Conseil Conc., 6 octobre 2005, n° 05-D-53
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
décision
Situation de la concurrence dans le secteur des espaces publicitaires du réseau des transports en commun urbains
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport oral de Mme Nouët, par Mme Perrot, vice-présidente, présidant la séance, M. Nasse, vice-président, M. Flichy, membre.
Le Conseil de la concurrence (section II),
Vu la saisine d'office du Conseil de la concurrence du 9 décembre 1999, enregistrée sous le numéro F 1190 et relative aux pratiques mises en œuvre par la SNCF et France Rail Publicité, pour l'attribution du marché de régie des espaces publicitaires du réseau des transports en commun lyonnais et sur la situation de la concurrence dans le secteur des espaces publicitaires du réseau des transports en commun urbains ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié et le décret 2002-689 du 30 avril 2002, fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce ; Vu les observations présentées par la SNCF et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; La rapporteure, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement et le représentant de la SNCF entendus lors de la séance du 6 septembre 2005 ; Adopte la décision suivante :
I. Constatations
A. LE SECTEUR D'ACTIVITÉ
1. Le secteur concerné par la présente affaire est celui de la régie des emplacements publicitaires dans les réseaux de transport en commun.
1. LES ENTREPRISES DE TRANSPORT PUBLIC
a. La Société nationale des chemins de fer français (SNCF)
2. La SNCF est un établissement public à caractère industriel et commercial ayant pour objet " d'exploiter, selon les principes du service public, les services de transport ferroviaire sur le réseau ferré national ". Elle a donc un droit exclusif à caractère légal sur le domaine public ferroviaire et bénéficie d'une délégation pour l'exploitation des supports publicitaires situés dans les emprises du chemin de fer.
3. En 1976, la SNCF a filialisé son activité d'exploitation des espaces publicitaires en créant une société anonyme, la société France Rail Publicité. Ainsi, par contrat de concession de régie du 16 septembre 1976, modifié par ses deux avenants de 1979 et 1984, a été concédée à France Rail Publicité l'exploitation exclusive de la régie publicitaire du réseau SNCF.
4. A partir d'octobre 1997, la SNCF, via France Rail Publicité, a diversifié son activité de régie des emplacements publicitaires du réseau SNCF vers la régie des emplacements publicitaires des autres réseaux de transport.
5. En octobre 1999, France Rail Publicité a racheté 76 % des parts de son concurrent France Bus Publicité.
6. En juillet 2000, la SNCF a vendu 80 % du capital de France Rail Publicité au groupe américain Clear Channel.
b. La Régie Autonome des Transports Parisiens (RATP)
7. La RATP est un établissement public industriel et commercial chargé de l'organisation des transports publics en Ile de France. En 1997, la RATP a confié l'exploitation exclusive de ses espaces publicitaires à une régie publicitaire privée, Métrobus, filiale du groupe Publicis, par contrat de gré à gré en date du 9 avril 1997.
c. Aéroport de Paris (ADP)
8. A la date des pratiques faisant l'objet de la présente affaire, Aéroport de Paris était un établissement public industriel et commercial, chargé de gérer l'exploitation du domaine public des aéroports d'Orly et de Roissy. Dans le cadre de la mise en concurrence systématique de ses activités commerciales, ADP a mis en concurrence pour la première fois en 1998 la régie publicitaire des aéroports d'Orly et de Roissy. La régie a été attribuée à la société AP Systèmes, à l'époque filiale du groupe Havas.
2. LES RÉGIES PUBLICITAIRES
9. Les principales régies spécialisées dans l'affichage dans les réseaux de transport étaient, en 1998, France Rail Publicité (SNCF), Métrobus (Publicis), France Bus Publicité (Générale de Transport et Industrie et Métrobus) et AP Systèmes (Havas).
10. Après des mouvements de concentration, même s'il existe des régies indépendantes dans certaines agglomérations de province, l'offre se partageait, en 2000, entre 3 grands groupes : Clear Channel, Decaux et Publicis.
a. Le groupe Clear Channel France
11. Le groupe Clear Channel est l'un des leaders mondiaux de l'affichage. Sur le segment de l'affichage dans les transports, le groupe rassemble, depuis 2000, les sociétés France Rail Publicité et France Bus Publicité.
12. Détenu par Clear Channel depuis 2002, France Rail Publicité exploite de façon exclusive la régie publicitaire du réseau SNCF. L'échéance du contrat en cours est le 1er janvier 2007. Depuis octobre 1997, elle assure aussi la régie d'autres réseaux de transport. Ainsi, de 1997 à 1999, elle a concouru à 31 marchés d'affichage dans les réseaux de transport et en a remporté 9 (Aix-les-Bains, Chambéry, Thonon-les-Bains, Versailles, Aubagne, Lyon, Grésy/Aix, Bourg en Bresse, Lille). France Rail Publicité a réalisé en 1999 un chiffre d'affaires de 841 MF, soit 128 millions d'euro.
13. Créée en 1950, France Bus Publicité (FBP) a été cédée par la Générale de Transport et d'Industrie, elle-même filiale du groupe Paribas, à France Rail Publicité en octobre 1999. France Bus Publicité a, pour seule activité, la publicité sur et dans les bus dans les grandes agglomérations de province et en banlieue.
b. Le groupe Publicis
14. Depuis 1949, le groupe Publicis est le régisseur du réseau de la RATP via le groupe Métrobus. Ce groupe est le premier offreur d'affichages dans les réseaux de transport et est présent dans 138 agglomérations et 57 villes de plus de 100 000 habitants. Metrobus a réalisé en 1999 un chiffre d'affaires de 982 MF, soit 149 millions d'euro.
c. Le groupe Decaux
15. Le métier de base du groupe Decaux est le mobilier urbain. Depuis l'acquisition, auprès du groupe Havas, de la société AP Systèmes en 1999, le groupe Decaux est présent sur le marché des régies de la publicité extérieure dans les réseaux de transport, grâce notamment à la régie publicitaire d'ADP et à la régie du réseau de transport de Clermont-Ferrand. Sur ce marché, le groupe Decaux a réalisé en 1999 un chiffre d'affaires de 196 MF, soit 30 millions d'euro.
B. LES PRATIQUES
16. En 1998, France Bus Publicité a saisi le Conseil de la concurrence, reprochant à la SNCF d'avoir abusé de son monopole légal sur le marché du transport ferroviaire en subventionnant sa filiale, France Rail Publicité, lui permettant ainsi de diversifier ses activités et de remporter plusieurs marchés de régie des emplacements publicitaires dans les réseaux de transport en commun, de 1997 à 1999.
17. A la suite du rachat de France Bus Publicité par France Rail Publicité, France Bus Publicité s'est désistée de sa saisine le 11 octobre 1999 et le Conseil de la concurrence s'est saisi d'office des même pratiques le 9 décembre 1999.
1. LES FLUX FINANCIERS DE FRANCE RAIL PUBLICITÉ VERS LA SNCF
18. Aux termes de l'article 11 du contrat de 1976 liant France Rail Publicité à la SNCF, tel qu'amendé par le deuxième avenant, France Rail Publicité verse à la SNCF une redevance de 51 % du chiffre d'affaires de la régie en contrepartie de l'exploitation exclusive de la régie SNCF.
19. Ce taux de redevance, plus faible que ceux affichés par les concurrents, tient compte du fait que France Rail Publicité doit être présent sur l'ensemble du réseau SNCF et que cette société prend à sa charge un certain nombre d'investissements et de coûts :
* France Rail Publicité doit assurer une présence sur l'ensemble du territoire, quelle que soit la taille des gares ou leur degré de fréquentation. Or, le réseau SNCF représente environ 1 000 gares, de tailles très différentes et ayant des taux de fréquentation très variés : les gares de Lyon Part Dieu et Lyon Perrache réunies représentent 30 millions de voyageurs par an, soit autant que la gare de Paris Montparnasse. Par comparaison, la gare d'Aix-les-Bains, 100ème gare SNCF, avec environ 1,2 million de voyageurs, connaît un trafic 17 fois moindre que celui de la gare de Lyon Part Dieu seule. Comme l'intérêt des annonceurs n'est pas le même selon le degré de fréquentation, le prix de vente des emplacements publicitaires et le taux d'occupation par façade varient sensiblement selon les gares alors qu'ils sont assez homogènes pour les autres réseaux : le prix de vente par face à Paris Montparnasse s'élève à 193 euro avec un taux d'occupation de 84 % alors que le prix de vente par face à Lyon Part Dieu est de 87 euro avec un taux d'occupation de 80 % et que le prix de vente par face à Angoulême s'élève à 71 euro avec un taux d'occupation de 45 % ;
* La dispersion sur l'ensemble du territoire engendre des coûts importants tant en terme de personnel (en 2000, 6 commerciaux nationaux réalisaient 75 % du chiffre d'affaires et 20 commerciaux régionaux 25 %) qu'en terme d'entretien et de pose (les coûts de pose, d'entretien et d'affichage des panneaux installés dans les gares sont très élevés, le rapport allant de 1 à 2,5 entre les grandes gares et les petites). En outre, France Rail Publicité assure le financement des équipements publicitaires alors que dans les autres transports, de tels investissements ne sont généralement pas à la charge de l'entreprise de régie publicitaire.
20. Par ailleurs, de 1997 à 1999, la SNCF a imposé à France Rail Publicité une remontée de dividendes au moins égale à 4 millions d'euro par an (autour de 25 millions de francs), réduisant ainsi considérablement le résultat comptable de France Rail Publicité et, par conséquent, son fonds de roulement.
21. Si les taux des redevances prévus par les contrats de régie ne sont pas totalement homogènes, il est d'usage que ce taux soit de 60 % du chiffre d'affaires des régies (net des frais de pose, net des abattements commerciaux et brut des remises professionnelles). Les autorités de transport public, quant à elles, et en raison de l'importance de leur chiffre d'affaires, n'appliquent pas le taux de redevance d'usage ou, à tout le moins, en modifient le calcul de l'assiette :
<emplacement tableau>
22. La redevance versée par France Rail Publicité à la SNCF est donc inférieure à celle versée à la RATP par Métrobus et inférieure au taux de 60 % habituellement versé aux communes.
23. Selon le rapport d'enquête, les ratios résultat d'exploitation sur chiffre d'affaires brut des différentes régies sont les suivants :
<emplacement tableau>
2. LES ACTIVITÉS DE DIVERSIFICATION DE FRANCE RAIL PUBLICITÉ
24. En 1997, France Rail Publicité a diversifié son activité de régie publicitaire dans les réseaux de transport et a concouru pour exploiter 31 régies d'affichage transport. Selon le rapport d'enquête, la société en a remporté 9, dont celle du Sytral à Lyon, alors que Métrobus en a remporté 17 et France Bus Publicité 4.
25. Les contrats remportés par France Rail Publicité sont les suivants :
<emplacement tableau>
26. Le Sytral, établissement public créé en 1985, est une autorité qui organise les transports en commun de l'agglomération lyonnaise. En 1998, le Sytral a mis en concurrence l'exploitation publicitaire de son réseau de transport qui était auparavant gérée par France Bus Publicité.
27. En réponse à cet appel d'offres, France Rail Publicité a proposé un taux de redevance égal à 60 % du chiffre d'affaires de la régie avec un minimum garanti de redevance de 30 millions de francs (4,5 millions d'euro), ainsi que quelques prestations supplémentaires. France Bus Publicité offrait un taux de redevance égal à 56 % du chiffre d'affaires de la régie avec un minimum garanti de 20,5 millions de francs (3,1 millions d'euro), sans prestation supplémentaire.
28. Il résulte de l'offre de France Rail Publicité que pour verser la redevance plancher de 30 millions de francs représentant 60 % du chiffre d'affaires, France Rail Publicité prévoyait d'atteindre un chiffre d'affaires de 50 millions de francs. Or, selon le rapport d'enquête, un tel chiffre d'affaires n'a jamais été atteint par France Bus Publicité (il a varié de 29,1 millions de francs à 35,5 millions de francs entre 1993 et 1997) et le chiffre d'affaires réalisé par France Rail Publicité en 1999 n'a été que de 32,4 millions de francs (5 millions d'euro environ).
29. France Rail Publicité a justifié le niveau de son offre en expliquant, d'une part, que bien qu'il fût impossible de connaître le rendement du réseau lyonnais faute de pouvoir établir une comparaison avec d'autres réseaux, l'exploitation semblait pouvoir être dynamisée par rapport à celle faite par France Bus Publicité et, d'autre part, que les observateurs indépendants, tels que Xerfi, prévoyaient en 2000 une croissance soutenue du marché publicitaire.
30. Toutefois, en 1999, le montant de redevance minimum garanti de 30 millions de francs représentait 81,1 % du chiffre d'affaires brut du réseau lyonnais qui n'a atteint que 37 millions de francs. L'exploitation du réseau en 1999 a été largement déficitaire, avec une perte d'exploitation s'élevant à 8,5 millions de francs (1,3 million d'euro). France Rail Publicité indique cependant que les coûts variables d'exploitation de ce réseau se sont élevés pour la même année à 15,6 millions de francs (2,3 millions d'euro) et qu'ils étaient couverts par les recettes tirées de l'exploitation, une marge sur coût variable de 21,4 millions de francs (3,2 millions d'euro) ayant été dégagée. La perte d'exploitation s'explique donc uniquement par le montant de redevance minimum garanti, considéré comme un coût fixe.
31. Au cours des 5 premiers mois de l'année 2000, le chiffre d'affaires de la régie Sytral a sensiblement augmenté : le chiffre d'affaires des 5 premiers mois de l'année 1999 était de 11,09 millions de francs et il était de 13,84 millions de francs pour les 5 premiers mois de l'année 2000, soit une augmentation de 24,8 %.
32. En ce qui concerne les autres contrats remportés par France Rail Publicité en 1997, 1998 et 1999, le taux de redevance qu'elle a proposé était généralement de 60 % du chiffre d'affaires, conformément aux usages, sauf pour les offres relatives aux réseaux d'Aix-les-Bains et de Thonon-les-Bains pour lesquelles la redevance proposée était de 58 %.
<emplacement tableau>
33. Le tableau ci-dessous donne quelques exemples des offres déposées par France Rail Publicité, dans les mises en concurrence qu'elle n'a pas remportées, en regard des offres déposées par les régies attributaires.
<emplacement tableau>
34. Au total, les activités de régie, autres que celle de la SNCF, ont été déficitaires pour France Rail Publicité en 1999.
<emplacement tableau>
35. Les redevances effectivement versées en 1999, tant par France Rail Publicité que par Métrobus, ont représenté plus de 80 % du chiffre d'affaires des régies et non plus les 60 % d'usage.
<emplacement tableau>
C. LE GRIEF NOTIFIÉ
36. Sur la base de ces constatations, le grief suivant a été notifié à la SNCF : " Il est fait grief à la SNCF d'avoir, de 1997 à 1999 et sur le marché national de la demande de régie d'emplacements publicitaires dans les transports en commun, subventionné sa filiale afin de lui permettre de présenter des offres non rentables et éloignées de toute réalité économique, entraînant une perturbation durable du marché, ce qui est sanctionnable au regard de l'article L. 420-2 du Code de commerce ".
II. Discussion
A. SUR LES MARCHÉS PERTINENTS CONCERNÉS ET LA POSITION DE LA SNCF ET DE SA FILIALE FRANCE RAIL PUBLICITÉ SUR CES MARCHÉS.
37. Les espaces publicitaires offerts par les différents medias ont à plusieurs reprises été considérés par le Conseil comme constituant des marchés distincts du point de vue des annonceurs, notamment parce qu'ils présentent des spécificités techniques, lesquelles permettent de décliner différents modes de perception et de mémorisation des messages, visuel et/ou auditif ( cf. en ce sens, la décision n° 96-D-44 du 18 juin 1996, les décisions n° 02-D-03 du 29 janvier 2002 pour la publicité dans les cinémas, n° 00-D-67 du 13 février 2000 pour la publicité à la télévision, n° 98-D-52 du 7 juillet 1998 pour l'affichage extérieur et l'avis n° 93-A-13 du 6 juillet 1993 pour les marchés publicitaires de la presse).
38. En ce qui concerne la publicité extérieure, le Conseil considère de manière constante que ses divers types de supports (affichage grand format traditionnel, affichage mobilier urbain, affichage moyens de transports, publicité lumineuse) sont, du point de vue des annonceurs, substituables entre eux. Il n'a pas jugé nécessaire, dans la décision n° 04-D-32 du 8 juillet 2004, de distinguer l'affichage sur mobilier urbain des autres supports d'affichage extérieur. De même, dans la décision n° 05-D-11 du 16 mars 2005, il n'a pas retenu un marché limité à l'affichage dans les gares.
39. Les propriétaires de supports d'affichage extérieur ne commercialisent pas directement leurs emplacements mais par l'intermédiaire de contrats de location conclus avec des sociétés d'affichage (bailleurs privés ou collectivités locales) ou de contrats accordant la régie des emplacements (collectivités publiques ou entreprises de transport). Ces deux modes de commercialisation doivent être distingués. Dans le premier cas, les demandeurs sont des sociétés d'affichage et les offreurs sont les propriétaires des emplacements. De plus, les contrats de location ne concernent qu'un très petit nombre d'emplacements et doivent respecter les dispositions prévues par la loi du 29 décembre 1979 relatives aux contrats de louage d'emplacements privés aux fins d'apposer de la publicité. L'existence d'un marché de la location d'emplacements publicitaires pour l'affichage extérieur a été confirmée par le Conseil dans la décision n° 04-D-32 précitée.
40. Dans le second cas, les collectivités publiques ou les entreprises de transports lancent des appels d'offre concernant un grand nombre d'emplacements afin de confier la régie des emplacements à des régies publicitaires. Il convient, cependant, de distinguer parmi ces appels d'offres ceux portant sur la fourniture de mobilier urbain et ceux visant à concéder la régie d'emplacements publicitaires. Le marché de la fourniture de mobilier urbain a été identifié à plusieurs reprises par le Conseil, notamment dans la décision n° 04-D-32 précitée. Les appels d'offre lancés sur ce marché prévoient la fourniture et l'entretien de divers mobiliers dont certains peuvent accueillir de la publicité. La régie publicitaire de ces emplacements assure la rémunération des sociétés attributaires des appels d'offre.
41. En revanche, les appels d'offre lancés par les collectivités publiques ou les entreprises de transport en vue d'attribuer la régie d'emplacements publicitaires dans les réseaux de transport ne concernent que la régie publicitaire et font l'objet du versement d'une redevance. En l'espèce, seul ce marché de l'attribution de régies d'emplacements publicitaires dans les réseaux de transport est concerné par la saisine.
42. Sur le marché de produit tel que défini ci-dessus, les demandeurs de services de régie mettent en concurrence les régies présentes sur l'ensemble du territoire. Le marché est donc de dimension nationale.
43. En 1999, le leader du marché était la société Metrobus, qui réalisait un chiffre d'affaires de 149 millions d'euro, contre 128 pour France Rail Publicité, et commercialisait 60 % des faces publicitaires disponibles dans les transports publics, contre 37 % pour France Rail Publicité. La filiale de la SNCF ne peut donc être considérée comme occupant une position dominante sur ce marché.
44. La SNCF détenait, à l'époque des faits, le monopole légal du transport public ferroviaire sur le territoire national.
B. SUR LES PRATIQUES
45. Le Conseil de la concurrence a rappelé à plusieurs reprises (Décisions n° 00-D-50 du 5 mars 2001 Française des jeux et n° 03-D-44 du 17 septembre 2003) qu'il est licite, pour une entreprise publique qui dispose d'une position dominante sur un marché en vertu d'un monopole légal, d'entrer sur un ou des marchés concurrentiels, à condition qu'elle n'abuse pas de sa position dominante pour restreindre ou tenter de restreindre l'accès au marché pour ses concurrents en recourant à des moyens autres que ceux qui relèvent d'une concurrence par les mérites. Ainsi, une entreprise publique disposant d'un monopole légal, qui utilise les ressources de son activité monopolistique pour subventionner une nouvelle activité, ne méconnaît pas de ce seul fait les dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce. En revanche, est susceptible de constituer un abus le fait pour une entreprise disposant d'un monopole légal d'utiliser en tout ou partie l'excédent des ressources que lui procure son activité sous monopole pour subventionner une offre présentée sur un marché concurrentiel lorsque la subvention est utilisée pour pratiquer des prix prédateurs ou lorsqu'elle a conditionné une pratique commerciale qui, sans être prédatrice, a entraîné une perturbation durable du marché qui n'aurait pas eu lieu sans elle.
46. Ainsi, la mise à disposition de moyens tirés d'une activité réalisée dans le cadre d'un monopole légal pour le développement d'activités relevant du champ concurrentiel est susceptible d'être qualifiée au regard des règles de concurrence si deux conditions cumulatives sont réunies :
* il faut, en premier lieu, que la mise à disposition de moyens puisse être qualifiée de " subvention ", c'est-à-dire qu'elle ne donne pas lieu, de la part de l'activité qui en bénéficie, à des contreparties financières reflétant la réalité des coûts ;
* il faut, en second lieu, que l'appui ainsi apporté ait été utilisé pour présenter des offres anormales (prix prédateur ou perturbation durable du marché).
47. S'agissant de la première de ces conditions, la constatation que le taux de redevance versé par France Rail Publicité à la SNCF pour l'exploitation des supports publicitaires du réseau SNCF est inférieur de 26,5 points à celui versé à la RATP par Métrobus et de 9 points au taux habituellement versé aux organismes de transport urbain, et que la régie de la SNCF a une rentabilité supérieure à celle des autres régies ne peut suffire à établir que France Rail Publicité a bénéficié d'une subvention de la part de la SNCF.
48. Il résulte, en effet, des constatations opérées au paragraphe 19 ci-dessus que, compte tenu de la nature et des spécificités du réseau SNCF par rapport aux autres réseaux de transport, les coûts de France Rail Publicité et le taux de redevance versé par France Rail Publicité à la SNCF sont difficilement comparables à ceux versés par les autres régies. Le taux de redevance plus faible que celui versé habituellement compense les surcoûts liés au caractère atypique du réseau de la SNCF, notamment à la très grande hétérogénéité des taux de fréquentation des gares et des degrés de visibilité des panneaux publicitaires situés dans les transports publics des différentes villes.
49. Par ailleurs, s'il ressort des éléments exposés au paragraphe 23 ci-dessus que malgré les surcoûts, France Rail Publicité a réussi à dégager un résultat d'exploitation satisfaisant pour sa régie SNCF et que celui-ci est supérieur à celui dégagé par Métrobus pour la régie RATP en 1999, les éléments du dossier ne permettent pas de confirmer ce constat pour les autres années et pour les autres régies. Il n'est donc pas établi que France Rail Publicité soit plus rentable que les autres entreprises du secteur, notamment à durée égale d'exploitation des régies.
50. Au surplus, s'agissant de la seconde condition, les conditions de l'offre déposée par France Rail Publicité sur le contrat de la régie du Sytral et les pertes qu'elle a réalisées sur ce contrat en 1999 ne peuvent suffire à démontrer qu'elle entendait au moment de sa candidature réaliser des pertes sur ce contrat dans le dessein d'évincer ses concurrents du marché de la régie des espaces publicitaires dans les transports. Il en est de même des offres déposées pour les autres contrats qu'elle a remportés et des pertes réalisées sur ces contrats en 1999.
51. En premier lieu, aucun élément ne démontre qu'en fonction des éléments dont disposait l'entreprise au moment où elle a établi ses offres, ces pertes étaient prévisibles ou prévues. D'une part, les coûts variables engendrés par l'exploitation sont couverts par les revenus. D'autre part, aucun élément ne permet d'affirmer que les objectifs de chiffre d'affaires qui devaient permettre d'équilibrer l'économie des contrats pouvaient apparaître comme impossibles à atteindre.
52. En second lieu, compte tenu de la nature pluriannuelle des contrats, leur rentabilité doit se calculer sur leur durée et non sur une année donnée. Or, il résulte des constatations opérées au paragraphe 34 de la décision que le dossier ne contient d'éléments que pour l'année 1999 et ne permet donc pas de conclure que les régies concernées se sont avérées, sur la durée, déficitaires. Ainsi, pour ce qui concerne la régie Sytral, si celle-ci était déficitaire en 1999, première année d'exploitation du contrat, son chiffre d'affaires a sensiblement augmenté au cours des 5 premiers mois de l'année 2000. En effet, le chiffre d'affaires des cinq premiers mois de l'année 1999 était de 11,09 millions de francs et il était de 13,84 millions de francs pour les cinq premiers mois de l'année 2000, soit une augmentation de 24,8 %.
53. En troisième lieu, dans la mesure où le marché est caractérisé par l'absence de contrat à long terme et la remise en concurrence des marchés par des appels d'offres réguliers, une stratégie d'éviction des concurrents est difficilement crédible. En effet, le nombre d'emplacements remis en concurrence par les entreprises de transport à chaque échéance de renouvellement des contrats est important et permet à l'attributaire d'atteindre immédiatement une taille critique même s'il ne gère qu'une seule régie sur le territoire national. Les régisseurs retenus peuvent proposer immédiatement, et en dehors de tout autre panneau éventuellement commercialisé par ailleurs, une offre importante sur le marché aval de l'affichage extérieur. De fait, on peut constater que des opérateurs pourtant totalement absents des marchés français répondent à des appels d'offre les plus importants. De plus, le fait que les concurrents de France Rail Publicité sur le marché de l'attribution de régies publicitaires dans les réseaux de transport appartiennent, à la date des faits, à des groupes de taille internationale comme Publicis et Decaux, rend peu probable leur éviction du marché. La structure et le fonctionnement du marché offrent donc peu de possibilités pour établir un plan de récupération des pertes consenties lors de la mise en œuvre de prix prédateurs, rendant ainsi inexplicable par une stratégie anti-concurrentielle les comportements observés.
54. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de rechercher si le grief aurait dû être notifié à la société France Rail Publicité, il n'est pas établi que la SNCF ait enfreint les dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce.
Décision
Article unique : Il n'est pas établi que la SNCF ait enfreint les dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce.