CJCE, 14 décembre 1962, n° 16-62
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
arrêt
PARTIES
Demandeur :
Confédération nationale des producteurs de fruits et légumes, Fédération nationale des producteurs de fruits, Fédération nationale des producteurs de légumes, Fédération nationale des producteurs de raisins de table, Assemblée permanente des présidents de chambres d'agriculture
Défendeur :
Conseil de la Communauté économique européenne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Avocat :
Me De Font-Reaulx
LA COUR,
I - Quant à la recevabilité
1. Attendu qu'aux termes de l'article 173, alinéa 2, du traité CEE, les personnes physiques ou morales ne peuvent former un recours contre un acte émanant de la Commission ou du Conseil que si cet acte constitue soit une décision dont elles sont les destinataires, soit une décision laquelle, bien que prise sous l'apparence d'un règlement ou d'une décision adressée à une autre personne, les concerne directement et individuellement ;
Qu'il s'ensuit que ces personnes n'ont pas qualité pour former un recours en annulation contre les règlements arrêtés par le Conseil ou par la Commission ;
Que la Cour admet que le régime ainsi institué par les traités de Rome prévoit, pour la recevabilité des recours en annulation des particuliers, des conditions plus restrictives que le traité CECA ;
Qu'il n'appartient cependant pas à la Cour de se prononcer sur les mérites de ce régime, celui-ci ressortissant clairement du texte sous examen ;
Que notamment elle ne saurait faire sienne l'interprétation proposée par l'une des requérantes au cours de la procédure orale, selon laquelle le terme " décision " utilisé à l'alinéa 2 de l'article 173, couvrirait également les règlements ;
Que cette interprétation extensive se heurte au fait que l'article 189 opère une distinction nette entre les notions respectives de " décision " et de " règlement " ;
Qu'il est inconcevable que le terme " décision " soit utilisé à l'article 173 dans un autre sens que le sens technique résultant de l'article 189 ;
Attendu qu'il résulte des considérations qui précèdent que les présents recours doivent être rejetés comme irrecevables si l'acte attaqué constitue un règlement ;
Que, dans l'examen de cette question, la Cour ne saurait se contenter de la dénomination officielle de l'acte, mais doit tenir compte en premier lieu de son objet et de son contenu ;
2. Attendu qu'aux termes de l'article 189 du traité CEE, le règlement a une portée générale et est directement applicable dans tout Etat membre, alors qu'une décision n'est obligatoire que pour les destinataires qu'elle désigne ;
Que le critère de la distinction doit être recherché dans la " portée " générale ou non de l'acte en question ;
Que les traits essentiels de la décision résultent de la limitation des " destinataires " auxquels elle s'adresse, alors que le règlement, de caractère essentiellement normatif, est applicable non a des destinataires limités, désignes ou identifiables mais à des catégories envisagées abstraitement et dans leur ensemble ;
Que, partant, pour déterminer dans les cas douteux si on se trouve en présence d'une décision ou d'un règlement, il faut rechercher si l'acte en question concerne individuellement des sujets déterminés ;
Que, dans ces conditions, si un acte qualifie de règlement par son auteur contient des dispositions qui sont de nature à concerner certaines personnes physiques ou morales d'une manière non seulement directe mais aussi individuelle, il faut admettre qu'en tout état de cause, et sans préjudice de la question de savoir si cet acte considéré dans son ensemble peut être qualifié à juste titre de règlement, ces dispositions n'ont pas un caractère réglementaire, et peuvent partant être attaquées par ces personnes aux termes de l'article 173, alinéa 2 ;
3. Attendu qu'en l'espèce l'acte en cause a été qualifié de " règlement " par son auteur ;
Que, cependant, les parties requérantes soutiennent que la disposition attaquée a en réalité la nature d'une " décision prise sous l'apparence d'un règlement " ;
Qu'il est sans doute possible qu'une décision ait également un champ d'application très large ;
Que toutefois on ne saurait considérer comme constituant une décision un acte applicable à des situations déterminées objectivement et qui comporte des effets juridiques immédiats, dans tous les Etats membres, à l'égard de catégories de personnes envisagées d'une manière générale et abstraite, à moins qu'il ne soit prouvé que certains sujets en sont concernés individuellement, au sens de l'article 173, alinéa 2 ;
Attendu qu'en l'espèce la disposition attaquée comporte des effets juridiques immédiats, dans tous les Etats membres, à l'égard de catégories de sujets déterminées d'une manière générale et abstraite ;
Qu'en effet, l'article 9 de l'acte attaque - disposition spécialement en cause dans le présent litige - supprime, pour certains produits et dans certains délais, les restrictions quantitatives à l'importation et les mesures d'effet équivalent ;
Qu'il comporte, en outre, la renonciation, de la part des Etats membres, à l'application des dispositions de l'article 44 du traité, donc notamment au droit de suspendre ou de réduire temporairement les importations ;
Que, des lors, ledit article élimine les restrictions à la liberté des opérateurs économiques d'exporter ou d'importer à l'intérieur de la communauté ;
Qu'il reste à examiner si la disposition attaquée concerne individuellement les requérantes ;
Attendu que si cette disposition, en obligeant les états à mettre fin ou à renoncer à diverses mesures susceptibles de favoriser les producteurs agricoles, affecte par la même leurs intérêts et ceux des membres des associations requérantes, il faut néanmoins constater que ces membres sont concernés par ladite disposition au même titre que tous les autres producteurs agricoles de la communauté ;
Que, d'ailleurs, on ne saurait accepter le principe selon lequel une association, en sa qualité de représentante d'une catégorie d'entrepreneurs, serait concernée individuellement par un acte affectant les intérêts généraux de cette catégorie ;
Que ce principe, ayant pour effet de concentrer dans le chef d'un seul sujet de droit des intérêts propres aux membres d'une catégorie qui sont touches en tant que tels par de véritables règlements, porterait atteinte au système du traité, qui n'admet le recours en annulation des particuliers que contre les décisions qui les atteignent en tant que destinataires, ou contre les actes qui les frappent d'une manière analogue ;
Que, dans ces conditions, on ne saurait admettre que la disposition litigieuse concerne individuellement les requérantes ;
Attendu qu'il résulte de tout ce qui précède que le défendeur a qualifié a bon droit de règlement la disposition attaquée ;
Que l'exception d'irrecevabilité est donc fondée et les recours doivent être déclares irrecevables, sans qu'il soit besoin d'examiner la question de savoir si les associations ont qualité pour agir chaque fois que leurs membres sont habilites à ces fins ;
II - Sur les dépens
Attendu qu'aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens ;
Qu'en l'espèce, les parties requérantes et l'intervenante ayant succombé en leur action, doivent supporter les frais du litige ;
LA COUR
Rejetant toutes autres conclusions plus amples ou contraires, déclare et arrête :
1) les recours sont rejetés comme irrecevables ;
2) les parties requérantes supportent leurs propres dépens et sont condamnées à supporter les dépens causes au défendeur par leurs recours respectifs ;
3) la partie intervenante supporte ses propres dépens et est condamnée à supporter les dépens causes au défendeur par ses interventions respectives.