CJCE, 29 septembre 1982, n° 26-81
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Oleifici Mediterranei (SA)
Défendeur :
Communauté économique européenne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Avocat :
Me Jakhian.
LA COUR,
1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 13 février 1981, la SA Oleifici Mediterranei, entreprise d'importation et d'exportation d'huile d'olive, établie à Quiliano (Italie), a introduit, en vertu des articles 178 et 215, alinéa 2, du traité, un recours visant à l'allocation d'une somme de 50 629 unités de compte en principal, assortie des intérêts au taux de 8 % à compter du 4 mai 1979 et jusqu'au jour de l'arrêt à intervenir, en réparation du dommage qui lui aurait été causé par la Communauté économique européenne, en raison de l'adoption par le Conseil et la Commission des Communautés européennes d'une réglementation tendant à mettre en œuvre la réforme du régime applicable à l'huile d'olive dans le cadre de l'organisation commune des marchés dans le secteur des matières grasses.
2. La responsabilité de la Communauté étant mise en cause du fait de ses règlements, il convient de rappeler, à titre liminaire, le cadre réglementaire fixant le régime applicable à l'huile d'olive.
3. Le règlement n° 136-66 du Conseil, du 22 septembre 1966, portant établissement d'une organisation commune des marchés dans le secteur des matières grasses (JO L 172, p. 3025), a fixé les règles essentielles concernant le régime des échanges de l'huile d'olive comportant la fixation de prix uniques assortis d'aides à la production motivées par le prix relativement bas des produits de substitution. En matière d'échanges avec les pays tiers, il avait été instauré la perception d'un prélèvement à l'importation et le versement d'une restitution à l'exportation, d'où l'exigence pour les deux opérations de certificats dont la délivrance était subordonnée à la constitution d'une caution qui restait acquise en tout ou partie si l'opération n'était pas réalisée durant la validité du certificat, ou n'était réalisée que partiellement, ainsi qu'il résulte de l'article 17 du règlement n° 136-66 et de sa modification apportée par le règlement n° 2554-70 du Conseil, du 15 décembre 1970, relatif aux certificats d'importation et d'exportation dans le secteur des matières grasses (JO L 275, p. 5).
4. Ce système d'échanges avec les pays tiers a été complété par le règlement n° 171-67 du Conseil, du 27 juin 1967, relatif aux restitutions et prélèvements applicables à l'exportation d'huile d'olive (JO L 130, p. 2600), qui a instauré un régime spécifique des échanges, dit " exim ", régime expressément prévu à l'article 9, paragraphe 1, disposant que :
" Sur demande de l'intéressé, la restitution à l'exportation d'huile d'olive est accordée sous forme d'une autorisation d'importer en franchise de prélèvement une quantité d'huile d'olive correspondant à la quantité d'huile d'olive exportée, à condition que la preuve soit apportée que l'exportation a eu lieu préalablement à l'importation et que l'importation soit effectuée dans un délai à déterminer. "
5. En 1978, le système ci-dessus décrit a été modifié. En vue d'assurer la vente de l'huile d'olive communautaire face à la concurrence des autres huiles végétales tout en assurant aux producteurs un revenu équitable, le Conseil a, par règlement n° 1562-78 du 29 juin 1978 (JO L 185, p. 1), complété le régime d'aide à la production prévu par le règlement n° 136-66 par un régime d'aide à la consommation (article 11), destiné à assurer la vente d'huile d'olive à des prix concurrentiels avec le prix des huiles de graine. Ce rapprochement des prix communautaires des prix sur les marchés mondiaux devait, à son tour, amener un abaissement du prix de seuil et, par voie de conséquence, une diminution du prélèvement à l'importation d'huile d'olive en provenance de pays tiers.
6. En outre, le système de prélèvements a été substantiellement modifié. En vertu de l'article 16 dudit règlement, la Commission est autorisée dans certaines circonstances à imposer un système de prélèvements à fixer par voie d'adjudication. Dans ce cas, la Commission fixe périodiquement un taux de prélèvement minimal ; tout soumissionnaire ayant déclaré un taux de prélèvement égal ou supérieur est déclaré adjudicataire et oblige d'importer la quantité du produit indiqué dans sa demande au taux de prélèvement indiqué par lui, quel que soit le moment de l'importation.
7. L'entrée en vigueur de ce régime d'aide à la consommation, prévue pour le 1er novembre 1978 - début de la campagne 1978-1979 - a dû, selon le Conseil, en raison des difficultés techniques de sa mise en place, être reportée une première fois au 1er mars 1979. En conséquence, le règlement n° 3088-78 du Conseil, du 19 décembre 1978 (JO L 369, p. 11), prévoyait, pour la période encore à courir de la campagne 1978-1979, deux prix de seuil différents : le premier fixé à 145,43 UC/100 kg jusqu'au 28 février 1979, le second fixé a 119,44 UC/100 kg à partir du 1er mars 1979, soit une diminution de 25,99 UC/100 kg.
8. Cependant, constatant, en février 1979, que les difficultés persistaient, le Conseil a repoussé l'entrée en vigueur des nouveaux prix au 1er avril par le règlement n° 360-79 du Conseil, du 20 février 1979, modifiant le règlement n° 3088-79 en ce qui concerne, pour la campagne de commercialisation 1978-1979, les périodes d'application des prix représentatifs de marché et des prix de seuil de l'huile d'olive (JO L 46, p. 1).
9. La Commission, qui est autorisée, en vertu de l'article 16, paragraphe 6, du règlement de base n°136-66 (tel que modifié par le règlement n° 1562-78), à arrêter les modalités d'application du système de prélèvements, a estimé, en raison de la circonstance que le prix de seuil de l'huile d'olive s'était sensiblement modifié à partir du 1er avril 1979, que les taux des prélèvements qui résultaient d'une procédure d'adjudication antérieure à cette date et qui étaient indiqués dans les certificats d'importation, devaient être réduits de 24,18 UC/100 kg, pour les importations d'huile d'olive pour lesquelles un certificat avait été demandé avant le 1er avril 1979, mais qui n'étaient réalisées qu'après cette date (règlement n° 884-79 du 3 mai 1979, JO L 111, p. 18). En revanche, aucune mesure transitoire comparable n'a été prise pour le régime " exim " en ce qui concerne les quantités d'huile d'olive importées après le 1er avril 1979, alors que les exportations correspondantes avaient été effectuées avant cette date.
10. La requérante a, avant le 1er avril 1979, exporté vers, et, après cette date, importe en provenance des pays tiers, certaines quantités d'huile d'olive sous le régime " exim ", dont elle avait sollicité le bénéfice, exportant dès lors sans restitution et important sans payer de prélèvement. A l'appui de son recours, elle soutient essentiellement que la Commission aurait également dû prévoir un système transitoire en ce qui concerne les opérations " exim " et qu'en omettant de le faire, elle aurait commis une illégalité engageant sa responsabilité et l'obligeant à réparer le préjudice - perte ou manque à gagner - qui aurait résulté pour la requérante des opérations " exim " au cours de la période considérée.
11. La requérante admet qu'il était prévisible pour tous les opérateurs économiques que la mise en vigueur du système d'aide à la consommation - originairement prévu pour le 1er novembre 1978 - devait amener une baisse du prix de l'huile d'olive dans le Marché commun, tant pour l'huile importée que pour l'huile indigène. Elle soutient que, toutefois, à la suite d'une première et ensuite d'une seconde remise de la date d'entrée en vigueur du système d'aide, elle pouvait raisonnablement escompter que le régime antérieur serait une fois de plus prolongé au-delà du 1er avril 1979. En conséquence, elle aurait effectué les opérations " exim ", notamment en ce qui concerne les prix qu'elle payait pour l'huile à importer dans la Communauté, à des conditions tenant compte du maintien, également après le 1er avril 1979, du prix de l'huile dans le Marché commun aux niveaux résultant du prix de seuil tel qu'il était fixé antérieurement à cette date.
12. La requérante estime en conséquence, à titre principal, qu'en ne prévoyant pas dans le règlement n° 884-79 des mesures transitoires, destinées à compenser pour les importateurs " exim " la baisse des prix sur le Marché communautaire, comme elle a prévu des mesures transitoires en faveur des importateurs qui s'étaient liés au paiement d'un prélèvement élevé, la Commission aurait commis une illégalité de nature à engager la responsabilité de la Communauté et dont celle-ci doit réparer les conséquences dommageables. A titre subsidiaire, la requérante met en cause la responsabilité de la Communauté du chef de l'action du Conseil, par application du principe de la responsabilité sans faute du fait de la loi.
En ce qui concerne le recours dirigé contre la Commission
13. La requérante soutient, à titre principal, que la Commission n'aurait pas, en l'espèce, un véritable pouvoir de choix économique puisque sa compétence se trouvait réduite, dans les limites des règlements du Conseil dont elle assurait l'exécution, à adopter une mesure transitoire à l'occasion d'un abaissement du taux des prélèvements tel qu'il résultait de l'appréciation faite par le Conseil lui-même. De cette situation juridique, la requérante tire la conséquence qu'il lui suffirait d'établir que le règlement était illégal sans avoir à prouver l'existence d'une illégalité grave et caractérisée constituant la violation d'un principe supérieur de droit protégeant les particuliers. Toutefois, et à titre subsidiaire, la requérante estime que si la Cour devait retenir la thèse que la Commission disposait d'un large pouvoir d'appréciation, les griefs articulés contre celle-ci permettraient néanmoins de retenir une telle faute grave, constituée par l'omission d'avoir pris des mesures transitoires au profit des opérateurs " exim ". La Commission aurait ainsi violé, premièrement, le principe de l'égalité de traitement en considérant de manière différente des situations objectivement comparables et, deuxièmement, le principe de la confiance légitime, car les opérateurs " exim ", dans l'impossibilité de déterminer la date d'entrée en vigueur de la modification, auraient pu légitimement escompter que des mesures transitoires seraient prises. Ce serait, enfin, dans cette absence de mesures transitoires en faveur des opérateurs " exim ", que résiderait la cause du dommage subi.
14. La Commission rejette l'ensemble de cette argumentation. En ce qui concerne tout d'abord son pouvoir d'appréciation, elle soutient que l'article 16, paragraphe 6, du règlement n° 1562-78 aurait pour objet d'habiliter la Commission à prendre des mesures quant à la fixation du prélèvement en observant la procédure décrite à l'article 38 et faisant intervenir le Comité de gestion des matières grasses. Par ailleurs, selon elle, la situation des deux catégories d'opérateurs concernés ne serait pas comparable puisque, alors que l'opérateur en espèce, en préfixant son prélèvement, entendrait se prémunir contre un risque économique ; l'opérateur " exim " au contraire accepterait de prendre un tel risque en se livrant à une spéculation fondée sur la renonciation à un avantage en contrepartie éventuelle d'un autre avantage dont il escompterait qu'il serait supérieur. Cette différence justifierait le fait qu'aucune mesure transitoire n'ait été prise en faveur des opérateurs " exim ".
15. La Commission insiste en outre - ainsi que le Conseil - sur un autre moyen qui devrait faire rejeter le recours. Selon eux, la cause du dommage ne résiderait pas dans la réglementation, mais dans le comportement de la requérante.
16. Selon une jurisprudence constante de la cour, il ressort de l'article 215 du traité CEE que l'engagement de la responsabilité extra-contractuelle de la Commission et la mise en œuvre du droit à la réparation du préjudice subi dépendent de la réunion d'un ensemble de conditions en ce qui concerne l'illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage et l'existence d'un lien de causalité entre ce comportement et le préjudice invoqué.
17. Il en résulte que la responsabilité de la Communauté ne saurait être tenue pour engagée sans que soient réunies toutes les conditions auxquelles se trouve subordonnée l'obligation de réparation définie par l'article 215, alinéa 2.
18. Dans la présente espèce, il y a lieu d'examiner en premier lieu le moyen tiré de l'absence de lien de causalité entre le comportement incriminé de la Commission et le dommage allégué.
19. Selon les défenderesses, l'origine du manque à gagner de la requérante résiderait dans le comportement de celle-ci, qui aurait choisi le régime " exim " à une époque où elle savait pertinemment que des modifications devaient intervenir consistant essentiellement dans la création d'une aide à la consommation qui allait inéluctablement entraîner une baisse des prix communautaires, mais en supputant que l'entrée en vigueur du nouveau régime serait suffisamment différée pour lui permettre de mener son opération " exim " jusqu'à son stade final avant cette mise en vigueur ; le Conseil fait, en particulier, remarquer qu'une telle attitude constituerait une acceptation volontaire de la part de la requérante du risque que les prix de vente communautaires de l'huile d'olive soient affectés par l'application de l'aide à la consommation.
20. La requérante soutient que, dans la mesure où la date d'entrée en vigueur de la modification décidée serait restée trop longtemps incertaine, l'opérateur " exim " aurait été en droit de penser que, le régime " exim " étant ouvert, il pouvait l'utiliser et qu'éventuellement le législateur communautaire prendrait les mesures transitoires nécessaires afin que ce régime ne se retourne pas contre elle. Ainsi, le fait que de telles mesures n'aient pas été prises constituerait la cause du dommage.
21. Il est constant que la requérante n'ignorait pas que le règlement n° 1562-78 du Conseil avait introduit, le 29 juin 1978, un nouveau régime applicable à l'huile d'olive qui devait avoir pour effet une baisse des prix de seuil et que le règlement n° 3088-78 du Conseil avait décidé, le 19 décembre 1978, que ce nouveau régime devait entrer en vigueur le 1er mars 1979.
22. Dans ces conditions, la requérante, en tant qu'exportateur avisé, pleinement informée des conditions réglementaires du Marché, ne pouvait pas ignorer, le 27 janvier 1979, au moment de son opération d'exportation en Libye, premier volet de son opération " exim ", qu'il était prévu, pour le 1er mars 1979, une baisse des prix de seuil qui devait rendre les opérations d'importations sans prélèvements moins intéressantes.
23. La circonstance que la date effective d'entrée en vigueur du système d'aide à la consommation a été reportée une deuxième fois le 20 février 1979 pour un mois, n'était pas de nature à changer le risque que la requérante avait librement choisi de courir.
24. Dès lors, le préjudice allégué n'a pas été provoqué par le comportement des institutions communautaires, mais est imputable exclusivement au choix de la requérante qui ne pouvait ignorer la réglementation applicable à ses opérations et les conséquences qui pourraient découler de son comportement.
25. Ainsi, sans qu'il soit besoin d'examiner la licéité du règlement n° 884-79 et la réalité du dommage, le recours, en tant que dirigé contre la Commission, doit être rejeté.
En ce qui concerne l'action dirigée contre le Conseil
26. La requérante soutient à l'encontre du Conseil que, bien que les règlements n° 1562-78, 3088-78 et 360-79 ne soient pas illégaux, la responsabilité du Conseil serait néanmoins engagée, car elle écoulerait du principe admis en droit communautaire de la responsabilité sans faute de l'autorité législative.
27. Il résulte cependant des considérations ci-dessus développées que le dommage allégué, à le supposer établi, serait exclusivement dû au comportement de la requérante et qu'il y a lieu de ce fait de rejeter également le recours en tant que dirigé contre le Conseil.
28. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens.
29. La requérante ayant succombé dans ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR
Déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) La requérante est condamnée aux dépens de l'instance.