CJCE, 16 janvier 1974, n° 166-73
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
arrêt
PARTIES
Demandeur :
Rheinmühlen-Düsseldorf
Défendeur :
Einfuhr- und Vorratsstelle für Getreide und Futtermittel
LA COUR,
1. Attendu que, par ordonnance du 14 août 1973, parvenue au greffe le 4 septembre 1973, le Bundesfinanzhof a, en vertu de l'article 177 du traité CEE, posé à la Cour les questions de savoir si l'article 177, alinéa 2, confère "aux juridictions qui ne statuent pas en dernière instance un droit absolument illimité de saisir la Cour de justice" ou s'il fait considérer "que cet article n'affecte pas les règles de droit interne qui, liant lesdites juridictions à l'appréciation portée en droit par la juridiction du degré supérieur, fait obstacle à un droit d'une telle étendue";
Qu'il ressort de l'ordonnance que la question est posée dans le cadre d'une procédure dirigée contre une décision incidente du Finanzgericht de Hesse demandant à la Cour de justice une interprétation des dispositions du règlement n° 19-62 du Conseil (JO 1962, p. 933), afin de pouvoir juger un litige renvoyé par l'instance de révision, le Bundesfinanzhof, qui avait cassé un jugement antérieur de cette même juridiction;
Que l'interprétation demandée par le Finanzgericht concernant la conformité avec le droit communautaire des motifs qui avaient amené le Bundesfinanzhof à casser son jugement antérieur, la question s'est posée de savoir si le paragraphe 126, 5e alinéa, du Finanzgerichtsordnung qui lie le juge de renvoi à l'appréciation juridique qui est à la base de la décision de renvoi, n'empêche pas ce juge de saisir la Cour de justice d'une telle demande;
2. Attendu que, essentiel à la préservation du caractère communautaire du droit institué par le traité, l'article 177 a pour but d'assurer en toutes circonstances à ce droit le même effet dans tous les Etats de la Communauté;
Que s'il vise ainsi à prévenir des divergences dans l'interprétation du droit communautaire que les juridictions nationales ont à appliquer, il tend également à assurer cette application en ouvrant au juge national un moyen d'éliminer les difficultés que pourrait soulever l'exigence de donner au droit communautaire son plein effet dans le cadre des systèmes juridictionnels des Etats membres ;
Que, des lors, toute lacune dans le système ainsi organisé mettrait en cause l'efficacité même des dispositions du traité et du droit communautaire dérivé;
Que c'est dans cette perspective que doivent être appréciées les dispositions de l'article 177, habilitant toute juridiction nationale sans distinction à saisir la Cour de justice à titre préjudiciel lorsqu'elle estime qu'une décision de celle-ci lui est nécessaire pour rendre son jugement;
3. Attendu que les dispositions de l'article 177 s'imposent de façon impérative au juge national et, quant à l'alinéa 2, l'habilitent à saisir la Cour de justice pour lui demander de statuer sur l'interprétation ou la validité;
Que cet article confère aux juridictions nationales la faculté et, le cas échéant, leur impose l'obligation de renvoi préjudiciel, des que le juge constate, soit d'office, soit à la demande des parties que le fond du litige comporte un point visé par son alinéa 1;
Qu'il en résulte que les juridictions nationales ont la faculté la plus étendue de saisir la Cour de justice si elles considèrent qu'une affaire pendante devant elles soulève des questions comportant une interprétation ou une appréciation en validité des dispositions du droit communautaire nécessitant une décision de leur part;
4. Attendu qu'il résulte de ces considérations qu'une règle de droit national, liant les juridictions ne statuant pas en dernière instance à des appréciations portées en droit par la juridiction supérieure, ne saurait enlever à ces juridictions la faculté de saisir la Cour de justice de questions d'interprétation du droit communautaire concerné par de telles appréciations en droit;
Qu'il en serait autrement si les questions posées par la juridiction ne statuant pas en dernière instance étaient matériellement identiques à des questions déjà posées par la juridiction de dernière instance;
Que, par contre, la juridiction qui ne statue pas en dernière instance doit être libre, si elle considère que l'appréciation en droit faite au degré supérieur pourrait l'amener à rendre un jugement contraire au droit communautaire, de saisir la Cour de justice des questions qui la préoccupent;
Que si les juridictions ne statuant pas en dernière instance étaient liées sans pouvoir en saisir la Cour de justice, la compétence de celle-ci de statuer à titre préjudiciel et l'application du droit communautaire à tous les degrés des systèmes juridictionnels nationaux s'en trouveraient entravées;
5. Qu'il y a donc lieu de répondre que l'existence en droit interne d'une règle liant les juridictions à l'appréciation portée en droit par une juridiction de degré supérieur ne saurait de ce seul fait les priver de la faculté prévue à l'article 177 de saisir la Cour de justice;
Quant aux dépens
6. Attendu que les frais exposés par la Commission des Communautés européennes, qui a soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement;
Que, la procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé au cours du litige pendant devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens;
Par ces motifs,
LA COUR,
Statuant sur la question a elle soumise par le Bundesfinanzhof par ordonnance du 14 août 1973, dit pour droit:
L'existence en droit interne d'une règle liant les juridictions à l'appréciation portée en droit par une juridiction de degré supérieur ne saurait de ce seul fait les priver de la faculté prévue à l'article 177 de saisir la Cour de justice des Communautés européennes.