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Décisions

Conseil Conc., 21 octobre 2005, n° 05-D-57

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques mises en œuvre par le barreau de Montpellier

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de M. Fontaine, par M. Lasserre, président, Mme Aubert, M. Nasse, Mme Perrot, vice-présidents

Conseil Conc. n° 05-D-57

21 octobre 2005

Le Conseil de la concurrence (Commission Permanente),

Vu la lettre, enregistrée le 29 mars 2001 sous le numéro F 1299-2, par laquelle la Confédération du Logement et du Cadre de Vie, ci-après " CLCV ", a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par le barreau de Montpellier, qu'elle a qualifiées d'anticoncurrentielles au sens de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 devenu article L. 420-1 du Code de commerce ; Vu le livre IV du Code de commerce, le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, fixant les conditions d'application de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, et le décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 ; Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, la rapporteure générale adjointe et le commissaire du Gouvernement entendus lors de la séance du 12 septembre 2005, la Confédération du Logement et du Cadre de Vie régulièrement convoquée ; Adopte la décision suivante :

I. Constatations

1. Par lettre enregistrée le 29 mars 2001 sous le numéro F 1299-2, la Confédération du Logement et du Cadre de Vie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par le barreau de Montpellier.

2. Les services de la DGCCRF ont diligenté une enquête dont le rapport a été transmis le 18 janvier 2002 par le Directeur Général de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes.

A. LE CADRE RÉGLEMENTAIRE DE L'ACTIVITÉ DES BARREAUX

3. La profession d'avocat est régie par la loi du 31 décembre 1971, modifiée, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques. La profession est constituée en barreaux établis auprès des tribunaux de grande instance. Chaque barreau est doté de la personnalité civile et est administré par un Conseil de l'ordre. Les membres du Conseil de l'ordre sont élus pour trois ans au scrutin secret, par tous les avocats inscrits au tableau du barreau, par les avocats stagiaires ayant prêté serment avant le 1er janvier de l'année au cours de laquelle a lieu l'élection et par les avocats honoraires ressortissant dudit barreau. A sa tête est élu pour deux ans un bâtonnier ; il représente le barreau dans tous les actes de la vie civile. Il lui revient de prévenir ou, le cas échéant, de concilier les différends d'ordre professionnel entre les membres du barreau et d'instruire toute réclamation formée par les tiers.

4. Les missions du Conseil de l'ordre sont définies par l'article 17 de la loi précitée. Il a vocation à traiter de toutes questions intéressant l'exercice de la profession et à veiller à l'observation des devoirs des avocats, ainsi qu'à la protection de leurs droits. Il est, en particulier, tenu " d'arrêter et, s'il y a lieu, de modifier les dispositions du règlement intérieur, de statuer sur l'inscription au tableau des avocats (...) d'exercer la discipline (...) de maintenir les principes de probité, de désintéressement, de modération et de confraternité sur lesquels repose la profession et d'exercer la surveillance que l'honneur et l'intérêt de ses membres rendent nécessaire (...) de veiller à ce que les avocats soient exacts aux audiences et se comportent en loyaux auxiliaires de la justice (...) ".

5. Sur réquisitions du procureur général, toute délibération ou décision du Conseil de l'ordre étrangère aux attributions qui lui sont reconnues ou contraire aux dispositions législatives ou réglementaires, est annulée par la cour d'appel. Les délibérations ou décisions du Conseil de l'ordre de nature à léser les intérêts professionnels d'un avocat peuvent également, à la requête de l'intéressé, être déférées à la cour d'appel. De même, les décisions du Conseil de l'ordre relatives à une inscription au barreau ou sur la liste du stage, à l'omission ou au refus d'omission du tableau ou de la liste du stage, sont susceptibles d'être déférées à la cour d'appel par le procureur général ou par l'intéressé.

6. Comme pour les entreprises, le montant des honoraires demandés par l'avocat doit être librement déterminé. Si la tarification de la postulation et des actes de procédure est régie par les dispositions sur la procédure civile, il résulte de l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 que " ... les honoraires de consultation, d'assistance, de conseil, de rédaction d'actes juridiques sous seing privé et de plaidoirie sont fixés en accord avec le client. A défaut de convention entre l'avocat et son client, l'honoraire est fixé selon les usages, en fonction de la situation de fortune du client, de la difficulté de l'affaire, des frais exposés par l'avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci. Toute fixation d'honoraires, qui ne le serait qu'en fonction du résultat judiciaire, est interdite. Est licite la convention qui, outre la rémunération des prestations effectuées, prévoit la fixation d'un honoraire complémentaire en fonction du résultat obtenu ou du service rendu ".

7. Les différends susceptibles de survenir entre l'avocat et son client quant au montant et au recouvrement des honoraires sont réglés par les articles 174 et suivants du décret du 27 novembre 1991. Les réclamations sont soumises au bâtonnier par toute partie, sans condition de forme. Selon l'article 175 du décret, le bâtonnier accuse réception de la réclamation. Sa décision doit être prise dans un délai de trois mois. A défaut, il appartient au client de saisir le premier président de la cour d'appel. Selon l'article 176 du décret, la décision du bâtonnier est susceptible d'un recours devant le premier président de la cour d'appel. La décision du bâtonnier, non déférée au premier président de la cour d'appel, peut être rendue exécutoire par ordonnance du président du tribunal de grande instance à la requête de l'avocat ou de la partie.

8. L'article 183 du décret du 27 novembre 1991 dispose, enfin, que " (...) toute infraction aux règles professionnelles, tout manquement à la probité (...) expose l'avocat qui en est l'auteur à des sanctions disciplinaires (...) ". Énumérées à l'article 184 du décret, ces sanctions, qui vont de l'avertissement ou du blâme à l'interdiction temporaire (qui ne peut excéder trois années), à la radiation du tableau ou de la liste du stage ou au retrait de l'honorariat, sont prononcées par le Conseil de l'ordre sous le contrôle de la cour d'appel. La loi reconnaît, ainsi, au client, un droit de contestation des honoraires, dont le bâtonnier est juge et tout manquement au devoir de modération dans le montant des honoraires demandés est susceptible de donner lieu à une action disciplinaire devant le Conseil de l'ordre.

B. LE BARREAU DE MONTPELLIER

9. Le barreau de Montpellier compte cinq cent quarante-deux avocats inscrits, auxquels il convient d'ajouter quatre-vingt-douze stagiaires et trente-neuf avocats honoraires.

10. Ce barreau est administré par le Conseil de l'Ordre, composé du bâtonnier et de 21 autres membres. Il n'a pas à proprement parler d'activité en matière de détermination des honoraires. En revanche, certaines de ses activités ont une incidence sur la détermination les honoraires.

11. Il s'agit en premier lieu du rôle d'arbitrage qui incombe au bâtonnier sur le fondement des articles 174 et suivants du décret du 27 novembre 1991 pour tout différend relatif au montant et au recouvrement des honoraires opposant des avocats entre eux ou à leur client.

12. Il s'agit ensuite de la formation à la gestion des avocats stagiaires au cours de laquelle le bâtonnier explique les " rudiments " de la gestion d'un cabinet et les modalités d'établissement d'un barème personnel.

13. Ces modalités d'établissement d'un barème personnel sont d'ailleurs reprises dans le règlement intérieur, adopté le 18 septembre 2000, qui porte diverses dispositions traitant des honoraires (cas de succession d'avocat, prohibition des honoraires de présentation, aide juridictionnelle).

C. LES FAITS RELEVÉS

1. LE BARÈME DE 1988

14. L'ordre des avocats au barreau de Montpellier a établi pour l'année judiciaire 1988 un document intitulé " Guide indicatif des honoraires pratiqués par les avocats du barreau de Montpellier ".

15. Il est indiqué en exergue de ce guide indicatif " qu'il concerne uniquement les honoraires. Les frais et émoluments de postulation sont perçus en plus conformément aux lois et décrets en vigueur ". Il " s'applique à une procédure principale se déroulant sans procédures annexes ou incidentes qui font l'objet d'honoraires supplémentaires. Il en est de même pour les expertises, enquêtes ou instructions dont le coût peut être calculé sur la base d'une vacation horaire de F. 500 à 1 000 selon les cas ". Le guide précise que " le Conseil de l'ordre des avocats du barreau de Montpellier a rejeté le principe d'un tarif d'honoraires comme contraire à la liberté de l'honoraire. Il n'est donc indiqué ci-après que les honoraires habituellement pratiqués au cours de l'année 1988 par les avocats du barreau de Montpellier, et ce, à titre indicatif ".

16. Treize chapitres composent ce guide qui énumère différentes prestations auxquelles correspondent des prix, certains étant des prix minima, des fourchettes de prix et des pourcentages :

* Cour d'appel : quatre prestations avec quatre minima ;

* Chambre d'accusation : une prestation avec un minimum ;

* Cour d'assises : deux prestations avec deux moyennes minimales ;

* Tribunal de grande instance : onze prestations avec onze minima ;

* Tribunal d'instance : deux prestations avec deux minima ;

* Affaires pénales : dix prestations avec dix minima ;

* Tribunal de commerce : trois prestations avec trois minima ;

* Conseil de prud'hommes : quatre prestations avec quatre minima ;

* Procédures diverses : trois prestations avec trois minima ;

* Tribunal administratif : trois prestations avec trois minima ;

* Consultation et vacations d'horaires : trois prestations avec trois minima horaires et un minimum global ;

* Fixation des honoraires en fonction du résultat obtenu : quatre fourchettes en pourcentages dégressifs ;

* Rédaction d'actes : ce chapitre comprend à la fois des honoraires fixes, minimaux et en pourcentage concernant les baux, fonds de commerce, sociétés, ventes, partages, hypothèques et nantissements ainsi que des actes de droit du travail.

2. L'UTILISATION DU BARÈME

17. La plupart des avocats interrogés au cours de l'enquête ont affirmé que ce guide n'avait jamais été utilisé, soit parce qu'ils disposaient de leur propre grille tarifaire soit parce qu'ils définissaient le tarif applicable au cas par cas. Tous confirment que ce guide n'a été ni réactualisé ni publié à nouveau depuis 1998.

18. Les avocats, entendus lors de l'enquête, ont tous déclaré que leurs pratiques tarifaires n'étaient nullement influencées par le guide.

19. Selon le rapport d'enquête, " toutes déclarations recueillies concordent (...) sur le fait qu'il n'a pas été utilisé par les avocats entendus au cours de l'enquête ".

20. Les pièces annexées au dossier confirment que les pratiques tarifaires des avocats du barreau de Montpellier interrogés lors de l'enquête sont déterminées soit en fonction de grilles élaborées par leurs soins, soit en fonction des caractéristiques propres aux dossiers.

21. Il n'est pas possible d'établir que les tarifs du guide indicatif continuent de produire des effets lors de l'année 2001, période au cours de laquelle l'enquête a été menée.

3. LE DOCUMENT " FLASH INFO " DU MOIS DE MARS 1998

22. Le Conseil de l'ordre du barreau de Montpellier n'a pas dénoncé l'utilisation du guide indicatif avant 1998. En revanche, l'Ordre a établi en mars 1998 un document intitulé " Flash info " dont la rubrique " divers " contient un paragraphe " honoraires " traitant du guide indicatif. Ce texte rappelle " qu'afin d'éviter toute confusion dans l'esprit du public, il est demandé instamment aux confrères qui ont conservé cette affichette de la détruire et de ne faire état d'aucun barème ou guide d'honoraires, lequel au demeurant n'existe plus " (les caractères en gras sont dans le texte).

II. Discussion

A. SUR LA PRESCRIPTION

23. Aux termes de l'article L. 462-7 du Code de commerce dans sa rédaction antérieure à l'intervention de l'ordonnance du 4 novembre 2004 : " le Conseil de la concurrence ne peut être saisi de faits remontant à plus de trois ans, s'il n'a été fait aucun acte tendant à leur recherche, leur constatation ou leur sanction ".

24. La Confédération du Logement et du Cadre de Vie a saisi le Conseil de la concurrence, le 29 mars 2001, de pratiques de diffusion de barème antérieures de plus de trois ans à la saisine : ces faits ne peuvent donc échapper à la prescription que s'il est établi qu'ils ont perduré au-delà du 29 mars 1998.

25. S'il est exact, en premier lieu, que le barème de 1988 n'a pas fait l'objet d'une annulation postérieure de la part du Conseil de l'Ordre, cette circonstance ne saurait attester en elle-même de l'effet continu de la pratique, dans la mesure où celle-ci consiste en la diffusion de documents édités pour le compte d'une année judiciaire et devant être périodiquement réactualisés.

26. En second lieu, l'enquête administrative ne relève aucun élément permettant d'établir que ce document aurait fait l'objet d'une application, notamment en cours de période non prescrite, c'est-à-dire à compter du 29 mars 1998, le document mentionné au paragraphe 22, d'ailleurs sans date certaine, ne suffisant pas à démontrer l'application du barème par les membres du barreau durant cette période.

27. Il résulte de ce qui précède que la pratique ne peut être regardée comme continue, notamment sur la période non prescrite.

28. En conséquence, un délai de plus de trois ans s'est écoulé depuis la diffusion du barème de 1988, sans que le cours de la prescription ait été interrompu par un acte tendant à la recherche, à la constatation ou à la sanction des faits dénoncés. La prescription est donc acquise en application de l'article L. 462-7 du Code de commerce et il n'y a pas lieu, en conséquence, de poursuivre la procédure.

Décision

Article unique : - Il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure.