CA Angers, 1re ch. A, 23 mars 1987, n° 1881-85
ANGERS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Nordstern (SA)
Défendeur :
Bardet ; Cormery
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Panatard
Conseillers :
MM. Buisson, Linden
Avoués :
Mes Deltombe, Chatteleyn, Gontier
Avocats :
Mes Naba, Follen, Boucheron
Les 7 et 31 août 1984, la compagnie d'assurances Nordstern a assigné devant le Tribunal de grande instance de Saumur Marcel Bardet, briquetier, et Gérard Cormery, carreleur, pour obtenir paiement de la somme de 57 266,17 F, par subrogation dans les droits de ses assurés, M. et Mme Margottin, bénéficiaires d'une assurance dommage-ouvrage.
Les époux Margottin avait confié à la société Les Bâtisseurs la construction de leur pavillon à la date du 12 juin 1980, et des désordres avaient affecté, après la réception du 9 juillet 1981, l'ensemble du carrelage posé par Cormery et fourni par Bardet, pose et fourniture commandées par la société Les Bâtisseurs.
Le Tribunal de grande instance de Saumur par jugement du 27 juin 1985 a déclaré la société Nordstern irrecevable en ses demandes aux motifs :
- en ce qui concerne Marcel Bardet, fabricant vendeur, que les époux Margottin avaient eu connaissance des désordres dans la seconde partie de l'année 1981 mais qu'ils n'avaient jamais assigné Bardet et que la société Nordstern avait assigné au de la du bref délai prévu par les dispositions de l'article 1648 § 1 du Code civil.
- en ce qui concerne Cormery qu'il s'était engagé contractuellement vis à vis de la société Les Bâtisseurs mais non vis à vis des époux Margottin qui n'avaient donc aucune qualité pour exercer une action sur le fondement contractuel.
Après avoir fait appel le 6 novembre 1985, la compagnie Nordstern a conclu le 13 janvier 1987, soit deux jours avant la date prévue pour la clôture, qui a dû être repoussé.
Se basant sur deux arrêts de l'assemblée plénière de la cour de cassation elle estime qu'elle dispose contre Bardet d'une action contractuelle directe fondée non pas sur la garantie des vices cachés mais sur la non conformité de la chose livrée aux prescriptions du contrat qui impose un usage normal de la chose et conforme à sa destination, de sorte qu'elle disposait d'un délai de 30 ans.
En ce qui concerne Cormery, elle expose qu'il a commis des fautes puisque d'une part il n'a soulevé aucune réserve sur la qualité du matériau qui lui a été livré et que d'autre part il a omis de "renforcer" le matériau posé par la mise en œuvre du produit Trix fournit par Bardet, qui lui avait été remis par les époux Margottin.
Elle reprend donc sa demande de condamnation in solidum de Bardet et Cormery pour la somme de 57 266,17 F outre les intérêts depuis le jour du règlement. Elle demande encore 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Cormery conclut à la confirmation du jugement sauf à y ajouter des indemnités de procédure, de 3 000 F pour la première instance et 5 000 F pour l'instance d'appel.
Subsidiairement il demande que Bardet soit condamné à le garantir.
Il allègue qu'il n'avait pas à soulever de réserve sur la qualité du matériau, lequel était apparemment convenable, et avait été choisi par le maître de l'ouvrage avec l'entreprise principale qui l'avait fait livrer sur le chantier ; qu'il était chargé de la pose des carreaux et de leur dépoussiérage en fin de pose, et que personne ne l'a chargé d'utiliser un certain produit comme reconstituant des carreaux.
Marcel Bardet conclut à la confirmation de jugement, au rejet de toute demande dirigée contre lui, et sollicite 7 500 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Il expose d'abord que la compagnie Nordstern n'a jamais prouvé qu'elle était l'assureur des époux Margottin, et qu'elle était en réalité celui de la société Les Bâtisseurs, si bien qu'elle a payé sa propre dette et ne peut exercer aucun recours qu'en opérant ce paiement elle a nécessairement reconnu la responsabilité pleine et entière de son assuré.
Qu'au cas cependant où elle serait jugée recevable à exercer l'action du maître de l'ouvrage, cette action serait tardive en vertu de l'article 1648 du Code civil qui n'a pas été abrogé qu'il ne s'agit en effet nullement en l'espèce d'un défaut de conformité car la marchandise était conforme à la commande et d'une composition (terre cuite) devant normalement donner satisfaction, mais se trouvait pas accident atteinte d'un défaut inhabituel, ce que Nordstern dit elle même en indiquant qu'il s'agirait d'un insuffisance de cuisson.
Bardet conteste d'ailleurs l'existence d'un vice, critique l'expert pour n'avoir opéré aucune vérification ou analyse, et affirme que le dommage résulte de défaut d'application du pro- duit Trix préconisé par lui ; il conteste également le quantum des prétentions de la Nordstern, qu'il déclare non justifié.
SUR CE LA COUR
Il importe relativement peu de savoir si le contrat d'assurance "dommage à l'ouvrage" a été souscrit auprès de la compagnie Nordstern par la société Les Bâtisseurs ou par les époux Margottin, le souscripteur étant censé conclure le contrat pour son compte ou pour celui des propriétaires successifs (article A 241.1 du Code des assurances et ses annexes). Les époux Margottin, propriétaires, ont bien touché la somme de 57 266,17 F dans le cadre d'une assurance dommages à l'ouvrage et la compagnie Nordstern est bien subrogée dans leurs droits en tant que maîtres de l'ouvrage.
De ce fait elle dispose de l'action du maître de l'ouvrage contre le fabricant de matériaux, qui est l'action contractuelle transmise par la société Les Bâtisseurs, acheteur des carreaux. La compagnie Nordstern reproche au fabricant d'avoir fourni des carreaux qui ont présenté un phénomène d'usure anormal avec désagrégation en surface, ce qui serait dû selon l'expert désigné en référé à une cuisson insuffisante.
Il s'agit là non pas d'un défaut de conformité mais d'un vice au sens de l'article 1648 du Code civil. La non conformité s'entend d'une marchandise ou d'un ouvrage correct mais non conforme aux stipulations du contrat. Or en l'espèce Bardet a bien livré les carreaux en terre cuites qui lui avaient été commandés ; mais ces carreaux étaient affectés - selon la thèse de Nordstern contestée par Bardet - d'un vice c'est à dire d'une anomalie de nature à les rendre impropres à leur destination.
Cette situation est régie (à défaut de pouvoir considérer les carreaux comme un élément d'équipement au sens de l'article 1792.4 du Code civil) par les articles 1641 et suivants du code civil dont l'article 1648, que seul le législateur pourrait abroger, et qui prévoit que l'action doit être exercée à bref délai.
Or ainsi que le tribunal l'a constaté, c'est au cours de l'été 1981, après la réception du 9 juillet 1981, que les désordres se sont révélés. La société Les Bâtisseurs seule a le 12 janvier 1983 assigné Bardet devant le juge des référés pour obtenir une expertise, laquelle a été déposée le 1er avril 1983 avec un additif le 21 juin 1983. Aucune action au fond n'a été engagée dans le bref délai prévu par l'article 1648 § 1, la seule instance étant la présente procédure diligentée par Nordstern en août 1984 et les assignations en référé n'ayant pas à l'époque d'effet interruptif.
Le jugement doit être confirmé en ce qui concerne Bardet.
Il en est de même en ce qui concerne Cormery.
Il est implicitement admis que ce dernier, sous-traitant des Bâtisseurs, ne peut être poursuivi par Nordstern subrogée à Margottin que sur un fondement délictuel.
Or il a été admis, notamment lors de l'expertise, que Cormery avait bien posé les carreaux. Il prouve par la production de DTU qu'il s'est conformé pour la pose aux règles de l'art qui ne comportent nullement l'adjonction d'un produit spécial ; d'après la fiche du produit Trix, celui-ci est destiné à nourrir en profondeur et entretenir les carrelages rustiques en terre cuite, supprimant l'usage de l'huile de lin, Or ce genre de traitement d'entretien ne lui incombait pas, mais seulement un dépoussiérage qu' il a effectué avec un produit Suza destiné à cet usage. A supposer que Bardet ait fait des recommandations aux époux Margottin quant à l'utilisation du produit Trix dont il leur a remis une certaine quantité (recommandations dont la nature exacte est ignorée), rien ne prouve qu'il ait été demandé à Cormery par qui que ce soit de l'appliquer, ce qui aurait constitué une prestation supplémentaire, et rien ne prouve non plus à part les affirmations de Bardet que le fait de pas l'avoir appliqué soit la cause des désordres.
Enfin on ne saurait reprocher à Cormery de ne pas avoir attiré l'attention du maître de l'ouvrage sur la défectuosité des carreaux, dont il n'est pas prouvé qu'elle pouvait lui apparaît, à supposer que cette défectuosité ait existé car les constatations de l'expert sur les causes des désordres sont quelque peu insuffisantes.
Il y a lieu à confirmation pure et simple du jugement.
La cour estime qu'il n'y a pas lieu de recevoir les demandes d'indemnités complémentaires de Bardet et Cormery.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement Rejette toutes autres prétentions des parties Condamne l'appelante aux dépens. Autorise Maître Chatteleyn et Maître Gontier, avoués, à recouvrer directement ceux dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision.