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Décisions

CJCE, 29 octobre 1980, n° 139-79

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Maizena GmbH ; Parlement européen

Défendeur :

Conseil des Communautés européennes ; Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocats :

Mes Hans, Kemmler, Rapp-Jung, Boehlke, Rabe.

CJCE n° 139-79

29 octobre 1980

LA COUR,

1. Par requête enregistrée au greffe de la Cour le 5 septembre 1979, la requérante, société de droit allemand, qui fabrique, entre autres produits, de l'isoglucose, a demandé à la Cour de déclarer non valide le règlement n° 1111-77 du Conseil du 17 mai 1977, tel que modifié par le règlement n° 1293-79 du 25 juin 1979 (JO L 162, p.10 avec rectificatif au JO L 176, p.37), dans la mesure où il lui impose un quota de production fixé à l'annexe II du règlement.

2. A l'appui de son recours, la requérante invoque, outre divers moyens de fond, un moyen de forme visant à l'annulation de son quota de production fixé par ledit règlement au motif que le Conseil aurait adopté ce règlement sans avoir reçu l'avis du Parlement européen prescrit par l'article 43, paragraphe 2, du traité CEE, ce qui constituerait une violation des formes substantielles au sens de l'article 173 dudit traité.

3. Par ordonnance du 16 janvier 1980, la Cour a admis l'intervention du Parlement à l'appui des conclusions de la requérante fondées sur une violation des formes substantielles. Elle a également, par ordonnance du 13 février 1980, admis la Commission à intervenir à l'appui des conclusions du Conseil.

4. Pour sa part, le Conseil a soulevé l'irrecevabilité tant du recours que de l'intervention du Parlement en faveur de la requérante. A titre subsidiaire, il a conclu au rejet du recours comme non fondé.

5. Avant d'examiner les questions de recevabilité soulevées par le Conseil et les moyens invoqués par la requérante, il y a lieu de rappeler de façon sommaire l'historique de l'adoption du règlement controversé ainsi que le contenu de celui-ci.

6. Par arrêt du 25 octobre 1978, rendu dans les affaires jointes n° 103 et 145-77 (Royal Scholten-Honig (holdings) Ltd/Intervention Board for Agricultural Produce : Tunnel Refineries Ltd/Intervention Board for Agricultural Produce, Recueil 1978, p. 2037), la Cour a dit pour droit que le règlement n° 1111-77 du Conseil du 17 mai 1977 établissant des dispositions communes pour l'isoglucose (JO L 134, p. 4) n'était pas valide dans la mesure où ses articles 8 et 9 imposaient une cotisation à la production d'isoglucose de 5 unités de compte pour 100 kilogrammes de matière sèche pour la période correspondant à la campagne sucrière 1977-1978. La Cour a constaté, en effet, que le régime instauré par les articles susvisés portait atteinte au principe général d'égalité (en l'espèce entre producteurs de sucre et producteurs d'isoglucose) dont l'interdiction de discrimination énoncée à l'article 40, paragraphe 3, du traité constitue une expression spécifique. La Cour a ajouté, toutefois, que son arrêt laissait au Conseil la faculté de prendre toutes mesures utiles, compatibles avec le droit communautaire, en vue d'assurer le bon fonctionnement du marché des édulcorants.

7. A la suite de cet arrêt, la Commission a, le 7 mars 1979, présenté au Conseil une proposition de modification du règlement n° 1111-77. Le Conseil a demandé par lettre du 19 mars 1979, parvenue au Parlement le 22 mars, l'avis de cette institution, conformément à l'article 43, paragraphe 2, troisième alinéa, du traité. Dans sa lettre de saisine, il a notamment écrit que 'cette proposition tient compte de la situation résultant de l'arrêt de la Cour de justice du 25 octobre 1978 en attendant le nouveau régime pour le marché des édulcorants qui doit être mis en vigueur à partir du 1er juillet 1980... Le règlement devant être appliqué à partir de juillet 1979, le Conseil attacherait du prix à ce que le Parlement veuille bien rendre son avis sur cette proposition au Cours de sa session d'avril.'

8. L'urgence de la consultation demandée dans la lettre du Conseil tenait au fait que le texte de la proposition de règlement avait essentiellement pour objet, en vue d'éviter l'inégalité de traitement entre producteurs de sucre et producteurs d'isoglucose, de soumettre la production d'isoglucose à des règles analogues à celles existant pour la production du sucre jusqu'au 30 juin 1980 dans le cadre de l'organisation commune du marché du sucre instaurée par le règlement n° 3330-74 du Conseil du 19 décembre 1974 (JO L 369, p. 1). En particulier, il s'agissait d'instaurer, à titre transitoire jusqu'à cette date, un régime de quotas de production pour l'isoglucose qui devait s'appliquer à partir du 1 juillet 1979, date du début de la nouvelle campagne sucrière.

9. Le président du Parlement a saisi immédiatement de cette consultation la Commission de l'agriculture, pour examen au fond, et, pour avis, la Commission des budgets. Celle-ci a transmis son avis à la Commission de l'agriculture le 10 avril 1979. La Commission de l'agriculture a adopté, le 9 mai 1979, la proposition de résolution de son rapporteur. Le rapport et le projet de résolution adoptés par la Commission de l'agriculture ont été discutés par le Parlement au Cours de sa séance du 10 mai 1979. Dans sa séance du 11 mai, le Parlement a rejeté la proposition de résolution et l'a renvoyée, pour réexamen, à la Commission de l'agriculture.

10. La session Parlementaire du 7 au 11 mai 1979 devait être la dernière avant la séance constitutive du Parlement élu au suffrage universel direct prévu par l'acte portant élection des représentants à l'assemblée au suffrage universel direct pour le 17 juillet 1979. Le bureau du Parlement avait en effet décidé, lors de sa réunion du 1 mars 1979, de ne pas prévoir de session supplémentaire entre celles de mai et de juillet. Il avait cependant précisé que

'Le bureau élargi...

- estime toutefois qu'au cas où le Conseil et la Commission jugeraient nécessaire de prévoir une période de session supplémentaire, ils pourront, conformément aux dispositions de l'article 1, paragraphe 4, du règlement, demander une convocation du Parlement ; il est entendu qu'une telle session serait uniquement consacrée à l'examen de rapports établis à la suite de consultations urgentes ;'

Lors de sa réunion du 10 mai 1979, le bureau devait confirmer sa position en ces termes :

'- Confirme sa position prise lors de la réunion susmentionnée et au cours de laquelle il avait décidé de ne pas prévoir de période de session supplémentaire entre la dernière session du Parlement actuel et la séance constitutive du Parlement élu au suffrage universel direct, en estimant toutefois qu'au cas où la majorité des membres effectifs du Parlement, le Conseil ou la Commission souhaiteraient la tenue d'une période de session supplémentaire, ils pourraient - conformément aux dispositions de l'article 1, paragraphe 4, du règlement - demander la convocation du Parlement ;

- décide, en outre, compte tenu des dispositions de l'article 139 du traité CEE, qu'au cas où le président serait saisi d'une telle demande, le bureau élargi se réunira pour examiner la suite à lui donner.'

11. Le 25 juin 1979, le Conseil a adopté, sans avoir obtenu l'avis demandé, la proposition de règlement élaborée par la Commission qui est devenu ainsi le règlement n° 1293-79 modifiant le règlement n° 1111-77. Le troisième visa du règlement n° 1293-79 mentionne la consultation de l'assemblée. Le Conseil a, néanmoins, tenu compte de l'absence d'un avis du Parlement en faisant observer au troisième considérant du règlement que 'l'assemblée, consultée dès le 16 mars 1979, sur la proposition de la Commission, n'a pas rendu à sa session de mai son avis sur celle-ci et a renvoyé la question à l'avis de la nouvelle assemblée'.

12. C'est l'annulation de ce règlement n° 1293-79, dans la mesure où il modifie le règlement n° 1111-77, qui est demandée a la Cour.

Quant à la recevabilité du recours

13. Selon le Conseil, le recours est irrecevable car dirigé à l'encontre d'un règlement sans que les conditions prévues par l'article 173, alinéa 2, du traité soient remplies. L'acte attaqué ne constituerait pas une décision prise sous l'apparence d'un règlement et ne concernerait la requérante ni directement ni individuellement. La requérante soutient au contraire que le règlement attaqué constituerait un ensemble de décisions individuelles dont l'une est prise à son égard et la concernerait directement et individuellement.

14. Selon les termes de l'article 9, paragraphes 1, 2 et 3, du règlement n° 1111-77 tel que modifié par l'article 3 du règlement n° 1293-79

'1. Un quota de base est attribué à chaque entreprise productrice d'isoglucose établie dans la communauté, pour la période visée à l'article 8, paragraphe 1.

Sans préjudice de l'application du paragraphe 3, le quota de base de chaque entreprise en cause est égal au double de sa production constatée, au titre du présent règlement, pendant la période allant du 1 novembre 1978 au 30 avril 1979.

2. A chaque entreprise ayant un quota de base est attribué également un quota maximal égal à son quota de base affecté d'un coefficient. Ce coefficient est celui fixé en vertu de l'article 25, paragraphe 2, du deuxième alinéa du règlement (CEE) n° 3330-74 pour la période allant du 1 juillet 1979 au 30 juin 1980.

3. Le quota de base visé au paragraphe 1 est, le cas échéant, corrigé en sorte que le quota maximal déterminé conformément au paragraphe 2 :

- ne soit pas supérieur à 85 %,

- ne soit pas inférieur à 65 %

de la capacité technique annuelle de production de l'entreprise en cause.'

15. Aux termes du paragraphe 4 de l'article 9, les quotas de base établis en application des paragraphes 1 et 3 sont individuellement attribués à chaque entreprise comme indiqué à l'annexe II. Cette annexe, qui fait partie intégrante de l'article 9, dispose que le quota de base pour la requérante est fixé à 15 887 tonnes.

16. Il en résulte que l'article 9, paragraphe 4, du règlement n° 1111-77 (tel que modifié par l'article 3 du règlement n° 1293-79) en liaison avec l'annexe II applique lui même les critères énoncés à l'article 9, paragraphes 1 à 3, à chacune des entreprises en cause qui en sont les destinataires et qui sont ainsi directement et individuellement concernées. Le règlement n° 1293-79 constitue dès lors un acte à l'encontre duquel les entreprises concernées productrices d'isoglucose peuvent introduire un recours en annulation en vertu de l'article 173, alinéa 2, du traité.

Quant à la recevabilité de l'intervention du Parlement

17. Le Conseil met en doute la possibilité pour le Parlement d'intervenir volontairement dans un litige pendant devant la Cour. Selon lui, un pouvoir d'intervention de ce type s'apparente à un droit d'action en justice qui ne serait pas reconnu au Parlement dans l'économie générale du traité. A cet égard, il fait notamment observer que l'article 173 du traité ne mentionne pas le Parlement parmi les institutions habilitées à agir en annulation et que l'article 20 du statut de la Cour CEE ne le mentionne pas parmi les institutions appelées à déposer des observations dans le cadre de la procédure préjudicielle de l'article 177.

18. L'article 37 du statut de la Cour CEE dispose que :

'Les Etats membres et les institutions de la communauté peuvent intervenir aux litiges soumis à la Cour.

Le même droit appartient à toute autre personne justifiant d'un intérêt à la solution d'un litige soumis à la Cour, à l'exclusion des litiges entre Etats membres, entre institutions de la communauté, ou entre Etats membres d'une part et institutions de la communauté d'autre part.

Les conclusions de la requête en intervention ne peuvent avoir d'autre objet que le soutien des conclusions de l'une des parties.'

19. L'alinéa 1 de cet article prévoit un même droit d'intervention pour toutes les institutions de la communauté. On ne saurait restreindre, pour l'une d'entre elles, l'exercice de ce droit sans porter atteinte à sa position institutionnelle, voulue par le traité et, en particulier, le paragraphe 1 de l'article 4.

20. A titre subsidiaire, le Conseil allègue que, même s'il fallait admettre un droit d'intervention dans le chef du Parlement, ce droit serait fonction de l'existence d'un intérêt à agir. Un tel intérêt serait sans doute présumé, mais cela n'empêcherait pas la Cour, le cas échéant, d'en contrôler l'existence. Dans le cas d'espèce, un tel contrôle devrait, selon le Conseil, amener la Cour à constater l'absence d'intérêt du Parlement à la solution du litige.

21. Ce moyen doit être rejeté comme incompatible avec l'économie de l'article 37 du statut de la Cour. En effet, si l'alinéa 2 de l'article 37 du statut de la Cour prévoit que les personnes autres que les états et les institutions ne peuvent intervenir dans un litige soumis à la Cour que si elles justifient d'un intérêt à la solution du litige, le droit d'intervenir reconnu aux institutions, et donc au Parlement, par l'article 37, alinéa premier, n'est pas soumis a cette condition.

Quant à la violation des principes du droit de la concurrence

22. Selon la requérante, l'article 42 du traité, aux termes duquel il appartient au Conseil de déterminer dans quelle mesure les règles de concurrence sont applicables en matière agricole, n'autoriserait pas celui-ci à restreindre plus que nécessaire le libre jeu de la concurrence qui serait un des objectifs fondamentaux du traité énoncé à l'article 3 (f); or, les mesures arrêtées par le Conseil en matière d'isoglucose iraient précisément au-delà de ce qui serait nécessaire.

23. L'établissement d'un régime de concurrence non faussée n'est pas le seul objectif mentionné à l'article 3 du traité, lequel prévoit aussi, notamment, l'instauration d'une politique agricole commune. Les auteurs du traité, conscients de ce que la poursuite simultanée de ces deux objectifs pouvait se révéler, à certains moments et dans certaines circonstances, difficile, ont prévu à l'article 42, alinéa 1, que :

'Les dispositions du chapitre relatif aux règles de concurrence ne sont applicables à la production et au commerce des produits agricoles que dans la mesure déterminée par le Conseil dans le cadre des dispositions et conformément à la procédure prévues à l'article 43, paragraphes 2 et 3, compte tenu des objectifs énoncés à l'article 39.'

Sont ainsi reconnus tout à la fois la primauté de la politique agricole par rapport aux objectifs du traité dans le domaine de la concurrence et le pouvoir du Conseil de décider dans quelle mesure les règles de concurrence trouvent à s'appliquer dans le secteur agricole. Dans l'exercice de ce pouvoir, comme dans l'ensemble de la mise en œuvre de la politique agricole, le Conseil détient un large pouvoir d'appréciation.

24. Or, de l'examen des mesures attaquées il résulte que l'effet qu'elles sont susceptibles d'avoir sur la concurrence est l'inévitable conséquence de la volonté légitime du Conseil de soumettre la production d'isoglucose à des mesures restrictives. Ces mesures laissent d'ailleurs subsister des possibilités non négligeables de concurrence au niveau des prix, des conditions de vente et de la qualité de l'isoglucose. L'on ne saurait, dans ces circonstances, reprocher au Conseil d'avoir excédé son pouvoir d'appréciation.

Quant à la violation du principe de la proportionnalité

25. La requérante argue de ce qu'en établissant un régime de quotas pour l'isoglucose le Conseil aurait choisi le mode d'action le plus restrictif qui aboutirait à empêcher toute utilisation rationnelle de la capacité de production de la requérante. Par contre, aucune mesure n'aurait été prise à l'égard de l'industrie sucrière. Les charges ainsi imposées unilatéralement à l'industrie de l'isoglucose violeraient le principe de proportionnalité.

26. En premier lieu, la requérante ne saurait se plaindre d'un obstacle mis par le Conseil à l'utilisation rationnelle de sa capacité de production alors que sa production réelle n'a même pas atteint le quota maximal qui lui a été accordé. D'autre part, ici aussi, le véritable problème est de savoir si, en arrêtant les mesures qu'il a prises, le Conseil va au-delà des limites du pouvoir d'appréciation qui lui est reconnu. Tel n'est pas le cas, ainsi qu'il ressort des considérations précédentes. Il faut d'ailleurs souligner à cet égard qu'il n'est pas exact de dire, comme l'affirme la requérante, qu'aucune mesure restrictive n'a été prise à l'égard de l'industrie sucrière et, de toute manière, les possibilités d'action à l'égard de cette industrie sont limitées par la nécessité, pour le Conseil, de veiller au maintien d'un niveau de vie équitable pour la population agricole qui est l'un des objectifs mentionnés à l'article 39, paragraphe 1 b), du traité.

Quant à la prétendue discrimination entre producteurs de sucre et d'isoglucose

27. La requérante se plaint d'une discrimination dont seraient victimes les producteurs d'isoglucose. Bien que se trouvant dans une situation similaire à celle des producteurs de sucre, ils seraient soumis à un régime de quota différent. Le système de quotas appliqué à l'isoglucose ne tiendrait compte ni de la nécessité de préserver le libre jeu de la concurrence ni de ce que le sucre et l'isoglucose sont à des stades différents de développement ; les quotas seraient calculés sur base de périodes de référence qui ne concorderaient pas avec celles retenues pour le sucre et l'ensemble du système manquerait de la flexibilité qui caractériserait le régime du sucre. Enfin, l'industrie de l'isoglucose ne bénéficierait pas des garanties d'une organisation de marché.

28. Les arguments relatifs au jeu de la concurrence et aux stades inégaux de développement des deux industries ne sont que la répétition d'arguments auxquels il est déjà répondu dans le cadre de l'examen de la prétendue violation des principes du droit de la concurrence. Les autres différences relevées par la requérante s'expliquent par les différences objectives existant entre les situations des industries du sucre et de l'isoglucose et donc le Conseil, dans le cadre de son pouvoir d'appréciation discrétionnaire, a tiré les conséquences. Ce moyen doit donc être rejeté comme non fondé.

Quant à la discrimination entre producteurs d'isoglucose

29. La requérante reproche au Conseil de ne pas avoir reparti les quotas entre les diverses entreprises productrices d'isoglucose selon un système qui tienne compte de ce que certaines entreprises ont volontairement freiné leurs investissements dans l'attente du règlement qui, après l'arrêt de la Cour du 25 octobre 1978 précité, devait modifier le régime de l'isoglucose.

30. Après l'arrêt du 25 octobre 1978, les perspectives d'avenir du marché de l'isoglucose ont été les mêmes pour l'ensemble des entreprises productrices d'isoglucose dans la communauté. Confrontées à ce problème, elles ont réagi différemment, mais l'on ne saurait reprocher au Conseil de ne pas tenir compte des options commerciales et de la politique interne de chaque entreprise individuelle lorsqu'il arrête des mesures d'intérêt général en vue d'éviter qu'une production non contrôlée d'isoglucose ne mette en péril la politique sucrière de la communauté.

Quant à l'existence d'une erreur matérielle dans le calcul du quota de la requérante

31. Il a été avancé par la requérante, au cours de la procédure orale, que le quota maximal fixé à son égard avait été calculé sur la base d'une capacité qu'elle avait annoncée tenant compte des interruptions de travail inévitables alors que, selon la réplique du Conseil, la capacité prise en considération dans le calcul des quotas maximaux est une capacité brute, sans déduction des pertes dues aux interruptions de travail. Il s'ensuivrait que la fixation du quota accordé à la requérante serait entachée d'une erreur matérielle et que l'annexe II devrait, à tout le moins sur ce point, être corrigée.

32. Ce moyen ayant été soulevé en fin de procédure, les informations dont dispose la Cour ne lui permettent pas de se prononcer sur la réalité d'une telle erreur. Cela n'est d'ailleurs pas nécessaire à la solution du litige au vu de la violation des formes substantielles constatées ci-après. C'est au Conseil qu'il appartiendra de tirer les conséquences de cette erreur si elle apparaît établie.

Quant à la violation des formes substantielles

33. La requérante et le Parlement dans son intervention soutiennent que le règlement n° 1111-77 dans sa version modifiée ayant été arrêté par le Conseil sans que soit respectée la procédure de consultation prévue à l'article 43, 2 alinéa, du traité, doit être considéré comme nul pour violation de formes substantielles.

34. La consultation prévue par l'article 43, paragraphe 2, alinéa 3, comme par d'autres dispositions parallèles du traité, est le moyen qui permet au Parlement de participer effectivement au processus législatif de la communauté. Cette compétence représente un élément essentiel de l'équilibre institutionnel voulu par le traité. Elle est le reflet, bien que limité, au niveau de la communauté, d'un principe démocratique fondamental selon lequel les peuples participent à l'exercice du pouvoir par l'intermédiaire d'une assemblée représentative. La consultation régulière du Parlement dans les cas prévus par le traité constitue dès lors une formalité substantielle dont le non-respect entraîne la nullité de l'acte concerné.

35. Il y a lieu de préciser à cet égard que le respect de cette exigence implique l'expression, par le Parlement, de son opinion ; on ne saurait considérer qu'il y est satisfait par une simple demande d'avis de la part du Conseil. C'est donc à tort que le Conseil, dans le règlement n° 1293-79, fait figurer parmi les visas du préambule la 'consultation' de l'assemblée.

36. Le Conseil n'a pas contesté le caractère de formalité substantielle de la consultation du Parlement. Il soutient cependant que, dans les circonstances de l'espèce, le Parlement aurait, par son propre comportement, rendu impossible l'accomplissement de cette formalité et qu'il ne serait dès lors pas fondé à en invoquer la méconnaissance.

37. Sans préjudice des questions de principe soulevées par cette argumentation du Conseil, il suffit de constater en l'occurrence que, le 25 juin 1979, date à laquelle il a arrêté, sans avis de l'assemblée, son règlement n° 1293-79 modifiant le règlement n° 1111-77, le Conseil n'avait pas épuisé toutes les possibilités d'obtenir l'avis préalable du Parlement. En premier lieu, le Conseil n'a pas demandé l'application de la procédure d'urgence prévue par le règlement intérieur du Parlement bien que, en d'autres domaines et à propos d'autres projets de règlements, il a au même moment fait usage de cette faculté. En outre, le Conseil aurait pu user de la possibilité que lui offrait l'article 139 du traité de demander une session extraordinaire de l'assemblée, cela d'autant plus que le bureau du Parlement, en date du 1 mars et du 10 mai 1979, avait attiré son attention sur cette possibilité.

38. Il s'ensuit qu'en l'absence de l'avis du Parlement, exigé par l'article 43 du traité, le règlement n° 1293-79 modifiant le règlement n° 1111-77 du Conseil doit être annulé, sans préjudice du pouvoir du Conseil de prendre, à la suite du présent arrêt, toute mesure appropriée conformément à l'article 176, alinéa 1, du traité.

Quant aux dépens

39. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s'il est conclu en ce sens.

40. Le Conseil a succombé en son action et la requérante, mais non le Parlement, a conclu à sa condamnation aux dépens. Il en résulte qu'il y a lieu de faire supporter au Conseil uniquement les dépens de la requérante.

Par ces motifs,

LA COUR

Dit pour droit :

1) Le règlement n° 1293-79 (JO L 162, p.10 avec rectificatif au JO L 176, p. 37), modifiant le règlement n° 1111-77 (JO L 134, p. 4) est annulé.

2) Le Conseil est condamné aux dépens de la requérante.

3) Le Parlement supportera ses propres dépens.