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Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 12 octobre 1994, n° 14191-93

PARIS

arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Société Lyonnaise de Crédit Bail (Sté)

Défendeur :

Touati

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Vigneron

Conseillers :

Mme Jaubert, M. Betch

Avoués :

Me Dampenon, SCP Goirand

Avocats :

Mes Tirlocq, Offroy.

T. com. Paris, 4e ch., du 25 mars 1993

25 mars 1993

Le 10 juillet 1990 la Société Des Mobiliers Télécommunications (ci-après dénommée SDMT) a conclu pour une durée de 48 mois avec Madame Touati, pharmacienne, un contrat intitulé réseau-image par lequel celle-ci s'engageait à accepter l'installation dans son officine, d'un "ensemble DCD"( diffuseur plus écran haute définition) destiné à diffuser vingt pages de publicité de laboratoires pharmaceutiques moyennant au bénéfice de Mme Touati le versement par SDMT d'une redevance de 1 000 F HT par mois, la réservation de cinq pages supplémentaires pour la diffusion à sa cliente de ses propres messages et l'entretien du matériel ;

A la même date Madame Touati concluait avec la société Lyonnaise de Crédit Bail Slibail (ci-après dénommée la société Slibail ) un contrat de crédit-bail au terme duquel cette société lui donnait à bail pour une durée de 48 mois un diffuseur télémat fourni par SDMT. Cet appareil qui correspondait à celui nécessaire à l'exécution du premier contrat a été réceptionné le 25.07 par Mme Touati.

SDMT ayant cessé de remplir ses obligations, Madame Touati a cessé le paiement de ses loyers à compter de l'échéance du 25.09.1991, ce, malgré une mise en demeure du 13.11.1991. La société Slibail a dans ces conditions résilié le contrat de crédit bail le 16.12.1991 et assigné Madame Touati devant le Tribunal de commerce de Paris qui par jugement du 25.3.1993 assorti de l'exécution provisoire a :

- dit que la loi du 10.01.78 n'était pas applicable en contrat de crédit-bail et a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la défenderesse ;

- dit que le dit contrat a pris fin le 22.11.1991 et condamné Madame Touati à payer à la société Slibail la somme de 2 371,88 F au titre des loyers impayés et celle de 45,61 F au titre des intérêts de retard, le tout avec intérêts au taux légal à compter du 16.12.1991.

- débouté les parties de leurs demandes plus amples et contraires et notamment la société Slibail de sa demande en paiement de la somme de 39 576,58 F à titre de dommages et intérêts et de celle de 4 405,42 F au titre de la clause pénale au motif qu'en ne veillant pas à ce que son cocontractant ait préalablement à la signature du contrat une exacte connaissance de l'étendue de ses obligations, le crédit bailleur avait commis une faute de nature à exonérer le preneur de sa responsabilité ;

Au soutien de l'appel qu'elle a interjeté de cette décision la société Slibail fait valoir que :

- aucune obligation d'information ne peut être mise à sa charge concernant le contrat de diffusion d'images publicitaires puisqu'elle est étrangère à ce contrat qu'elle n'avait pas à connaître comme n'étant intervenue et n'ayant à intervenir qu'au titre du financement du matériel et qu'il appartenait à Madame Touati de recueillir auprès de (DMT, sa cocontractante, toutes informations utiles ;

- Madame Touati ne saurait, par ailleurs, valablement invoquer sa prétendue qualité de consommateur pour voir peser sur le crédit bailleur en tant que tel une obligation d'information et voir en outre déclarer nulles, la clause relative à l'indemnité de résiliation et la clause pénale prévues au contrat de crédit-bail dès lorsque le matériel qu'elle a loué était destiné à son activité professionnelle et que ce contrat est donc régi par les dispositions de la loi du 02.07.1966 et non par celles des lois n° 78-22 et 78-23 du 10.01.1978, et que, de plus, les clauses litigieuses ne sont pas abusives le preneur ayant la faculté de proposer un acquéreur pour le matériel dans les 15 jours suivant la résiliation du contrat de crédit bail ;

- à supposer que les deux contrats qui sont distincts et indépendants aient été présentés à la signature de Mme Touati par une seule et même personne, ce qui n'est pas démontré, cette dernière n'a fait que transmettre sans pouvoir la volonté d'autrui et n'a donc pas agi comme mandataire ;

- Mme Touati ne peut valablement prétendre que le contrat de crédit- bail a été résilié à son profit en invoquant les arrêts de la chambre mixte du 23.11.1990 aux termes desquels la résolution du contrat de vente entraîne la résiliation du contrat de crédit-bail, la résolution de la vente du matériel n'ayant jamais été sollicitée en l'espèce ;

- elle a rempli ses obligations consistant en la mise à disposition du matériel par le paiement de celui-ci au fournisseur au vu du procès verbal de réception et de conformité signé par le locataire ;

- Mme Touati qui n'a pas restitué le matériel et est de mauvaise foi est redevable de l'indemnité d'immobilisation et de celle tirée de la clause pénale et en tout état de cause de la somme de 2 371,88 F correspondant aux loyers échus et impayés à la date de la résiliation ; Elle prie la cour de :

- réformer le jugement déféré en ce qu'il l'a déboutée de sa demande en paiement de l'indemnité de résiliation et de la peine contractuelle ;

- condamner Madame Touati à lui payer les dites indemnités avec intérêts au taux légal à compter du 16.12.1991,date de la résiliation et sous déduction du prix de revente du matériel après restitution ainsi que la somme de 5 000F en vertu de l'article 700 du NCPC.

Madame Touati oppose que :

- l'interdépendance des deux contrats est manifeste puisque la présentation de leur complémentarité et de la neutralité financière de l'opération ont emporté son adhésion et que la conclusion du contrat de crédit bail a pour cause les avantages qu'elle était en droit d'espérer de la conclusion du contrat de louage de services avec SDMT.

Elle doit être assimilée au consommateur puisqu'elle a contracté comme professionnelle agissant en dehors de sa sphère de compétence, de plus la loi du 10.01.1978 est susceptible de s'appliquer aux conventions souscrites pour les besoins d'une profession à l'exclusion des prêts, or en l'espèce le contrat est un contrat non de prêt mais de crédit-bail ;

- elle doit être exonérée des pénalités prévues au contrat de crédit-bail aux motifs que la société Slibail 1°) en ne l'informant pas de la nature et de l'étendue de ses obligations contractuelles, notamment des conséquences de l'inexécution par SDMT de ses obligations contractuelles qu'elle connaissait nécessairement, la même personne ayant été mandatée par les deux sociétés pour lui faire signer les deux contrats, a méconnu ses obligations tirées de l'article 2 de la loi du 18.01.1992, d'une jurisprudence constante et de l'article 1134 al 3 du Code civil ce d'autant qu'il s'agissait d'une vente à domicile, 2°) a manqué aux obligations essentielles des établissements de crédit en ne s'assurant pas du risque de l'opération qu'elle finançait ;

- les dispositions relatives à la clause pénale, à l'indemnité de résiliation ainsi qu'aux pénalités de retard prévues aux articles 15-3-1 et 15-3-2 du contrat de crédit bail doivent être déclarées nulles et non avenues sur le fondement de l'article 35 de la loi du 10.01.1978 au motif qu'elles confèrent à Slibail un avantage excessif puisqu'elles " font supporter la totalité des risques de détérioration ou résultant de l'impossibilité totale d'utilisation de la chose louée, par suite de la procédure collective concernant l'entreprise chargée du maintien de son service, de sa maintenance et de son entretien et qui seule connaissait le matériel, équipollents à un événement imprévisible et irrésistible constitutif de force majeure ,sans qu'aucune faute soit évidemment imputable à la concluante, et ont eu pour effet de priver également cette dernière de la possibilité de chercher un acquéreur et d'exercer son contrôle sur les conditions de revente" ;

Elle demande à la cour :

- de déclarer nulles et non avenues les dispositions du contrat relatives à la clause pénale, à l'indemnité de résiliation ainsi qu'aux pénalités de retard ;

- déclarer irrecevable la société Slibail en l'ensemble de ses chefs de demande, l'en débouter ;

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer la somme de 2 371,88 F.

- condamner la société Slibail à lui restituer cette somme versée au titre de la condamnation assortie de l'exécution provisoire ;

SUR CE :

Considérant que le 10.07.1990 Madame Touati, pharmacienne, a conclu deux contrats avec deux personnes morales distinctes, SDMT d'une part et la société Slibail d'autre part ;

que le premier contrat a pour objet la location, par une opération de crédit-bail, de matériel comprenant un diffuseur cyclique, une télévision couleur et un bras orientable, le second une prestation de service la maintenance de ce matériel et la diffusion de publicités de laboratoires pharmaceutiques et de messages du pharmacien grâce au centre serveur du réseau image ;

Que le contrat de crédit-bail fait référence à SDMT en sa seule qualité de fournisseur du matériel donné en location et précise que la preneur a pris seul l'initiative du choix du matériel et du fournisseur ;

Qu'à supposer que la même personne ait présenté à Madame Touati les deux contrats, ce qui est dénié par la société Slibail, il n'est pas établi qu'elle ait agi au regard de la société Slibail non seulement en qualité de fournisseur du matériel habilité le cas échéant à faire signer le contrat de crédit bail mais encore comme négociatrice du contrat " réseau image" ou pour le moins comme étant chargée par SDMT de recueillir pour ce contrat la signature de Mme Touati ;

Que de plus, si le contrat de crédit-bail est indissociable du contrat de vente du matériel loué conclu entre la société Slibail et SDMT puisqu'il porte sur l'objet même de la vente il ne l'est pas du second contrat qui est un contrat de prestation de service dont l'objet est distinct ;

Que de surcroît le matériel ne permet pas exclusivement la diffusion d'images du réseau-image ;

Que les contrats litigieux sont indépendants ;

Considérant que Madame Touati ne rapporte pas la preuve que la société Slibail avait connaissance de l'existence ou en tout cas du contenu du contrat de prestation de service ;

Qu'elle est donc mal fondée a faire grief à cette société de ne pas l'avoir informée sur les conséquences de l'inexécution par SDMT de ses obligations nées du dit contrat et de n'avoir pas analysé le risque de l'opération qu'elle finançait ;

Considérant que le contrat de crédit-bail concerne la location de matériel échappant à la compétence professionnelle de Mme Touati qui se trouvait lors de sa conclusion dans le même état d'ignorance qu'un consommateur ;

Qu'elle est bien fondée à se prévaloir des règles protectrices du consommateur ;

Que ce contrat qui a été conclu le 10.07.1990 n'est pas soumis aux dispositions de l'article 2 de la loi du 18.01.1992.

Qu'il y a lieu toutefois de relever que Madame Touati n'invoque ni un vice du matériel ni son inadéquation à l'usage auquel il était destiné lequel est directement rattachable à son activité professionnelle ;

Qu'en revanche l'article 35 de la loi N° 78-23 du 10.01.1978 est applicable ;

Que les articles 15-3-1 et 15-3-2 du contrat de crédit bail sanctionnent l'inexécution par le preneur de ses obligations, dont comme en l'espèce le non paiement des loyers, par la résiliation du contrat et le versement à titre de dommages et intérêts destinés à compenser le préjudice subi par le bailleur d'une somme égale au montant total hors taxe de tous les termes du loyer non encore venus à échéance à la date de la résiliation majorée du montant de la valeur résiduelle fixée aux conditions particulières, le preneur en cas de revente du matériel ayant toutefois droit , dans la limite des dommages et intérêts, au remboursement d'une somme égale, selon le cas, au prix de vente hors taxes ou aux termes du loyer hors taxes, effectivement perçus par le bailleur, déduction faite de frais de réparation, de transport, droit de rétention, commission de vente fixée forfaitairement à 6 % du prix de vente hors taxe ;

Qu'il est expressément prévu que le preneur pourra soumettre à l'agrément du bailleur une offre écrite de rachat du matériel par un acheteur solvable dans les quinze jours qui suivront la résiliation ;

Que la société Slibail a dans sa lettre de résiliation du 16.12.1991 rappelé les termes de cette clause à sa co-contractante ;

Que les clauses critiquées ne sont pas abusives au sens de l'article 35 de la loi susvisée ;

Que de plus en vertu de l'article 1153 du Code civil le retard dans le paiement de sommes dues donne droit au paiement d'intérêts de retard ;

Que par ailleurs Madame Touati ne justifie pas avoir restitué le matériel ;

Que Madame Touati sera condamnée à payer la somme de 43 982 F avec intérêts au taux légal à compter du 16.12.1991 en sus des condamnations prononcées par les premiers juges lesquelles comprennent les intérêts de retard à compter de cette date applicables aux loyers impayés ;

Considérant qu'il n'est pas inéquitable de laisser la société Slibail supporter ses frais irrépétibles de première instance et d'appel ;

Qu'elle sera déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du NCPC.

Par ces motifs, LA COUR, Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Slibail de sa demande en paiement de l'indemnité de résiliation et de la peine contractuelle ; Statuant à nouveau et y ajoutant ; Condamne Madame Touati à payer à la société Slibail la somme de 43 982 F avec intérêts au taux légal à compter du 16 12 1991 et sous déduction du prix de revente du matériel après restitution ; Déboute la société Slibail de sa demande fondée sur l'article 700 du NCPC. Déboute les parties de toutes demandes plus amples ou contraires ; Condamne Madame Touati aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du NCPC.