1 du Code de la santé publique, les directeurs et directeurs adjoints de laboratoire doivent être titulaires de l'un des titres ou diplômes permettant l'exercice de la médecine, de la pharmacie ou de l'art vétérinaire, être inscrits au tableau de l'ordre professionnel dont ils relèvent et avoir reçu une formation spécialisée. Cette dernière peut être prouvée par des certificats d'études spéciales, dispenses, équivalences ou diplômes d'études spécialisées de biologie médicale.
5. Aux termes de l'article L. 6211-2 du Code de la santé publique:
"Aucun laboratoire d'analyses de biologie médicale ne peut fonctionner sans une autorisation administrative.
Sans préjudice des dispositions de l'article L. 6122-1 relatives aux équipements matériels lourds, cette autorisation est délivrée lorsque sont remplies les conditions fixées par le présent livre et par le décret prévu à l'article L. 6211-9 qui détermine le nombre et la qualification du personnel technique ainsi que les normes applicables à l'installation et à l'équipement des laboratoires.
Ce décret peut fixer des conditions particulières applicables aux laboratoires dont l'activité est limitée à certains actes qu'il détermine. L'autorisation délivrée à ces laboratoires porte mention de cette limitation.
[...]
L'autorisation est retirée lorsque les conditions légales ou réglementaires cessent d'être remplies."
6. La procédure d'obtention de ladite autorisation est déterminée aux articles 15 à 17 du décret n° 76-1004, du 4 novembre 1976, fixant les conditions d'autorisation des laboratoires d'analyses de biologie médicale (JORF du 6 novembre 1976, p. 6449).
7. L'article 15 dudit décret dispose:
"La demande d'autorisation prévue à l'article L. 757 [devenu article L. 6211-2] du Code de la santé publique est adressée, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, au préfet du département dans lequel le laboratoire doit être exploité.
La demande précise les conditions d'exploitation, indique l'importance de l'activité prévue pour la première année et est accompagnée des pièces justificatives, et notamment:
De la description et du plan des locaux;
De la liste complète du matériel;
De la liste des directeurs, directeurs adjoints et techniciens et de leurs titres et diplômes;
Des statuts sociaux, s'il y a lieu.
[...]
L'auteur de la demande précise, le cas échéant, la ou les catégories d'analyses pour lesquelles l'autorisation est sollicitée."
8. Dès lors que les conditions requises sont remplies, l'autorisation de fonctionnement est délivrée, en vertu de l'article L. 6211-2 du Code de la santé publique, de droit au demandeur. De plus, il est prévu une enquête sur place par un médecin ou un pharmacien inspecteur de santé publique.
9. L'article L. 6211-3 du Code de la santé publique prévoit que seuls peuvent utiliser l'appellation de laboratoires d'analyses de biologie médicale les laboratoires qui ont obtenu ladite autorisation.
10. Quant au retrait de l'autorisation, l'article 24 du décret n° 76-1004 dispose:
"Sans préjudice des dispositions du dernier alinéa de l'article L. 757 [devenu article L. 6211-2] du Code de la santé publique et de celles de l'article 9 du décret du 15 février 1983 susvisé, le retrait de l'autorisation peut être prononcé par le préfet lorsqu'il a établi, après enquête d'un médecin ou d'un pharmacien inspecteurs de la santé, que le laboratoire fonctionne dans des conditions dangereuses pour la santé publique.
Cette décision de retrait d'autorisation ne peut intervenir qu'après que le responsable du laboratoire a été mis en demeure de présenter ses observations dans un délai d'un mois sur les faits de nature à justifier la décision.
En cas d'urgence, le préfet peut, sans procédure préalable, prononcer une suspension d'autorisation pour une durée qui ne peut être supérieure à un mois.
La décision de retrait ou de suspension est notifiée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception."
11. S'agissant de l'exploitation d'un laboratoire d'analyses de biologie médicale, la réglementation française prévoit des règles précises en ce qui concerne la réalisation de certaines analyses, telles que le dépistage des anticorps anti-VIH et l'analyse immuno-hématologie.
12. De plus, le fonctionnement des laboratoires doit respecter les règles définies dans le guide de bonne exécution des analyses de biologie médicale (ci-après le "GBEA"), annexé à l'arrêté, du 26 novembre 1999, relatif à la bonne exécution des analyses de biologie médicale (JORF du 11 décembre 1999, p. 18441). Il constitue un ensemble de règles techniques définissant l'acte de biologie dans toutes ses étapes, c'est-à-dire du prélèvement de l'échantillon au rendu de résultats validés.
13. Le GBEA revêt un caractère réglementaire et s'impose par conséquent aux laboratoires. Il est donc applicable aux biologistes. Le non-respect de ses dispositions peut ainsi entraîner le retrait de l'autorisation de fonctionnement.
14. La réglementation française impose également des contraintes lors de la rédaction du compte rendu des résultats. Pour un certain nombre d'analyses, celui-ci doit comporter une interprétation des résultats de la part du biologiste afin d'apporter une aide au diagnostic pour le médecin prescripteur.
15. Quant au contrôle des laboratoires d'analyses de biologie médicale, le respect de la réglementation française concernant l'ouverture et le fonctionnement de ces laboratoires fait l'objet de contrôles par l'administration afin de garantir la protection de la santé publique. Il existe deux types de contrôles: les inspections et les contrôles de qualité des analyses.
16. En ce qui concerne les inspections au sein des laboratoires d'analyses de biologie médicale, l'article L. 6213-1 du Code de la santé publique dispose que le contrôle des laboratoires est assuré par les médecins et les pharmaciens inspecteurs de santé publique et par l'inspection générale des affaires sociales.
17. Les inspections effectuées par des médecins ou des pharmaciens inspecteurs de santé publique visent essentiellement à vérifier le respect des conditions de fonctionnement des laboratoires: les locaux, le matériel, le nombre de directeurs et de directeurs adjoints, la qualification et l'effectif des techniciens, l'organisation du laboratoire, l'exécution des analyses et l'assurance qualité ainsi que, de manière générale, le respect de l'ensemble des dispositions législatives et réglementaires, notamment du GBEA.
18. En outre, les inspections ont pour objectif de s'assurer que des mesures correctives ont été prises lorsque les résultats du contrôle de qualité d'un laboratoire font apparaître des anomalies répétées ou importantes au regard de leur utilisation médicale. L'article 9 du décret n° 94-1049, du 2 décembre 1994, relatif au contrôle de qualité des analyses de biologie médicale prévu par l'article L. 761-14 [devenu article L. 6213-3] du Code de la santé publique (JORF du 8 décembre 1994, p. 17382), précise à cet égard:
"Lorsque les résultats du contrôle de qualité d'un laboratoire présentent des anomalies répétées ou importantes au regard de leur utilisation médicale, le cas de ce laboratoire est soumis anonymement à la commission du contrôle de qualité qui se prononce sur le caractère de gravité de ces anomalies. Lorsque celles-ci sont jugées graves, le laboratoire est obligatoirement signalé par le directeur général de l'Agence du médicament au ministre chargé de la santé à qui il communique les résultats, en vue de réaliser un contrôle prévu à l'article L. 761-13 [devenu article L. 6213-1] du Code de la santé publique qui devra notamment vérifier les mesures prises par le laboratoire pour améliorer la qualité des analyses."
19. S'agissant des contrôles de qualité des analyses, l'article L. 6213-3 du Code de la santé publique prévoit qu'ils sont exécutés, selon des modalités fixées par décret, par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé.
20. Ces contrôles ont pour but de garantir la qualité des résultats des analyses effectuées par chacun des laboratoires. Ainsi qu'il découle du décret n° 94-1049, ils tendent, d'une part, à assurer la fiabilité et le perfectionnement des analyses de biologie médicale et, d'autre part, à permettre à chaque laboratoire de vérifier la valeur de ses méthodes et de son bon fonctionnement.
La réglementation nationale relative à la sécurité sociale
21. Les conditions de prise en charge des prestations des laboratoires par l'assurance maladie sont régies par la réglementation relative à la sécurité sociale.
22. L'article L. 162-13 du Code de la sécurité sociale dispose:
"En ce qui concerne les analyses et examens de laboratoires, l'assuré a le libre choix entre les laboratoires agréés, pour chaque catégorie d'analyses, quelle que soit la qualité de l'exploitant. Les conditions d'agrément sont fixées par arrêté interministériel."
23. Le montant total des frais d'analyses et d'examens de laboratoire pris en charge par les régimes d'assurance maladie, ainsi que la participation de l'assuré, sont fixés, en vertu de l'article L. 162-14 du Code de la sécurité sociale, par une convention nationale entre la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés et au moins une autre caisse nationale d'assurance maladie, d'une part, et les syndicats des directeurs de laboratoires d'analyses de biologie médicale reconnus les plus représentatifs au niveau national, d'autre part. La convention nationale a été signée le 26 juillet 1994 et approuvée par arrêté interministériel du 30 septembre 1994 (JORF du 14 octobre 1994, p. 14552).
24. En vertu de l'article 2 de la convention nationale du 26 juillet 1994, les caisses d'assurance maladie ne peuvent pas déroger au principe du libre choix du laboratoire tel que fixé à l'article L. 162-13 du Code de la sécurité sociale. Elles peuvent seulement refuser de prendre en charge les dépenses supplémentaires résultant du choix d'un laboratoire autre que l'un de ceux de l'agglomération où réside l'assuré ou, à défaut, de l'agglomération la plus proche.
25. Sauf notification expresse de la part du directeur d'un laboratoire selon laquelle il n'entend pas se placer sous le régime de la convention en vigueur, les laboratoires français répondant aux conditions de la réglementation relative à la santé publique sont réputés conventionnés et les analyses y effectuées sont prises en charge sur la base des tarifs fixés par la convention et de la cotation prévue par la nomenclature des actes de biologie médicale.
26. Toutefois, l'article L. 332-3 du Code de la sécurité sociale interdit que des prestations des assurances maladie et maternité soient fournies lorsque les soins sont dispensés hors de France aux assurés et à leur ayants droit.
27. L'article R. 332-2 du même Code établit des dérogations à ce principe. Il ne prévoit pas la possibilité d'une convention entre les caisses de maladie et des laboratoires établis en dehors du territoire français. En ce qui concerne les prestations médicales effectuées à l'étranger, l'article R. 332-2, dernier alinéa, dudit Code dispose:
"[...] les caisses d'assurance maladie pourront, à titre exceptionnel, et après avis favorable du contrôle médical, procéder au remboursement forfaitaire des soins dispensés en dehors de la France à un assuré social ou ayant droit d'assuré social, lorsque celui-ci aura établi qu'il ne pouvait recevoir sur le territoire français les soins appropriés à son état."
Procédure précontentieuse
28. À la suite d'une plainte d'un laboratoire allemand au sujet de la réglementation française relative aux laboratoires d'analyses de biologie médicale, les services de la Commission ont, par lettre du 18 mars 1999, demandé des informations aux autorités françaises qui ont répondu le 21 septembre 1999.
29. Par lettre de mise en demeure du 1er février 2000, la Commission a indiqué au Gouvernement français que certaines dispositions de la réglementation française concernée posaient, selon elle, des problèmes de compatibilité avec le droit d'établissement et la libre prestation des services prévus aux articles 43 CE et 49 CE.
30. Les autorités françaises n'ayant pas répondu à cette lettre, la Commission a adressé, le 24 janvier 2001, un avis motivé à la République française, l'invitant à prendre les mesures requises pour se conformer à cet avis dans un délai de deux mois à compter de sa notification.
31. Les autorités françaises ont répondu à l'avis motivé par lettre du 6 juin 2001 en rejetant les griefs soulevés par la Commission. N'étant pas satisfaite de cette réponse, la Commission a introduit le présent recours.
Sur le recours
32. Selon la Commission, il existe, dans le cas d'espèce, deux types d'entraves à l'exercice du droit au libre établissement et à la libre prestation des services, à savoir:
a) l'entrave causée par la condition d'avoir le siège d'exploitation en France, en vertu de l'article 15 du décret n° 76-1004, et
b) l'entrave causée par le refus du remboursement des frais d'analyses effectuées par un laboratoire étranger, selon les articles L. 332-3 et R. 332-2 du Code de la sécurité sociale.
Le grief tiré de l'exigence d'avoir un siège d'exploitation en France
Argumentation des parties
33. La Commission reproche à la République française de priver un laboratoire qui a son siège d'exploitation dans un autre État membre de la possibilité de créer un établissement secondaire en France, au sens de l'article 43, second alinéa, CE, ou de répondre à des demandes d'assurés français à partir de son siège d'exploitation à l'étranger.
34. Ne contestant pas la possibilité pour un État membre de prévoir un régime d'autorisation pour les activités d'un laboratoire, la Commission soutient qu'un tel régime doit toutefois tenir compte des prescriptions et des garanties déjà remplies dans l'État membre d'établissement. S'il en était autrement, l'absence de prise en compte des garanties déjà remplies dans un autre État membre se heurterait au principe de proportionnalité selon lequel les objectifs poursuivis devraient être atteints par des mesures moins restrictives (voir, en ce sens, arrêts du 17 décembre 1981, Webb, 279-80, Rec. p. 3305, point 20, et du 20 mai 1992, Ramrath, C-106-91, Rec. p. I-3351, point 31).
35. La Commission fait valoir que cette double série d'exigences peut décourager non seulement l'exercice du droit de créer un établissement secondaire, mais aussi celui de la libre prestation des services. Le fait d'imposer aux prestataires de services les mêmes conditions que celles applicables à un établissement constituerait une charge supplémentaire disproportionnée, étant donné le caractère provisoire de leur prestation (voir, en ce sens, arrêt du 25 juillet 1991, Säger, C-76-90, Rec. p. I4221, point 13).
36. Selon la Commission, la réglementation française relative à la santé publique est aussi discriminatoire dans la mesure où les prestations fournies en dehors du territoire français ne sont pas autorisées.
37. L'exigence que le siège d'exploitation se trouve en France ne serait pas justifiée.
38. L'entrave en cause ne saurait être justifiée que par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique, visées à l'article 46, paragraphe 1, CE, en liaison avec l'article 55 CE en ce qui concerne la libre prestation des services, dans la mesure où il s'agit de restrictions discriminatoires. Or, l'article 46, paragraphe 1, CE ne permettrait pas d'exclure tout un secteur économique, tel que celui en cause, de l'application des principes du droit d'établissement et de la libre prestation des services (voir, en ce sens, arrêts du 28 avril 1998, Kohll, C-158-96, Rec. p. I-1931, et du 29 octobre 1998, Commission/Espagne, C-114-97, Rec. p. I6717).
39. S'agissant des restrictions non discriminatoires, celles-ci pourraient être justifiées par des raisons impérieuses d'intérêt général, à condition que ces restrictions soient propres à garantir la réalisation de l'objectif qu'elles poursuivent et qu'elles n'aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre.
40. La Commission rejette toutes les raisons invoquées à cet égard par les autorités françaises.
41. En ce qui concerne la qualité des services médicaux, la Commission relève que celle-ci est garantie en vertu de plusieurs directives de coordination et de reconnaissance concernant les conditions d'accès et d'exercice des activités de médecin, de pharmacien et de vétérinaire. Les conditions d'accès et d'exercice concernant des qualifications spécialisées ne rentrant pas dans le champ d'application de ces directives pourraient relever directement de l'application des articles 43 CE et 49 CE, selon les arrêts du 7 mai 1991, Vlassopoulou (C-340-89, Rec. p. I-2357, point 13), et du 14 septembre 2000, Hocsman (C-238-98, Rec. p. I6623, points 21 à 24 et 36), ainsi que des systèmes généraux de reconnaissance professionnelle des diplômes, à savoir la directive 89-48-CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, relative à un système général de reconnaissance des diplômes d'enseignement supérieur qui sanctionnent des formations professionnelles d'une durée minimale de trois ans (JO 1989, L 19, p. 16), et la directive 92-51-CEE du Conseil, du 18 juin 1992, relative à un deuxième système général de reconnaissance des formations professionnelles, qui complète la directive 89-48-CEE (JO L 209, p. 25).
42. La Commission soutient, en citant l'arrêt du 23 novembre 1999, Arblade e.a. (C-369-96 et C-376-96, Rec. p. I-8453, point 34), que les différentes directives relatives à la reconnaissance mutuelle rendent plus facile une partie des contrôles à effectuer. Il s'agirait donc d'éléments qui prouvent que la nécessité des contrôles ne constitue pas une raison suffisante pour justifier l'exigence relative au siège d'exploitation.
43. En ce qui concerne les contrôles, l'exigence d'un établissement stable ne peut être justifiée, selon la Commission, que très exceptionnellement, si les autorités démontrent que leur mission de contrôle ne pourrait pas être exécutée autrement, ce qui ne serait pas le cas dans l'affaire en cause. La condition du siège d'exploitation sur le territoire français ne serait pas indispensable si la délivrance de l'autorisation administrative de fonctionnement était subordonnée à l'exigence que le laboratoire établi en dehors dudit territoire accepte que tous les contrôles nécessaires pour l'accomplissement de la mission des autorités françaises soient effectués dans ses locaux. Par ailleurs, les objectifs de contrôle pourraient être pleinement atteints par des mesures d'organisation appropriées au stade de l'instruction des dossiers et de la délivrance de l'autorisation de fonctionnement, notamment par une autorisation limitée dans le temps.
44. Pour que les analyses effectuées en dehors de la France puissent être évaluées selon les standards français, les laboratoires établis dans d'autres États membres pourraient convenir, sur une base volontaire, d'adhérer aux standards français au moment de la demande d'autorisation. De plus, les inspecteurs français pourraient se déplacer pour effectuer les contrôles, le coût de déplacement étant éventuellement supporté par les laboratoires prestataires des services, pour autant que ce contrôle soit librement consenti de la part des laboratoires en question.
45. La Commission précise que les dispositions de la directive 98-79-CE du Parlement européen et du Conseil, du 27 octobre 1998, relative aux dispositifs médicaux de diagnostic in vitro (JO L 331, p. 1), constituent un élément utile d'appréciation et peuvent être utilisées comme un exemple de mesures plus proportionnées par rapport au but visé (voir, en ce sens, arrêt du 11 mai 1999, Monsees, C-350-97, Rec. p. I-2921, point 30).
46. La Commission reproche à la République française de ne pas avoir expliqué si et pourquoi son propre système assurerait un niveau plus élevé de contrôle de qualité, ainsi que les raisons pour lesquelles des contrôles en aveugle ne sont pas possibles sur des échantillons qui proviennent des laboratoires établis dans d'autres États membres et celles pour lesquelles des contrôles effectués dans d'autres États membres sont d'emblée jugés inaptes à assurer le niveau de protection visé en France.
47. En ce qui concerne l'efficacité des sanctions à l'encontre des laboratoires, la Commission fait valoir que celle-ci peut également être assurée par des mesures moins contraignantes que la condition d'avoir le siège d'exploitation sur le territoire français. La République française pourrait, à titre de sanctions, exclure le laboratoire situé dans un autre État membre du système français de remboursement par le biais du retrait ou du non-renouvellement de l'autorisation. Les autorités françaises pourraient également informer les autorités de l'État membre d'établissement afin de permettre à ces dernières de prendre des mesures appropriées. De plus, il serait possible de garantir le paiement des amendes imposées aux directeurs de laboratoire en conditionnant la délivrance de l'autorisation de fonctionnement à l'existence d'une caution financière adéquate.
48. En ce qui concerne le maintien d'une capacité de soins sur le territoire national, la Commission soutient qu'il n'est pas prouvé, conformément au point 51 de l'arrêt Kohll, précité, qu'un service médical équilibré et accessible à tous ne pourrait pas être assuré autrement que par un siège d'exploitation en France.
49. Le Gouvernement français admet que la condition du siège d'exploitation sur le territoire français peut être qualifiée d'entrave à la libre prestation des services. Toutefois, celle-ci serait justifiée par une raison impérieuse d'intérêt général, à savoir la protection de la santé publique, et proportionnée à l'objectif poursuivi.
50. Il note l'absence de règles d'harmonisation portant sur le fonctionnement des laboratoires d'analyses de biologie médicale. Faute d'harmonisation communautaire, les autorités françaises seraient en droit, afin de garantir un niveau élevé de protection de la santé publique, d'imposer aux laboratoires d'analyses de biologie médicale les règles nationales strictes figurant dans la réglementation française et notamment dans le GBEA.
51. Le Gouvernement français fait valoir que les directives relatives à la reconnaissance mutuelle des diplômes de médecins, de pharmaciens et de vétérinaires ne portent que sur le niveau de qualification des directeurs de ces laboratoires. En conséquence, leur existence ne permettrait, en aucun cas, de considérer que les activités des laboratoires d'analyse de biologie médicale seraient harmonisées.
52. Le Gouvernement français soutient qu'il ne peut pas juger les niveaux du contrôle existant dans les autres États membres. Il appartiendrait à la Commission de démontrer que les critères de qualité et les modalités de contrôle sont équivalents à ceux en vigueur en France. Il fait également valoir qu'il n'est pas possible de comparer le régime des dispositifs médicaux de diagnostic in vitro, tel que défini par la directive 98-79, avec la situation des laboratoires d'analyses de biologie médicale.
53. En ce qui concerne le respect du principe de proportionnalité, le Gouvernement français ne conteste pas que sa réglementation sur le fonctionnement des laboratoires d'analyses de biologie médicale empêche toute prestation de service d'un laboratoire d'un autre État membre. Toutefois, il fait valoir que, conformément au point 52 de l'arrêt du 4 décembre 1986, Commission/Allemagne (205-84, Rec. p. 3755), et au point 27 de l'arrêt du 9 mars 2000, Commission/Belgique (C-355-98, Rec. p. I-1221), les conditions de l'exigence d'un établissement stable sur le territoire français sont remplies. La Commission n'aurait pas montré dans quelles conditions la mission de contrôle des autorités françaises pourrait être effectuée de manière plus proportionnée dans ce domaine d'activités. En l'absence d'harmonisation communautaire ou d'accords bilatéraux, il serait impossible d'effectuer des contrôles par ses inspecteurs dans les laboratoires d'analyses de biologie médicale établis dans d'autres États membres. Par ailleurs, faute d'harmonisation des critères de qualité et des modalités de contrôle dans la Communauté, les autres États membres ne pourraient effectuer ces contrôles à la place des autorités françaises, lesquelles ne pourraient pas reconnaître a priori pour équivalents des contrôles effectués dans d'autres États membres.
54. Le Gouvernement français décrit en détail l'étendue et les modalités des contrôles effectués par ses autorités et observe que ces contrôles sont strictement liés aux contraintes d'exercice imposées par la réglementation française dans un souci de protection de la santé publique. Pour certaines analyses, des méthodes spécifiques et une interprétation des résultats auraient été imposées. Si des analyses étaient effectuées dans un autre État membre, il y aurait un risque plus élevé de fausse interprétation des résultats, ce qui entraînerait un véritable risque pour la santé des patients.
Appréciation de la Cour
55. À titre liminaire, il y a lieu de relever que, en l'absence d'harmonisation d'une activité professionnelle, les États membres demeurent, en principe, compétents pour définir l'exercice de cette activité, mais doivent exercer leurs compétences dans ce domaine dans le respect des libertés fondamentales garanties par le traité (voir, notamment, arrêts du 3 octobre 2000, Corsten, C-58-98, Rec. p. I-7919, point 31; du 1er février 2001, Mac Quen e.a., C-108-96, Rec. p. I-837, point 24, et du 11 juillet 2002, Gräbner, C-294-00, Rec. p. I-6515, point 26).
56. En l'occurrence, il n'est pas contesté que, bien qu'il existe des mesures d'harmonisation au niveau de la reconnaissance mutuelle des diplômes de médecins, de pharmaciens et de vétérinaires, aucune mesure d'harmonisation n'a été prise pour régler spécifiquement l'exercice des activités des laboratoires d'analyses de biologie médicale.
57. Sont par conséquent régies par les dispositions des articles 43 CE et 49 CE des activités telles que celles exercées par de tels laboratoires.
- Quant à la liberté d'établissement
58. En ce qui concerne le grief relatif à l'exigence d'un siège d'exploitation en France, il convient de rappeler tout d'abord que la liberté d'établissement reconnue par l'article 43 CE aux ressortissants communautaires comporte pour ces derniers le droit d'accéder aux activités non salariées et de les exercer ainsi que celui de constituer et de gérer des entreprises dans les mêmes conditions que celles définies par la législation de l'État membre d'établissement pour ses propres ressortissants. En outre, l'article 48 CE assimile aux personnes physiques, ressortissantes des États membres, les sociétés constituées en conformité avec la législation d'un État membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l'intérieur de la Communauté.
59. Or, il ne ressort pas de la législation française et il n'est pas non plus démontré par la Commission qu'un ressortissant d'un État membre autre que la République française ou une société constituée en conformité avec la législation d'un État membre et ayant son siège statutaire, son administration centrale ou son principal établissement dans un État membre autre que la République française ne pourrait gérer, en France, un laboratoire comme succursale ou filiale d'un laboratoire qu'il ou elle gère également dans un autre État membre.
60. Il n'est notamment pas exclu qu'un ressortissant d'un autre État membre puisse exercer les fonctions de directeur de laboratoire lorsqu'il remplit lui-même les conditions posées par la législation française, ne serait-ce que par le biais de la reconnaissance de ses diplômes acquis dans un autre État membre.
61. La Commission ne démontre pas non plus que cette législation prescrirait à un laboratoire établi dans un autre État membre de transférer l'ensemble de ses activités en France de telle sorte que l'établissement situé en France ne soit plus un siège secondaire, mais deviendrait le seul siège d'exploitation de la société en question.
62. D'ailleurs, la Commission n'a ni avancé, à la lumière de la réglementation française, d'autres cas de figure susceptibles de constituer une atteinte à la liberté d'établissement, ni précisé de quelle autre façon cette liberté pourrait être affectée.
63. Dès lors, il y a lieu de rejeter le premier grief dans la mesure où il est reproché à la République française d'avoir manqué à ses obligations découlant de l'article 43 CE, en exigeant pour les laboratoires d'analyses de biologie médicale un siège d'exploitation en France.
- Quant à la libre prestation des services
64. L'article 49 CE impose la suppression des restrictions à la libre prestation des services. Doivent être considérées comme de telles restrictions toutes les mesures qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l'exercice de cette liberté (voir arrêts du 20 février 2001, Analir e.a., C-205-99, Rec. p. I-1271, point 21, et Gräbner, précité, point 38). L'article 49 CE s'oppose à l'application de toute réglementation nationale qui, sans justification objective, entrave la possibilité pour un prestataire de services d'exercer effectivement ladite liberté (arrêts du 5 octobre 1994, Commission/France, C-381-93, Rec. p. I5145, point 16, et du 21 mars 2002, C-451-99, Cura Anlagen, Rec. p. I3193, point 29).
65. Le Gouvernement français ne conteste pas qu'une législation, qui implique qu'une autorisation d'exploiter un laboratoire d'analyses de biologie médicale ne peut être accordée qu'à un laboratoire ayant un siège d'exploitation en France constitue une telle restriction à l'exercice de la libre prestation des services. En effet, il est évident que la condition d'avoir un siège d'exploitation en France rend impossible les prestations offertes en France par des laboratoires ayant leur siège d'exploitation dans un autre État membre.
66. Quant aux raisons susceptibles d'être invoquées pour justifier une restriction à la libre prestation des services dans le domaine des laboratoires d'analyses de biologie médicale, l'objectif de maintenir la qualité des services médicaux peut relever de l'une des dérogations prévues à l'article 46 CE, dans la mesure où il contribue à la réalisation d'un niveau élevé de protection de la santé (voir, en ce sens, arrêt du 13 mai 2003, Müller-Fauré et Van Riet, C-385-99, Rec. p. I4509, point 67).
67. Ladite disposition permet, notamment, de maintenir la qualité des services médicaux non seulement en garantissant la qualification des dirigeants et du personnel des laboratoires d'analyses de biologie médicale, mais également en contrôlant, par des inspections périodiques, que le déroulement des analyses est en permanence conforme aux règles édictées par le législateur français ainsi que par les autorités françaises et, en particulier, à l'autorisation requise.
68. Toutefois, conformément à une jurisprudence constante, il importe de s'assurer, en cas de justification tirée d'une exception prévue par le traité, que les mesures prises à ce titre n'excèdent pas ce qui est objectivement nécessaire à cette fin (voir, en ce sens, arrêts du 26 novembre 2002, Oteiza Olazabal, C-100-01, Rec. p. I10981, point 43, et du 23 septembre 2003, Commission/Danemark, C-192-01, non encore publié au Recueil, point 45).
69. Or, la condition imposée aux laboratoires d'analyses de biologie médicale d'avoir un siège d'exploitation en France va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif de protection de la santé publique.
70. À cet égard, il convient de souligner que, au lieu d'exiger un siège d'exploitation en France et d'exclure ainsi toute prestation transfrontalière, la République française peut exiger des laboratoires d'analyses de biologie médicale, ayant leur siège d'exploitation dans un autre État membre, qu'ils se soumettent, conformément à la législation française, à une autorisation, afin d'effectuer, s'ils le souhaitent, des prestations de service au profit de personnes résidant en France.
71. Il convient toutefois de souligner que les conditions à respecter pour obtenir une telle autorisation ne peuvent pas faire double emploi avec les conditions légales équivalentes déjà remplies dans l'État d'établissement (voir, en ce sens, arrêt Commission/Allemagne, précité, point 47).
72. Le régime d'autorisation pourrait notamment imposer la condition que les laboratoires ayant leur siège d'exploitation dans un autre État membre fassent en sorte que leurs rapports d'analyses puissent être compris par les médecins exerçant en France. Cela vaut en particulier pour l'interprétation des résultats de la part du biologiste qui est, dans certains cas, exigée par la réglementation française afin d'apporter une aide au diagnostic pour le médecin prescripteur.
73. En ce qui concerne la nécessité de contrôles efficaces, le Gouvernement français n'a pas démontré que, même dans le cadre d'un régime d'agrément, les autorités compétentes ne pourraient exécuter leur mission de contrôle de manière efficace que si les laboratoires d'analyses de biologie médicale disposaient, dans ledit État membre, d'un établissement stable (voir, en ce sens, arrêt Commission/Allemagne, précité, point 54).
74. En effet, quand bien même il ne peut pas être demandé aux autorités françaises compétentes d'effectuer sur place des contrôles dans d'autres États membres, notamment des inspections qui visent le respect des conditions de fonctionnement des laboratoires, il reste néanmoins possible d'exiger des laboratoires établis dans un autre État membre qu'ils prouvent, à la satisfaction des autorités françaises, que les contrôles auxquels ils sont soumis par les autorités compétentes de l'État membre de leur siège d'exploitation ne sont pas moins sévères que ceux en vigueur en France et portent sur le respect de dispositions garantissant au moins le même niveau de protection de la santé que la réglementation française.
75. L'argument du Gouvernement français selon lequel il ne peut pas juger le niveau du contrôle existant dans les autres États membres puisqu'il ne connaît pas les critères de qualité et les modalités de contrôle qui y sont imposés aux laboratoires d'analyses de biologie médicale ne saurait être retenu. En effet, notamment en invitant, lors de l'octroi de l'autorisation administrative, les laboratoires établis dans un autre État membre et désireux d'offrir leurs services à une clientèle établie en France à apporter les informations appropriées, les autorités françaises seraient en mesure de connaître les critères et conditions imposés par la législation du ou des États membres du siège d'exploitation des laboratoires en cause.
76. De même, en cas de non-respect des conditions imposées par la législation française, rien ne s'oppose à ce que les autorités françaises prennent des mesures à l'encontre d'un laboratoire ayant son siège d'exploitation sur le territoire d'un autre État membre, en lui retirant ou en suspendant l'autorisation dont il est bénéficiaire.
77. Il résulte des considérations qui précèdent que, en imposant aux laboratoires d'analyses de biologie médicale établis dans d'autres États membres la condition d'avoir un siège d'exploitation sur le territoire français afin d'obtenir l'autorisation de fonctionnement nécessaire, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 49 CE.
Le grief relatif au refus de remboursement des frais d'analyses de biologie médicale effectuées dans un autre État membre
Argumentation des parties
78. La Commission reproche à la République française d'exclure en pratique un remboursement des frais d'analyses médicales qui sont effectuées dans un laboratoire établi dans un autre État membre. Une telle exclusion résulterait indirectement de l'article R. 332-2 du Code de la sécurité sociale, car il n'existerait pas d'analyses que les laboratoires français ne puissent réaliser. Cela constituerait une entrave tant à la libre prestation des services, s'agissant d'un laboratoire qui n'a pas d'établissement en France, qu'au droit de créer des établissements secondaires, pour un laboratoire qui possède un tel établissement où des analyses ne sont toutefois pas effectuées.
79. La réglementation française relative à la sécurité sociale serait aussi discriminatoire dans la mesure où toute prestation fournie en dehors du territoire ne serait pas remboursable.
80. La Commission rejette l'argumentation de la République française selon laquelle les règles de sécurité sociale ne comporteraient pas d'effets restrictifs affectant le droit d'établissement ou la libre prestation des services, car l'obtention de l'autorisation serait une condition nécessaire pour que les directeurs de laboratoire puissent être conventionnés, mais un laboratoire ayant reçu l'autorisation de fonctionner n'aurait pas forcément conclu de convention avec la sécurité sociale. La Commission estime qu'un laboratoire établi dans un autre État membre et souhaitant fournir des services en France ne pourrait le faire dans la pratique qu'en respectant la convention nationale du 26 juillet 1994.
81. Se fondant sur le point 41 de l'arrêt Kohll, précité, la Commission soutient que le risque d'atteinte grave à l'équilibre financier du régime de sécurité sociale est la seule raison justificative d'une restriction aux principes de la libre circulation des services. Or, il ne serait pas établi que le remboursement des analyses de biologie médicale effectuées dans un autre État membre, selon les tarifs de la sécurité sociale française, ait une incidence significative sur le financement du système de sécurité sociale. Dans ce contexte, la Commission rappelle notamment que les caisses d'assurance maladie sont autorisées à refuser de prendre en charge les dépenses supplémentaires résultant du choix d'un laboratoire autre que l'un de ceux de l'agglomération où réside l'assuré. Si ce principe était également retenu par rapport aux laboratoires établis dans un autre État membre, cette mesure serait, selon la Commission, en tout état de cause moins restrictive que la réglementation actuelle.
82. Le Gouvernement français soutient que le refus de rembourser les frais d'analyses effectuées par un laboratoire établi dans un autre État membre est justifié par le fait que l'ensemble de la réglementation française garantit un niveau élevé de protection de la santé publique en imposant des exigences de qualité strictes aux laboratoires établis sur le territoire français.
83. Il estime que la conclusion à laquelle la Cour est parvenue dans l'arrêt Kohll, précité, est fondée sur le fait que les conditions d'accès et d'exercice des médecins et des dentistes ont fait l'objet de plusieurs directives de coordination et d'harmonisation. Il voit dans l'absence d'harmonisation en ce qui concerne les laboratoires d'analyses de biologie médicale une différence décisive avec ledit arrêt.
84. La Commission rétorque que, dans cet arrêt, la Cour a fait référence à l'harmonisation dans le domaine des titres de médecin et de dentiste pour exclure, à propos d'une autorisation, la justification relevant de la protection de la santé publique. Elle soutient que, dans le cas d'espèce, si le manque d'harmonisation pouvait justifier un système d'autorisation pour des raisons de protection de la santé publique, l'exclusion de toute possibilité d'octroi de cette autorisation, pour ce qui concerne des analyses de laboratoire, sur la base du critère de l'établissement de ce dernier en dehors du territoire français, s'avère disproportionnée, car elle va au-delà des préoccupations relevant de la protection de la santé publique.
85. Estimant que, par cette argumentation, la Commission ne rejette pas totalement le système mis en œuvre par la réglementation française, la République française demande à la Cour, à titre subsidiaire, de déterminer les critères permettant de définir les hypothèses de remboursement sans autorisation préalable de certaines analyses effectuées par un laboratoire.
Appréciation de la Cour
- Quant à la liberté d'établissement
86. Il convient de relever que le grief tenant au refus des caisses d'assurance maladie de rembourser les frais des analyses de biologie médicale effectuées dans un autre État membre ne saurait être accueilli dans la mesure où il vise un manquement aux obligations découlant du principe de la liberté d'établissement.
87. La Commission ne met pas en doute que, dans la mesure où la prestation est effectuée par un laboratoire ayant, même en sa qualité d'établissement secondaire d'un laboratoire établi dans un autre État membre, un siège d'exploitation en France, ce laboratoire est pleinement soumis à la législation française et est, par conséquent, susceptible d'être affilié au régime de remboursement des frais d'analyses médicales.
88. S'agissant de laboratoires qui possèdent un établissement secondaire en France où des analyses ne sont toutefois pas effectuées, la Commission n'a pas avancé d'explications suffisamment circonstanciées permettant de conclure à une atteinte au principe de la liberté d'établissement.
89. Dès lors, il y a lieu de rejeter le second grief dans la mesure où il est reproché à la République française d'avoir manqué à ses obligations découlant de l'article 43 CE, en refusant de prendre en charge des frais d'analyses de biologie médicale effectuées par un laboratoire ayant son siège d'exploitation dans un autre État membre.
- Quant à la libre prestation des services
90. À titre liminaire, il importe de rappeler que l'article L. 3323 du Code de la sécurité sociale interdit que des prestations des assurances maladie et maternité soient fournies lorsque les soins sont dispensés hors de France aux assurés et à leurs ayants droit mais que, en ce qui concerne les prestations médicales effectuées à l'étranger, l'article R. 332-2, dernier alinéa, dudit Code dispose que "[...] les caisses d'assurance maladie pourront, à titre exceptionnel, et après avis favorable du contrôle médical, procéder au remboursement forfaitaire des soins dispensés en dehors de la France à un assuré social ou ayant droit d'assuré social, lorsque celui-ci aura établi qu'il ne pouvait recevoir sur le territoire français les soins appropriés à son état".
91. Dans la mesure où la réglementation française refuse, dans ces conditions, que les caisses d'assurance maladie prennent en charge les frais des analyses effectuées par des laboratoires d'analyses de biologie médicale ayant leur siège d'exploitation dans un autre État membre, sans autorisation préalable accordée à titre exceptionnel lorsque l'assuré ne peut pas recevoir de soins appropriés en France, elle exclut, de fait, les laboratoires établis dans un autre État membre de pouvoir effectuer des prestations de services pour des assurés établis en France. Elle constitue dès lors une restriction à la libre prestation des services.
92. Quant aux raisons susceptibles d'être invoquées pour justifier cette restriction, il convient de relever que, en principe, une telle réglementation peut être justifiée par l'une des dérogations prévues à l'article 46 CE, dans la mesure où elle vise à contribuer à garantir un niveau élevé de protection de la santé publique. Cependant, le refus, par les caisses d'assurance maladie, de prendre en charge les frais des analyses effectuées par des laboratoires ayant leur siège d'exploitation dans un autre État membre excède ce qui est objectivement nécessaire à cette fin.
93. En effet, en l'absence de mesures d'harmonisation, le droit communautaire ne s'oppose pas, ainsi qu'il découle des points 69 à 75 du présent arrêt, à ce que la République française impose, dans le cadre d'un régime d'autorisation, son niveau de protection de la santé publique aux laboratoires d'analyses de biologie médicale établis dans un autre État membre et désireux d'offrir leurs services aux affiliés à un des régimes français d'assurance maladie.
94. Dès lors, il ne pourrait être retenu que le refus des caisses d'assurance maladie de prendre en charge les frais d'analyses effectuées par des laboratoires ayant leur siège d'exploitation dans un autre État membre soit nécessaire pour maintenir le niveau élevé de protection de la santé publique.
95. Par voie de conséquence, il y a lieu de constater que, en excluant tout remboursement des frais pour des analyses de biologie médicale effectuées par un laboratoire d'analyses de biologie médicale établi dans un autre État membre, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 49 CE.
Sur les dépens
96. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Toutefois, en vertu de l'article 69, paragraphe 3, du même règlement, la Cour peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. En l'espèce, chaque partie ayant partiellement succombé en ses moyens, il y a lieu de décider que chacune supporte ses propres dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (sixième chambre)
Déclare et arrête:
1) En imposant aux laboratoires d'analyses de biologie médicale établis dans d'autres États membres la condition d'avoir un siège d'exploitation sur le territoire français afin d'obtenir l'autorisation de fonctionnement nécessaire et en excluant tout remboursement des frais pour des analyses de biologie médicale effectuées par un laboratoire d'analyses de biologie médicale établi dans un autre État membre, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 49 CE.
2) Le recours est rejeté pour le surplus.
3) Chaque partie supporte ses propres dépens.