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Décisions

Cass. crim., 14 novembre 2000, n° 00-81.084

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cotte

Rapporteur :

M. Le Corroller

Avocat général :

M. De Gouttes

Avocats :

SCP Delaporte, Briard

TGI Paris, du 14 avr. 1999

14 avril 1999

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par X Claude, Y Christophe, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Paris, 13e chambre, du 21 janvier 2000, qui, pour opposition à l'exercice des fonctions d'enquêteurs habilités par le ministre chargé de l'Economie, les a condamnés, le premier à 50 000 francs d'amende, le second à 20 000 francs d'amende ; - Vu le mémoire produit ; - Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 7, 17, 45, 47 et 52 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, 427, 485, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Claude X et Christophe Y coupables d'opposition au contrôle des agents habilités et des rapporteurs du Conseil de la concurrence ;

"aux motifs que si toute personne accusée d'une infraction pénale a le droit de ne pas être forcée de témoigner contre elle-même ou de s'avouer coupable, ce principe n'interdit aux enquêteurs de la Direction nationale de la concurrence, ni d'entendre la personne soupçonnée de pratiques anticoncurrentielles ni de lui demander de fournir des renseignements factuels dès lors que celle-ci est informée de l'objet de l'enquête et que la recherche des preuves est entreprise avec loyauté ; que par conséquent les prévenus ne sont pas fondés à invoquer l'incompatibilité des dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986 avec les dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et les dispositions de la Convention européenne des Droits de l'Homme ; que les enquêteurs avaient informé les prévenus de l'objet de leur examen de la situation de l'entreprise au regard du droit de la concurrence et leur avaient demandé de fournir un certain nombre de documents précis et en rapport avec cet objet, laissant aux intéressés la possibilité de les discuter et de se faire assister de leur conseil ; que les enquêteurs tiraient de l'article 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 la possibilité de demander des explications aux prévenus et que les demandes d'explications ne pouvaient être assimilées à un interrogatoire, celles-ci ne tendant pas directement à l'établissement de l'éventuelle infraction ; qu'ainsi les droits de la défense n'étaient pas compromis et qu'aucune violation de l'article 14.3 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales ; qu'en revanche, le comportement des prévenus pris dans son ensemble manifestait une certaine volonté d'entraver l'enquête de la Direction nationale des enquêtes de concurrence ; que dans ces conditions les premiers juges ont retenu à juste titre les prévenus dans les liens de la prévention et le jugement doit être confirmé sur la déclaration de culpabilité ; que toutefois il leur sera fait une application différente de la loi pénale (arrêt, pages 16 et 17) ;

"1°) alors que le droit de toute personne accusée de ne pas être forcée à témoigner contre elle-même fait nécessairement obstacle à ce que le refus de participer à sa propre incrimination soit pénalement sanctionné ; "qu'ainsi, en se bornant à énoncer que le droit pour toute personne accusée d'une infraction pénale de ne pas témoigner contre elle-même n'interdit pas aux enquêteurs de la Direction nationale de la concurrence d'entendre la personne soupçonnée de pratiques anticoncurrentielles, ni de lui demander de fournir des renseignements factuels, pour en déduire que les prévenus n'étaient pas fondés à invoquer l'incompatibilité des dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986 avec les dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et les dispositions de la Convention européenne des Droits de l'Homme, sans rechercher ; comme elle y était invitée par les conclusions d'appel des prévenus, si la méconnaissance de ces garanties fondamentales ne résultait pas de ce que l'article 52 de l'ordonnance sanctionne pénalement le fait de refuser de fournir lesdits renseignements, plutôt que du droit, accordé aux enquêteurs par l'article 47 de la même ordonnance, de demander des explications à la personne soupçonnée de pratiques anticoncurrentielles, la cour d'appel qui se détermine par un motif inopérant, a privé sa décision de toute base légale ;

"2°) alors qu'aux termes de l'article 17 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, est punie d'un emprisonnement de quatre ans et d'une amende de 500 000 francs ou de l'une de ces deux peines toute personne physique qui, frauduleusement, aura pris une part personnelle et déterminante dans la conception, l'organisation ou la mise en œuvre de pratiques visées à l'article 7 de ladite ordonnance ; "qu'en l'espèce, il est constant que les documents et renseignements réclamés à Claude X et Christophe Y, respectivement gérant et directeur général de la société W, leur ont été demandés afin de poursuivre l'enquête qui, entreprise par le chef de service régional de la Direction nationale des enquêtes de consommation, avait notamment permis aux enquêteurs - par autorisation du premier vice-président du Tribunal de grande instance d'Evry - d'opérer une visite domiciliaire dans les locaux de cette société, expressément soupçonnée de se livrer aux pratiques anticoncurrentielles énoncées à l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; "que, dès lors, en estimant que les demandes d'explications formulées par les enquêteurs ne tendaient pas directement à l'établissement d'une infraction, pour en déduire que le délit d'opposition à contrôle édicté, à l'article 52 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, n'était pas incompatible avec les dispositions de l'article 14 du Pacte international des droits civils et politiques, et l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales, d'où il résulte que toute personne accusée d'une infraction pénale a le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et, dans cette optique, a notamment le droit de ne pas répondre aux questions qui lui sont posées concernant les faits objet des poursuites, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

"3°) alors que dans leurs conclusions d'appel, les prévenus ont contesté chacun des faits visés à la prévention, en faisant valoir successivement : - que l'article 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ne donne pas aux enquêteurs le pouvoir de procéder à un véritable interrogatoire, de sorte que le refus de se prêter à une telle pratique ne peut être pénalement sanctionné ; - que le fait d'avoir exigé de limiter la communication entre les sociétés du groupe PBM et les enquêteurs à la seule forme des lettres recommandées répondait plus au souci de s'assurer de la chronologie des transmissions et de leur confidentialité que de la volonté de faire obstacle au contrôle, au sens de l'article 52 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; - que les prétendues manœuvres entreprises pour tenter de différer les interventions des enquêteurs prévues les 9 et 10 décembre 1997 ne traduisaient en réalité que le seul souci de Claude X de préparer utilement ce rendez-vous, - que le refus de communiquer aux enquêteurs les photocopies de factures s'expliquait par le fait que la personne chargée d'effectuer ces démarches était en congé de maternité, et qu'en tout état de cause ce refus ne caractérisait pas une opposition à contrôle dès lors que les enquêteurs avaient la faculté de consulter eux-mêmes les factures et d'en prendre manuellement copie ; - que le fait d'avoir demandé à ce que l'audition du 8 janvier 1998 ne dure pas au-delà de 20 heures ne caractérisait pas une opposition à contrôle mais traduisait, comme les premiers juges l'ont constaté, le souci exprimé par Claude X, de regagner son domicile à une heure raisonnable ; - que les prévenus ne pouvaient se voir reprocher d'avoir refusé de communiquer des informations statistiques et commerciales concernant les sociétés du groupe PBM dès lors qu'ils ne disposaient pas des informations litigieuses ; - enfin que le refus de se présenter à la convocation du 13 mars 1998 dans les locaux de la DNEC à Paris ne caractérisait pas une opposition à contrôle dès lors que cette visite, aux dires des enquêteurs, n'avaient d'autre fin que de remettre à Claude X, domicilié à 300 km de Paris, un procès-verbal qui, finalement, lui a été adressé par la voie postale ; "que dès lors, en se bornant à énoncer lapidairement que le comportement des prévenus pris dans son ensemble manifestait une certaine volonté d'entraver l'enquête de la Direction nationale des enquêtes de concurrence" ;

Attendu qu'il résulte du jugement et de l'arrêt attaqué que, par ordonnance du 21 août 1997 prise en application de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, le premier vice-président du président du Tribunal de grande instance d'Evry a autorisé le chef de la Direction nationale des enquêtes de consommation à procéder et faire procéder par tous fonctionnaires habilités, notamment, à la visite et à la saisie de documents dans les locaux des sociétés W et Produits Béton du Maine ;

Attendu que, pour déclarer Claude X et Christophe Y, respectivement gérant et directeur général de la société W, coupables de s'être opposés à l'exercice des fonctions des agents de l'Administration, la juridiction du second degré, après avoir énoncé que les dispositions de l'article 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, qui permettent aux enquêteurs de recueillir des renseignements d'ordre factuel auprès de la personne soupçonnée de pratiques anticoncurrentielles, ne sont contraires ni à l'article 14.3 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ni à l'article 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, relève, par motifs propres et adoptés, que l'infraction est caractérisée à l'égard des prévenus par leur refus de fournir aux enquêteurs certains renseignements et documents qui leur étaient demandés et par un ensemble de manœuvres dilatoires tendant à empêcher la poursuite des investigations ;

Attendu qu'en l'état de ces seules énonciations procédant de son appréciation souveraine, la cour d'appel, qui a répondu, comme elle le devait, aux conclusions dont elle était saisie, a justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen ne peut être admis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

Rejette le pourvoi.