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Décisions

CA Versailles, 4e ch., 18 décembre 1987, n° 4483-87

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Casagrande

Défendeur :

Etablissements Mardesson (Sté), Sani-Toiture (Sté), SMABTP (Sté), Tuilerie du Bourdonnais (Sté), Raynaud (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Fossereau

Conseillers :

M. Chaix, Mme Gassin

Avoués :

Me Delcaire, SCP Lambot-Merle

Avocats :

Mes Ride, Cénac

TGI Pontoise, 3e ch., du 4 mars 1987

4 mars 1987

En 1978, Jean-Louis Casagrande a fait construire un pavillon 18, sente des Thymusses à Saint Leu La Forêt. Il en a assumé la maîtrise d'œuvre et a ainsi commandé lui-même à la société Mardesson les tuiles nécessaires à la couverture ;

"Celle-ci a été exécutée de juillet à octobre 1978 par la société Sani-Toiture, avec les tuiles fournies par la société Mardesson qui provenaient d'une fabrication des Tuileries et Briqueteries du Bourdonnais

"Des désordres se sont manifestés en toiture dès l'hiver 1978/1979 et une expertise a été ordonnée sur référé le 28 novembre 1984. Désigné à cet effet, Monsieur Henry a conclu à un défaut de fabrication des tuiles, à l'exclusion de tout autre cause, imputant ainsi la responsabilité totale des désordres relevés en toiture des divers bâtiments de Jean-Louis Casagrande aux Tuilerie du Bourdonnais. Il a estimé le coût de la reprise nécessaire des travaux de couverture à 155 860 F hors taxe plus 2 033,50 F de frais d'analyse en laboratoire ;

"C' est dans ces conditions que Jean-Louis Casagrande a fait assigner devant le tribunal par exploits des 23 juillet, premier août, 17 décembre 1986 et 13 janvier 1987 :

1) Les établissements Mardesson,

2) La société Sani-Toiture,

3) La Tuilerie du Bourdonnais, plus Maître Raynaud, Syndic,

4) La SMABTP, assureur des Etablissements Mardesson

"Il a demandé que les établissements Mardesson soient déclarés responsables des désordres sur le fondement de l'article 1641 du Code civil et la Tuilerie sur le fondement de l'article 1382 du même Code, et qu'en conséquence, les Etablissements Mardesson, leur assureur la SMABTP soient condamnés soudainement à lui verser la somme de 178 251 F valeur avril 1985 en réparation de son préjudice, 20 000 F à titre de dommages et intérêts pour troubles de jouissance et 8 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, le tout avec bénéfice de l'exécution provisoire de la décision à intervenir, la société Tuilerie Briqueterie du Bourdonnais étant déclarée responsable à concurrence des mêmes sommes par suite de sa mise en liquidation le 17 décembre 1986 ;

En défense la société Sani-Toiture a fait valoir qu'aucune demande n'a été formulée contre elle et demande, en conséquence, sa mise hors de cause ;

La société Mardesson a soulevé l'irrecevabilité de la demande dirigée contre elle car l'assignation ne lui a pas été délivrée à bref délai à compter de la découverte du vice caché. Subsidiairement, au fond, elle soutient que le rapport d'expertise démontre qu'il y a mu vice de fabrication des tuiles et que seule la responsabilité de la Tuilerie peut être retenue, Elle a demandé à être mise hors de cause et, subsidiairement, elle demande à être garantie par la Tuilerie ;

La SMABTP a adopté les mêmes conclusions et soutient qu'en tout état de cause elle ne peut être tenue que dans les limites de la police souscrite et notamment de la franchise ;

Régulièrement assignés la société des Tuileries du Bourdonnais et son syndic Maître Raynaud n'ont pas constitué avocat. Le présent jugement étant susceptible d'appel sera donc réputé contradictoire ;

Par jugement du 4 mars 1987, le Tribunal de grande instance de Pontoise a mis hors de cause la société Sani-Toiture ;

Déclaré irrecevable comme tardive l'action introduite contre la société Mardesson mis en conséquence, hors de cause son assureur la SMABTP ;

Homologué le rapport de l'expert René Henry ;

A déclaré la SARL Tuileries et Briqueteries du Bourdonnais en liquidation de biens entièrement responsable du préjudice subi par Jean-Louis Casagrande du fait de sa fourniture de tuiles défectueuses, ledit préjudice devant être apprécie a 178 251 F, valeur avril 1986, au titre du coût de réfection des toitures, à 15 000 F au titre du trouble de jouissance, et à 2 500 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Renvoyé Jean-Louis Casagrande à produire entre les mains du syndic pour lesdites sommes

Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du présent jugement

Laissé les dépens à la charge de la SARL Tuilerie Briqueteries du Bourdonnais

Monsieur Casagrande a relevé appel à jour fixe de cette décision, Il fait valoir :

Que selon arrêts de l'Assemblée Plénière de la cour de cassation du 7 février 1986, "le Maître de l'ouvrage comme le sous-acquéreur, jouit de tous les droits et actions attachés à la chose qui appartenait à son auteur il dispose donc à cet effet, contre le fabricant d'une action contractuelle directe fondée sur la non conformité ; qu'il en ressort que tout propriétaire d'une chose qui trouve à s'en plaindre doit pouvoir agir par action contractuelle directe fondée sur la non-conformité ; Que ce droit étant attaché à la chose autorise l'actuel propriétaire à rechercher sur le même fondement, la responsabilité de tout fournisseur ; qu'eu égard au droit positif en la matière, Monsieur Casagrande dispose, en sa qualité de Maître de l'ouvrage des droits et actions attachés à la chose livrée les tuiles non conformes ; Que la société des Tuilerie du Bourdonnais fabricant ainsi que les établissements Mardesson qui ont livré un produit non conforme ont engagé leur responsabilité ; Que cette responsabilité est la responsabilité contractuelle de droit commun assortie de la prescription trentenaire. L'appelant demande d'infirmer la décision entreprise sauf en ce qu'elle a homologué le rapport d'expertise ; Et statuant à nouveau de déclarer responsables des désordres la société Mardesson, la société Sani-Toiture et la société Tuilerie du Bourdonnais, condamner en conséquence in solidumn la société Mardesson et son assureur la SMABTP ainsi que la société Sani-Toiture à réparer l'entier préjudice de Monsieur Casagrande à hauteur de 178 251 F (à parfaire en valeur au jour du règlement) au titre de la réfection des toitures et à 20 000 F au titre de la privation de jouissance ; constater la créance de Monsieur Casagrande contre la société Tuilerie du Bourdonnais et en voir fixer le montant aux sommes précitées ; condamner sous la même solidarité les sociétés Mardesson, SMABTP et Sani-Toiture à payer la somme de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Assigné à sa personne, Maître Raynaud es qualité de liquidateur de la société Tuilerie du Bourdonnais n'a pas constitué avoué,

L'arrêt sera réputé contradictoire ;

La société Mardesson, la société Sani-Toiture et la SMABTP soutiennent

En ce qui concerne Sani-Toiture, qu'en première instance, Monsieur Casagrande bien qu'ayant mis en cause cette entreprise, n'a formulé contre elle, aucune demande de condamnation sollicitant seulement que le jugement à intervenir lui soit déclaré opposable. Que les demandes formulées pour la première fois devant la Cour sont dès lors irrecevables en l'absence de toute évolution du litige démontrée ou même alléguée. Qu'au demeurant, Sani-Toiture n'a fourni qu'une prestation de Maître d'œuvre, puisque Monsieur Casagrande par ailleurs promoteur et agent immobilier, a acheté directement les tuiles mises en œuvre et les a fait livrer sur le chantier. Que Monsieur Casagrande est lui-même professionnel de la construction, qu'il assuré lui-même la maîtrise d'œuvre de la construction, qu'il s'est immiscé largement dans la réalisation des ouvrages puisqu'il a choisi et acheté les tuiles. En ce qui concerne Mardesson que Monsieur Casagrande lié directement à cette société par un contrat de vente, ne peut juridiquement fonder son action en responsabilité que sur les vices cachés dans le cadre des articles 1641 et suivants du Code civil. Qu'il s'est écoulé 7 à 8 années entre la première manifestation du vice, point de départ du "bref délai" selon la jurisprudence, et l'assignation au fond, premier acte interruptif. Que force est de constater que le bref délai n'a pas été respecté et que l'action est irrecevable. Que la SMABTP ne saurait être tenue que dans les limites des polices souscrites. Les intimés demandent de confirmer, le jugement du 4 mars 1987 en toutes ses dispositions, Déclarer irrecevables toutes demandes nouvellement formées devant la Cour. Constate en particulier que l'action n'a pas été intentée dans le bref délai prescrit par l'article 1648 du Code civil à l'égard de Mardesson. Dire subsidiairement, que Sani-Toiture, qui n'a pas fourni les matériaux litigieux et a formulé des réserves, n'a aucune responsabilité. Mettre les concluant hors de cause, la SMABTP ne pouvant en toute hypothèse être tenue que dans les limites des polices souscrites, Très subsidiairement, consacrer le principe et l'étendue de la responsabilité de la société la Tuilerie du Bourdonnais en liquidation judiciaire.

Sur ce, LA COUR,

Considérant que le pavillon ayant été construit en 1977 et le chantier ouvert avant le 1er janvier 1979 la loi du 4 janvier 1978 est inapplicable,

Considérant qu'il n'est pas contesté par les parties qu'aucune prétention n'a été formulée en première instance contre Sani-Toiture.

Considérant que la demande formée pour la première fois contre elle en appel est donc nouvelle et pourtant irrecevable ainsi que le soutient cette entreprise à juste titre,

Considérant que Monsieur Casagrande a acheté directement à la société Mardesson les tuiles qui en se délitant furent à l'origine des désordres de la toiture.

Considérant que le régime juridique de l'action de Monsieur Casagrande (acheteur ou maître d'ouvrage) contre les Tuileries fabricant d'origine est le même que celui de l'action dont il dispose contre son vendeur direct la société Mardesson.

Considérant que ce régime est celui de la responsabilité contractuelle trentenaire de droit commun s'il s'agit soit uniquement d'une non conformité au contrat (telle une qualité de tuiles différente de la commande) soit d'une non conformité au contrat à laquelle s'ajoute l'impropriété à l'usage auquel le matériau était contractuellement destiné (telle une qualité de tuile à la fois non conforme à la commande et non adaptée à la construction envisagée) ; (AP 7 février 1986) ;

Considérant que, sauf à transgresser ou à supprimer les règles de l'article 1648 du Code civil (et confondre vice caché de fabrication et défaut de conformité au contrat) ce régime est celui de l'action à bref délai ; lorsqu'il s'agit uniquement d'un vice caché, de fabrication, sans pour autant que le matériau soit autre (en sa nature, ses caractéristiques ou sa catégorie) que celui qui avait été commandé,

Considérant qu'en l'espèce il ressort de l'expertise que les tuiles, gélives comportaient un vice caché de fabrication bien que leur qualité et leur nature aient été celles commandées conformes au contrat ;

Considérant que l'action de Monsieur Casagrande contre la société Mardesson et contre les Tuileries du Bourdonnais pour vice caché des tuiles devait être intentée à bref délai.

Considérant que tel n'a pas été le cas puisque les premiers désordres (objet d'une réclamation écrite de Monsieur Casagrande) sont apparus dès 1979 ; qu'en 1981, Monsieur Casagrande avait été avisé de leur origine par Monsieur Guillemot expert amiable ; que ce n'est qu'en juillet 1986 qu'il a assigné au fond après ordonnance de référé en 1984 ;

Considérant que plusieurs années se sont donc écoulées sans que l'acheteur maître d'ouvrage agisse en justice.

Que son action doit être déclarée tardive à l'encontre de la société Mardesson, de même qu'à l'encontre des Tuileries (en faisant application de l'article 472 alinéa 2 du nouveau Code de procédure civile quant à ces dernières).

Considérant que l'action contre la SMABTP assureur des Etablissements Mardesson est dès lors sans objet.

Considérant que l'équité ne commande pas l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort, Confirme le jugement en ce qu'il a dit irrecevable comme tardive l'action de Monsieur Casagrande contre les Etablissement Mardesson. Le réformant pour le surplus ; Dit irrecevable comme nouvelle la demande de Monsieur Casagrande contre la société Sani-Toiture ; Dit irrecevable comme tardive la demande de Monsieur Casagrande contre les Tuileries du Bourdonnais ; Dit en conséquence sans objet la demande de Monsieur Casagrande contre la SMABTP ; Dit n'y avoir lieu d'appliquer l'article 700 du nouveau du Code de procédure civile ; Fait masse des dépens de première instance et d'appel qui seront supporté par Monsieur Casagrande et qui seront recouvrés directement par la SCP lambot-merle, titulaire d'un office d'avoué près la Cour d'Appel de Versailles, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.