CJCE, 8 avril 1976, n° 43-75
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Defrenne
Défendeur :
Sabena SA
LA COUR,
1. Attendu que, par arrêt du 23 avril 1975, parvenu au greffe de la Cour le 2 mai suivant, la Cour du travail de Bruxelles a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, deux questions relatives à l'effet et à la mise en œuvre de l'article 119 du traité concernant le principe de l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins pour un même travail ;
2. Que ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige entre une hôtesse de l'air et son employeur, la SA Sabena, portant sur une indemnisation réclamée par la requérante au principal en raison du fait qu'elle aurait, du 15 février 1963 au 1er février 1966, en tant que travailleur de sexe féminin, subi en matière de rémunération une discrimination par rapport à des collègues de sexe masculin, accomplissant le même travail en qualité de" commis de bord ";
3. Que, selon l'arrêt de renvoi, les parties sont d'accord sur le fait que le travail de l'hôtesse de l'air est identique à celui du commis de bord et que l'existence, pendant la période visée, d'une discrimination en matière de rémunération au détriment de l'hôtesse de l'air n'est pas, dans les conditions données, contestée ;
Sur la 1re question (effet direct de l'article 119)
4. Attendu que, par la première question, il est demandé si l'article 119 du traité "introduit par lui-même directement, dans le droit interne de chaque Etat membre, le principe de l'égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins pour un même travail" et s'il "ouvre, dès lors, en dehors de tout texte national, le droit aux travailleurs d'intenter une action en justice devant les juridictions nationales pour faire respecter ce principe ;
5. Que, dans l'affirmative, il est encore demandé à partir de quelle date cet effet doit être reconnu ;
6. Que la réponse à cette dernière partie de la première question sera donnée ensemble avec la réponse à la deuxième question ;
7. Attendu que la question de l'effet direct de l'article 119 doit être appréciée au regard de la nature du principe d'égalité de rémunération, de l'objectif poursuivi par cette disposition et de sa place dans le système du traité ;
8. Que l'article 119 poursuit une double finalité ;
9. Que, d'une part, compte tenu de la différence du degré d'évolution des législations sociales dans les différents Etats membres, l'article 119 a pour fonction d'éviter que, dans la compétition intracommunautaire, les entreprises établies dans des Etats qui ont effectivement réalisé le principe de l'égalité de rémunération, ne subissent un désavantage concurrentiel par rapport aux entreprises situées dans des Etats qui n'ont pas encore éliminé la discrimination salariale au détriment de la main d'œuvre féminine ;
10. Que, d'autre part, cette disposition relève des objectifs sociaux de la Communauté, celle-ci ne se limitant pas à une union économique, mais devant assurer en même temps, par une action commune, le progrès social et poursuivre l'amélioration constante des conditions de vie et d'emploi des peuples européens, ainsi qu'il est souligné par le préambule du traité ;
11. Que cette finalité est accentuée par l'insertion de l'article 119 dans l'ensemble du chapitre consacré à la politique sociale, dont la disposition liminaire, à savoir l'article 117, marque " la nécessité de promouvoir l'amélioration des conditions de vie et de travail de la main d'œuvre permettant leur égalisation dans le progrès ";
12. Que, de cette double finalité, économique et sociale, il résulte que le principe d'égalité de rémunération fait partie des fondements de la Communauté ;
13. Que cette considération explique d'ailleurs pourquoi le traité a prévu l'application intégrale de ce principe dès la fin de la première étape de la période de transition ;
14. Que, dans l'interprétation de cette disposition, on ne saurait donc tirer argument des lenteurs et des résistances qui ont retardé l'application effective de ce principe essentiel dans certains Etats membres ;
15. Que, plus particulièrement, le rattachement de l'article 119 au contexte de l'égalisation des conditions de travail dans le sens du progrès permet d'écarter l'objection tirée de ce que cet article pourrait être respecté autrement que par un relèvement des salaires les moins élevés ;
16. Attendu qu'aux termes de l'article 119, alinéa 1, les Etats membres sont tenus d'assurer et de maintenir " l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins pour un même travail ";
17. Que les alinéas 2 et 3 du même article ajoutent un certain nombre de précisions relatives aux notions de rémunération et de travail, utilisées par l'alinéa 1 ;
18. Qu'en vue de l'application de ces dispositions, il y a lieu d'établir une distinction, à l'intérieur du champ d'application global de l'article 119, entre, d'une part, les discriminations directes et ouvertes, susceptibles d'être constatées à l'aide des seuls critères d'identité de travail et d'égalité de rémunération retenus par l'article cité, et, d'autre part, les discriminations indirectes et déguisées qui ne peuvent être identifiées qu'en fonction de dispositions d'application plus explicites, de caractère communautaire ou national ;
19. Qu'on ne saurait méconnaître, en effet, qu'une mise en œuvre intégrale de l'objectif poursuivi par l'article 119, par l'élimination de toutes discriminations entre travailleurs féminins et travailleurs masculins, directes ou indirectes, dans la perspective non seulement des entreprises individuelles, mais encore de branches entières de l'industrie et même de l'économie globale, peut impliquer, dans certains cas, la détermination de critères dont la mise en œuvre réclame l'intervention de mesures communautaires et nationales adéquates ;
20. Que cette manière de voir s'impose d'autant plus que les actes communautaires sur cette question, dont il sera fait état en réponse à la 2e question, mettent en œuvre l'article 119 dans le sens d'un élargissement du critère strict d'un " même travail ", en conformité notamment avec les dispositions de la convention n° 100 sur l'égalité de rémunération de l'organisation internationale du travail, 1951, dont l'article 2 envisage l'égalité de rémunération pour un travail " de valeur égale ";
21. Attendu que, parmi les discriminations directes, susceptibles d'être constatées à l'aide des seuls critères fournis par l'article 119, il faut compter notamment celles qui ont leur source dans des dispositions de nature législative ou dans des conventions collectives du travail, de telles discriminations étant décelables sur base d'analyses purement juridiques ;
22. Qu'il en est encore de même dans le cas d'une rémunération inégale de travailleurs masculins et de travailleurs féminins pour un même travail, accompli dans un même établissement ou service, privée ou public ;
23. Qu'en présence d'une telle situation - ainsi qu'il est démontré par les constatations mêmes de l'arrêt de renvoi - le juge est en mesure d'établir tous les éléments de fait qui lui permettent d'apprécier si un travailleur de sexe féminin reçoit une rémunération inférieure à celle d'un travailleur masculin affectée à des taches identiques ;
24. Qu'à tout le moins dans de telles hypothèses, l'article 119 est susceptible d'application directe et peut donc engendrer, dans le chef des justiciables, des droits que les juridictions doivent sauvegarder ;
25. Que d'ailleurs, les législations nationales prises pour l'application du principe d'égalité de rémunération ne font, en règle générale, que reproduire en substance les termes de l'article 119 en ce qui concerne les discriminations directes, dans le cas d'un même travail ;
26. Que, sous ce rapport, la législation belge est particulièrement illustrative, étant donné que l'article 14 de l'arrêté royal n° 40 sur le travail des femmes, du 24 octobre 1967, se borne à affirmer le droit, pour tout travailleur de sexe féminin, d'intenter, auprès de la juridiction compétente, une action visant à faire appliquer le principe de l'égalité de rémunération de l'article 119, auquel il est simplement renvoyé ;
27. Attendu qu'on ne peut invoquer contre cette conclusion les termes utilisés par l'article 119 ;
28. Qu'on ne saurait, tout d'abord, tirer argument, contre l'effet direct, de l'emploi, par cet article, du terme" principe ", puisque, dans le langage du traité, cette expression est précisément utilisée pour marquer le caractère fondamental de certaines dispositions, ainsi qu'il ressort par exemple de l'intitulé donné à la première partie du traité, consacrée aux" principes ", et de l'article 113, selon lequel la politique commerciale de la Communauté est fondée sur des" principes uniformes ";
29. Qu'en atténuant cette notion, au point de la réduire au rang d'une indication vague, on toucherait ainsi indirectement aux fondements mêmes de la Communauté et à la cohérence de ses relations extérieures ;
30. Qu'il n'est pas possible, non plus, de tirer argument du fait que l'article 119 ne vise explicitement que les " Etats membres ";
31. Qu'en effet, ainsi que la Cour l'a déjà constaté dans d'autres contextes, le fait que certaines dispositions du traité sont formellement adressées aux Etats membres n'exclut pas que des droits puissent être conférés en même temps à tout particulier intéressé à l'observation des obligations ainsi définies ;
32. Qu'il résulte du texte même de l'article 119 que celui-ci impose aux Etats une obligation de résultat qui devait être impérativement réalisée dans un délai déterminé ;
33. Que l'efficacité de cette disposition ne saurait être affectée par la circonstance que l'obligation imposée par le traité n'a pas été tenue par certains Etats membres et que les institutions communes ont insuffisamment réagi contre cet état de carence ;
34. Qu'admettre le contraire risquerait d'ériger la violation du droit en règle d'interprétation, position que la Cour ne saurait prendre sans se mettre en contradiction avec la mission qui lui est assignée par l'article 164 du traité ;
35. Qu'enfin, en faisant référence aux " Etats membres ", l'article 119 vise ces Etats dans l'exercice de toutes celles parmi leurs fonctions qui peuvent concourir utilement à la mise en œuvre du principe d'égalité de rémunération ;
36. Que, contrairement à ce qui a été exposé en cours de procédure, cette disposition est donc loin de s'épuiser dans un renvoi à la compétence des pouvoirs législatifs nationaux ;
37. Que la référence de l'article 119 aux " Etats membres " ne saurait donc être interprétée comme étant exclusive de l'intervention de l'autorité judiciaire, en application directe du traité ;
38. Attendu qu'on ne saurait retenir, non plus, l'objection tirée du fait que l'application, par les juridictions internes, du principe d'égalité de rémunération aurait pour effet de modifier ce que les parties ont convenu par des actes relevant de l'autonomie privée ou professionnelle, tels que les contrats individuels et les conventions collectives du travail ;
39. Qu'en effet, l'article 119 ayant un caractère impératif, la prohibition de discriminations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins s'impose non seulement à l'action des autorités publiques, mais s'étend également à toutes conventions visant à régler de façon collective le travail salarié, ainsi qu'aux contrats entre particuliers ;
40. Attendu qu'il convient donc de répondre à la première question que le principe de l'égalité de rémunération de l'article 119 est susceptible d'être invoqué devant les juridictions nationales et que celles-ci ont le devoir d'assurer la protection des droits que cette disposition confère aux justiciables, notamment dans le cas de discriminations qui ont directement leur source dans des dispositions législatives ou des conventions collectives du travail, ainsi que dans le cas d'une rémunération inégale de travailleurs féminins et de travailleurs masculins pour un même travail, lorsque celui-ci est accompli dans un même établissement ou service, privé ou public ;
Sur la 2e question (mise en œuvre de l'article 119 et compétences respectives de la Communauté et des Etats membres)
41. Attendu qu'il est demandé, par la deuxième question, si l'article 119 est devenu " applicable dans le droit interne des Etats membres en fonction d'actes pris par les autorités de la Communauté " ou s'il faut " admettre, en la matière, la compétence exclusive du législateur national ";
42. Que, conformément à ce qui est indiqué ci-dessus, il convient de rattacher à cette question le point de savoir à partir de quelle date l'effet direct de l'article 119 doit être reconnu ;
43. Attendu qu'en vue de l'ensemble de ces problèmes, il convient d'établir en premier lieu la chronologie des actes pris dans le cadre communautaire pour assurer la mise en œuvre de la disposition dont l'interprétation est en cause ;
44. Qu'aux termes de l'article 119 même, l'application du principe de l'égalité de rémunération devait être uniformément assurée au plus tard pour la fin de la première étape de la période de transition ;
45. Qu'il résulte des informations communiquées par la Commission que la mise en œuvre de ce principe accuse cependant des divergences et des décalages notables entre les différents Etats ;
46. Que si, dans certains Etats membres, le principe était déjà réalisé pour l'essentiel des avant l'entrée en vigueur du traité, en vertu soit de dispositions constitutionnelles et législatives expresses, soit de pratiques sociales consacrées par les conventions collectives du travail, sa pleine réalisation a subi des retards prolongés dans d'autres Etats ;
47. Qu'en présence de cette situation, les Etats membres ont, le 30 décembre 1961, à la veille de l'échéance fixée par l'article 119, pris une résolution relative à l'égalisation des salaires masculins et féminins avec, pour objet, de préciser à certains égards le contenu matériel du principe de l'égalité de rémunération, tout en retardant sa mise en œuvre selon un plan échelonné dans le temps ;
48. Qu'aux termes de cette résolution, toutes discriminations, directes et indirectes, auraient dû être complètement éliminées pour le 31 décembre 1964 ;
49. Qu'il résulte des informations données par la Commission que plusieurs parmi les anciens Etats membres n'ont cependant pas respecté les termes de cette résolution et que, pour cette raison, la Commission a été amenée, dans le cadre des taches qui lui sont confiées par l'article 155 du traité, à réunir les représentants des Gouvernements et les partenaires sociaux en vue d'étudier la situation et de concerter les mesures destinées à favoriser le progrès vers la pleine réalisation de l'objectif fixé par l'article 119 ;
50. Que ces travaux ont abouti à l'établissement de rapports successifs sur la situation dans les Etats membres originaires, dont le plus récent, récapitulant l'ensemble des données, porte la date du 18 juillet 1973 ;
51. Qu'en conclusion de ce rapport, la Commission a annonce son intention d'entamer, sur base de l'article 169 du traité, des procédures d'infraction contre ceux des Etats membres qui n'avaient pas encore à cette date accompli les obligations imposées par l'article 119, sans que, cependant, cet avertissement ait entraîné des conséquences ;
52. Qu'à la suite d'échanges similaires entrepris avec les autorités compétentes des nouveaux Etats membres, la Commission a, dans son rapport du 17 juillet 1974, déclaré que, depuis le 1er janvier 1973, l'article 119 est pleinement applicable en ce qui concerne ces Etats et que ceux-ci se trouvent ainsi, à partir de cette date, dans la même situation que les Etats membres originaires ;
53. Que, pour sa part, en vue de hâter la mise en œuvre intégrale de l'article 119, le Conseil a arrêté, le 10 février 1975, la directive n° 75/-117 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives à l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins (JO n° L 45, p. 19) ;
54. Que cette directive précise à certains égards la portée matérielle de l'article 119 et prévoit, au surplus, diverses dispositions destinées, en substance, à améliorer la protection juridictionnelle des travailleurs éventuellement lésés par la non- application du principe de l'égalité de rémunération fixé par l'article 119 ;
55. Que l'article 8 de cette directive accordé aux Etats membres un délai d'un an en vue de mettre en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives appropriées ;
56. Attendu qu'il résulte des termes exprès de l'article 119 que l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins devait être pleinement assurée et irréversible à l'expiration de la première étape de la période de transition, soit au 1er janvier 1962 ;
57. Que la résolution des Etats membres du 30 décembre 1961, sans préjudice des effets qu'elle a pu avoir en vue de favoriser et d'accélérer la mise en œuvre intégrale de l'article 119, n'a pas pu valablement modifier l'échéance fixée par le traité ;
58. Qu'en effet, une modification du traité ne peut résulter - sans préjudice de dispositions spécifiques - que d'une révision opérée en conformité de l'article 236 ;
59. Qu'au surplus, il résulte de ce qui précède qu'à défaut de dispositions transitoires, le principe de l'article 119 déploie tous ses effets pour les nouveaux Etats membres à partir de l'entrée en vigueur du traité d'adhésion, soit au 1er janvier 1973 ;
60. Que cette situation juridique n'a pu être modifiée par la directive n° 75/-117 qui, prise dans le cadre de l'article 100, relatif à l'harmonisation des législations, a pour objectif de favoriser, au moyen d'un ensemble de mesures a prendre sur le plan national, la bonne application de l'article 119, spécialement en vue de l'élimination de discriminations indirectes, sans pouvoir, cependant, atténuer l'efficacité de cet article ou modifier son effet dans le temps ;
61. Attendu que, si l'article 119 s'adresse expressément aux Etats membres en leur imposant le devoir d'assurer, dans un délai donné, et de maintenir par la suite l'application du principe de l'égalité de rémunération, cette obligation assumée par les Etats n'est pas exclusive d'une compétence de la Communauté en la matière ;
62. Que, bien au contraire, l'existence d'une compétence de la Communauté résulte de ce que l'article 119 fait partie des objectifs du traité dans le cadre de la" politique sociale ", objet du titre III, celui-ci étant inséré à son tour dans la troisième partie, consacrée à" la politique de la Communauté ";
63. Qu'en l'absence de toute référence expresse, par l'article 119, aux fonctions à exercer éventuellement par la Communauté en vue de la mise en œuvre de la politique sociale, il convient de se référer au système général du traité et aux moyens qu'il a institués, tels que prévus par les articles 100, 155 et, le cas échéant, 235 ;
64. Qu'aucune disposition d'application, qu'elle soit prise par les institutions de la Communauté ou par les autorités nationales, ne saurait cependant porter atteinte à l'effet direct de l'article 119, tel qu'il a été indiqué en réponse à la première question ;
65. Attendu qu'il convient donc de répondre à la deuxième question que l'application de l'article 119 devait être pleinement assurée par les anciens Etats membres à partir du 1er janvier 1962, début de la 2e étape de la période de transition, et par les nouveaux Etats membres à partir du 1er janvier 1973, date de l'entrée en vigueur du traité d'adhésion ;
66. Que la première de ces échéances n'a pas été modifiée par la résolution des Etats membres du 30 décembre 1961 ;
67. Que la directive du Conseil n° 75-117 ne porte pas préjudice à l'effet direct de l'article 119, tel qu'indiqué en réponse à la première question, et que le délai fixé par cette directive est sans effet sur les échéances déterminées, respectivement, par l'article 119 du traité CEE et le traité d'adhésion ;
68. Que, même dans les domaines ou l'article 119 n'aurait pas d'effet direct, on ne saurait interpréter cette disposition comme réservant une compétence exclusive au législateur national pour la mise en œuvre du principe d'égalité de rémunération, cette mise en œuvre pouvant résulter, pour autant que de besoin, d'un concours de dispositions communautaires et nationales ;
Sur l'effet du présent arrêt dans le temps
69. Attendu que les Gouvernements de l'Irlande et du Royaume-Uni ont attiré l'attention sur les conséquences de caractère économique qui pourraient découler de la reconnaissance, par la Cour, de l'effet direct des dispositions de l'article 119, du fait qu'une telle prise de position pourrait déclencher, dans de nombreuses branches de la vie économique, des revendications remontant à la date à partir de laquelle cet effet se serait produit ;
70. Que, compte tenu du nombre élevé des personnes intéressées, de telles revendications, imprévisibles pour les entreprises, pourraient avoir des effets graves sur la situation financière de celles-ci, au point d'acculer certaines d'entre elles à la faillite ;
71. Attendu que, si les conséquences pratiques de toute décision juridictionnelle doivent être pesées avec soin, on ne saurait cependant aller jusqu'à infléchir l'objectivité du droit et compromettre son application future en raison des répercussions qu'une décision de justice peut entraîner pour le passé ;
72. Que cependant, en présence du comportement de plusieurs parmi les Etats membres et des attitudes prises par la Commission et portées itérativement à la connaissance des milieux concernes, il convient de tenir compte, à titre exceptionnel, de ce que les parties intéressés ont été amenées, pendant une période prolongée, à maintenir des pratiques contraires à l'article 119, quoique non encore interdites par leur droit national ;
73. Que le défaut, par la Commission, d'avoir introduit, à l'encontre des Etats membres concernes, des recours en manquement au titre de l'article 169, malgré les avertissements donnes, a été de nature à consolider une impression erronée quant aux effets de l'article 119 ;
74. Que, dans ces conditions, il convient de constater que, dans l'ignorance du niveau global auquel les rémunérations auraient été établies, des considérations impérieuses de sécurité juridique tenant à l'ensemble des intérêts en jeu, tant publics que privés, empêchent en principe de remettre en cause les rémunérations pour des périodes passées ;
75. Qu'en conséquence, l'effet direct de l'article 119 ne peut être invoqué à l'appui de revendications relatives à des périodes de rémunération antérieures à la date du présent arrêt, sauf en ce qui concerne les travailleurs qui ont introduit antérieurement un recours en justice ou soulève une réclamation équivalente ;
Quant aux dépens
76. Attendu que les frais exposés par la Commission des Communautés européennes, qui a soumis des observations a la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement ;
77. Que la procédure revêtant à l'égard des parties au principal le caractère d'un incident soulevé au cours du litige pendant devant la Cour du travail de Bruxelles, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens ;
Par ces motifs,
LA COUR,
Statuant sur les questions a elle soumises par la Cour du travail de Bruxelles par arrêt du 23 avril 1975 dit pour droit :
1) Le principe de l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins fixé par l'article 119 est susceptible d'être invoqué devant les juridictions nationales. Ces juridictions ont le devoir d'assurer la protection des droits que cette disposition confère aux justiciables, notamment dans le cas de discriminations qui ont directement leur source dans des dispositions législatives ou des conventions collectives du travail, ainsi que dans le cas d'une rémunération inégale de travailleurs féminins et de travailleurs masculins pour un même travail, lorsque celui-ci est accompli dans un même établissement ou service, privé ou public.
2) L'application de l'article 119 devait être pleinement assurée par les anciens Etats membres à partir du 1er janvier 1962, début de la 2e étape de la période de transition, et par les nouveaux Etats membres à partir du 1er janvier 1973, date de l'entrée en vigueur du traité d'adhésion. La première de ces échéances n'a pas été modifiée par la résolution des Etats membres du 30 décembre 1961.
3) La directive du Conseil n° 75-117 ne porte pas préjudice à l'effet direct de l'article 119 et le délai fixé par cette directive est sans effet sur les échéances déterminées, respectivement, par l'article 119 du traité CEE et le traité d'adhésion.
4) Même dans les domaines ou l'article 119 n'aurait pas d'effet direct, on ne saurait interpréter cette disposition comme réservant une compétence exclusive au législateur national pour la mise en œuvre du principe d'égalité de rémunération, cette mise en œuvre pouvant résulter, pour autant que de besoin, d'un concours de dispositions communautaires et nationales.
5) Sauf en ce qui concerne les travailleurs qui ont introduit antérieurement un recours en justice ou soulève une réclamation équivalente, l'effet direct de l'article 119 ne peut être invoqué à l'appui de revendications relatives à des périodes de rémunération antérieures à la date du présent arrêt.