CJCE, 28 avril 1988, n° 31-86
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
arrêt
PARTIES
Demandeur :
Levantina Agricola Industrial (SA) ; CPC España (SA) ; Campo Ebro Industrial (SA)
Défendeur :
Conseil des Communautés européennes ; Commission des Communautés européennes ; Asociacion General de Fabricantes de Azucar de Espana
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bosco (faisant fonction)
Présidents de chambre :
MM. Due, Moitinho de Almeida
Avocat général :
Me Lenz
Juges :
MM. Koopmans, Everling, Bahlmann, Galmot, Kakouris, Joliet, O'Higgins, Schockweiler
Avocats :
Mes Veroone, Schiltz, Rapp-Jung, Waelbroeck, Plasencia, Arendt, Bou Maqueda.
LA COUR,
1. Par requêtes déposées au greffe de la Cour respectivement les 6 et 10 février 1986, les sociétés Levantina Agricola Industrial SA (ci-après "LAISA ") et CPC España SA (ci-après "CPC "), ayant leur siège à Barcelone, ont introduit, en vertu de l'article 173, deuxième alinéa, du traité CEE, un recours visant a l'annulation de certaines dispositions de l'annexe I de l'acte relatif aux conditions d'adhésion du Royaume d'Espagne et de la République portugaise et aux adaptations des traités (JO 1985, L 302, p. 232), modifiant le règlement n° 1785-81 du Conseil, du 30 juin 1981, portant organisation commune des marchés dans le secteur du sucre (JO L 177, p. 4). Les requérantes demandent, à titre subsidiaire, que la Communauté économique européenne, représentée par le Conseil, soit déclarée responsable du préjudice qui résulterait pour elles de l'adoption des dispositions susmentionnées.
2. Les requérantes et la société campo Ebro Industrial SA (ci-après "Campo Ebro "), intervenue à leur soutien, sont les trois seuls producteurs espagnols d'isoglucose. Elles contestent la validité des paragraphes 3, sous A), et 5, sous A), de l'article 24 du règlement précité, lus en relation avec le paragraphe 2 du même article relatif à l'attribution des quotas de production d'isoglucose aux entreprises établies en Espagne, en invoquant la violation des principes d'égalité de traitement et de proportionnalité, et, comme moyen subsidiaire d'annulation, le caractère inadéquat de la répartition des quotas entre les trois producteurs espagnols d'isoglucose.
3. La demande de réparation formulée à titre subsidiaire est fondée sur l'article 215 du traité dont les conditions se trouveraient remplies en l'espèce.
4. Le Conseil, soutenu par la commission et par l'association général de fabricantes de Azucar de Espana (ci-après "AGFA "), a soulevé une exception d'irrecevabilité à l'égard des demandes formulées à titre principal et à titre subsidiaire. Conformément à l'article 91, paragraphe 3, du règlement de procédure, la Cour a décidé d'ouvrir la procédure orale sur l'exception.
5. Pour un plus ample exposé des faits de l'affaire et de l'argumentation des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
Sur la recevabilité des recours en annulation
6. Le Conseil fait valoir que les dispositions attaquées font partie intégrante d'un traité ayant la même valeur juridique que les traités originaires et que de ce fait elles ne relèvent pas d'un acte du Conseil susceptible d'être soumis au contrôle de légalité prévu à l'article 173 du traité CEE. L'article 8 de l'acte d'adhésion ne concernerait que la possibilité pour les institutions d'abroger ou de modifier les dispositions de cet acte ayant abrogé ou modifié, autrement qu'à titre transitoire, les actes pris par elles, sans recourir à la procédure de révision des traités prévue par l'article 6 de l'acte d'adhésion pour la suspension, la modification ou l'abrogation des dispositions de cet acte.
7. Les requérantes et Campo Ebro soutiennent que les dispositions attaquées constituent du droit dérivé, ainsi que l'indiquerait expressément l'article 8 de l'acte d'adhésion. A leur avis, un acte ne peut pas relever simultanément du droit dérivé pour certaines dispositions et du droit primaire pour d'autres. En outre, la thèse défendue par le Conseil aboutirait à distinguer le régime applicable, d'un coté, aux adaptations du droit dérivé figurant à l'annexe I et, de l'autre coté, à celles effectuées par les institutions conformément aux orientations définies par l'annexe II du même acte, ce qui serait arbitraire, puisque le choix de la procédure à suivre pour l'adoption de telles adaptations a été justifié par de simples raisons de commodité et d'opportunité. Elles soutiennent aussi que, si les dispositions attaquées échappaient au contrôle de la Cour, l'efficacité du système de protection juridictionnelle, les principes juridiques de base de la communauté et l'uniformité du droit communautaire s'en trouveraient compromis.
8. Pour Campo Ebro, la possibilité d'abrogation ou de modification après l'adhésion des adaptations à titre non transitoire des actes pris par les institutions indiquerait que de telles adaptations ne sauraient constituer des conditions d'admission au sens de l'article 237. En outre, la position du Conseil aboutirait à soumettre successivement, de façon paradoxale, l'article 24 du règlement n° 1785-81 à trois régimes différents : possibilité de recours jusqu'au 31 décembre 1985, immunité depuis le 1er janvier jusqu'au 30 juin 1986, nouvelle possibilité de recours depuis le 1er juillet 1986, date de l'entrée en vigueur du règlement n° 934-86 qui a étendu les dispositions du règlement n° 1785-81 jusqu'à la fin de la campagne de commercialisation 1990/1991.
9. Il convient d'observer tout d'abord que, conformément à l'article 1, paragraphe 2, du traité d'adhésion du Royaume d'Espagne et de la République portugaise, les conditions de l'admission et les adaptations des traités instituant la Communauté économique européenne et la Communauté européenne de l'énergie atomique qu'entraîne l'admission figurent dans l'acte joint à ce traité.
10. Les conditions d'admission concernent l'application aux nouveaux Etats membres de l'ensemble du droit communautaire en vigueur à l'époque de l'adhésion et constituent l'objet essentiel de l'acte relatif à l'adhésion des deux états précités.
11. Selon les articles 26 et 27 de l'acte d'adhésion, les adaptations établies à titre non transitoire figurent dans l'acte lui-même, à son annexe I, ou sont établies par le Conseil ou par la commission, conformément aux orientations définies par l'annexe II et selon la procédure et dans les conditions prévues à l'article 396.
12. Les adaptations figurant à l'annexe I de l'acte d'adhésion font ainsi l'objet de l'accord entre les Etats membres et l'Etat demandeur prévu à l'article 237 du traité. Elles ne constituent pas un acte du Conseil, mais des dispositions de droit primaire qui, selon l'article 6 du même acte et à moins que celui-ci en dispose autrement, ne peuvent être suspendues, modifiées ou abrogées que selon les procédures prévues pour la révision des traités originaires.
13. Contrairement à ce que soutiennent les requérantes et la partie intervenante Campo Ebro, la possibilité du contrôle de la légalité de telles dispositions ne peut pas être déduite de l'article 8 de l'acte d'adhésion, qui établit :
"Les dispositions du présent acte qui ont pour objet ou pour effet d'abroger ou de modifier, autrement qu'à titre transitoire, des actes pris par les institutions des communautés acquièrent la même nature juridique que les dispositions ainsi abrogées ou modifiées et sont soumises aux mêmes règles que ces dernières."
14. Cette disposition doit être lue en combinaison avec l'article 6, précité. En effet, l'article 8 ainsi que l'article 7, relatif aux dispositions transitoires, concrétisent les exceptions annoncées à l'article 6 quant à la procédure de modification et d'abrogation des dispositions de l'acte d'adhésion. L'article 8 n'a donc pas pour effet de soumettre au contrôle de légalité les dispositions auxquelles il se réfère.
15. Cette interprétation s'impose d'autant plus que les dispositions de l'acte d'adhésion consacrent les résultats des négociations d'adhésion lesquels constituent un ensemble destiné à résoudre des difficultés que l'adhésion entraîne soit pour la communauté, soit pour l'Etat demandeur.
16. L'argument tire du changement de nature des articles 24 à 32 du règlement n° 1785-81, qui, selon l'article 23, n'étaient applicables que pour les campagnes de commercialisation de 1981/1982 à 1985/1986, mais dont l'application a été prolongée par le Conseil jusqu'à la fin de la campagne de commercialisation 1990/1991, doit être rejeté. Il est vrai que les dispositions en cause, dans la mesure où elles concernent les campagnes postérieures à celles envisagées par l'acte d'adhésion, se trouvent soumises au contrôle juridictionnel prévu par l'article 173 du traité. Cette situation, contrairement à ce que prétend Campo Ebro, n'est toutefois pas paradoxale. Elle résulte du fait que l'accord des parties contractantes est, conformément à l'article 23, précité, limité à la durée d'application de telles dispositions.
17. En ce qui concerne le caractère prétendument arbitraire de la différence de régime entre les adaptations des actes des institutions résultant de l'acte d'adhésion lui-même et de celles des actes pris par les institutions conformément à l'article 27 du même acte, il y a lieu de relever que cette différence n'est que la conséquence des différentes procédures choisies. En effet, alors que les adaptations prévues à l'article 27 de l'acte sont arrêtées en vertu d'actes des institutions, qui sont soumis en tant que tels au régime général du contrôle de légalité prévu par le traité, les adaptations résultant directement de l'acte d'adhésion ne constituent pas des actes des institutions et ne sont dès lors pas susceptibles d'un contrôle de légalité.
18. Il résulte de ce qui précède que les dispositions attaquées, qui font partie intégrante de l'acte d'adhésion du Royaume d'Espagne et de la république portugaise, ne constituent pas un acte du Conseil au sens de l'article 173 du traité CEE et que, partant, la Cour n'a pas de compétence pour connaître de la légalité de telles dispositions. En conséquence, les recours en annulation sont irrecevables.
Sur les recours en responsabilité
19. Le Conseil considère que le dommage allègue résulte non pas d'un acte qu'il a adopté en tant qu'institution communautaire, mais bien des dispositions de l'acte d'adhésion. Au surplus, comme aucun comportement ne lui serait imputable quant à la fixation des règles contestées, le Conseil considère que l'article 215 du traité CEE n'est pas applicable en l'espèce.
20. Les requérantes soutiennent que les adaptations au droit dérivé sont imputables au Conseil en vertu du rôle prééminent qu'il exerce dans la procédure d'adhésion et, en conséquence, cette institution serait responsable des dommages qui en résulteraient.
21. Il y a lieu de relever qu'aux termes de l'article 237 les conditions d'admission et les adaptations du traité font l'objet d'un accord entre les Etats membres et l'Etat demandeur et que le Conseil n'a d'autre rôle que de statuer sur la demande d'adhésion.
22. Il en résulte que les recours en responsabilité, bien que dirigés en la forme contre le Conseil, visent en réalité à obtenir réparation de dommages éventuellement causés par un accord conclu entre les Etats membres, le Royaume d'Espagne et la République portugaise. La Cour n'ayant pas compétence pour connaître de tels recours, il en résulte que les recours en responsabilité sont irrecevables.
Sur les dépens
23. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. Les parties requérantes ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de les condamner solidairement aux dépens. La partie intervenante Campo Ebro supportera ses propres dépens.
Par ces motifs,
LA COUR,
Déclare et arrête :
1) Les recours sont rejetés comme irrecevables.
2) Les parties requérantes sont condamnées solidairement aux dépens.
3) La partie intervenante Campo Ebro supportera ses propres dépens.