CJCE, 23 mars 1982, n° 102-81
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
"Nordsee" Deutsche Hochseefischerei GmbH
Défendeur :
Reederei Mond Hochseefischerei Nordstern AG & Co. KG ; Reederei Friedrich Busse Hochseefischerei Nordstern AG & Co. KG
LA COUR,
1. Par décision du 22 avril 1981, parvenue à la Cour le 27 avril suivant, l'arbitre dans un litige entre trois sociétés de droit allemand, établies à Bremerhaven, a posé, en vertu de l'article 177 du traite CEE, deux questions préjudicielles concernant, respectivement, l'interprétation de l'article 177 du traité et l'interprétation des règlements du Conseil n° 17-64 du 5 février 1964 (JO 1964, p. 586), n° 729-70 du 21 avril 1970 (JO L 94, p. 13) et n° 2722-72 du 19 décembre 1972 (JO L 291, p. 30), tous trois relatifs au concours de la section orientation du Fonds Européen d'Orientation et de Garantie Agricole (ci-après : FEOGA).
2. Le litige au principal porte sur l'exécution d'un contrat conclu, le 27 juin 1973, entre plusieurs entreprises allemandes d'armateurs. Ce contrat avait, dans le cadre d'un programme commun de construction de treize navires-usines pour la pêche, pour objet de répartir entre les parties contractantes tous les concours financiers qu'elles recevraient de la part du FEOGA de telle façon que la construction de chaque navire bénéficie d'un treizième du montant global des concours octroyés. Les parties contractantes avaient préalablement, d'un commun accord, introduit auprès du FEOGA des demandes de concours financier pour la construction de neuf navires.
3. La Commission n'a finalement retenu que six de ces neuf demandes, les autres demandes de concours étant soit retirées soit rejetées. Une entreprise participant au programme de construction a demandé à deux des autres entreprises de lui verser les sommes qui lui revenaient en vertu du contrat du 27 juin 1973.
4. Un différend ayant surgi à ce propos, il a été soumis à l'arbitrage. Le contrat de 1973 comportait en effet une clause selon laquelle, en cas de désaccord entre les parties sur les problèmes résultant du contrat, une décision définitive serait rendue par un arbitre, tout recours devant les juridictions ordinaires étant exclu. Conformément à cette clause, l'arbitre a été désigné par la chambre de commerce de Brême après qu'il apparut que les parties au litige ne pouvaient se mettre d'accord sur la personne de l'arbitre.
5. Au cours de la procédure devant l'arbitre, les sociétés défenderesses ont fait valoir que le contrat de 1973 était invalide pour autant qu'il tendait à faire bénéficier du concours du FEOGA la construction de navires pour laquelle la Commission n'avait pas octroyé un tel concours. Selon les défenderesses, un concours du FEOGA serait lié à l'exécution d'un projet déterminé et ne pourrait donc valablement être transféré par le bénéficiaire à un autre projet.
6. L'arbitre a été d'avis que, d'après le droit allemand, la validité de la répartition contractuelle des concours financiers du FEOGA dépendait de la question de savoir si une telle répartition constitue une irrégularité au sens des règlements communautaires applicables. Estimant qu'une décision sur ce point lui était nécessaire pour rendre sa sentence, il a saisi la Cour.
Sur l'applicabilité de l'article 177
7. Le tribunal arbitral qui a saisi la Cour étant institué par contrat conclu entre personnes privées, il convient d'examiner d'abord s'il doit être considéré comme une juridiction d'un des Etats membres au sens de l'article 177 du traité.
8. La première question posée par l'arbitre concerne ce problème. Elle est ainsi libellée :
'Un tribunal arbitral allemand, qui ne doit pas juger en équité mais selon la loi et dont la sentence a, entre les parties, les effets d'une décision judiciaire ayant force de chose jugée (article 1040 du Code de procédure civile allemand) est-il compétent pour saisir la Cour de Justice des Communautés européennes à titre préjudiciel en vertu de l'article 177, alinéa 2, du traité CEE ? '
9. Il y a lieu d'observer à cet égard que, comme l'indique d'ailleurs cette question, la compétence de la Cour pour statuer sur les questions posées dépend des caractéristiques propres à l'arbitrage dont il s'agit en l'espèce.
10. Il est vrai que l'activité du tribunal arbitral en cause, ainsi que l'arbitre l'a relevé dans sa question, permet certains rapprochements avec l'activité juridictionnelle en ce que l'arbitrage est organisé dans le cadre de la loi, que l'arbitre est appelé à décider conformément au droit et que sa sentence aura, entre parties, autorité de chose jugée et pourra constituer titre exécutoire si elle est revêtue de l'exequatur. Toutefois, ces caractéristiques ne suffisent pas à conférer à l'arbitre le statut d'une 'juridiction d'un Etat membre' au sens de l'article 177 du traité.
11. Il importe en premier lieu de constater qu'au moment de la conclusion du contrat de 1973, les parties contractantes étaient libres de laisser la solution de leurs litiges éventuels aux juridictions ordinaires ou de choisir la voie de l'arbitrage, en insérant une clause à cet effet dans leur contrat. Il ressort des circonstances de la cause qu'il n'y avait aucune obligation, ni en droit ni en fait, pour les parties contractantes de confier leurs différends à l'arbitrage.
12. La deuxième constatation qui s'impose est que les autorités publiques allemandes ne sont pas impliquées dans le choix de la voie de l'arbitrage, et qu'elles ne sont pas appelées à intervenir d'office dans le déroulement de la procédure devant l'arbitre. En tant qu'Etat membre de la Communauté, responsable de l'exécution des obligations résultant du droit communautaire sur son territoire en vertu des articles 5 et 169 à 171 du traité, la République fédérale d'Allemagne n'a pas confié ou laissé à des personnes privées le soin de faire respecter ces obligations dans le domaine dont il s'agit en l'occurrence.
13. Il résulte de ces considérations que le lien entre la présente procédure arbitrale et l'organisation des voies de recours légales dans l'Etat membre concerné n'est pas suffisamment étroit pour que l'arbitre puisse être qualifié de 'juridiction d'un Etat membre' au sens de l'article 177.
14. Ainsi que la Cour l'a rappelé dans son arrêt du 6 octobre 1981 (Broekmeulen, 246-80, non encore publié), il importe que le droit communautaire soit intégralement respecté sur le territoire de tous les Etats membres ; les parties à un contrat ne sont donc pas libres d'y déroger. Dans cette perspective, il convient d'attirer l'attention sur le fait que, si un arbitrage conventionnel soulevait des questions de droit communautaire, les juridictions ordinaires pourraient être amenées à examiner ces questions, soit dans le cadre du concours qu'elles prêtent aux tribunaux arbitraux, notamment pour les assister dans certains actes de procédure ou pour interpréter le droit applicable, soit dans le cadre du contrôle de la sentence arbitrale, plus ou moins étendu selon le cas, qui leur revient en cas de saisine en appel, en opposition, pour exequatur, ou par toute autre voie de recours ouverte par la législation nationale applicable.
15. Il appartient à ces juridictions nationales de vérifier si elles doivent saisir la Cour en application de l'article 177 du traité, pour obtenir l'interprétation ou l'appréciation de validité des dispositions du droit communautaire qu'elles peuvent être amenées à appliquer dans l'exercice de ces fonctions d'assistance ou de contrôle.
16. Il en résulte que, en l'espèce, la Cour n'est pas compétente pour statuer.
Sur les dépens
17. Les frais exposés par le Gouvernement du Royaume de Danemark, par le Gouvernement de la République italienne, par le Gouvernement du Royaume-Uni et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet de remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant le tribunal arbitral, il appartient à celui-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR,
Statuant sur les questions à elle soumises par l'arbitre dans le litige entre l'entreprise Nordsee Deutsche Hochseefischerei Gmbh, d'une part, et les entreprises Reederei Mond Hochseefischerei Nordstern AG & Co. KG et Reederei Friedrich Busse Hochseefischerei Nordstern AG & Co. KG, d'autre part, par décision du 22 avril 1981, dit pour droit :
La Cour n'est pas compétente pour statuer sur les questions posées par l'arbitre.