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Décisions

CJCE, 30 juin 1966, n° 61-65

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Veuve Vaassen-Göbbels

Défendeur :

Direction du Beambtenfonds voor het Mijnbedrijf

CJCE n° 61-65

30 juin 1966

LA COUR,

I - Quant à la recevabilité de la demande d'interprétation

Attendu que le défendeur au principal soutient que le " Scheidsgerecht van het Beambtenfonds voor het Mijnbedrijf ", dénommé ci-après " Scheidsgerecht ", ne constitue pas une juridiction au sens de l'article 177 du traité CEE et n'est pas habilité, dès lors, à saisir la Cour d'une demande en interprétation au titre du même article ;

Attendu que le Scheidsgerecht est régulièrement constitué en conformité de la loi néerlandaise ;

Qu'en effet, il est prévu par le " règlement van het Beambtenfonds voor het Mijnbedrijf " (RBFM), texte régissant les rapports entre le Beambtenfonds et ses assurés ;

Attendu qu'aux termes de la loi néerlandaise sur l'invalidité, l'assurance obligatoire prévue par cette loi ne joue pas pour les personnes dont les pensions respectives d'invalidité et de vieillesse sont réglées par un autre régime, destiné à se substituer au régime général, condition remplie dès lors que les autorités compétentes déclarent que ce régime satisfait aux exigences légales et offre des garanties suffisantes pour l'allocation des pensions ;

Que des prévisions analogues existent pour d'autres branches de la sécurité sociale ;

Que, dès lors, le règlement ainsi que d'éventuelles modifications de celui-ci nécessite, outre l'approbation par le ministre néerlandais dont relève l'industrie minière, celle du ministre des Affaires sociales et de la Santé publique ;

Attendu, ensuite, qu'il appartient au ministre dont relève l'industrie minière de nommer les membres du Scheidsgerecht, de désigner son président et d'arrêter son règlement de procédure ;

Attendu que le Scheidsgerecht, organisme permanent chargé de connaître des litiges définis, d'une manière générale, par l'article 89 du RBFM, est soumis à des règles de procédure contradictoire analogues à celles qui régissent le fonctionnement des tribunaux de droit commun ;

Qu'enfin, les personnes visées par le RBFM sont obligatoirement membres du Beambtenfonds, et cela en vertu d'un règlement arrêté par le Mijnindustrieraad (Conseil de l'industrie minière), institution de droit public ;

Que lesdites personnes, quant aux litiges nés entre elles et leur assureur, sont tenues de s'adresser au Scheidsgerecht comme instance judiciaire ;

Que le Scheidsgerecht est appelé à appliquer les règles du droit ;

Qu'en l'espèce, le point de savoir si des règlementations telles que le RBFM sont visées par le règlement n° 3 du Conseil de la CEE relève de l'interprétation du règlement et doit être examiné dans le cadre de la première question posée par le Scheidsgerecht ;

Attendu que, dans ces conditions, il y a lieu de considérer le Scheidsgerecht comme une juridiction au sens de l'article 177 ;

Que, dès lors, la demande en interprétation est recevable.

II - Quant au fond

1. Sur la première question posée par le Scheidsgerecht

Attendu que le Scheidsgerecht demande à la Cour de dire si la règlementation figurant au chapitre II du RBFM et relative à la caisse de maladie gérée par le BFM constitue une " législation " au sens du règlement n° 3, si elle est couverte par l'annexe B, chapitre " Pays-Bas ", lettre I, de ce règlement et si, en conséquence, celui-ci s'applique aux employés des mines néerlandaises visés par ladite règlementation ;

Attendu qu'aux termes de l'article 177 du traité CEE, la Cour est seulement habilitée à se prononcer sur l'interprétation ou la validité du traité et des actes pris par les institutions de la Communauté, mais non à appliquer ces textes à une espèce déterminée ;

Que, dès lors, elle doit se limiter à dégager du libellé formulé par le Scheidsgerecht, eu égard aux données exposées par cette juridiction, les seuls éléments relevant de l'interprétation du traité et du règlement n° 3 ;

A) Attendu que la question tend, en premier lieu, à savoir si une règlementation relative à l'assurance maladie des travailleurs et de leurs survivants, instaurée et exécutée par une institution de droit privé, peut constituer une législation aux termes du règlement n° 3 ;

Attendu qu'en vertu de l'article 1, B, du règlement n° 3, " le terme législation désigne les lois, les règlements et les dispositions statutaires... de chaque Etat membre, qui concernent les régimes et branches de la sécurité sociale visés aux paragraphes 1 et 2 de l'article 2 du présent règlement ", donc notamment les régimes et branches relatifs aux prestations de maladie ;

Que la mention des " dispositions statutaires " tend manifestement à couvrir les régimes et branches de la sécurité sociale qui sont gérés par des institutions autres que les autorités publiques et qui jouissent d'une certaine autonomie par rapport à celles-ci ;

Attendu, d'autre part, que conformément à l'article 1, E, du règlement n° 3, " le terme institution désigne... l'organisme ou l'autorité chargé d'appliquer tout ou partie de la législation " ;

Que la juxtaposition des expressions " organisme " et " autorité " fait apparaître que le règlement n° 3 vise également des dispositions statutaires régissant le fonctionnement d'institutions de droit privé, et cela d'autant plus que celles-ci ne sont exclues expressément par aucune disposition du règlement n° 3 ;

Attendu que la notion de " dispositions statutaires " s'applique à des règles qui, tout en étant arrêtées et appliquées dans des formes et par des organismes de droit privé, s'intègrent au régime de sécurité sociale d'un Etat membre du fait qu'elles sont destinées à compléter les lois et règlements relatifs à la sécurité sociale, ou à s'y substituer ;

Que le règlement n° 3 montre le souci évident de ne pas exclure du bénéfice de ses dispositions les régimes gérés par les organismes non étatiques qui, au moins dans plusieurs Etats membres, englobent un secteur important de la sécurité sociale ;

Attendu, cependant, que le défendeur au principal estime que ces considérations ne sauraient valoir dans la mesure où les intéressés, à défaut de la règlementation litigieuse, ne seraient pas obligatoirement assurés en vertu du régime général de sécurité sociale ;

Qu'en effet, dans cette mesure, ladite règlementation ne saurait être considérée comme se substituant au régime général ;

Qu'en outre, le défendeur au principal fait valoir que lesdites considérations ne s'appliqueraient pas aux survivants d'un travailleur, affiliés à titre simplement facultatif à l'institution à laquelle ledit travailleur avait été affilié de manière obligatoire ;

Attendu que l'objection selon laquelle le Sieur Vaassen aurait été exempt du régime général de sécurité sociale n'est pas concluante, la question qui a amené le Scheidsgerecht à saisir la Cour étant évidemment celle de savoir si la règlementation litigieuse fait ou ne fait pas partie d'un régime spécial au sens de l'article 2, alinéa 2, du règlement n°3 ;

Qu'un tel régime se présente indubitablement quand un groupe spécifique de travailleurs est soumis à une assurance de type spécial obligatoire en vertu du droit public ;

Que le défendeur au principal paraît d'ailleurs avoir bien saisi l'essentiel de la notion quand il expose dans son mémoire, d'une part, que l'assurance obligatoire de tout employé des mines néerlandaises découle de l'article 33 du règlement du Mijnindustrieraad du 8 septembre 1952, relatif aux conditions de travail des employés stagiaires et des employés des mines (Nederlandse Staatscourant du 23 septembre 1952, n°185) et, d'autre part, que ledit règlement arrêté par une autorité publique compétente, revêt, de ce fait, un caractère de droit public ;

Qu'il appartient cependant au juge national, après application éventuelle de l'article 177 du traité, comme il a été fait en l'espèce, d'examiner si les conditions requises pour l'existence d'un régime spécial sont remplies en fait, de sorte que les dispositions statutaires y relatives s'incorporent à la notion de législation de l'article 1, B, du règlement n° 3 ; attendu, ensuite, qu'une fois l'existence d'un régime spécial établi, les reglements n° 3 et n° 4 s'appliquent à ce régime en son entier, y compris les dispositions éventuelles concernant l'affiliation volontaire et facultative des anciens assurés et de leurs survivants ;

B) Attendu que, par la seconde branche de sa question, le Scheidsgerecht demande à la Cour de dire si un régime d'assurance maladie néerlandais institué en faveur des employés des mines et de leurs ayant droit est couvert par l'annexe B, chapitre " Pays-Bas ", lettre I, du règlement n° 3, texte libellé ainsi : "l'assurance maladie des travailleurs des mines (prestations en espèce et en nature en cas de maladie ou de maternité)" ;

Attendu que, selon le défendeur au principal, il y aurait lieu de répondre par la négative ;

Qu'en effet, la rédaction néerlandaise de la disposition précitée utilise, comme équivalent du vocable " travailleurs ", l'expression " Mijnwerkers " laquelle, en opposition au terme " Werknemers ", ne viserait que les ouvriers et exclurait donc les employés ;

Attendu que même à supposer que l'interprétation ainsi donnée à l'appellation " mijnwerkers " put être exacte, ce qui paraît contestable, la thèse du défendeur au principal ne pourrait de toute façon pas aboutir ;

Que le chapitre " Pays-Bas " de l'annexe B du règlement n° 3 fait, sous la lettre A, mention de l'assurance maladie en général, et, sous la lettre I, de l'assurance maladie des travailleurs des mines ;

Qu'ainsi un régime spécial d'assurance maladie, tel que défini ci-dessus, s'il ne relevait pas de la lettre I, relèverait de la lettre A qui s'applique, sans distinction, à tous les " travailleurs " (" Arbeitskraefte " et " Arbeitnehmer " ; " Lavoratori " ; " Werknemers ") au sens des articles 48 à 51 du traité, expressions qui comprennent également les employés ;

Que l'annexe B, chapitre " Pays-Bas ", du règlement n° 3 couvre donc tant le régime général que les régimes spéciaux de sécurité sociale relatifs à l'assurance maladie.

2. Sur la seconde question posée par le Scheidsgerecht

Attendu que, par sa seconde question, posée pour le cas où la reponse à la premiere question serait affirmative, le Scheidsgerecht demande à la Cour de dire si le survivant d'un travailleur " a droit aux prestations visées à l'article 22 du règlement n°3 et désignées à la fin de l'article 22, paragraphe 2 " :

- même s'il réside sur le territoire d'un Etat membre autre que celui dont relève l'institution d'assurance maladie en cause,

- et même si la législation appliquée par cette institution ne prévoit, à l'égard dudit survivant, que l'admission " à l'assurance du droit à se faire indemniser, à charge de la caisse de maladie, pour traitements médicaux, fourniture de médicaments et soins " ;

A) Attendu, quant à la première condition énoncée par cette question, qu'il ressort du contexte de la décision de renvoi que le Scheidsgerecht désire en réalité savoir si le règlement n° 3 s'oppose à ce qu'une institution refuse d'admettre le survivant d'un travailleur à l'assurance maladie facultative, du seul fait qu'il réside dans un Etat membre autre que celui dont relève ladite institution ;

Attendu que les paragraphes 2 et 3 de l'article 22 du règlement n° 3 règlent le mode d'octroi des prestations de maladie à servir au " titulaire d'une pension ou d'une rente " due en vertu de la législation d'un ou de plusieurs Etats membres, lorsque ce titulaire réside sur le territoire d'un Etat membre où ne se trouve aucune des institutions débitrices de sa pension ou de sa rente ;

Que ces dispositions visent de toute manière le cas où l'assurance maladie découle obligatoirement du droit à la pension ou à la rente, c'est-à-dire où elle constitue, dans un certain sens, un élément nécessaire du régime de pension ou de rente ;

Qu'elles présupposent logiquement que cette affiliation à un régime d'assurance maladie ne saurait être supprimée du fait que ledit intéressé transfère sa résidence dans un pays autre que celui ou ceux dont relèvent les institutions débitrices des prestations en cause ;

Que cela est d'ailleurs confirmé par l'article 10, paragraphe 1, du règlement n° 3, aux termes duquel " les pensions ou rentes... acquises en vertu des législations de l'un ou de plusieurs des Etats membres ne peuvent subir aucune réduction, ni modification, ni suspension, ni suppression, ni confiscation du fait que le bénéficiaire réside sur le territoire d'un Etat membre autre que celui où se trouve l'institution débitrice " ;

Attendu, d'autre part, que l'article 22 ne mentionne pas expressément le cas où l'affiliation du titulaire de la pension ou de la rente à un régime d'assurance maladie n'est prévue qu'à titre facultatif ;

Qu'il convient donc d'examiner si, malgré le silence dudit article, celui-ci s'applique également dans cette hypothèse ;

Attendu qu'aux termes du deuxième paragraphe de l'article 4 du règlement n° 3, ses dispositions s'appliquent " aux survivants des travailleurs salariés ou assimilés qui ont été soumis à la législation de l'un ou de plusieurs Etats membres " ;

Que les termes généraux de ces dispositions démontrent que l'application du règlement n'est pas limitée aux travailleurs, ou aux survivants des travailleurs, qui ont exercé des emplois dans plusieurs Etats ou qui exercent, ou ont exercé, un emploi dans un Etat tout en résidant, ou ayant résidé, dans un autre ;

Que le règlement s'applique donc également dès lors que le transfert de résidence dans un autre Etat membre a été le fait, non pas du travailleur lui-même, mais d'un survivant de celui-ci ;

Que cette interprétation est conforme à l'esprit des articles 48 à 51 du traité ainsi que du règlement n° 3, qui est d'empêcher, au-delà de la protection du travailleur migrant stricto sensu, qu'en matière de sécurité sociale, des clauses de territorialité puissent être opposées aux travailleurs ou à leurs survivants ;

Attendu, d'autre part, qu' il résulte de l'article 9, paragraphe 1, du règlement n° 3 que celui-ci s'applique indistinctement " à l'assurance obligatoire, volontaire ou facultative continuée " ;

Qu'il résulte notamment de l'article 10, paragraphe 2, dudit règlement, envisagé conjointement avec l'annexe E de celui-ci, que chaque fois que le règlement entend sauvegarder les clauses de territorialité consacrées par les législations nationales, il le dit expressément ;

Que, dès lors, même lorsque l'affiliation au régime d'assurance maladie du travailleur ou survivant, titulaire de la pension ou de la rente, n'est revue qu'à titre facultatif, le règlement n° 3 interdit à une institution nationale de supprimer cette affiliation du fait que ledit titulaire transfère sa résidence dans un pays autre que celui dont relève ladite institution ;

B) Attendu que la demande en interprétation tend encore à savoir si l' article 22, qui ne vise que les "prestations en nature", est applicable à des prestations pour traitements et soins médicaux et fournitures de médicaments, accordées sous forme de remboursement de frais ;

Attendu que le chapitre 1 du titre III du règlement n° 3, intitulé " maladie, maternité " et englobant l'article 22 en cause, oppose respectivement les " prestations en nature " aux " prestations en espèces ", sans toutefois définir ni les unes ni les autres ;

Qu'il est toutefois certain que la notion de " prestations en nature " n'exclut pas qu'une telle prestation consiste en des paiements effectués par l'institution débitrice ;

Qu'en effet, il est normal que cette institution effectue de tels paiements, dans les hypothèses expressément qualifiées de " prestations en nature " par l'article 19, paragraphe 5, du règlement n° 3, à savoir l'octroi " des prothèses " et " du grand appareillage " ;

Que, d'autre part, les dispositions du chapitre 1 en cause ne prévoient aucune différence selon que lesdits paiements sont effectués à l'intéressé lui-même ou à des tiers ;

Qu'enfin, l'article 18 du règlement permet de considérer que les " prestations en espèces " sont essentiellement destinées à compenser la perte de salaire du travailleur malade et qu'elles concernent donc une hypothèse entièrement différente de celle en cause ;

Attendu qu'il résulte de tous ces éléments que l'article 22 s'applique également lorsque des prestations telles que celles visées par le Scheidsgerecht sont accordées sous forme de remboursement de frais ; décisions sur les dépenses

III - Quant aux dépens

Attendu que les frais exposés par la Commission de la CEE, qui a soumis ses observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement ;

Que la procédure revêt, à l'égard des parties en cause, le caractère d'un incident soulevé au cours du litige pendant devant le Scheidsgerecht van het Beambtenfonds voor het Mijnbedrijf et que la décision sur les dépens appartient dès lors à cette juridiction ;

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur les questions à elle soumises à titre préjudiciel par le Scheidsgerecht van het Beambtenfonds voor het Mijnbedrijf, conformément à la décision de ce tribunal du 10 décembre 1965,

Dit pour droit :

1) La règlementation relative à l'assurance maladie des travailleurs et de leurs survivants, instaurée et exécutée par une institution de droit privé, fait, en tant que " disposition statutaire ", partie de la " législation " aux termes des articles 1, B, et 4 du règlement n° 5 lorsque cette règlementation complète les lois et règlements institutifs d'un régime général ou spécial de sécurité sociale ou s'y substitue ;

2) L'annexe B, chapitre " Pays-Bas ", du règlement n° 3 couvre les régimes généraux et spéciaux de sécurité sociale relatifs à l'assurance maladie des employés des mines ;

3) Les dispositions du règlement n° 3 s'opposent à ce qu'une institution refuse au survivant d'un travailleur, titulaire d'une pension ou d'une rente en vertu de la législation d'un Etat membre, le bénéfice de l'affiliation au régime même facultatif d'assurance maladie par elle gère, du fait que ledit titulaire réside sur le territoire d'un Etat membre autre que celui dont relève ladite institution ;

4) L'article 22 du règlement n° 3 s'applique également à des prestations accordées au regard de traitements et soins médicaux ainsi que de fournitures de médicaments, sous forme de remboursement de frais ;

Et décide :

5) Il appartient au Scheidsgerecht van het Beambtenfonds voor het Mijnbedrijf de statuer sur les dépens de la présente instance.