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Décisions

CA Versailles, 14e ch., 9 novembre 2005, n° 05-07484

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Promobile (Sté)

Défendeur :

Renault (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Franck

Conseillers :

Mmes Lombard, Lambling

Avoués :

SCP Jupin & Algrin, SCP Debray-Chemin

Avocats :

Mes Bertin, Bricogne, SCP Vogel

T. com. Nanterre, du 22 sept. 2005

22 septembre 2005

Faits et procédure

La société Promobile est une société de droit bulgare qui est devenue l'importateur et le distributeur exclusif des produits et services de marque Renault, en vertu d'un contrat conclu avec la société Renault le 4 septembre 1995, pour une durée indéterminée et résiliable moyennant un préavis de six mois par lettre recommandée avec accusé de réception, contrat rédigé en langue anglaise, soumis au droit suisse et comportant une clause d'arbitrage (article 19).

Au cours de l'année 2004, la société Renault a fait part à la société Promobile de sa nouvelle politique de distribution passant par l'implantation d'une filiale de Renault en Bulgarie et la mise en place d'une nouvelle structure de distribution.

Des négociations ont eu lieu entre les parties.

Se prévalant de ce que celles-ci ont été brutalement rompues et que la société Renault se réfère à une lettre de résiliation unilatérale du contrat les liant, qui lui aurait été notifiée le 24 mars 2005, à effet du 24 septembre 2005 mais qu'elle n'a jamais reçue, la société Promobile a, par acte d'huissier du 2 septembre 2005, saisi le juge des référés du Tribunal de commerce de Nanterre qui, par ordonnance du 22 septembre 2005:

- lui a donné acte de ce qu'elle justifie d'une domiciliation en France soit 121 avenue des Champs Elysées à Paris (8e).

- s'est déclaré compétent,

- a dit n'y avoir lieu à référé et débouté la société Promobile de toutes ses demandes,

- l'a condamnée à payer à la société Renault la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Appelante et autorisée à assigner la société Renault à jour fixe, la société Promobile demande à la cour, au visa des articles 873 alinéa I du nouveau Code de procédure civile et 23§2 du règlement d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale, de:

- confirmer cette ordonnance en ce qu'elle a retenu la compétence du juge des référés pour statuer sur ses demandes,

- l'infirmer pour le surplus et, statuant à nouveau, de :

* dire et juger qu'elle justif e d'un dommage imminent aux conséquences irréversibles qui découleraient d'une cessation des relations contractuelles entre les parties avant qu'il n'ait été statué définitivement au fond parle tribunal arbitral sur les conditions de rupture du contrat du 4 septembre 1995 et avant que la société Promobile n'ait pu être agréée en tant que distributeur Renault,

* dire et juger qu'il n'est pas d'ores et déjà exclu que la poursuite des relations contractuelles entre les parties puisse intervenir soit en vertu d'une décision arbitrale définitive qui l'ordonnerait soit en vertu d'un nouveau contrat consécutif à l'agrément de la société Promobile,

* en conséquence, condamner la société Renault, sous astreinte de 200 000 euro par jour de retard à compter du prononce de l'arrêt à intervenir, à poursuivre ses relations commerciales avec la société Promobile en lui livrant ou en lui faisant livrer les véhicules neufs de marque Renault, en lui fournissant ou en lui faisant fournir les pièces détachées, équipements et accessoires de cette marque afin de lui permettre d'assurer le service de réparation et d'après vente, en lui maintenant ou en lui faisant maintenir l'encours habituellement consenti et ce jusqu'à ce qu'il ait été statué définitivement au fond dans le cadre de la procédure d'arbitrage encours sur la résiliation du contrat du 4 septembre 1995,

* dire et juger que les mesures conservatoires précitées prendront fin antérieurement si, dans l'intervalle, la société Promobile contracte avec la société Renault un nouveau contrat suite à la procédure d'agrément dont la mise vu œuvre par elle ou par une filiale a été annoncée officiellement par la société Renault.

* condamner celle-ci à lui payer la somme de 15 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle soutient essentiellement que :

- le juge des référés est compétent au regard de la clause compromissoire de l'article 19 du contrat du 4 septembre 1995 pour ordonner des mesures conservatoires ou provisoires, aucune clause contractuelle n'excluant ce droit et le règlement d'arbitrage ne prévoyant une telle exclusion,

- il est également compétent, au regard de l'article 873 alinéa 1 du nouveau Code de procédure civile, pour ordonner la poursuite de relations contractuelles en fixant un terme certain.

- le premier juge ne pouvait se substituer au juge du fond pour statuer sur la régularité, qu'elle conteste, de la résiliation du contrat,

- dans l'hypothèse ou le Tribunal arbitral, saisi par la société Renault, jugerait régulière et en tout état de cause inopposable la résiliation du contrat prétendument notifiée à une personne non habilitée pour la recevoir, il ne pourra qu'en déduire que celui-ci, faute d'avoir été résilié, est toujours en vigueur; que s'il retient l'obligation pour la société Renault de respecter un préavis de 24 mois, il en déduira nécessairement que la résiliation est inopérante, ce qui justifie ses demandes, au regard du dommage imminent qui la menace ainsi que ses salariés du fait de la cessation de toutes ses activités Renault.

La société Renault, au visa des articles 12, 96, 873 et 1458 du nouveau Code de procédure civile, demande à la cour :

* à titre principal, de dire et juger que le président du tribunal de commerce n'était pas compétent en référé pour statuer sur l'assignation délivrée le 2 septembre 2005, au regard de l'article 19 de la convention signée par les parties le 4 septembre 1995 et en conséquence, renvoyer la société Promobile à mieux se pourvoir,

* à titre subsidiaire, de confirmer cette décision,

* à titre plus subsidiaire, de dire n'y avoir lieu A référé et de débouter la société Promobile de toutes ses demandes,

* à titre encore plus subsidiaire, de dire et juger que celle-ci ne justifie pas du bien fonde de sa demande de prolongation des relations commerciales et, en conséquence, l'en débouter,

* en tout état de cause, la condamner à lui payer une indemnité de procédure de 3 000 euro.

Elle soutient, en substance, que:

- le juge des référés français est incompétent au regard de la clause d'arbitrage figurant à l'article 19 du contrat, la procédure d'arbitrage étant encours puisqu'elle a déposé sa requête en arbitrage le 8 juillet 2005, a désigné son arbitre et payé la provision pour frais, la société Promobile ayant également désigné son arbitre, même ai elle n'a pas respecté le délai qui lui était imparti, le retard ainsi pris résultant de la seule carence de l'appelante,

- l'urgence dont se prévaut la société Promobile a été fictivement créée par celle-ci puisqu'elle a connaissance de la remise en cause du contrat par Renault depuis un en et demi et a attendu le 19 (en fait 2) septembre 2005 pour saisir le juge des référés,

- l'appelante a, par ailleurs, de multiples activités qui ne sont pas dépendantes de la vente de véhicules neufs de marque Renault, et ne justifie pas d'un dommage imminent,

- le contrat étant soumis au droit suisse, il résulte du certificat de coutume qu'elle produit que la résiliation unilatérale d'un contrat à durée indéterminée est légitime, le juge suisse ne pouvant ni en référé ni au fond ordonner la poursuite et à plus forte raison la reprise d'une relation contractuelle éteinte,

- la société Promobile ne peut invoquer le droit français devant une juridiction française pour contester la validité ou les conditions de résiliation d'un contrat soumis au droit suisse et relevant au surplus, d'une juridiction arbitrale,

- le contrat a été résilié en respectant le préavis contractuel de six mois et la société Promobile ne peut nier avoir reçu la lettre de résiliation qui lui a été signifiée par un officier ministériel soit un notaire, l'acte de signification faisant foi jusqu'à inscription de faux,

- le Tribunal arbitral ne pourra ordonner la continuation du contrat d'importation, échu depuis le 24 septembre 2005, au regard du droit Suisse applicable et dont, au surplus, la société Promobile argue de la nullité en raison de sa non conformité prétendue à la décision n° 221 du 29 juillet 2004 de la Commission de la Protection de la Concurrence Bulgare.

Motifs de l'arrêt

Sur l'incompétence prétendue du juge des référés au regard de la clause d'arbitrage contractuelle

Considérant que l'article 19 intitulé Clause d'Arbitrage de l'accord d'importation et de distribution signé entre les parties le 4 septembre 1995, soumis au droit suisse, selon la traduction versée aux débats, énonce que:

"Tout litige relatif à l'accomplissement du présent accord ou bien tout rapport entre l'importateur et Renault qui n'a pas été réglé à l'amiable, doit être résolu de manière définitive, en conformité avec les Règles de conciliation et d'arbitrage de la Chambre Internationale de Commerce, par un ou plusieurs arbitres nommé en conformité à ces Règles. L'arbitrage a lieu à Genève en anglais. La seule version authentique du présent accord est celle écrite en anglais";

Que la société Renault a saisi le 8 juillet 2005 la Chambre de Commerce Internationale d'une demande d'arbitrage du litige l'opposant à la société Promobile afin notamment de voir celui-ci déclarer que "tous les rapports contractuels nés du contrat d'importation et de distribution (tel que modifié) entre Renault et Promobile cesseront de plein droit le 24 septembre 2005";

Que chacune des parties a désigné un arbitre, même si cette désignation est intervenue avec retard en ce qui concerne la société Promobile;

Que l'article 1458 du nouveau Code de procédure civile dispose que:

'Lorsqu'un litige dont un tribunal arbitral est saisi en vertu d'une convention d'arbitrage est porté devant une juridiction de l'Etat, celle-ci doit se déclarer incompétente.

Si le tribunal arbitral n'est pas encore saisi, la juridiction doit également se déclarer incompétente à moins que la convention d'arbitrage ne soit manifestement nulle."

Considérant cependant que, nonobstant l'existence d'une convention d'arbitrage, le juge des référés du tribunal de commerce peut, sur le fondement de l'article 873 alinéa 1 du nouveau Code de procédure civile, intervenir afin de prendre les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite, dans la mesure en aucune clause contractuelle n'exclut ce droit, ce qui est le cas en l'espèce;

Qu'il résulte au surplus de l'article 23-2 du règlement d'arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale que les parties peuvent, avant la remise du dossier au tribunal arbitral et dans des circonstances appropriées après, demander à toute autorité judiciaire des mesures provisoires ou conservatoires;

Que l'ordonnance entreprise sera, en conséquence, confirmée en ce qu'elle a rejeté cette exception;

Sur les demandes de la société Promobile

Considérant que l'article 873 alinéa 3 du nouveau Code de procédure civile dispose que le juge peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite;

Qu'il ne peut cependant, pour prescrire de telles mesures, trancher le fond du litige;

Qu'en l'espèce, comme l'invoque l'appelante, le premier juge n'avait pas le pouvoir, pour rejeter ses prétentions, de se prononcer comme il l'a fait sur la résiliation du contrat liant les parties en estimant celle-ci régulière au regard de l'article 15 du contrat et du droit Suisse auquel celui-ci est soumis, cette appréciation relevant du tribunal arbitral;

Que cette motivation sera, en conséquence, écartée;

Considérant que la société Promobile demande à la cour de:

- dire et juger qu'elle justifie d'un dommage imminent aux conséquences irréversibles qui découleraient d'une cessation des relations contractuelles entre les parties avant qu'il n'ait été statué définitivement au fond par le tribunal arbitral sur les conditions de rupture du contrat du 4 septembre 1995 et avant qu'elle n'ait pu être agréé à nouveau en qualité de distributeur Renault,

- dire et juger qu'il n'est pas d'ores et déjà exclu que la poursuite des relations contractuelles entre les parties puisse intervenir, soit en vertu d'une décision arbitrale définitive qui l'ordonnerait soit en vertu d'un nouveau contrat consécutif à l'agrément de la société Promobile,

- en conséquence, condamner l'intimée sous astreinte à poursuivre ses relations commerciales avec dia jusqu'à ce qu'il ait été statué définitivement au fond dans le cadre de la procédure d'arbitrage en cours sur la résiliation du contrat du 4 septembre 1995;

Mais considérant qu'elle ne justifie pas du dommage imminent dont elle se prévaut;

Qu'en effet, elle est informée, si ce n'est par la lettre de résiliation qu'elle conteste avoir reçue le 24 mars 2005, point qu'il appartiendra au seul tribunal arbitral de trancher, à tout le moins par les négociations intervenues depuis la mi-novembre 2004, de ce que la société Renault avait décidé d'importer et de distribuer ses produits en Bulgarie par l'intermédiaire de sa propre filiale et de résilier l'accord les liant;

Que par lettres des 12 avril, 18 avril et 2 juin 2005 qu'elle ne conteste pas avoir reçues, cette résiliation lui a été rappelée ainsi que la date de sa prise d'effet soit le 24 septembre 2005, de même que l'échec des négociations concernant la signature d'un nouveau contrat dans le cadre de la réorganisation de son réseau de distribution décidée par la société Renault;

Qu'elle n'a cependant saisi le juge des référés du Tribunal de commerce de Nanterre que le 2 septembre 2005 soit plusieurs mois après;

Que la survenance d'un événement prévu depuis plusieurs mois sans réaction de la société Promobile avant le 2 septembre 2005 soit à quelques jours du terme du préavis ne peut caractériser un tel dommage;

Qu'elle ne démontre pas, au surplus, contrairement à ce qu'elle affirme, que sa seule et unique activité consiste à assurer la distribution de produits et services de la marque Renault et que deux cents de ses salariés seraient exclusivement affectés à ces activités, l'intimée précisant pour sa part que l'appelante exerce également les activités de transporteur, location de commerce de véhicules d'occasion, mécanique, carrosserie ou de réparation en tous genres ou de vente de véhicules de transport en commun Otokar d'importation et de distribution des produits Elf, d'importation et de distribution de moyens de transport frigorifiques Thermo King, de distributeurs des matériaux d'isolation Armacel;

Que pas davantage établit-elle qu'au regard du droit suisse applicable au contrat, la poursuite des relations contractuelles entre les parties pourrait intervenir, en vertu d'une décision du tribunal arbitral actuellement saisi, la société Renault versant, CD revanche, aux débats un certificat de coutume selon lequel le juge suisse ne peut ni en référé ni au fond ordonner la poursuite et à plus forte raison la reprise d'une relation contractuelle éteinte;

Que quant au nouveau contrat qui serait consécutif à son agrément par la société Renault, il sera observé que la société Promobile a, certes, par lettre du 11 juillet 2005, confirmé sa candidature afin d'être agréée en tant que réparateur officiel et de distributeur de la marque mais ne produit aucun commencement de preuve de ce que cette procédure ait des chances d'aboutir rapidement;

Qu'en définitive, si la société Promobile avait été effectivement convaincue de l'existence du dommage imminent allégué, elle n'aurait pas attendu les derniers jours du mois de septembre 2004 pour désigner son arbitre, empêchant ainsi le tribunal arbitral, saisi par la société Renault depuis le 8 juillet 2005, de statuer dans les meilleurs délais;

Qu'il convient, dans ces conditions, les conditions d'application de l'article 873 alinéa 1 du nouveau Code de procédure civile n'étant pas réunies, de débouter la société Promobile de son appel et de confirmer l'ordonnance entreprise, par substitution de motifs, en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé;

Sur les autres demandes

Considérant que l'ordonnance déférée sera confirmée en ce qu'elle a alloué à la société Renault la somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Que l'équité appelle d'accorder à celle-ci une somme d'un même montant afin de compenser les frais hors dépens qu'elle a été tenue d'exposer en appel;

Que la société Promobile, qui succombe en ses principales prétendons sera déboutée de celle accessoire fondée sur ces mêmes dispositions.

Par ces motifs, Et ceux non contraires du premier juge, Statuant en audience publique, contradictoirement et en dernier ressort. Déboute la société Promobile de son appel, Confirme l'ordonnance du juge des référés du Tribunal de commerce de Nanterre du 22 septembre 2005, Y ajoutant. Condamne la société Promobile à payer à la société Renault la somme complémentaire de 3 000 euro (trois mille euro) sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Rejette toute autre demande, Condamne la société Promobile aux dépens, la SCP Debray Chemin, avoués, pouvant les recouvrer dans les conditions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.