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Décisions

CA Toulouse, 3e ch. civ. sect. 1, 10 septembre 1996, n° 1800-95

TOULOUSE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Franfinance Location (SA)

Défendeur :

Barthes (ès qual.), Rouquier, Dales

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chauvin

Conseillers :

MM. Helip, Lamant

Avoués :

SCP Boyer Lescat, SCP Nidecker Prieu, Me de Lamy

Avocats :

Mes Charrier, Lagrange, SCP Salvaire Veaute

TI Castres, du 17 janv. 1995

17 janvier 1995

Faits procédure prétentions des parties

Le 7 décembre 1989, les époux Bruno Rouquier Blandine Dales, aujourd'hui séparés, ont accepté une offre préalable de location avec option d'achat portant sur un véhicule Saab d'une valeur de 197 000 F, présentée par la société Auxilease, aux droits de qui se présente actuellement la société Franfinance,

A la suite d'échéances impayées depuis le 20 décembre 1990, la société de crédit a notifié aux deux débiteurs des mises en demeure le 11 février 1991 et les a fait assigner devant le Tribunal de grande instance de Castres par exploits du 6 janvier 1992,

Par jugement définitif du 24 mars 1993 (n° 68-92) , ce tribunal relevant, comme le lui demandait Mme Dales, que si la valeur du bien loué était supérieure à celle visée dans la loi du 10 janvier 1978, permettant de faire échapper les rapports des contractants à ces dispositions, rien n'interdisait aux parties de s'y soumettre, ce qui était le cas en l'espèce, de sorte que l'action en paiement relevait de la compétence du Tribunal d'instance de Castres au profit duquel il renvoyait la connaissance du litige,

L'appel du créancier n'ayant pas été suivi d'un enrôlement devant la cour, la procédure s'est poursuivie devant le Tribunal d'instance de Castres qui par jugement du 17 janvier 1995, faisant droit à l'argumentation de Mme Dales, retenait :

- que le contrat étant soumis à la loi du 10 janvier 1978, l'action aurait dû être engagée devant le tribunal compétent dans le délai préfix de deux ans après le premier impayé non régularisé qui se situait le 20 décembre 1990,

- que le délai de deux ans ne pouvait avoir été interrompu par la citation devant un tribunal incompétent et que sa saisine nécessairement postérieure au jugement d'incompétence du Tribunal de grande instance de Castres du 24 mars 1993 était tardive, de sorte que l'action était prescrite,

La société Franfinance est appelante de cette décision et devant la cour conclut à la condamnation de Mme Dales au paiement de la somme de 110 479 F avec intérêts du jour de la résiliation ou à défaut de l'assignation introductive d'instance du 6 janvier 1992, outre la somme de 10 000 F pour frais de procès en sus des dépens.

Elle soutient à cette fin que la loi de 1978 ne s'applique pas de plein droit en l'espèce mais par accord contractuel entre les parties, de sorte que la procédure suivie exclut l'application du délai de forclusion,

Elle soutient aussi que c'est l'assignation introductive d'instance du 6 janvier 1992 qu'il convient de prendre en considération puisque c'est l'acte qui a saisi le tribunal de grande instance lequel s'est déporté au profit du tribunal d'instance sans remettre en cause la validité de l'assignation elle-même,

Elle soutient enfin que par suite d'une procédure de saisie conservatoire, Mme Dales a payé une somme de 110 000 F, régularisant la totalité des impayés, de sorte que la date du point de départ de la forclusion permettait largement la saisine du tribunal d'instance,

La société Franfinance qui a intimé Me Barthes ès qualités de mandataire liquidateur de M. Rouquier ne présente aucune demande contre celui-ci,

Mme Dales conclut à la confirmation du jugement au motif que le premier incident de paiement non régularisé est en date du 20 décembre 1990, que l'action n'a été engagée devant le tribunal d'instance, seul compétent par application de l'article L. 311-37 du Code de la consommation que postérieurement au jugement du Tribunal de grande instance de Castres, soit au delà du délai de forclusion de deux ans imparti au créancier, l'application de ce texte résultant de la volonté des parties elles-mêmes,

Elle soutient aussi que la saisine d'une juridiction incompétente n'interrompt pas ce délai de deux ans, puisque c'est le tribunal d'instance qui doit être saisi dans ce délai de deux ans, à peine de forclusion,

Elle conclut aussi à titre subsidiaire que le non respect par le bailleur de ses obligations prévues à l'article 5 du contrat sur l'information du locataire de sa possibilité de présenter un acquéreur dans un délai de trente jours à compter de la résiliation du contrat, lui a porté préjudice, évalué à 50 000 F, car le véhicule malgré son bon état et son faible kilométrage a été vendu aux enchères publiques à un prix dérisoire,

Elle discute ensuite le décompte présenté sur plusieurs points et demande également de réduire la clause pénale,

Enfin dans l'hypothèse où un solde resterait dû, elle demande que M. Rouquier, représenté par son liquidateur, soit tenu solidairement avec elle,

En toute hypothèse, elle demande la condamnation de Franfinance à lui payer la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

Elle réplique à l'argumentation de la société Franfinance sur la régularisation des échéances impayées par le versement d'une somme de 110 000 F, en expliquant les circonstances du versement de cette somme à titre de consignation pour obtenir mainlevée d'une saisie conservatoire,

Maître Barthes en sa qualité de mandataire liquidateur de M. Rouquier conclut dans le même sens que Mme Dales et demande à la cour de confirmer le jugement déféré ainsi que la condamnation de la société Franfinance à lui payer la somme de 10 000 F pour frais de procès sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

Motifs de la décision

Sur le point de départ du délai de forclusion

En droit, l'article 27 de la loi du 10 janvier 1978, dite loi Scrivener (actuellement L. 311-37 du Code de la consommation), dispose que les actions soumises à cette loi doivent être engagées dans les deux ans de l'événement qui leur a donné naissance, à peine de forclusion, cet événement, en cas de défaillance de l'emprunteur dans ses remboursements étant constitué par le premier incident de paiement non régularisé,

En l'espèce, il est définitivement jugé entre parties que ce texte est applicable au contrat qui les lie et la société Franfinance, après avoir admis que le premier impayé non régularisé était constitué par l'échéance du 20 décembre 1990, soutient dans ses dernières écritures que Mme Dales aurait régularisé l'ensemble des impayés par un versement de 110 000 F effectué à une date non précisée en conclusions mais qui se situe, d'après les pièces versées aux débats le 13 avril 1992,

Cependant ce moyen ne peut prospérer en raison de ce qu'à cette date l'action était déjà engagée devant le Tribunal de grande instance de Castres et que par conséquent la résiliation du contrat était acquise et aucune régularisation possible, sauf accord formel non réalisé ici,

De plus, comme le fait remarquer Mme Dales, il ressort des opérations de l'huissier poursuivant que la somme n'a pas été remise en vue de régulariser des échéances impayées, mais pour obtenir mainlevée d'une saisie arrêt conservatoire pratiquée sur ses meubles à la requête de deux créanciers, les sociétés Solovam et Franfinance et que les fonds ont été consignés dans l'attente de l'issue des procédures en fixation des créances et de validité des saisies,

En outre, rien ne permet de savoir quelle part Franfinance a reçu ou va recevoir sur cette somme consignée au profit de deux créanciers saisissants,

Il s'ensuit que le point de départ du délai pour engager l'action doit être fixé à la date du 20 décembre 1990,

Sur la forclusion,

En droit aux termes de l'article 2246 du Code civil, la citation en justice même devant un juge incompétent interrompt la prescription,

Ce texte de portée générale s'applique également au délai de forclusion prévu par l'article L. 331-37 du Code de la consommation, alors surtout qu'en l'espèce ce texte ne s'applique pas de plein droit puisque le montant des opérations de crédit, supérieur à la somme de 140 000 F, faisait échapper normalement le contrat aux dispositions du Code de la consommation et que ce n'est que par la volonté de parties qu'il s'y est trouvé soumis,

En l'espèce l'action a été valablement engagée par assignation du 6 janvier 1992, soit moins de deux ans après le premier incident de paiement non régularisé, tel qu'il a été déterminé ci dessus, et ce bien que la saisine ultérieure du tribunal d'instance par le jugement d'incompétence du Tribunal de grande instance de Castres ne soit intervenu que le 24 mars 1993,

La demande doit être déclarée recevable et le jugement réformé,

Sur le compte des sommes restant dues

La société Franfinance présente un compte du solde lui restant dû s'établissant à 110 479 F que Mme Dales demande de réduire pour trois séries de motifs ci-après exposés, sur lesquels la société Franfinance n'a pas répliqué,

Elle estime en premier lieu que le véhicule était en bon état lors de son appréhension par l'huissier le 15 octobre 1991 et que compte tenu de sa valeur vénale, il a été vendu pour un prix dérisoire, sans que préalablement, malgré les obligations contractuelles, la société Franfinance ait rappelé aux débiteurs leur faculté de proposer un acquéreur, de sorte qu'elle estime avoir subi de ce fait un préjudice qu'elle demande d'évaluer à la somme de 50 000 F,

Il ressort des pièces produites que le contrat prévoyait en son article 5 l'obligation pour Franfinance de notifier aux locataires son intention de vendre le véhicule et la faculté pour eux de proposer un acquéreur et aucune des mises en demeures ou sommations qui leur ont été faites ne contient semblable avis et d'ailleurs Franfinance n'allègue nullement avoir satisfait à cette obligation,

Mais Mme Dales de son côté ne justifie nullement que le prix obtenu par la vente aux enchères publiques ait été dérisoire et en particulier elle ne produit aucun élément permettant de se faire une opinion sérieuse sur la valeur vénale réelle de ce type de véhicule, en prenant en considération l'ensemble de ses caractéristiques.

Certes le procès verbal de saisie fait état du très bon état de la carrosserie et du bon état des pneumatiques, mais le contrôle technique préalable à la vente relève l'absence de tubulure d'échappement et l'absence de silencieux arrière rendant impossible le contrôle de la pollution, ainsi que quelques défauts mineurs,

Il s'ensuit que la cour sanctionnera le défaut de notification de la faculté de présenter un acquéreur par une indemnisation forfaitaire de 5 000 F (cinq mille francs),

Mme Dales soutient ensuite que le produit de la vente hors taxes s'établit à 61 813 F et non à 59 786 F d'où un solde complémentaire en sa faveur,

En droit c'est à celui qui réclame l'exécution d'une obligation de la prouver et en l'espèce aucune des deux parties n'indique comment elle parvient à calculer le prix de vente hors taxes à partir de la somme nette provenant de la vente, résultant du décompte du commissaire priseur, de sorte que la cour considère que faute de pouvoir contrôler le compte du créancier, il y a lieu de s'en tenir à la somme admise par le débiteur de sorte que le compte sera réduit de:

61 813 - 59 786 = 2 027 F

En revanche le coût du procès verbal d'appréhension fait partie des frais taxables et se trouve bien dû conformément à l'article 5 c du contrat,

Mme Dales demande enfin de qualifier de clause pénale l'indemnité de résiliation égale au montant des loyers à échoir et de la réduire en raison de son caractère manifestement excessif, Si cette indemnité mérite en effet d'être qualifiée de clause pénale manifestement excessive, avec faculté de réduction par le tribunal, ainsi que le reconnaît le contrat en son article 5 b, cette modération sera limitée en l'espèce, compte tenu de ce que cette indemnité a été calculée dans la limite légale fixée par les articles L. 311-31 du Code de la consommation et son décret d'application et de ce que la débitrice exerçant la profession d'avocat, par hypothèse bien informée des sanctions encourues en cas d'inexécution des obligations contractuelles n'a fait aucune diligence pour les exécuter spontanément dès la première mise en demeure et éviter les poursuites dont elle est l'objet, de sorte que la cour ne retient qu'un montant forfaitaire de 10 000 F,

Les déductions opérées s'élèvent à:

5 000 F + 2 027 F + 10 000 F = 17 027 F

Mme Dales sera condamnée en conséquence à payer à Franfinance:

110 479 F - 17 027 F = 93 452 F

Cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter de l'assignation introductive d'instance, valant sommation de payer, par application de l'article 1153 du Code civil,

En l'absence de demande de Franfinance contre M. Rouquier représenté par son mandataire liquidateur, la cour n'a pas à statuer à son égard, et pour sa part Mme Dales n'est pas recevable, n'ayant pas qualité pour le faire, à demander au profit de Franfinance que M. Rouquier soit tenu solidairement avec elle,

Chaque partie succombant partiellement en ses prétentions conservera à sa charge ses propres dépens sauf ceux exposés par Me Barthes ès qualités qui intimé par Franfinance n'a fait l'objet d'aucune demande contre lui de la part de l'appelante qui supportera les dépens exposés par lui,

L'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, sauf au profit de Me Barthes dans la limite de 6 000 F à la charge de Franfinance,

Par ces motifs, LA COUR, Réformant le jugement déféré et statuant à nouveau : Condamne Mme Dales au paiement de la somme de 93 452 F (quatre vingt treize mille quatre cent cinquante deux francs) avec intérêts au taux légal à compter du 6 janvier 1992, Déclare irrecevable la demande de Mme Dales tendant à voir M. Rouquier représenté par Me Barthes tenu solidairement au paiement de cette somme, Dit que chaque partie conservera à sa charge ses propres dépens, sauf ceux exposés par Me Barthes ès qualités qui seront supportés par Franfinance et autorise la SCP Nidecker et Pneu Philippot, avoué à recouvrer directement ceux d'appel dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision, Condamne en outre Franfinance à payer à Me Barthes ès qualités une somme de 6 000 F (six mille francs) pour frais de procès sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.