CJCE, 18 février 1970, n° 40-69
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
arrêt
PARTIES
Demandeur :
Hauptzollamt Hamburg-Oberelbe
Défendeur :
Firma Paul G. Bollmann
LA COUR,
1. Attendu que par ordonnance du 30 juillet 1969, parvenue à la Cour le 3 septembre 1969, le Bundesfinanzhof de la République Fédérale d'Allemagne a posé, en vertu de l'article 177 du traité instituant la CEE, plusieurs questions tendant à obtenir l'interprétation des règlements n° 22 du Conseil CEE du 4 avril 1962 (JO, 1962, n° 30) et n° 77 de la Commission CEE du 23 juillet 1962 (JO 1962, n° 66), modifié par le règlement n° 136 de la Commission CEE du 31 octobre 1962 (JO CE, 1962, n° 113) ;
Sur la première question
2. Attendu que, par sa première question, ladite juridiction demande à la Cour de dire si l'article 14 du règlement n° 22-62 doit être compris en ce sens que les Etats membres peuvent et doivent recourir à des dispositions de droit interne pour préciser quels sont les produits soumis au prélèvement en vertu de l'article 1 du règlement et les distinguer les uns par rapport aux autres ;
3. Attendu qu'aux termes de l'article 14 du règlement n° 22-62, " les Etats membres prennent toutes mesures en vue d'adapter leurs dispositions législatives, règlementaires et administratives de façon que les dispositions du présent règlement, sauf disposition contraire prévue dans celui-ci, puissent être effectivement appliquées à partir du 1er juillet 1962 " ;
4. Que le règlement n° 22-62 étant, conformément à l'article 189, alinéa 2, du traité, directement applicable dans tous les Etats membres, il est, sauf disposition contraire, exclu que ceux-ci puissent, en vue d'en assurer l'application, prendre des mesures ayant pour objet d'en modifier la portée ou d'ajouter à ses dispositions ;
Que, dans la mesure où les Etats membres ont attribué à la communauté des pouvoirs normatifs en matière tarifaire, en vue de garantir un fonctionnement correct du marché commun agricole, ils n'ont plus le pouvoir d'édicter des dispositions normatives en ce domaine ;
5. Qu'ainsi l'article 14 du règlement n° 22-62 doit être interprété en ce sens que les Etats membres sont tenus de prendre toutes mesures nécessaires pour éliminer les entraves à l'application du règlement à partir du 1er juillet 1962, pouvant provenir de leur législation ;
Que cet article ne permet donc pas aux Etats membres de prendre des dispositions internes affectant la portée du règlement lui-même ;
6. Que, dès lors, il y a lieu de répondre négativement à la première question ;
Sur la deuxième question
7. Attendu que, pour le cas où la première question recevrait une réponse négative, le Bundesfinanzhof demande à la Cour " si l'article 1 du règlement n° 22-62, dans lequel sont mentionnées certaines marchandises reprises au tarif douanier commun, doit être interprété en ce sens qu'il est loisible au législateur national d'interpréter les termes désignant ces marchandises, les termes qui désignent les marchandises dans un tarif douanier nécessitant forcément une interprétation " ;
8. Attendu que, la désignation des marchandises visée par les règlements établissant une organisation commune de marché relevant du droit communautaire, son interprétation ne peut être fixée que dans le respect des compétences communautaires ;
Que, par ailleurs, les organisations communes des marchés agricoles, telles que celle que le règlement n° 22-62 vise à établir graduellement, ne peuvent remplir leur fonction que si les dispositions auxquelles elles donnent lieu sont appliquées de manière uniforme dans tous les Etats membres ;
Que les désignations des marchandises faisant l'objet de ces organisations doivent donc avoir, dans tous les Etats membres, la même portée ;
9. Qu'une telle exigence serait compromise si, en cas de difficulté dans le classement tarifaire d'une marchandise, chaque Etat membre pouvait fixer lui-même cette portée par voie d'interprétation ;
Que, s'il est vrai qu'en cas de difficulté dans le classement d'une marchandise, l'administration nationale peut être amenée à prendre des mesures d'application et à élucider à cette occasion les doutes soulevés par la désignation d'un produit, elle ne peut le faire que dans le respect des dispositions communautaires, sans que les autorités nationales puissent édicter des règles d'interprétation ayant des effets obligatoires ;
10. Qu'il y a donc lieu de répondre négativement à la deuxième question ;
Sur la troisième question
11. Attendu que, pour le cas où la deuxième question recevrait une réponse négative, le Bundesfinanzhof demande à la Cour de dire si les croupions de dinde constituent des échines (des morceaux d'échines) ou autres parties de volailles, au sens de l'article 2 du règlement n° 77-62, tel qu'il a été modifié par l'article 1 du règlement n° 136-62, ou bien des abats comestibles, au sens de l'article 3 de ce règlement ;
12. Attendu que, suivant une règle générale de classement tarifaire, exprimée par le paragraphe 5 des " règles générales pour l'interprétation de la nomenclature du tarif douanier commun " (règlement du Conseil n° 950-68, JO, 1968 n° L 172), les marchandises qui ne rentrent dans aucune des positions du tarif doivent être classées dans la position afférente aux articles les plus analogues ;
Que l'analogie entre des marchandises est appréciée en raison non seulement de leurs caractéristiques physiques, mais aussi de leur utilisation et de leur valeur commerciale ;
Qu'en dehors de circonstances spéciales, la valeur commerciale d'un produit est normalement indiquée par le prix du marché ;
13. Attendu que l'expression " échines et cous ", figurant à l'article 2 du règlement n° 77-62, modifie par le règlement n° 136-62, se réfère à des parties de volailles abattues, différentes de celles qui sont précisément détachées des échines et qui constituent, en tant que telles, un résidu du découpage de l'animal, comme il en est du produit litigieux ;
Que la valeur commerciale de celui-ci, telle qu'elle se reflète dans son prix de marché, est très faible et, en tout cas très inférieure à celle des " parties de volailles abattues " énumérées à l'article 2 du règlement n° 77-62 ;
14. Que cette circonstance est implicitement confirmée par le règlement n° 79/66 du 29 juin 1966 de la Commission de la CEE (JO, 1966, n° 118) qui, tout en classant les croupions de dinde avec les " échines et cous ", les affecte d'un coefficient de conversion qui, dans le règlement n° 77-62, se rapproche davantage de celui des " abats comestibles " (article 3) que de ceux prévus pour les " échines et cous " et " autres parties de volailles " (article 2, modifié par le règlement n° 136-62) ;
15. Que, dès lors, l'expression " abats comestibles ", au sens de l'article 3 du règlement n° 77-62, doit être interprétée comme comprenant des produits de valeur commerciale analogue, tel le produit litigieux ;
Sur les dépens
16. Attendu que les frais exposés par la Commission des CE et par le Gouvernement de la République Fédérale d' Allemagne, qui ont soumis leurs observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement ;
17. Que la procédure revêt, à l'égard des parties en cause, le caractère d'un incident soulevé au cours du litige pendant devant le Bundesfinanzhof de la République Fédérale d'Allemagne et que la décision sur les dépens appartient dès lors à cette juridiction ;
Par ces motifs,
LA COUR,
Statuant sur la question à elle soumise par le Bundesfinanzhof de la République Fédérale d'Allemagne, conformément à l'ordonnance rendue par cette juridiction le 30 juillet 1969, dit pour droit :
1) l'article 14 du reglement no 22 du 4 avril 1962 du Conseil de la Communauté économique européenne doit être interprété en ce sens que les Etats membres sont tenus de prendre les mesures nécessaires pour éliminer les entraves à l'application du règlement pouvant provenir de leur législation, sans toutefois qu'il leur soit permis de prendre des dispositions internes affectant la portée du règlement lui-même ;
2) l'article 1 du règlement n° 22 du 4 avril 1962 du Conseil de la Communauté économique européenne, énumérant certaines marchandises reprises au tarif douanier commun, n'habilite pas les autorités nationales des Etats membres à édicter, pour l'application de ces désignations, des règles d'interprétation ayant des effets obligatoires ;
3) selon l'article 3 du règlement n° 77 du 23 juillet 1962 de la Commission de la Communauté économique européenne, l'expression " abats comestibles " doit être interprétée comme comprenant des produits de valeur commerciale analogue, tels que les " croupions de dinde ".