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Décisions

Cass. crim., 5 octobre 2005, n° 04-84.207

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cotte

Rapporteur :

M. Thin

Avocat général :

M. Di Guardia

Avocats :

SCP Piwnica, Molinié, Me Ricard

TGI Nanterre, JLD, du 27 mai 2004

27 mai 2004

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par la société X contre l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Nanterre, en date du 27 mai 2004, qui a autorisé l'administration de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes à effectuer des visites et saisies de documents en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles ; - Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 81 et 82 du traité CE, 20 § 4 du règlement CE n° 1-2003, L. 450-4 et L. 470-6 du Code de commerce, défaut de motifs, manque de base légale;

"en ce que l'ordonnance attaquée a autorisé les visites et saisies sollicitées;

"alors que cette autorisation a été accordée sur le fondement d'une décision rendue le 18 mai 2004 par la Commission des Communautés européennes; que cette décision a fait l'objet d'un recours porté devant le Tribunal de première instance ; qu'ainsi, l'annulation de la décision de la commission, ensuite de ce recours, entraînera la perte de fondement juridique de l'ordonnance attaquée rendue sur son seul fondement';

Attendu que le demandeur ne saurait se faire un grief de ce que l'autorisation de visites et de saisies a été accordée par le juge sur le fondement d'une décision de la Commission des Communautés européennes, faisant l'objet d'un recours, dès lors qu'aux termes de l'article 242 du traité instituant ladite Communauté, un tel recours n'a pas d'effet suspensif; d'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 66 de la Constitution du 4 octobre 1958, 81 et 82 du traité CE, 20 § 4 et 20 § 8 du règlement CE n° 1-2003 du Conseil du 16 décembre 2002, L. 450-4 et L. 470-6 du Code de commerce, 8 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, défaut de motifs, manque de base légale;

"en ce que l'ordonnance attaquée a autorisé les visites et saisies sollicitées;

"aux motifs que, dans sa décision, la Commission ordonne que la société X SA se soumette à une vérification afin de permettre aux agents qu'elle a mandatés, ainsi qu'aux agents de l'État membre qui les assistent, d'accéder à ses locaux et moyens de transport, de contrôler les documents professionnels requis quel qu'en soit le support, d'en prendre ou obtenir sous quelque forme que ce soit copie ou extrait et de recueillir les explications orales en relation avec l'objet de la vérification ; que, dans l'article 2 de ladite décision, elle fixe la date des opérations de vérification à compter du 2 juin 2004, et prévoit, dans son article 3, que la décision sera notifiée, conformément aux dispositions de l'article 254, paragraphe 3, du traité CE, à ladite société, sise <adresse>; que, dans sa demande d'enquête du 25 mai 2004, le ministre d'État, ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a prescrit au Directeur de la direction nationale des enquêtes de Concurrence, de Consommation et de Répression des Fraudes de prendre toutes les mesures nécessaires à la réalisation de l'enquête définie par la Commission dans la décision susvisée; que la requête s'inscrit bien dans le cadre de l'enquête demandée et que l'auteur de la requête, titulaire de l'un des grades requis par l'article 3 du décret n° 2002-593 du 24 avril 2002 relatif à l'emploi de Directeur Régional de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, est fonctionnaire de catégorie A et qu'il est habilité à effectuer les enquêtes prévues aux articles L. 450-4 et L. 470-6 du Code de commerce, en application de l'article 2 de l'arrêté du 22 janvier 1993 relatif à l'habilitation des fonctionnaires pouvant procéder aux enquêtes nécessaires à l'application des titres V et VII du livre IV du Code de commerce; que la présente requête est donc recevable; que sont joints à la requête, la décision de la Commission, les arrêts de la CJCE des 21 septembre 1989 " Hoechst ", 7 novembre 1985 " Adams "et 22 octobre 2002 " Roquette " ainsi que les arrêts des 11 janvier 2000 et 22 octobre 2003 de la Cour de cassation ; que ces documents, soit communiqués par la Commission des Communautés européennes, soit accessibles au public sont d'origine licite; que l'authenticité de la décision de la Commission n'est pas contestable; qu'aux termes de l'article 249, alinéa 4, du traité CE, la décision prise par la Commission a un effet obligatoire dans tous ses éléments pour les destinataires qu'elle désigne; que l'article 242 dudit traité dispose que le recours éventuellement formé ne produit pas d'effet suspensif, de sorte que ladite décision est exécutoire ; qu'il ne nous appartient pas d'en apprécier la légalité, un tel contrôle relevant, en application de la décision 88-591 prise par le Conseil le 24 octobre 1988, de la compétence du Tribunal de première instance des Communautés européennes; que les agents mandatés par la Commission peuvent procéder à leurs investigations avec l'accord de l'entreprise concernée; qu'en revanche, lorsque la Commission met en œuvre, avec le concours des autorités nationales, des mesures de vérification non fondées sur la collaboration de l'entreprise concernée, elle est tenue de respecter les garanties procédurales prévues par le droit national (CJCE du 21 septembre 1989, "Hoechst") et les Etats membres sont tenus d'assurer l'efficacité de son action (CJCE même arrêt) ; que la Cour de cassation, dans ses arrêts des 11 janvier 2000 et 22 octobre 2003, admet que l'assistance des autorités nationales peut être demandée à titre préventif, en vue de surmonter l'opposition éventuelle de l'entreprise; que la vérification demandée a pour but d'établir l'existence ou non d'un abus de position dominante dans le secteur de la fourniture de services d'accès à Internet; que la décision de la Commission fait état d'informations selon lesquelles la société X pratique des tarifs d'accès à Internet par l'ADSL à destination du grand public en France dont certains ne couvrent pas les coûts variables et d'autres se situent en dessous des coûts complets; que l'inspection envisagée porte sur dix nouvelles offres de la société X ; qu'au moins trois des offres ne couvrent pas leurs coûts variables (les deux offres à la carte à 128 kbit/s et l'offre à la carte à 512 kbit/s 24 mois) ; que deux autres offres à 512 kbit/s (l'offre à la carte 12 mois et l'offre illimitée 24 mois) ne couvrent pas leurs coûts complets; que les offres en dessous des coûts pratiquées par X et l'espace économique réduit entre les tarifs de détail concernés et les offres de gros " accès IP/ADSL et " collecte IP/ADSL" de France Télécom génèrent un ciseau tarifaire à l'encontre des opérateurs concurrents français ou établis dans d'autres États membres souhaitant proposer l'accès à Internet haut débit pour la clientèle résidentielle; que ces tarifs s'inscrivent dans un plan révélant une intention d'éviction des concurrents ; que de telles pratiques présumées équivalent à imposer des prix de vente non équitables, et ce, en violation des dispositions de l'article 82 du traité instituant la Communauté européenne; qu'il résulte de cette seule décision de la Commission une présomption de pratiques anticoncurrentielles; que l'utilisation des pouvoirs définis à l'article L. 450-3 du Code de commerce nous apparaît insuffisante pour garantir l'obligation à laquelle est tenue l'autorité nationale française dans les circonstances présentes ; qu'en effet, les pratiques présumées et le contexte de l'abus présumé sont présentés comme étant établis suivant des modalités secrètes, la Commission mentionnant dans sa décision que " les informations afférentes aux pratiques susmentionnées, en particulier les éléments d'information permettant d'établir le degré de couverture des coûts et ceux ayant trait à la stratégie de cantonnement et de refoulement des concurrents n'aient été communiqués qu'à quelques membres du personnel de France Télécom et/ou de X ; la documentation existante au sujet des pratiques présumées est très probablement limitée au strict minimum et détenue dans des endroits et sous une forme facilitant sa dissimulation, sa rétention ou sa destruction en cas d'enquête" ; que le recours aux pouvoirs de l'article L. 450-4 du Code de commerce constitue donc le seul moyen d'atteindre les objectifs recherchés; que par ailleurs, les opérations de visite et de saisie sollicitées ne sont pas disproportionnées par rapport aux circonstances de l'espèce; qu'en effet, d'une part, les originaux des documents saisis seront restitués aux sociétés dont les locaux ont été visités et, d'autre part, les intérêts des entreprises concernées sont garantis dès lors que les pouvoirs de l'Administration sont utilisés sous notre contrôle; qu'il convient, en conséquence, de faire droit à la requête et de permettre aux agents de la DGCCRF d'effectuer les opérations de visite et de saisie dans les locaux de la société X SA, <adresse> ;

"1 - alors que l'Administration est tenue d'une obligation de loyauté dans l'établissement des présomptions ; qu'elle doit produire, à l'appui de la requête, tous les éléments d'information en sa possession ; que l'administration doit ainsi faire état des décisions de justice favorables à l'entreprise visée par la demande d'autorisation, lorsqu'elles portent sur les faits mêmes qui fondent cette demande; qu'en omettant de faire état de la décision du Conseil de la concurrence rendue le 11 mai 2004, refusant les mesures conservatoires demandées et ayant pour objet les dix offres sur lesquelles porte également la décision de la Commission des Communautés européennes ordonnant les vérifications, objet du présent litige, l'administration de la concurrence a manqué à son obligation de loyauté;

"2 - alors qu'il incombe au juge des libertés et de la détention d'examiner si la mesure de contrainte sollicitée à la suite d'une demande d'assistance présentée par la Commission européenne sur le fondement des dispositions de l'article 2044 du règlement CE 1-2003 n'est pas arbitraire ou disproportionnée par rapport à l'objet de la vérification et aux éléments dont dispose l'administration; qu'en omettant de faire état de la décision rendue par le Conseil de la concurrence du 11 mai 2004, l'administration a empêché le juge des libertés d'exercer la plénitude de son contrôle sur les informations communiquées par la Commission européenne; qu'il en résulte que l'autorisation a été délivrée sur une demande qui ne répondait pas aux prescriptions légales et ne satisfait donc pas aux exigences des textes susvisés;

"3 - alors que lorsqu'il contrôle la proportionnalité des mesures coercitives demandées par l'administration communautaire, le juges des libertés et de la détention peut, sur le fondement de l'article 2048 du règlement CE 1-2003, demander, directement ou par l'intermédiaire du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, des explications détaillées, notamment, sur les motifs qui l'incitent à suspecter une violation des articles 81 et 82 du traité, ainsi que sur la gravité de la violation suspectée et sur la nature de l'implication de l'entreprise concernée; qu'en s'abstenant dans la requête de faire état et de produire la décision du Conseil de la concurrence en date du 11 mai 2004, l'administration de la concurrence n'a pas mis le juge des libertés en mesure de demander à la Commission européenne si cette décision et les éléments recueillis par le Conseil de la concurrence dans le cadre de l'instruction de cette procédure, n'étaient pas de nature à rendre disproportionnée la mesure coercitive demandée; qu'à nouveau, l'autorisation accordée, sur le fondement d'une demande irrégulière, ne satisfait pas aux exigences des textes susvisés";

Attendu qu'il n'est pas démontré que la production des pièces invoquées par le moyen aurait été de nature à remettre en cause l'appréciation du juge sur les présomptions de pratiques anticoncurrentielles, ni sur la proportionnalité de la mesure coercitive demandée par rapport à l'objet de la vérification ordonnée; d'où il suit que le moyen ne saurait être admis;

Et attendu que l'ordonnance attaquée est régulière en la forme;

Rejette le pourvoi.