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Décisions

CE, 9e et 8e sous-sect. réunies, 28 novembre 1980, n° 14858

CONSEIL D'ÉTAT

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Sovincast (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lasry

Commissaire du gouvernement :

M. Verny

Rapporteur :

M. Vigouroux

TA Bordeaux, du 28 sept. 1978

28 septembre 1978

LE CONSEIL : - Vu la requête sommaire, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'état le 31 octobre 1978 et le mémoire complémentaire, enregistré le 7 mai 1979, présentés pour la société Sovincast, société anonyme, dont le siège est à Tresses (département de la Gironde) représentée par son président-directeur général en exercice et tendant à ce que le Conseil d'état : 1°) annule le jugement du 28 septembre 1978 par lequel le Tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à la décharge de la taxe sur la valeur ajoutée à laquelle elle a été assujettie pour la période du 1er janvier 1974 au 20 septembre 1976, par avis de mise en recouvrement du 1er avril 1977 ; 2°) lui accorde la décharge de l'imposition contestée. Vu le traité instituant la Communauté économique européenne ; vu la directive du Conseil des Communautés européennes n° 228 du 11 avril 1967 ; vu le Code des tribunaux administratifs ; vu le Code général des impôts ; vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ; vu la loi du 30 décembre 1977 ;

Considérant que la société anonyme Sovincast à Tresses (Gironde) [sic] un fonds de négoce de vins en gros a déduit des taxes sur la valeur ajoutée dont elle était redevable à raison de ses ventes une somme totale de 1 471 190,06 francs correspondant aux taxes figurant sur les factures d'achat de produits livrés par plusieurs "intermédiaires" entre le 1er janvier 1974 et le 20 septembre 1976 ; qu'à l'issue d'une vérification de la comptabilité de la société, l'Administration n'a pas admis ces déductions, estimant que celles-ci procédaient d'opérations fictives, et a mis en recouvrement la taxe sur la valeur ajoutée correspondante, assortie de la pénalité de 200 % prévue au Code général des impôts en cas de manœuvres frauduleuses ; que la société Sovincast demande la décharge de cette imposition supplémentaire ;

Sur la régularité de la procédure devant le tribunal administratif : - Considérant que le juge administratif apprécie librement s'il y a lieu de surseoir à statuer en attendant la solution d'une instance pénale ; qu'ainsi les premiers juges ont pu régulièrement statuer au fond sans attendre que le tribunal correctionnel se soit prononcé sur les poursuites engagées pour fraude fiscale contre les dirigeants de la société Sovincast ;

Sur la régularité de la procédure d'imposition : - Considérant qu'aux termes de l'article 1989 du Code général des impôts, "l'autorité judiciaire doit donner connaissance à l'administration des Finances de toute indication qu'elle peut recueillir de nature à faire présumer une fraude commise en matière fiscale... qu'il s'agisse d'une instance civile ou commerciale ou d'une information criminelle ou correctionnelle, même terminée par un non-lieu" ; qu'il résulte de ces dispositions que l'autorité judiciaire chargée de la suite à donner au procès-verbal établi le 12 octobre 1976 et constatant des infractions commises par les dirigeants de la société Sovincast devait, ainsi qu'elle l'a fait, informer l'administration fiscale des renseignements en sa possession concernant l'activité de ladite société ; que celle-ci n'est dès lors pas fondée à soutenir que le rappel de taxe litigieux a été établi à la suite d'une procédure irrégulière et sur la base de moyens de preuve obtenus de manière illicite ;

Sur le bien-fondé des impositions : - En ce qui concerne le principal des droits : - Considérant que, d'après les dispositions combinées des articles 272-2 et 283-4 du Code général des impôts, lorsque la facture ou le document ne correspond pas à la livraison d'une marchandise ou à l'exécution d'une prestation de services, ou fait état d'un prix qui ne doit pas être acquitté effectivement par l'acheteur, la taxe ainsi facturée "ne peut faire l'objet d'aucune déduction par celui qui a reçu la facture ou le document en tenant lieu" ; que l'article 223-1 de l'annexe II au même Code précise que "la taxe dont les entreprises peuvent opérer la déduction est... celle qui figure sur les factures qui leur sont délivrées par leurs fournisseurs dans la mesure où ces derniers étaient légalement autorisés à la faire figurer sur lesdites factures" ;

Considérant, en premier lieu, que la société Sovincast soutient que les dispositions précitées seraient contraires à celles de la directive n° 228 du Conseil des Communautés européennes en date du 17 avril 1967 ; que, toutefois, il ressort clairement l'article 189 du traité instituant la Communauté économique européenne en date du 25 mars 1957 que, si les directives du Conseil lient les Etats membres "quant au résultat à atteindre" et si, pour atteindre le résultat qu'elles définissent, les autorités nationales sont tenues d'adapter la législation des Etats membres aux directives qui leur sont destinées, ces autorités restent seules compétentes pour décider des moyens propres à permettre aux directives de produire effet en droit interne ; qu'ainsi la directive n° 228 du 17 avril 1967 est en tout état de cause sans influence sur l'application des dispositions législatives antérieures, notamment des articles 272-2 et 283-4 du Code général des impôts ;

Considérant, en second lieu, qu'il résulte de l'instruction qu'entre 1974 et 1976 la société Sovincast, achetant directement d'importantes quantités de vin à des producteurs qui, n'étant pas assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée, ne pouvaient pas la facturer, a eu recours à des intermédiaires qui lui facturaient ces achats à un prix hors taxe inférieur au prix réellement versé aux producteurs et à un prix toutes taxes comprises supérieur à ce prix d'achat réel ; que la différence entre ces deux derniers prix permettait à la société de rémunérer de manière occulte l'intervention de ces "intermédiaires" ; que l'Administration n'a jamais recouvré les taxes figurant sur les factures délivrées par les entreprises intermédiaires qui, non inscrites au registre du commerce, avaient pour objet principal la mise à la disposition de la société requérante de factures mentionnant la taxe sur la valeur ajoutée ; que l'Administration, sans contester la réalité des achats opérés par cette société, se fonde sur le caractère frauduleux des factures qui ne correspondaient, de la part des "intermédiaires", ni à la livraison de marchandises ni à l'exécution de prestations de services ;

Considérant que de l'ensemble de ces circonstances il résulte que l'intervention des "intermédiaires" n'a pas eu d'autre objet que de permettre la facturation à la société Sovincast de taxes non acquittées par les vendeurs et la déduction de ces taxes de celles dues par la société à l'occasion de ses propres ventes ; que la société Sovincast ayant ainsi participé par ses agissements à la réalisation d'un circuit d'opérations frauduleuses, c'est à bon droit que l'Administration a mis à sa charge les droits correspondant aux taxes indûment déduites ;

En ce qui concerne les pénalités : - Considérant que la société requérante a entendu déduire, contrairement aux dispositions formelles de l'article 272-2 du Code général des impôts, la taxe sur la valeur ajoutée figurant sur les factures fictives délivrées par des "intermédiaires" qui ne livraient aucune marchandise et n'exécutaient aucune prestation de services, et a été le principal bénéficiaire du circuit frauduleux qu'elle avait organisé ; que c'est dès lors à bon droit que l'Administration l'a regardée comme s'étant rendue coupable de manœuvres frauduleuses et a, par suite, appliqué au principal des droits la majoration de 200 % prévue par les dispositions combinées des articles 1729 et 1731 du Code général des impôts ;

Considérant que tout ce qui précède il résulte que la société Sovincast n'est pas fondée à demander l'annulation du jugement attaqué par lequel le Tribunal administratif de Bordeaux, qui a répondu à l'ensemble des moyens invoqués, a rejeté sa demande ;

Considérant qu'aux termes de l'article 57-1 ajouté au décret du 30 juillet 1963 par l'article 28 du décret du 20 janvier 1978 : "dans le cas de requête jugée abusive, son auteur encourt une amende qui ne peut excéder 10 000 francs" ; qu'en l'espèce la requête de la société Sovincast présente un caractère abusif ; qu'il y a lieu de la condamner à payer une amende de 10 000 francs ;

Décide :

Article 1er : la requête de la société anonyme Sovincast est rejetée.

Article 2 : la société anonyme Sovincast est condamnée à payer une amende de 10 000 francs.

Article 3 : la présente décision sera notifiée à Me Loyen syndic de la liquidation de biens de la société anonyme Sovincast, et au ministre du Budget.