CJCE, 6 octobre 1970, n° 9-70
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Grad
Défendeur :
Finanzamt Traunstein
LA COUR,
1. Attendu que, par décision du 23 février 1970, parvenue à la Cour le 16 mars 1970, le Finanzgericht de Munich a posé, en vertu de l'article 177 du traité instituant la Communauté économique européenne, plusieurs questions tendant à obtenir l'interprétation de l'article 4 de la décision du Conseil du 13 mai 1965, relative à l'harmonisation de certaines dispositions ayant une incidence sur la concurrence dans le domaine des transports par chemin de fer, par route et par voie navigable (JO 1965, p. 1500) et de l'article 1 de la première directive du Conseil, du 11 avril 1967, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires (JO 1967, p. 1301) ;
Que, subsidiairement, pour le cas où la Cour répondrait à ces questions par la négative, le Finanzgericht a posé d'autres questions, tendant à obtenir l'interprétation notamment des articles 80 et 92 du traité CEE ;
Sur la première question
2. Attendu que, par la première question, ladite juridiction demande à la Cour de dire si les dispositions combinées de l'article 4, alinéa 2, de la décision et de l'article 1 de la directive, produisent des effets directs dans les rapports juridiques entre Etats membres et justiciables, de sorte qu'elles engendrent dans le chef de ceux-ci des droits individuels qu'il appartient aux juridictions nationales de sauvegarder ;
3. Attendu que la question vise l'effet combiné de dispositions contenues respectivement dans une décision et une directive ;
Qu'aux termes de l'article 189 du traité CEE une décision est obligatoire en tous ses éléments pour les destinataires qu'elle désigne ;
Qu'aux termes du même article une directive lie tout Etat membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens ;
4. Attendu que, dans ses observations, le Gouvernement fédéral a défendu l'opinion qu'en distinguant entre les effets des règlements d'une part et ceux des décisions et directives d'autre part, l'article 189 aurait exclu la possibilité pour les décisions et directives de comporter les effets envisagés par la question, de tels effets étant réservés aux règlements ;
5. Attendu, cependant, que si, en vertu des dispositions de l'article 189, les règlements sont directement applicables et par conséquent par leur nature susceptibles de produire des effets directs, il n'en résulte pas que d'autres catégories d'actes visés par cet article ne peuvent jamais produire des effets analogues ;
Que notamment la disposition selon laquelle les décisions sont obligatoires dans tous leurs éléments pour le destinataire permet de poser la question de savoir si l'obligation découlant de la décision peut seulement être invoquée par les institutions communautaires à l'égard de ce destinataire ou peut l'être éventuellement par toute personne intéressée à l'exécution de cette obligation ;
Qu'il serait incompatible avec l'effet contraignant que l'article 189 reconnaît à la décision d'exclure en principe que l'obligation qu'elle impose, puisse être invoquée par des personnes concernées ;
Que particulièrement dans les cas où les autorités communautaires auraient, par décision, obligé un Etat membre ou tous les Etats membres à adopter un comportement déterminé, l'effet utile d'un tel acte s'en trouverait affaibli si les justiciables de cet Etat étaient empêchés de s'en prévaloir en justice et les juridictions nationales empêchées de la prendre en considération en tant qu'élément du droit communautaire ;
Que si les effets d'une décision peuvent ne pas être identiques à ceux d'une disposition règlementaire, cette différence n'exclut pas qu'éventuellement le résultat final, consistant dans le droit, pour les justiciables, de s'en prévaloir en justice, soit le même que celui d'une disposition règlementaire directement applicable ;
6. Attendu d'ailleurs que l'article 177 qui permet aux juridictions nationales de saisir la Cour de la validité et de l'interprétation de tous les actes des institutions, sans distinction, implique que ces actes sont susceptibles d'être invoqués par les justiciables devant lesdites juridictions ;
Qu'il convient donc d'examiner dans chaque cas si la nature, l'économie et les termes de la disposition en cause sont susceptibles de produire des effets directs dans les relations entre le destinataire de l'acte et des tiers ;
7. Attendu que la décision du Conseil du 13 mai 1965, adressée à tous les Etats membres est notamment fondée sur l'article 75 du traité qui habilite le Conseil à établir, en vue de la mise en œuvre d'une politique commune des transports, des " règles communes ", des " conditions d'admission " et " toutes autres dispositions utiles " ;
Que le Conseil dispose dès lors de la plus grande liberté dans le choix des mesures qu'il institue ;
Que dans son ensemble la décision en cause fixe les objectifs à atteindre dans le cadre d'une politique d'harmonisation des dispositions nationales, ainsi que le rythme de leur réalisation ;
Qu'en vue de ces objectifs, l'article 4 de la décision prévoit dans son alinéa 1 que lorsqu'un système commun de taxe sur le chiffre d'affaires aura été arrêté par le Conseil et mis en vigueur dans les Etats membres, ceux-ci seront obligés de l'appliquer suivant des modalités à déterminer aux transports de marchandises par chemin de fer, par route et par voie navigable ;
Que l'alinéa 2 dudit article dispose qu'au plus tard lorsque ce système commun de taxe sur le chiffre d'affaires aura été mis en vigueur, il se substituera aux régimes de taxes spécifiques tenant lieu de taxe sur le chiffre d'affaires dans la mesure où les transports indiqués se trouveraient soumis à ces régimes ;
8. Attendu que cette disposition impose donc aux Etats membres deux obligations, en premier lieu, celle d'appliquer au plus tard à une date déterminée le système commun de taxe sur le chiffre d'affaires aux transports de marchandises par chemin de fer, par route et par voie navigable et, en second lieu, celle de substituer ce système, au plus tard à partir de sa mise en vigueur, aux régimes de taxes spécifiques visés par son alinéa 2 ;
Que cette seconde obligation implique évidemment interdiction d'instituer ou de réinstaurer de tels régimes, afin d'éviter que le système commun de taxe sur le chiffre d'affaires se cumule, pour les transports, avec des régimes de taxation analogues et supplémentaires ;
9. Attendu qu'il ressort du dossier transmis par le Finanzgericht que sa demande se rapporte particulièrement à la seconde obligation ;
Que cette obligation est, dans son essence, imperative et générale, même si la disposition laisse en suspens la détermination du moment à partir duquel elle deviendra effective ;
Qu'ainsi elle interdit formellement aux Etats membres de cumuler le système commun de taxe sur le chiffre d'affaires avec des régimes de taxes spécifiques tenant lieu de taxe sur le chiffre d'affaires ;
Que cette obligation est inconditionnelle et suffisamment nette et précise pour être susceptible de produire des effets directs dans les relations entre les Etats membres et leurs justiciables ;
10. Attendu que le terme à partir duquel cette obligation prend effet a été déterminé par les directives du Conseil en matière d'harmonisation des législations relatives à la taxe sur le chiffre d'affaires, qui ont fixé la date limite avant laquelle les Etats membres devaient introduire dans leurs législations le système commun de taxe sur la valeur ajoutée ;
Que le fait que cette date ait été fixée par une directive n'enlève rien au plein effet de cette disposition ;
Qu'ainsi est devenue complète, à la suite de la première directive, l'obligation énoncée à l'article 4, alinéa 2, de la décision du 13 mai 1965 ;
Que, dès lors, cette disposition impose aux Etats membres des obligations - notamment celle de ne pas cumuler à partir d'une certaine date le système commun avec les régimes spécifiques de taxation visés - susceptibles de produire des effets directs dans les relations entre les Etats membres et leurs justiciables et d'engendrer pour ceux-ci le droit de s'en prévaloir en justice ;
Sur la deuxième question
11. Attendu que, par la deuxième question le Finanzgericht demande à la Cour de dire si les dispositions combinées de l'article 4 de la décision et de l'article 1 de la directive interdisent dès avant le 1er janvier 1970 à tout Etat membre qui avait déjà mis en vigueur le système commun de taxe sur la valeur ajoutée et aboli les taxes spécifiques sur les transports de marchandises de réinstaurer des taxes spécifiques sur les transports de marchandises tenant lieu de taxe sur le chiffre d'affaires ;
Que cette question vise à l'évidence les dispositions de l'article 1 de la première directive, telles que modifiées par la troisième directive du Conseil du 9 décembre 1969, dans la même matière (JO 1969, n° L 320, p. 34) qui a substitué la date du 1er janvier 1972 à celle du 1er janvier 1970 ;
12. Attendu il est vrai qu'une interprétation littérale de l'article 4, alinéa 2, de la décision pourrait conduire à estimer que cette disposition vise le moment où l'Etat membre concerné aura mis en vigueur sur son propre territoire le système commun ;
13. Attendu qu'une telle interprétation ne serait toutefois pas conforme à l'objectif des directives en cause ;
Qu'en effet l'objectif que visent ces directives est d'assurer qu'à partir d'une date déterminée le système de la taxe sur la valeur ajoutée soit appliqué dans l'ensemble du Marché commun ;
Que tant que cette échéance n'est pas atteinte les Etats membres restent libres en la matière ;
14. Attendu d'autre part que l'objectif de la décision du 13 mai 1965 ne peut être réalisé qu'à l'échelle de la Communauté et ne saurait consister dans les seules mesures d'harmonisation prises individuellement par les Etats membres à des dates différentes et selon un rythme différent ;
15. Qu'il y a donc lieu de répondre à la question posée que l'interdiction découlant de l'article 4, alinéa 2, de la décision, ne saurait sortir effet qu'à partir du 1er janvier 1972 ;
Sur la troisième question
16. Attendu que, par sa troisième question, le Finanzgericht demande à la Cour de dire si la taxe fédérale sur les transports de marchandises par route (Strassengueterverkehrsteuer) doit être considérée comme une taxe spécifique appliquée aux transports de marchandises aux lieu et place de la taxe sur le chiffre d'affaires et tombe, dès lors, sous l'interdiction de l'article 4, alinéa 2, de la décision du 13 mai 1965 ;
17. Attendu qu'il n'appartient pas à la Cour, dans le cadre de la présente procédure, d'apprécier, au regard du droit communautaire, les caractéristiques d'une taxe instituée par l'un des Etats membres ;
Que, cependant, elle est compétente pour interpréter la disposition communautaire en cause afin de mettre la juridiction nationale en mesure de l'appliquer correctement à la taxe litigieuse ;
18. Attendu que l'article 4 prévoit la suppression de " taxes spécifiques " afin d'assurer un système commun et cohérent de taxation sur le chiffre d'affaires ;
Qu'en favorisant ainsi la transparence du marché des transports cette disposition contribue au rapprochement des conditions de concurrence et doit être considérée comme une mesure importante d'harmonisation des législations fiscales des Etats membres en matière de transports ;
Que cet objectif n'interdit pas que les transports soient frappés d'autres taxes, d'une nature différente et ayant des buts différents de ceux poursuivis par le système commun de taxe sur le chiffre d'affaires ;
19. Attendu qu'une taxe qui, ainsi que celle dont le Finanzgericht a indiqué les caractéristiques, frappe non les transactions commerciales mais une activité de nature particulière, sans d'ailleurs distinguer entre une activité pour compte propre et une activité pour compte d'autrui, et dont l'assiette est constituée non par la rémunération d'une prestation, mais par la charge physique, exprimée en tonnes/kilomètres, à laquelle l'activité taxée soumet les routes, ne correspond pas au type habituel de taxe sur le chiffre d'affaires ;
Que, par ailleurs, la circonstance qu'elle ait pour objectif une réorientation des activités dans le secteur des transports est également susceptible de la distinguer des taxes spécifiques visées par l'article 4, alinéa 2 ;
Qu'il y a donc lieu de répondre dans ce sens à la question posée ;
Sur les questions 4 à 11
20. Attendu que le Finanzgericht n'a posé ces questions qu'à titre subsidiaire, pour le cas où les trois premières questions recevraient une reponse négative ;
Que tel n'étant pas le cas, notamment en ce qui concerne la première question, il n'y a donc pas lieu d'y répondre ;
Sur les dépens
21. Attendu que les frais exposés par le Gouvernement de la République Fédérale d'Allemagne et la Commission des Communautés européennes qui ont soumis leurs observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement ;
Que la procédure revêt à l'égard des parties en cause, le caractère d'un incident soulevé dans un litige pendant devant le Finanzgericht de Munich et que la décision sur les dépens appartient, des lors, à cette juridiction ;
Par ces motifs,
LA COUR,
Statuant sur les questions à elle soumises par le Finanzgericht de Munich, conformément à la décision de cette juridiction du 23 février 1970, dit pour droit :
1) En imposant aux Etats membres l'obligation de ne pas cumuler le système commun de taxe sur le chiffre d'affaires avec des régimes de taxes spécifiques tenant lieu de taxe sur le chiffre d'affaires, l'article 4, alinéa 2, de la décision du Conseil du 13 mai 1965, combine avec les dispositions des directives du Conseil, des 11 avril 1967 et 9 décembre 1969, est susceptible de produire des effets directs dans les relations entre les Etats membres, destinataires de la décision, et leurs justiciables et d'engendrer pour ceux-ci le droit de s'en prévaloir en justice ;
2) L'interdiction de cumuler ledit système commun avec des régimes de taxes spécifiques sort ses effets à la date fixée par la troisième directive du Conseil, du 9 décembre 1969, à savoir le 1er janvier 1972 ;
3) une taxe, telle que celle dont le Finanzgericht a indiqué les caractéristiques, frappant non des transactions commerciales, mais le seul fait de transporter par route et dont l'assiette est constituée non par la rémunération d'une prestation mais par la charge physique, exprimée en tonnes/kilomètres, que l'activité taxée impose aux routes, ne correspond pas au type habituel d'une taxe sur le chiffre d'affaires, telle que visée par l'article 4, alinéa 2, de la décision du 13 mai 1965.