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Décisions

CA Paris, 14e ch. B, 10 novembre 1994, n° 94-21327

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Alloptic France (SA)

Défendeur :

UNSOF ; SNADOC

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cottin

Conseillers :

M. Valantin, Mme Desolneux

Avoués :

SCP Berrnabe Ricard Leclerc, SCP Duboscq, Pellerin

Avocats :

Mes Gilelt-Agniel, Monod

TGI Bobigny, du 10 août 1994

10 août 1994

LA COUR statue sur l'appel à jour fixe, formé par la société Alloptic France à l'encontre d'une ordonnance de référé rendue le 10 août 1994 par le Président du Tribunal de grande instance de Bobigny qui lui a fait interdiction de proposer la vente à distance, notamment par correspondance, par voie de publicité de quelle que nature que ce soit, des lentilles oculaires de contact ainsi que des produits destinés à leur entretien, et ce sous astreinte de 3 000 F par infraction constatée et par jour de retard, dans le délai de 8 jours à compter de la signification de l'ordonnance, et qui l'a condamnée à payer à l'UNSOF et au SNADOC la somme de 3 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Alloptic France qui a pour objet social la commercialisation de toutes fournitures optiques et service connexes a été créée le 2 juillet 1993 entre Monsieur Christopher Mazet, associé majoritaire et Mme Muriel Sellem qui en a été nommée gérante.

Elle propose la vente par correspondance de toutes les marques et types de lentilles et de solutions d'entretien.

L'UNSOF et le SNADOC, syndicats professionnels, ont été informés des divers moyens publicitaires développés par la société.

Estimant que les conditions de vente offertes étaient contraires aux dispositions de la réglementation de la santé publique, ils ont fait assigner la société Alloptic France devant le juge des référés.

C'est dans ces conditions qu'est intervenue l'ordonnance déférée.

La société Alloptic France, appelante, soutient qu'elle satisfait aux dispositions législatives et réglementaires concernées, sa gérante Mme Sellem étant titulaire du brevet de Technicien supérieur d'opticien lunetier exigé par la loi.

Elle précise qu'elle commercialise exclusivement des lentilles de contact et produits d'entretien, uniquement sur prescriptions médicales et sous le contrôle de sa gérante.

Elle affirme qu'en l'absence d'ordonnance le client est avisé que sa demande ne pourra être satisfaite que sur présentation de celle-ci et que la délivrance des lentilles s'effectue par voie postale ou à son siège.

Elle fait valoir que ce mode de distribution existe en particulier aux Etats Unis.

Elle soutient enfin que les produits d'entretien des lentilles de contact ne sont pas des médicaments, n'étant pas destinés à jouer un rôle curatif.

Le seul impératif exigé selon elle, est leur délivrance sous le contrôle d'un opticien pouvant le cas échéant répondre aux interrogations techniques du consommateur, rôle qu'elle assume téléphoniquement.

Elle indique que le procédé commercial développé par ses soins n'est pas constitutif d'un trouble manifestement illicite dès lors qu'il ne se heurte pas à une interdiction expresse et qu'en toute hypothèse la Jurisprudence ne permet pas de conclure à une prohibition de ce moyen de vente qui, selon elle, n'est pas de nature à constituer un risque pour la santé publique.

Elle sollicite en conséquence, l'interdiction à l'UNSOF et au SNADOC de poursuivre la campagne de dénigrement entreprise contre sa société et contre la vente par correspondance des lentilles de contact et ce sous astreinte de 10 000 F par infraction constatée ainsi que leur condamnation à lui payer une somme de 30 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

L'Union nationale des syndicats d'opticien France, dite UNSOF et le Syndicat national des adaptateurs d'optique de contact dit SNADOC, intimés, concluent à la confirmation de l'ordonnance. Ils demandent en outre :

- l'augmentation de l'astreinte à la somme de 10 000 F par infraction constatée ;

- le retrait sous les mêmes sanctions de toutes publicités proposant à la vente entre personnes absentes et notamment par correspondance, des dits produits ;

- la publication du présent arrêt dans deux publications dont une à caractère professionnel et ce aux frais de la société Alloptic France ;

- la condamnation de l'appelante à leur payer une somme de 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Ils soutiennent que la société Alloptic France, notamment par ses publicités litigieuses se propose de développer des conditions de vente d'articles d'optique lunetterie et de médicaments dans des conditions contraires aux règles et principes de la législation française.

Ils font valoir en particulier que la vente par correspondance, interdisant la relation directe entre le professionnel qualifié et le consommateur favorise la vente sans contrôle effectif et constitue un risque pour la santé publique.

Sur ce LA COUR

Considérant qu'il résulte des documents versés aux débats et notamment de la publicité diffusée par la société Alloptic France que cette dernière propose "toutes les marques et types de lentilles de contact et leur solution d'entretien par commande sur simple appel téléphonique, la livraison étant effectuée en 24/48 heures, sur demande, à l'adresse de son choix, n'importe où en France" ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que sa gérante Mme Muriel Sellem soit titulaire du diplôme d'opticien lunetier ;

Sur les normes applicables

Considérant que toute référence à la réglementation applicable à l'étranger, en particulier aux Etats-Unis ne peut être retenue, cette dernière étant fondamentalement différente de celle résultant des dispositions des articles L. 505 et suivants du Code de la sécurité sociale, seules règles de droit applicables en la matière

Considérant que les articles L. 505 et L. 508 du Code de la santé publique imposent aux établissements commerciaux dont l'objet principal est l'optique lunetterie ainsi qu'à leurs succursales d'être dirigés ou gérés par une personne remplissant les conditions requises pour l'exercice de la profession, à savoir un diplôme professionnel ;

Que dans son arrêt du 25 mai 1993, relatif à la législation nationale concernant la vente des lentilles de contact, la Cour européenne de Justice a précisé qu'"une législation nationale qui réserve la vente de produits destinés à corriger les défauts d'une fonction propre à l'organisme humain à des opérateurs qualifiés, titulaires d'un diplôme professionnel en la matière, vise un objectif de protection de la santé publique. En effet la vente des lentilles de contact, même si la prescription relève de la compétence de l'oculiste ne saurait être considérée comme une activité commerciale similaire à toute autre" ;

Considérant que cette situation spécifique imposée par les impératifs de santé publique explique que le législateur et la jurisprudence exigent que l'opération de vente s'exerce dans un cadre défini permettant le contrôle effectif et réel d'un professionnel qualifié chargé de délivrer les produits ;

Sur les risques de santé publique

Considérant que la délivrance de lentilles de contact n'est pas conditionnée à la remise d'une prescription médicale ; qu'il est constant que la société Alloptic France n'en réclame pas pour chaque commande ;

Considérant qu'il résulte des attestations produites aux débats qu'un accueil téléphonique est assuré par la société Alloptic France ; qu'il convient cependant de constater que les attestations faisant état "d'un interlocuteur", "d'un homme aimable", "de Mr Mazet", associé majoritaire de la société, n'établissent pas que les ventes et les conseils donnés aient lieu avec l'intervention de l'opticien diplômé ;

Considérant que la livraison par correspondance des lentilles de contact ne permet pas à la société Alloptic France de remplir son devoir de contrôle et en particulier de vérification de l'adéquation du produit remis, mécanisme de vérification nécessitant la présence effective du professionnel qualifié et du consommateur ;

Que la société Alloptic France ne justifie pas de la réalité de l'exercice, par un professionnel diplômé, de l'obligation de contrôle, ni de son devoir de conseil, exigences portant sur le professionnel qui lors de l'opération doit jouer un rôle actif et ne pas se contenter de remettre par la voie postale un produit commandé téléphoniquement ;

Sur les produits d'entretien

Considérant que l'article L. 512 du Code de la santé publique vise expressément comme constituant des médicaments "la préparation des produits destinés à l'entretien ou à l'application des lentilles oculaires de contact" ; que les solutions d'entretien sont analysées, au regard de la loi, au même titre que les solutions d'application des lentilles, comme des médicaments ; que leur mise sur le marché est d'ailleurs soumise aux mêmes autorisations et processus réglementaire ;

Considérant que la dérogation édictée par l'article L. 512-1 du Code susvisé autorisant aux opticiens lunetiers la vente des produits d'entretien, ne fait pas perdre à ces produits leur qualité de médicament ; que la distinction faite par l'appelante entre produits d'application et produits d'entretien est inopérante ;

Sur le trouble manifestement illicite

Considérant qu'en délivrant par correspondance des lentilles de contact, sans contrôle, sans pouvoir vérifier leur adéquation et l'absence de troubles résultant du port de ces lentilles par le consommateur, et sans justifier que les conseils donnés téléphoniquement proviennent d'un professionnel diplômé, la société Alloptic ne remplit véritablement pas le rôle de conseil exigé ;

Considérant qu'il résulte des éléments ci dessus rappelés que la vente effectuée par la société Alloptic France ne correspond pas aux conditions requises par les impératifs de santé publique que de telles conditions de vente constituent un risque de nuire à la protection de la santé publique évident, engendrant un trouble manifestement illicite ; qu'il convient de confirmer l'ordonnance déférée ;

Sur les demandes additionnelles

Considérant que l'UNSOF et le SNADOC n'établissent pas que la société Alloptic France poursuive ses activités et manifeste une résistance à exécuter l'ordonnance rendue; qu'il n'y a pas lieu d'augmenter le montant de l'astreinte par jour de retard et par infraction constatée ; que le montant de 3 000 F retenu par le premier juge suffit à concrétiser son caractère dissuasif ;

Considérant que compte tenu de la nature du présent litige et des éléments ci dessus évoqués, les demandes de retrait des documents et publicités ainsi que la publication de la présente décision ne se justifient pas et ne paraissent pas opportunes ;

Considérant que la société appelante ne caractérise pas les faits relatifs à une campagne de dénigrement à laquelle se livreraient les syndicats professionnels à son encontre ;

Qu'il convient de rejeter ces demandes ;

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de l'UNSOF et du SNADOC la totalité des frais irrépétibles, engagés en cause d'appel pour lesquels il leur sera alloué la somme de 5 000 F ;

Que la société Alloptic France qui succombe doit être condamnée aux dépens et ne peut prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Par ces motifs, Confirme l'ordonnance déférée, et y ajoutant, Condamne la société Alloptic France à payer la somme de 5 000 F à l'UNSOF et au SNADOC, en cause d'appel, au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Rejette toutes autres demandes des parties ; Condamne la société Alloptic France aux dépens d'appel ; Admet la SCP Dubosq-Pellerin, avoués, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.