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Décisions

CJCE, 3 février 1977, n° 52-76

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Benedetti

Défendeur :

Munari F.LLI SAS

CJCE n° 52-76

3 février 1977

LA COUR,

1. Attendu que, par ordonnance du 27 avril 1976, parvenue au greffe de la Cour le 25 juin suivant, le Pretore de Cittadella, a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, une série de questions concernant pour l'essentiel le comportement de l'Azienda di Stato per gli Interventi sul Mercato Agricolo (AIMA) au regard de diverses dispositions du droit communautaire ;

2. Que ces questions sont soulevées dans le cadre d'un litige entre l'entreprise de minoterie Luigi Benedetti, requérante au principal, et l'entreprise Munari F.LLI, visant à la réparation des dommages que la première aurait subis en raison de la concurrence déloyale que cette dernière entreprise lui aurait faite en vendant des quantités de farine à un prix inférieur à celui du marché ;

3. Que la défenderesse au principal n'a pas contesté ces ventes mais a attribué à l'AIMA l'entière responsabilité d'éventuels dommages, celle-ci lui ayant vendu du blé tendre à des prix inférieurs à celui du marché ;

4. Que le Pretore a, par l'ordonnance citée du 27 avril 1976, autorisé l'assignation de l'AIMA et a, en même temps, donc sans attendre les explications de celle-ci saisi la Cour des questions ci-dessus mentionnées ;

5. Attendu que par les première et deuxième questions il est demandé si la réglementation communautaire du marché des céréales autorise les organismes d'intervention et notamment l'AIMA à prendre les décisions unilatérales que selon ces questions elle aurait prises, et si ce comportement constitue une violation de l'interdiction de discrimination, prévue par l'article 40, paragraphe 3, alinéa 2, du traité ;

6. Que par la troisième question il est demandé si le comportement allégué de l'AIMA constitue une aide d'Etat au sens des articles 92 à 94 du traité et 22 du règlement 120-67-CEE du Conseil du 13 juin 1967, portant organisation commune des marchés dans le secteur des céréales (JO p. 2269) ;

7. Que par les quatrième et cinquième questions il est demandé si une entreprise dotée des moyens financiers importants qui peuvent lui permettre de travailler sur le marché sans tenir compte du comportement et des réactions de ses concurrents est une entreprise détenant une position dominante au sens des articles 86 et 90 du traité et du règlement 26-62-CEE, du 4 avril 1962 (JO p. 993) - même si cette entreprise était un organisme d'intervention - et si un certain comportement d'une telle entreprise constituerait un abus de position dominante ;

8. Que par la sixième question, posée en cas d'une réponse négative aux questions un et deux et d'une réponse positive aux questions trois, quatre et cinq, il est demande si l'organisme d'intervention est obligé de réparer les dommages qui découlent de son comportement ;

9. Qu'enfin la septième question concerne l'efficacité de l'interprétation donnée par la Cour ;

10. Attendu qu'à défaut d'informations précises relatives à la nature et aux modalités des activités visées de l'AIMA, il y a lieu d'observer que la Cour, devant se borner dans l'exercice des pouvoirs conférés par l'article 177 à donner une interprétation des dispositions du droit communautaire, ne peut pas elle-même apprécier ou qualifier ces activités ou les dispositions de droit national y relatives ;

11. Que, par ailleurs, la Cour ayant demandé des informations supplémentaires au Gouvernement italien, à l'AIMA et à la Commission afin de mieux comprendre la teneur des questions posées, ces informations si elles n'écartent pas tout doute quant à la compatibilité du comportement de l'AIMA avec le droit communautaire, ne confirment cependant pas, sur des points essentiels, la présentation de ce comportement que, ainsi qu'il apparaît du dossier, le juge national a emprunté aux allégations des parties au principal ;

12. Qu'enfin, s'il est vrai qu'il n'appartient pas à la Cour d'apprécier la pertinence des questions posées en vertu de l'article 177 aux fins d'un jugement du litige au principal, la réserve ci-dessus indiquée s'impose d'autant plus que ces questions concernent le comportement d'une personne morale ou physique qui n'était pas encore partie au litige et n'a pas été mise en état de s'expliquer ;

Sur les première et deuxième questions

13. Attendu que dans ces conditions il y a lieu de répondre aux première et deuxième questions posées par un rappel de la jurisprudence de la Cour ;

Que l'arrêt du 22 janvier 1976, rendu dans l'affaire 60-75 Russo-AIMA (Recueil 1976, p. 45), a dit pour droit que " les dispositions du règlement 120-67, du 13 juin 1967, portant organisation commune des marchés dans le secteur des céréales doivent être interprétées en ce sens :

a) l'activité d'un Etat membre consistant à acquérir du blé dur sur le marché mondial et le revendre ensuite sur le marché communautaire à un prix inférieur au prix indicatif est incompatible avec l'organisation commune des marchés ;

b) le producteur individuel peut prétendre, sur la base de la réglementation communautaire, qu'il ne soit pas mis d'obstacle à ce qu'il obtienne un prix voisin du prix indicatif et en tout cas non inférieur au prix d'intervention ;

C) dans le cas où un préjudice aurait été causé au producteur individuel par le fait de l'intervention de l'Etat membre en violation du droit communautaire, il incomberait à l'Etat d'en assumer, à l'égard de la personne lésée, les conséquences dans le cadre des dispositions du droit national relatives à la responsabilité de l'Etat; "

14. Qu'en rappelant cette décision il y a lieu d'attirer d'abord l'attention de la juridiction nationale sur le fait que l'ordonnance de renvoi et le dossier ne fournissent pas de précisions permettant de trancher la question de savoir si le comportement litigieux de l'AIMA doit être qualifie comme " vente sur le Marché communautaire ";

Que notamment s'il était établi qu'en l'occurrence il s'est agi de distributions de céréales à un cercle limite de minotiers, autorisées de quelque façon par les autorités communautaires, la notion citée pourrait ne pas s'appliquer ;

15. Qu'en second lieu, il convient de rappeler, ainsi qu'il a été constaté par l'arrêt cité, que le règlement 120-67 étant destiné à mettre le développement de la production agricole, notion qui ne comprend pas nécessairement les stades ultérieurs de la production de pain à la consommation, à l'abri des variations des prix mondiaux et, ce faisant, à assurer un niveau de vie équitable à la population agricole, les interventions d'un Etat membre pour enrayer la hausse des prix au stade de la consommation de certains produits alimentaires dérivés des céréales ne sont pas incompatibles avec l'organisation commune du marché pour autant qu'elles ne mettent pas en danger les objectifs ou le fonctionnement de cette organisation ;

16. Attendu qu'eu égard à l'absence de précisions et de constatations détaillées sur les faits, il convient donc de répondre aux première et deuxième questions en répétant la première partie, jusqu'à la lettre b, du dispositif ci-dessus cité de l'arrêt du 22 janvier 1976 ;

Sur la troisième question

17. Attendu que par cette question il est demande si le comportement d'un organisme d'intervention " qui se sert des financements institutionnels de l'Etat " pour acheter des céréales à des conditions différentes de celles prévues par la règlementation communautaire, en les revendant ensuite à des prix inférieurs aux prix minima prévus, constitue une aide de l'Etat aux entreprises au sens des articles 92 à 94 du traité et de l'article 22 du règlement 120-67-CEE ;

18. Attendu qu'aux termes de l'article 92 du traité sont incompatibles avec le Marché commun les aides d'Etat qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises " dans la mesure où elles affectent les échanges entre Etats membres ";

19. Qu'à défaut de précisions relatives aux effets du comportement visé par la question, il y a donc lieu d'y répondre en rappelant la restriction citée de l'interdiction énoncée par l'article 92, paragraphe 1, et les dérogations à cette interdiction prévues au deuxième paragraphe de cet article ;

Sur les quatrième et cinquième questions

20. Attendu quant à ces questions qui ont été ci-dessus résumées, que ni ces questions ni les éléments du dossier de l'affaire ne permettent d'établir si l'entreprise visée par ces questions est une entreprise publique, au sens du premier paragraphe de l'article 90 du traité, ou une entreprise chargée de la gestion de services d'intérêt économique général, au sens du deuxième paragraphe de cet article ;

21. Que cependant cette distinction est essentielle pour apprécier dans quelle mesure les règles de concurrence du traité sont applicables ;

22. Que, du fait de ce manque de précision, ces questions ne sauraient recevoir une réponse utile ;

Sur la sixième question

23. Attendu que cette question n'ayant été posée qu'en cas de réponse négative aux questions 1 et 2 et de réponse positive aux questions 3, 4 et 5, elle est du fait des considérations qui précèdent devenue sans objet ;

Sur la septième question

24. Attendu que par cette question il est demande quelle est l'efficacité de l'interprétation du droit communautaire donnée par la Cour de justice pour le juge du fond et si ce que la Cour " dit pour droit " lie celui-ci de la même manière qu'il est lié par le " point de droit " tranché par la Cour de cassation ;

25. Attendu qu'il n'appartient pas à la Cour de justice d'interpréter, dans le cadre de la procédure de l'article 177, le droit national et d'apprécier ses effets ;

Que dès lors elle ne saurait pas, dans ce cadre, procéder à une comparaison de quelque nature que ce soit, entre les effets des décisions des juridictions nationales et ceux de ses propres décisions ;

26. Qu'aux termes de l'article 177 la Cour de justice est compétente pour " statuer " sur l'interprétation " du présent traité " et celle " des actes pris par les institutions de la Communauté ";

Qu'il s'ensuit qu'un arrêt rendu à titre préjudiciel a pour objet de trancher une question de droit et qu'il lie le juge national quant à l'interprétation des dispositions et actes communautaires en cause ;

27. Qu'il convient donc de répondre dans ce sens à la question posée ;

Sur les dépens

28. Attendu que les frais exposés par le Gouvernement de la République italienne et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement ;

Que la procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens ;

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur les questions à elle soumises par la Pretura de Cittadella par ordonnance du 27 avril 1976, dit pour droit :

1) les dispositions du règlement 120-67 du 13 juin 1967 portant organisation commune des marchés dans le secteur des céréales doivent être interprétées dans le sens que l'activité d'un Etat membre consistant à acquérir du blé sur le marché mondial et le revendre ensuite sur le Marché communautaire à un prix inférieur au prix indicatif est incompatible avec l'organisation commune des marchés ;

2) en disposant que sont incompatibles avec le Marché commun les aides accordées par les Etats ou au moyen de ressources d'Etat, l'article 92, paragraphe 1, précise que cette interdiction ne s'applique que " dans la mesure où elles affectent les échanges entre Etats membres " et sauf dérogations prévues par le traité, notamment celles prévues au deuxième paragraphe de l'article ;

3) un arrêt de la Cour, rendu à titre préjudiciel, a pour objet de trancher une question de droit et lie le juge national quant à l'interprétation des dispositions et actes communautaires en cause.