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Décisions

CJCE, 6 juillet 1971, n° 59-70

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Royaume des Pays-Bas

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocat :

Me Wijckerheld Bisdom

CJCE n° 59-70

6 juillet 1971

LA COUR,

1. Attendu que le recours vise à l'annulation de la décision implicite de refus, qui résulterait de ce que la Commission n'a pas donné suite à la demande à elle adressée le 24 juin 1970 par le Gouvernement requérant, tendant en ordre principal, à faire constater, par une décision prise en application de l'article 88 du traité CECA, que le Gouvernement de la République française aurait manque aux obligations qui lui incombent en vertu dudit traité en accordant à la sidérurgie française, dans le cadre du VE plan de développement économique et social, des prêts à taux réduit, et l'invitant, en ordre subsidiaire, à adresser à ce Gouvernement une recommandation telle que prévue à l'article 67 du traité ;

2. Attendu que la défenderesse, contestant la recevabilité du recours, expose que, par lettre du 4 décembre 1968, communiquée le 9 décembre au requérant, elle a fait connaître au Gouvernement français les motifs qui la déterminaient à écarter l'applicabilité de l'article 4, C), du traité et à estimer qu'il n'y avait pas lieu de formuler une recommandation en vertu de l'article 67 ;

3. Que le requérant ayant laissé s'écouler dix-huit mois entre le moment où il a été informé de la position de la Commission et celui où il a saisi cette dernière, le recours serait tardif ;

4. Attendu que le Gouvernement français a, en septembre 1966, fait part à la haute autorité de son intention d'entreprendre les actions prévues par ledit plan en faveur de la sidérurgie ;

5. Que la haute autorité, lors de la session du Conseil du 29 juin 1967, a fait savoir aux Etats membres que, selon un premier examen auquel elle avait procédé, l'interdiction édictée à l'article 4, C), ne serait pas applicable et qu'il n'y aurait pas lieu de formuler une recommandation au titre de l'article 67 ;

6. Que, par lettre du 4 décembre 1968, la défenderesse a, sous la signature de son président, informé le Gouvernement français, que si, selon elle, l'article 4, C), du traité interdit les aides d'Etat qui avantagent spécialement les entreprises du secteur charbon et acier, tel ne serait pas, d'après ses constatations et les informations fournies par ce Gouvernement, le cas des prêts litigieux, les taux de ces prêts ne constituant pas un avantage spécial en faveur du seul secteur sidérurgique ;

7. Que la Commission exposait en outre que les mesures en question étaient, par contre, à considérer comme une action susceptible d'exercer une répercussion sur les conditions de concurrence au sens de l'article 67, paragraphe 1, du traité ;

8. Qu'elle déclarait que ces mesures ne remplissaient cependant pas les autres conditions d'application prévues aux paragraphes 2 et 3 de l'article 67, de sorte qu'il n'y avait pas lieu de formuler une recommandation au sens de cet article ;

9. Que, le 9 décembre 1968, la défenderesse a adressé au Gouvernement des Pays-Bas une lettre dans laquelle elle déclarait qu'ayant procédé à un examen des mesures du Gouvernement français en faveur de l'industrie sidérurgique, elle avait fait connaître audit Gouvernement sa position à ce sujet ;

10. Qu'à cette communication était annexée la lettre du 4 décembre 1968 ;

11. Que c'est à la lumière de ces circonstances qu'il y a lieu d'apprécier la recevabilité du recours ;

12. Attendu que, destiné à étendre le contrôle de légalité du comportement de la Commission aux cas où celle-ci s'abstient de prendre une décision ou de formuler une recommandation, l'article 35 ouvre la faculté de saisir la Cour, grâce à la fiction d'une décision implicite de refus liée à l'écoulement d'un délai de deux mois, lorsque la Commission, tenue par une disposition du traité de prendre une décision ou de formuler une recommandation ou habilitée à cet effet, s'en abstient ;

13. Qu'à l'expiration de ce délai de carence le justiciable dispose d'un nouveau délai d'un mois pour saisir la Cour ;

14. Que, par contre, le traité ne revoit pas de délai précis en ce qui concerne l'exercice du droit de saisir la Commission en application de l'article 35, alinéas 1 et 2 ;

15. Attendu, cependant, qu'il résulte de la fonction commune des articles 33 et 35 que les exigences de la sécurité juridique et de la continuité de l'action communautaire, qui inspirent les délais de recours prévus à l'article 33, doivent également être prises en considération - compte tenu des difficultés particulières que le silence des autorités compétentes peut comporter pour les justiciables - dans l'exercice des droits prévus par l'article 35 ;

16. Que ces exigences ne sauraient conduire à des conséquences aussi contraires que l'obligation d'agir dans un bref délai dans le premier cas et l'absence de toute limitation de temps dans le second ;

17. Que cette considération est confirmée par le système des délais de l'article 35, fixant à deux mois de temps imparti à la Commission pour prendre position et à un mois celui dont dispose le justiciable pour saisir la Cour ;

18. Qu'ainsi, le système des articles 33 et 35 implique que l'exercice du droit de saisir la Commission ne saurait être retardé indéfiniment ;

19. Que, si les justiciables sont ainsi tenus d'observer un délai raisonnable en cas de silence de la Commission, il doit, à plus forte raison, en être ainsi dès que la résolution de la Commission de s'abstenir est devenue manifeste ;

20. Attendu qu'en l'espèce, la communication au Gouvernement néerlandais, le 9 décembre 1968, de la lettre adressée le 4 décembre 1968 au Gouvernement français, ne pouvait laisser subsister aucun doute quant à la prise de position de la Commission sur le fond du problème posé, d'autant plus que celui-ci avait déjà fait l'objet, sur demande du requérant, de discussions au Conseil et que, par lettre du 5 avril 1968, le ministre néerlandais des affaires économiques avait de nouveau saisi la Commission des préoccupations de son Gouvernement ;

21. Qu'au surplus, le devoir de coopération que l'article 86 impose aux Etats membres doit inciter un Etat membre, s'il estime qu'un système d'aides est contraire au traité, à utiliser les procédures, ou voies de recours, que le traité met à sa disposition à un moment où une intervention efficace est encore possible et ne met pas inutilement en cause la situation de tiers ;

22. Que, compte tenu de ces circonstances, un délai de dix-huit mois entre la communication du 9 décembre 1968 et la demande adressée à la Commission le 24 juin 1970, en vue d'introduire la procédure de l'article 35, ne saurait être considéré comme raisonnable et pouvait d'autant moins se justifier que la communication du 9 décembre 1968 n'avait, à aucun égard, un caractère nouveau et inattendu ;

23. Que, dès lors, le Gouvernement des Pays-Bas ne pouvait plus, le 24 juin 1970, se prévaloir de l'article 35 du traité ;

24. Que le recours doit être rejeté comme irrecevable ;

Sur les dépens

25. Attendu qu'aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens ;

Que la partie requérante a succombé en ses moyens ;

Par ces motifs,

LA COUR,

Rejetant toutes autres conclusions plus amples ou contraires déclare et arrête :

1) le recours est rejeté comme irrecevable ;

2) le requérant est condamne aux dépens.