CA Chambéry, ch. civ. sect. 1, 29 octobre 1990, n° 998-88
CHAMBÉRY
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Zekian
Défendeur :
Chatel ; Locam (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Finance
Conseillers :
MM. Rogier, Clergue
Avoués :
Mes Delachenal, Dantagnan, Buttin
Avocats :
Mes Bel, Pignarre, Fournier Bidoz.
Par acte du 20 juillet 1985, Monsieur Chatel louait auprès de la société Locam une machine automatique à frites vendue par Monsieur Zekian pour 81 384 F.
Selon Monsieur Chatel, l'appareil dégageait de telles odeurs que, sur plainte des voisins, la Mairie d'Albertville lui demandait de retirer la machine. Il entreposait ensuite son acquisition qu'il ne resservait que lors de la foire d'Albertville en mai 1986, alors qu'il l'avait prêtée à Monsieur Pouchkine et que les mêmes phénomènes se reproduisaient en sus de dysfonctionnements.
Monsieur Chatel sollicitait une expertise en référé et l'expert déposait son rapport le 2 mars 1987.
Par décision du 14 juin 1988, le Tribunal d'instance d'Albertville a estimé que la machine automatique à frites livrée par Monsieur Zekian à Monsieur Chatel n'était pas conforme à l'objet poursuivi, n'était susceptible d'aucune remise en état et prononçait la résolution du contrat de vente conclu entre Monsieur Zekian et la société Locam en juillet 1985 et condamnait Monsieur Chatel à restituer ce bien à Monsieur Zekian, celui-ci devant rendre à Monsieur Chatel la somme de 81 834 F montant du prix de vente, et lui verser 5 000 F de dommages-intérêts.
Ce jugement précisait que le contrat de location conservait son plein et entier effet et déboutait la société Locam de sa demande en paiement de loyers.
Monsieur Zekian était condamné à verser 3 000 F à Monsieur Chatel au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, toutes ces sommes portant intérêts au taux légal à compter du jugement.
Monsieur Zekian était en outre condamné aux dépens.
Il relevait appel de cette décision le 17 juillet 1988.
Par conclusions du 28 septembre 1989, Monsieur Chatel sollicitait la confirmation, de même que la société Locam, le 26 mars 1990.
Par écritures du 8 novembre 1989, Monsieur Zekian reprend ses premières écritures en soutenant que le seul tribunal compétent était celui de Saint Etienne au vu du contrat de crédit bail ; que la garantie contractuelle expirait au bout de 6 mois et que donc l'action était irrecevable, car exercée au-delà de ce délai, et que, en toute hypothèse, l'action en vices cachés n'a pas été intentée à bref délai ;
Il estime que la machine livrée correspondait bien à son objet et qu'il n'y avait donc pas non conformité comme l'a relevé le tribunal ;
Il soutient que l'expert n'avait pas à examiner d'autres machines et que notamment celle de Monsieur Conti fonctionne mais qu'un arrêté municipal lui interdit "toutes cuissons sur la voie publique" et que contrairement aux affirmations de l'expert, il fournit des attestations soulignant le fonctionnement parfait de machines de tels types.
Il pense que le mauvais fonctionnement de la machine et les odeurs d'huile proviennent de ce que Monsieur Chatel n'a pas suivi les directives d'entretien et d'utilisation des produits préconisés.
Quant au service après vente, il rappelle qu'en début de procédure et à titre commercial, il avait proposé une remise en marche de la machine, refusée par Monsieur Chatel.
Il sollicite donc la réformation du jugement, le débouté de Monsieur Chatel et sa condamnation à lui payer 5 000 F de dommages-intérêts, outre 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux dépens.
Par conclusions du 19 juillet 1990, Monsieur Chatel soutient que, dès le premier jour, une forte odeur d'huile se dégageait de la machine et que devant les plaintes des commerçants voisins, la mairie lui demandait de retirer son matériel.
Il affirmait que la machine, qui n'a fonctionné que quelques jours à l'origine, a été réinstallée du 30 avril au 11 mai 1986, alors qu'il l'avait prêtée à Monsieur Pouchkine, qui chaque jour relevait une panne différente, ce qui rendait son utilisation particulièrement difficile.
Il se résolvait à introduire une action en référé le 22 juillet 1986.
Dans ce cadre, un expert était désigné, qui concluait "la machine est conçue de telle manière qu'elle ne peut faire autrement que tomber en panne"
Selon cet homme de l'art, c'est la conception même de la machine qui doit être remise en cause, le matériel étant dépourvu de fiabilité.
Sur la compétence, il se fonde sur les dispositions de l'article 46 du nouveau Code de procédure civile, lui offrant la possibilité d'attraire Monsieur Zekian devant le tribunal de grande instance du lieu de livraison et, si la qualification de crédit bail était accordée, la clause de compétence se trouvant dans le contrat ne pourrait qu'être annulée car n'étant pas apparente en vertu de l'article 48 du nouveau Code de procédure civile.
Il soutient que la garantie de 6 mois ne pouvait s'appliquer qu'aux défauts de fonctionnement et non au défaut de conformité et affirme que, de plus, Monsieur Zekian lui aurait toujours annoncé une garantie d'un an.
Il se retourne contre la société Locam, affirmant que les clauses microscopiques figurant au verso du contrat ne lui sont pas opposables et que, donc, cette société devra lui rembourser les loyers encaissés, soit 125 103 F et subsidiairement, il sollicite la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a condamné Monsieur Zekian à lui payer le prix d'acquisition, soit 81 843 F.
Il sollicite au titre du préjudice commercial la somme de 100 000 F et celle de 8 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par conclusions du 6 septembre 1990, la société Locam soutient que les opérations d'expertise lui sont inopposables et que la demande de condamnation formulée contre elle par Monsieur Chatel est une prétention nouvelle, irrecevable en l'état des dispositions de l'article 564 du nouveau Code de procédure civile.
Elle sollicite donc la confirmation du jugement en ce qu'il a constaté que le contrat de location conserve son plein et entier effet et la condamnation de Monsieur Chatel à lui verser la somme de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Sur quoi, LA COUR
Sur la compétence :
Attendu que le contrat de crédit longue durée a été uniquement passé entre Monsieur Chatel et la société Locam ; que Monsieur Zekian n'y a nullement été partie ; que donc les clauses pouvant figurer dans ce contrat ne peuvent être invoquées par une personne n'y ayant pas participée ; qu'en effet, le bon de commande entre Monsieur Chatel et Monsieur Zekian est en date du 11 juin 1985 et que la société Locam n'est intervenue que pour le financement après qu'il y ait eu accord du vendeur et de l'acheteur sur le type de produit et le prix;
Attendu que selon l'article 46 du nouveau Code de procédure civile, le demandeur peut "saisir à son choix outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur :
- en matière contractuelle, la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose..."
Attendu qu'il n'est pas contesté que la livraison a eu lieu à Albertville et qu'ainsi le tribunal de cette ville, statuant en matière commerciale, était dès lors compétent ;
Sur la garantie :
Attendu que Monsieur Zekian soutient que la garantie contractuelle n'était que de 6 mois comme le confirme une lettre de la société Locam du 4 juin 1985 ; que toutefois Monsieur Chatel affirme que Monsieur Zekian lui avait indiqué une période d'un an ; qu'il y a lieu de relever que dans le contrat de longue durée (article 6) il est stipulé que le locataire bénéficiera de la garantie accordée par le... fournisseur, et, à cette fin, le bailleur subrogera le locataire dans ses droits" ;
Qu'il n'est nullement indiqué de durée dans ce contrat et qu'il n'est pas démontré que la société Locam ou Monsieur Zekian aient fait connaître à Monsieur Chatel la durée de cette garantie ;
Attendu qu'il est de jurisprudence constante que ces clauses limitatives de responsabilité dans le temps sont nulles et qu'outre la garantie contractuelle, plus facile à mettre en œuvre, tout acquéreur bénéficie des garanties légales qui ne peuvent être limitées, sauf textes spéciaux ; qu'en l'occurrence, un tel texte n'existe pas et qu'ainsi la garantie peut être due même au-delà des limitations contractuelles ;
Sur la non-conformité ou les vices cachés :
Attendu que, pour qu'il y ait non conformité, il faut que le produit vendu soit non conforme à l'usage auquel il est destiné ;
Attendu qu'en l'espèce il s'agit d'une machine à frites automatique ; que le but recherché est, moyennant paiement d'une certaine somme, obtention d'une portion de frites ;
Attendu que l'expert conclut "la machine Jet Fritt n'est pas fiable, les odeurs d'huile de palme ne sont pas totalement éliminées, la garantie annuelle du matériel n'a pas été assurée par le vendeur Monsieur Zekian, il n'y a pas de solution technique pour améliorer la fiabilité du matériel, si ce n'est une reprise complète de conception dans le sens de la simplification" ;
Attendu toutefois que le même expert écrivait à Monsieur Zekian le 28 Novembre 1986 : "je pense que techniquement, la machine Jet Fritt de Monsieur Chatel ne présente aucune avarie grave, comme vous semblez le supposer, mais qu'elle nécessite de petits réglages de mise au point.
Le principe des nombreux automatismes est très simple, mais le fonctionnement met en jeu beaucoup d'équipements divers nécessitant une surveillance constante" ;
Attendu, ainsi, que le bon fonctionnement n'est pas en cause quand une maintenance sérieuse et constante est assurée, ce que Monsieur Zekian semble se refuser à accomplir ou à faire accomplir ;
Attendu que Monsieur Zekian fournit un certain nombre d'attestations de personnes se déclarant satisfaites de sa machine ; que c'est ainsi que Monsieur Conti s'étant déclaré insatisfait du fonctionnement de sa machine auprès de l'expert, constate son "fonctionnement correct" dans une attestation versée au dossier ; que la société Carmag se déclare satisfaite du fonctionnement de 5 machines et être prête à en acquérir 4 autres ;
Attendu ainsi qu'il est démontré que ce n'est pas le fonctionnement de la machine lui-même qui est en cause, puisque aussi bien sa finalité qui est de produire des frites est bien remplie ; qu'au contraire, les ennuis auxquels se sont heurtés plusieurs utilisateurs viennent du fait que les odeurs engendrées par le fonctionnement de l'appareil sont insupportables aux voisins dans un tissu urbain dense ; que c'est ainsi que certaines municipalités ont interdit le fonctionnement de ces engins eu égard aux odeurs de friture, et donc aux inconvénients suscités par ces machines ; qu'il est certain que la friture est particulièrement odorante et qu'à ce jour aucune solution technique n'a permis d'éliminer totalement ces nuisances olfactives ;
Attendu ainsi que la machine remplit bien la fonction qui lui a été dévolue et qui est de délivrer des frites ; que donc il ne peut s'agir d'une non conformité ;
Attendu qu'il ne pourrait donc s'agir que de vices cachés la rendant impropre à l'usage auquel on la destine ; que ces vices cachés sont constitués tout d'abord par les odeurs précédemment décrites et insupportables en agglomération et ensuite par le peu de fiabilité engendrée par les nombreux dérèglements ;
Attendu que selon l'article 1648 du Code civil : "l'action résultant de vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur à bref délai" ;
Attendu que le point de départ de l'action est celui de la découverte du vice par l'acheteur ; que Monsieur Chatel affirme qu'après la livraison de fin juin ou début juillet 1985, la machine n'a fonctionnée que quelques jours et que, devant la plainte des voisins, il a tout d'abord remisé celle-ci sous abri, puis chez Monsieur Pouchkine, avant que celui-ci ne s'en serve en mai 1986 et qu'il constate alors que la machine se déréglait assez souvent ; que l'expert a noté que ceci ne nécessitait que des interventions simples et bénignes, ce que Monsieur Pouchkine confirme puisqu'il affirme être intervenu à plusieurs reprises sur la machine pour pallier à ses insuffisances ;
Attendu que le seul vice rédhibitoire est celui des mauvaises odeurs dégagées par l'appareil ; que selon les propres dires de Monsieur Chatel ce défaut a été constaté en juillet 1985 et que devant les plaintes des voisins et les interventions de la municipalité il n'a plus utilisé son appareil avant le mois de mai 1986 ;
Attendu qu'il n'a assigné en référé que le 4 juillet 1986 et qu'ainsi il n'a pas agi dans le bref délai tel qu'imposé par les textes, alors et surtout que ce délai ne peut être interrompu que par une demande en justice et non par de simples demandes d'intervention auprès du fournisseur ;
Attendu que Monsieur Chatel devra donc être débouté de toutes ses demandes ;
Sur l'action à l'encontre de la société Locam ;
Attendu que cette demande n'a pas été formulée en première instance ; qu'il s'agit d'une prétention nouvelle au regard des dispositions des articles 564 et suivants du nouveau Code de procédure civile et donc irrecevable en cause d'appel.
Sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et les dommages et intérêts ;
Attendu que Monsieur Zekian n'a pas assuré au mieux le fonctionnement et le suivi dans l'entretien des appareils qu'il commercialisait ; qu'en outre, l'appel en la cause de la société Locam était obligatoire pour Monsieur Chatel aux termes mêmes du contrat ; qu'il n'est donc pas inéquitable de laisser aux parties la charge des frais non compris dans les dépens ; que pour les mêmes raisons, il n'y a pas lieu d'accorder de dommages-intérêts à Monsieur Zekian
Sur les dépens :
Attendu que Monsieur Chatel succombe et qu'il y a donc lieu de le condamner aux entiers dépens.
Par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement en ce que le tribunal s'est déclaré compétent et a constaté que le contrat de location conservait son plein et entier effet ; Réformant pour le surplus, et, Statuant à nouveau, Déboute Monsieur Chatel de l'ensemble de ses demandes ; Dit n'y avoir lieu à dommages-intérêts, ni à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne Monsieur Chatel aux dépens, avec droit pour Maître André Buttin et Maître Bruno Delachenal, avoués, de percevoir directement, à l'encontre de la partie condamnée, ceux dont ils auraient fait l'avance sans avoir reçu provision.