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Décisions

CJCE, 2e ch., 14 février 1989, n° 206-87

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

arrêt

PARTIES

Demandeur :

Lefebvre Frères et Soeurs (SA)

Défendeur :

Commission des Communautés européennes, République Française

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. O'higgins

Juges :

MM. Mancini, Schockweiler

Avocat général :

M. Lenz

Avocats :

Mes Kunlin, Cloetens

CJCE n° 206-87

14 février 1989

LA COUR (deuxième chambre),

1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 7 juillet 1987, la société Lefebvre Frère et Soeur, SA, ayant son siège social à Douai (France), a introduit, en vertu de l'article 173, alinéa 2, du traité CEE, un recours visant à l'annulation de la décision de la Commission du 8 mai 1987, adressée à la République française, autorisant cet Etat membre à exclure du traitement communautaire les bananes fraîches originaires des pays tiers dits de la zone dollar et mises en libre pratique dans les autres Etats membres (JO C 127, du 13.5.1987, p. 4).

2 Dans la crainte que l'importation en France de bananes mises en libre pratique dans les autres Etats membres ne perturbe le marché français, dont la plus grande partie des besoins est satisfaite par la production des départements français d'outre-mer, et de trois états ACP, fournisseurs traditionnels de la France, le Gouvernement français a demandé à la Commission, le 30 avril 1987, l'autorisation d'exclure du traitement communautaire les bananes originaires de pays tiers, à l'exception des trois états ACP précités, et mises en libre pratique dans les autres Etats membres.

3 Par la décision précitée, adoptée en vertu de l'article 115, alinéa 1, du traité CEE, la Commission a accordé cette autorisation pour l'avenir, tout en limitant sa durée de validité au 30 avril 1988 et son champ d'application matériel aux bananes, en libre pratique dans la communauté, originaires des seuls pays tiers de la zone dollar.

4 La requérante, qui, dans le passe, aurait à plusieurs reprises tente en vain d'importer en France des bananes visées par la décision litigieuse, considère que celle-ci est illégale et a, en conséquence, introduit le présent recours.

5 Par acte séparé parvenu au greffe de la Cour le 7 juillet 1987, la Commission a soulevé, en vertu de l'article 91 du règlement de procédure, une exception d'irrecevabilité et a demandé à la Cour de statuer sur cette exception sans engager le débat au fond.

6 L'exception de la Commission, soutenue par la République française admise à intervenir à l'appui de ses conclusions, consiste à faire valoir que la décision attaquée se borne à conférer pour l'avenir aux autorités françaises le pouvoir discrétionnaire de délivrer ou de refuser d'octroyer des licences d'importation aux importateurs et que cette décision constitue à l'égard de ceux-ci une mesure de portée générale. La requérante ne serait donc concernée ni directement ni individuellement, au sens de l'article 173, alinéa 2, du traité, par cette décision.

7 La requérante soutient au contraire que la décision litigieuse la concerne directement, car elle aurait pour objet, non pas d'autoriser la République française à exclure certaines bananes du traitement communautaire, mais de valider les restrictions à l'importation pratiquées par la République française depuis de nombreuses années.

8 La requérante estime également qu'elle est individuellement concernée par la décision, au motif qu'elle aurait, de façon répétée, vainement demande depuis 1977 aux autorités françaises des licences d'importation de bananes. Par ailleurs, les envois de bananes en provenance de Belgique qui lui étaient destinés auraient été systématiquement refoulés à la frontière par les douanes françaises. Enfin, la requérante aurait saisi les juridictions françaises et la Commission. Ainsi, elle serait caractérisée par rapport à toute autre personne et individualisée d'une manière analogue à celle du destinataire de la décision.

9 Pour un plus ample exposé des faits de l'affaire, du déroulement de la procédure et des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

10 En vertu de l'article 173, alinéa 2, du traité, la recevabilité d'un recours en annulation d'une décision introduit par un particulier qui n'en est pas le destinataire est subordonnée à la condition que la partie requérante soit directement et individuellement concernée par cette décision.

11 La requérante n'étant pas le destinataire de la décision litigieuse, il y a lieu d'examiner si celle-ci la concerne directement et individuellement.

12 Il résulte de la jurisprudence de la Cour (voir arrêt du 15 juillet 1963, Plaumann, 25-62, Rec. p. 197), que des tiers ne sauraient être concernés individuellement par une décision adressée a une autre personne que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d'une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et de ce fait les individualise d'une manière analogue à celle du destinataire.

13 Or, il apparaît que la décision attaquée a pour objet d'autoriser pour l'avenir la République française à exclure du traitement communautaire, pendant une période déterminée, toutes les importations de bananes originaires des pays tiers de la zone dollar et mises en libre pratique dans un autre Etat membre. Elle se présente donc, à l'égard de l'ensemble des importateurs de bananes, comme une mesure de portée générale qui s'applique à des situations déterminées objectivement et comporte des effets juridiques à l'égard de catégories de personnes envisagées de manière générale et abstraite.

14 Il en résulte que la décision litigieuse concerne la requérante en raison de sa seule qualité objective d'importateur de bananes, au même titre que tout autre opérateur économique se trouvant actuellement ou potentiellement dans une situation identique.

15 Cette conclusion n'est pas infirmée par le fait que, avant l'adoption de la décision litigieuse, la requérante aurait à plusieurs reprises tente en vain d'importer en France des bananes en libre pratique et saisi les juridictions françaises et la Commission.

16 En effet, la requérante n'a pas établi que les demandes de licences d'importation qu'elle avait présentées aux autorités françaises étaient encore en instance à la date de l'adoption de la décision litigieuse.

17 Par ailleurs, les refoulements à la frontière des envois de bananes destinés à la requérante, qui sont intervenus avant l'adoption de la décision, sont dépourvus de toute pertinence au regard de la recevabilité du présent recours, des lors que la décision n'a aucun effet rétroactif.

18 Enfin, la Cour ne peut davantage retenir l'argument de la requérante selon lequel la Commission n'ignorait pas la situation de la requérante lorsqu'elle a adopte la décision litigieuse. En effet, la nature réglementaire d'un acte n'est pas mise en cause par la possibilité de déterminer le nombre ou même l'identité des sujets de droit auxquels il s'applique a un moment donne, tant qu'il est constant que cette application s'effectue en vertu d'une situation objective de droit ou de fait définie par l'acte, en relation avec la finalité de ce dernier (voir arrêt du 6 octobre 1982, Alusuisse, 307-81, Rec. p. 3463).

19 Dans ces conditions, la décision litigieuse n'est pas susceptible d'être attaquée par la requérante au titre de l'article 173, alinéa 2, du traité. Il y a donc lieu de rejeter le recours comme irrecevable.

Sur les dépens

20 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s'il est conclu en ce sens.

21 La requérante ayant succombe en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

22 Seule la Commission ayant présente des conclusions a cet effet, cette condamnation doit se limiter aux dépens exposés par la Commission.

Par ces motifs,

LA COUR (deuxième chambre),

Déclare et arrête :

1) le recours est rejeté comme irrecevable.

2) la requérante est condamnée aux dépens exposés par la Commission.

3) la République française supportera ses propres dépens.