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Décisions

CJCE, 12 juillet 1962, n° 9-60

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

arrêt

PARTIES

Demandeur :

Royaume de Belgique

Défendeur :

Société commerciale Antoine Vloeberghs ; Haute Autorité de la Communauté européenne du charbon et de l'acier

CJCE n° 9-60

12 juillet 1962

LA COUR,

Quant à la recevabilité

1. Attendu que le présent recours a été introduit en vertu des articles 36 du protocole sur le statut de la Cour de justice annexé au traité instituant la CECA et 97, paragraphe 1, du règlement de procédure ;

Attendu que, selon le tiers opposant, l'article 36 précité semble admettre la tierce opposition dès lors que l'intéressé n'a pas été " appelé " au litige principal ;

Que, d'autre part, la Haute Autorité, partie défenderesse, soulève une exception d'irrecevabilité tirée de ce que le tiers opposant aurait pu intervenir au litige principal ;

Que ces argumentations mettent en cause l'interprétation des articles 36 du protocole sur le statut de la Cour de justice annexé au traité instituant la CECA et 97, paragraphe 1, C, du règlement de procédure ;

Attendu qu'aux termes de l'article 36 du protocole susdit la tierce opposition n'est admise que " dans les cas et dans les conditions qui seront déterminés par le règlement de procédure " ;

Que, conformément au paragraphe 1, C, de l'article 97 du règlement, le tiers opposant doit, dans sa requête, indiquer les raisons pour lesquelles il " n'a pu participer au litige principal " ;

Que cette exigence sous-entend que toute personne qui aurait été appelée ou qui aurait pu participer au litige principal est exclue de la tierce opposition ; que c'est donc en ce sens qu'il convient d'interpréter la disposition dont il s'agit ;

Attendu, toutefois, qu'il y a lieu de rechercher si cette disposition, conçue ainsi qu'il vient d'être dit, n'est pas inapplicable du fait qu'elle serait inconciliable avec les dispositions de l'article 36 du protocole ;

Que, de l'avis de la Cour, tel n'est pas le cas ;

Qu'en prévoyant que le règlement déterminera les cas et conditions auxquels la tierce opposition serait admise, le protocole donne mission aux auteurs du règlement de préciser les conditions de recevabilité de la tierce opposition ; qu'ainsi l'article 97 du règlement de procédure constitue la mise en œuvre de la disposition de principe de l'article 36 du protocole sur le statut de la Cour ;

2. Attendu qu'il convient maintenant d'analyser de plus près les conditions dans lesquelles il faut admettre que le tiers opposant aurait " pu participer au litige principal " ;

Que, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice et de la sécurité des relations juridiques, il est nécessaire d'éviter, dans toute la mesure du possible, que les personnes ayant intérêt à la solution d'un litige pendant devant la Cour fassent valoir cet intérêt après que celle-ci a rendu son arrêt et a ainsi tranché la question litigieuse ;

Que c'est précisément pour répondre à cette exigence que l'article 34 du protocole sur le statut de la Cour ouvre à tous ceux qui voient leurs intérêts mis en cause dans un litige pendant devant la Cour la voie de l'intervention volontaire, à la seule condition que leurs conclusions n'aient d'autre objet que le soutien des conclusions d'une partie ou leur rejet ;

Que, dès lors, l'article 97, paragraphe 1, C, du règlement de procédure doit être interprété comme visant à admettre, d'une part, le tiers opposant qui, ayant été appelé à l'instance principale, n'a pu y participer pour des raisons valables et, d'autre part, tous ceux qui n'étaient pas en mesure d'intervenir au litige principal conformément aux articles 34 du protocole sur le statut de la Cour et 93 du règlement de procédure ;

3. Attendu qu'il faut maintenant appliquer les principes énoncés ci-dessus au cas d'espèce ;

Attendu que le tiers opposant fait valoir que l'objet et les conclusions du litige principal dans l'affaire 9-60, tels qu'ils ressortaient de la publication au " Journal Officiel des Communautés européennes " du 25 mai 1960, ne faisaient pas apparaître l'intérêt qu'il aurait pu avoir à intervenir volontairement à l'instance principale ;

Attendu qu'il n'est pas contestable qu'en raison du caractère non public de la procédure écrite, c'est seulement sur la base de l'objet et des conclusions du recours, tels qu'ils ressortent de la publication au " Journal Officiel ", qu'il est possible d'apprécier l'intérêt à intervenir au litige ;

Que l'intervention volontaire devant la Cour n'est admise, aux termes de l'article 34, alinéa 2, du protocole sur le statut de la Cour, que si l'intervenant vise au soutien des conclusions d'une des parties ou à leur rejet ;

Que, dès lors, il convient en l'espèce d'examiner si l'objet et les conclusions du recours dans l'affaire 9-60, tels qu'ils ressortaient de la publication au " Journal Officiel ", faisaient apparaître l'intérêt que le Gouvernement belge aurait eu à y intervenir pour soutenir ou faire rejeter les conclusions formulées par la société Vloeberghs, partie requérante ;

Attendu qu'il ressort de ladite publication que l'objet du recours était essentiellement de faire assurer le respect du principe de la libre circulation des produits à l'intérieur du Marché commun, et que rien ne faisait prévoir que les débats se seraient ensuite engagés sur la notion de libre pratique, telle qu'elle était appliquée par le Gouvernement belge ;

Que s'il n'est pas contestable que le respect de la libre circulation intéresse chaque Etat membre en tant que signataire du traité et responsable de son application, il n'en reste pas moins vrai que l'intérêt général au respect du traité ne saurait justifier l'intervention volontaire dans n'importe quel recours ;

Qu'en effet l'intérêt à intervenir dans un litige pendant devant la Cour doit se justifier tant par rapport à la nature du litige auquel l'intervenant demande d'être admis que par rapport aux conclusions d'une partie, au soutien ou au rejet desquelles l'intervenant doit viser ;

Attendu qu'en l'espèce le recours principal avait été introduit en vertu de l'article 40 du traité instituant la CECA ; qu'il s'agissait donc d'un recours en indemnité, ne visant pas à l'annulation d'une décision ou d'une recommandation de la Haute Autorité contraires au traité, et que les conclusions de la partie requérante, telles qu'elles ressortaient également de la publication au " Journal Officiel ", visaient par contre au paiement d'une indemnité pour faute de service de la Haute Autorité ;

Que, dans ces conditions, on ne saurait raisonnablement soutenir que l'objet ou les conclusions du recours sur lequel l'arrêt attaqué a statué faisaient apparaître un intérêt direct et concret du Gouvernement belge à y intervenir volontairement pour soutenir ou faire rejeter les conclusions de la partie requérante ;

Que, partant, la condition de recevabilité inscrite à la lettre C de l'article 97, paragraphe 1, du règlement de procédure est en l'espèce remplie ;

4. a) Attendu, en outre, que l'article 97, paragraphe 1, B, du règlement susdit dispose que la requête en tierce opposition doit " indiquer en quoi l'arrêt attaqué préjudicie aux droits du tiers opposant " ;

Que cette exigence sous-entend que seules les personnes ayant subi un préjudice dans leurs droits du fait de l'arrêt attaqué sont admises à la tierce opposition ;

Qu'il y a donc lieu d'examiner maintenant si le présent recours satisfait également à cette condition de recevabilité ;

Attendu que le tiers opposant fait tout d'abord valoir que l'arrêt attaqué, pour autant qu'il statue dans l'affaire 9-60, préjudicie à ses droits en ce qu'il a pour effet de limiter l'exercice du pouvoir règlementaire du Gouvernement belge en matière de douanes, alors que cette limitation serait inconciliable avec les dispositions de l'article 73 du traité ;

Qu'il allègue en effet que, pour que la règle de la libre circulation des produits puisse s'appliquer aux produits importés en libre pratique en Belgique, le Gouvernement belge doit, à la suite de l'arrêt attaqué, modifier sa législation en la matière, en imposant des débours, de nature douanière ou non, à tout importateur de produits en provenance des pays tiers, même si ces produits sont destinés à la réexportation ;

Attendu que le tiers opposant fait découler le préjudice en question des motifs de l'arrêt attaqué ;

Que les motifs critiqués n'apprécient pas la légalité, par rapport au traité, de la règlementation belge en matière d'admission en libre pratique des charbons provenant des pays tiers, mais se limitent à constater quels sont les effets juridiques que ladite règlementation produit en ce qui concerne l'application du principe de la libre circulation au cas d'espèce visé par la Cour ;

Qu'une telle constatation ne saurait porter atteinte à la souveraineté de l'état par qui ces actes ont été régulièrement posés ;

Qu'ainsi le préjudice allégué par le tiers opposant en ce qui concerne sa souveraineté en matière règlementaire n'existe pas en fait ;

b) Attendu que le tiers opposant soutient en second lieu que l'arrêt attaqué préjudicie à ses droits du fait qu'il met en cause les mobiles dont le Gouvernement belge s'est inspiré dans l'exercice de son pouvoir règlementaire et dans l'application qu'il en a fait en l'espèce, et qu'il jette ainsi sur ce Gouvernement des suspicions susceptibles de lui causer un préjudice moral au sein de la Communauté ;

Attendu qu'il ressort des allégations de la Haute Autorité qu'à l'époque ou les charbons litigieux étaient importés en libre pratique en Belgique, le Gouvernement belge ne pratiquait aucune politique de restrictions quantitatives à l'égard des charbons originaires de pays tiers, et que les licences d'importation et d'exportation étaient, pour ces charbons, délivrées automatiquement ; que le tiers opposant n'a pas contesté le bien-fondé de ces allégations ;

Qu'en outre le tiers opposant à lui-même reconnu que les charbons litigieux ainsi importés en Belgique et destinés à être réexportés dans un certain délai n'étaient soumis ni au paiement de droits d'entrée, ni à celui de la taxe de transmission ;

Que, partant, la Cour, en déclarant que l'admission desdits produits en libre pratique en Belgique " pouvait être réalisée sans difficultés ni débours d'aucune sorte ", loin de critiquer la règlementation belge en la matière, a tout simplement constaté une situation de fait réellement existante ;

Attendu en outre qu'en ce qui concerne la constatation contenue dans les motifs de l'arrêt attaqué et suivant laquelle il s'agissait en l'espèce " d'une tentative d'importation directe destinée à la France à laquelle n'a été donnée que l'apparence d'une importation en Belgique ", il y a lieu d'observer que cette constatation ne vise certes pas le Gouvernement belge ;

Que, par ailleurs, dans les motifs en question la Cour s'est limitée à constater que la société Vloeberghs a effectué l'opération commerciale litigieuse en se prévalant de la règlementation douanière établie par le Gouvernement belge ; que, ce faisant, l'arrêt n'a pas porté un jugement de valeur sur cette règlementation dont il n'a fait qu'examiner, dans le cas d'espèce, les effets par rapport à la règle de la libre circulation au sens du traité CECA ;

Qu'ainsi, en qualifiant l'opération commerciale litigieuse comme un " procédé ", l'arrêt attaqué n'a pas davantage porté une appréciation défavorable sur le comportement du Gouvernement belge ;

Que, pour toutes ces raisons, les indications fournies par le tiers opposant n'étant pas de nature à faire apparaître l'existence du préjudice allégué, le présent recours n'est pas recevable aux termes de l'article 97, paragraphe 1, B, du règlement de procédure.

Quant aux dépens

Attendu qu'aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens ;

Que, le tiers opposant ayant succombé dans son recours, les dépens doivent être mis à sa charge ;

Dispositif

LA COUR,

Rejetant toutes autres conclusions plus amples ou contraires, déclare et arrête :

1) le présent recours en tierce opposition est rejeté comme irrecevable ;

2) le Gouvernement du Royaume de Belgique est condamné aux dépens de l'instance.