CJCE, président, 26 septembre 1986, n° 231-86 R
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Ordonnance
PARTIES
Demandeur :
Association momentanée "Breda-Geomineraria" ; Spa Istituto Ricerche Breda ; Geomineraria Italiana SRL
Défendeur :
Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Avocat :
Me Spandre.
LA COUR,
1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 26 août 1986, l'Association momentanée "Breda-Geomineraria", composée de la SpA Istituto Ricerche Breda et de la SRL Geomineraria Italiana, a introduit, en vertu de l'article 173 du traité CEE, à titre principal, un recours en annulation de la décision de la Commission par laquelle celle-ci aurait refusé de reconnaître que les requérantes sont attributaires du marché faisant l'objet du projet n° 5.100-11-37-045 "recherches géologiques et minières - Mali-Ouest I - sous-projet cartographie géologique et minière", et, en vertu des articles 178 et 215 du traité CEE, à titre subsidiaire, un recours en responsabilité de la Commission pour comportement illégal et fautif de cette dernière qui refuserait de libérer les crédits programmés pour le projet en cause alors que les requérantes devraient être considérées comme attributaires de l'appel d'offres.
2. Par acte séparé, inscrit le même jour au greffe de la Cour, les requérantes ont introduit, en application des articles 185 et 186 du traité CEE, une demande visant à l'octroi de mesures provisoires consistant à :
"- ordonner à la Commission de s'abstenir de tout acte qui pourrait compromettre la situation de droit et de fait des requérantes et qui a fait l'objet du recours au fond auprès de la Cour de justice ;
- ordonner à la Commission de s'abstenir de poursuivre ses pressions illégitimes à l'égard du Mali pour empêcher ce dernier de signer avec les requérantes le contrat d'adjudication du marché faisant l'objet du projet n° 5.100-11-37-045 ;
- ordonner à la Commission de mettre les crédits prévus pour le projet en cause à la disposition du Mali ;
- ordonner à la Commission d'autoriser le Mali à contracter avec les requérantes, conformément aux articles 122, paragraphe 5, et 123, paragraphe 2, sous c), de la convention de Lomé II et de l'article du règlement de l'appel d'offres restreint relatif au marché en cause".
3. Les requérantes invoquent à l'appui de leur recours au principal le fait qu'elles ont été invitées à participer, le 19 juillet 1985, à un appel d'offres restreint lancé par la direction nationale de la géologie et des mines du Mali concernant un projet intitulé "recherches géologiques et minières - Mali-Ouest I - sous-projet cartographie géologique et minière" dont le financement était assuré par la Communauté économique européenne sur les ressources du cinquième fonds européen de développement et s'élevant à environ 3 500 000 écus. Les requérantes auraient présenté une offre rigoureusement conforme à l'appel d'offres et un complément contenant une proposition de certaines analyses supplémentaires, qui apparaîtraient opportunes, à celles indiquées dans l'appel d'offres. Entre autres soumissions se trouvait celle de la société allemande Klockner. Les différentes offres étaient examinées par une Commission de dépouillement, instituée par le gouvernement malien, qui a fait un rapport sous forme de compte rendu de réunion ayant eu lieu le vendredi 13 décembre 1985, à laquelle un représentant de la délégation de la Commission était présent en tant qu'observateur. Le rapport, daté du 12 novembre 1985, constate une nette supériorité du groupement Breda-Geomineraria en matière de compétence pour l'exécution du projet. Ce rapport a été communiqué au délégué de la Commission, le 2 janvier 1986, par le directeur du cabinet du ministère d'Etat chargé du développement industriel et du tourisme. Cette lettre a été suivie par une deuxième lettre, du 29 janvier 1986, par laquelle le directeur du cabinet informe le délégué de la Commission d'une deuxième réunion des sociétés Breda et Klockner, qui fait état d'une différence entre les méthodes techniques envisagées pour les recherches en question. La Commission technique d'évaluation aurait estimé l'offre de Breda nettement avantageuse tant sur le plan technique que financier.
4. Il en a suivi une série de communications entre la Commission et le Gouvernement du Mali, d'où il ressort une différence d'opinion sur les mérites des deux offres en question. La Commission a considéré que l'offre de Klockner était la moins-disante et techniquement tout aussi valable que l'offre de Breda, tandis que le Gouvernement du Mali a considéré que la méthode proposée par Klockner n'était pas conforme aux termes de référence et ne couvrait que l'analyse de 10 100 échantillons au lieu de 40 500 préconisés par le dossier d'appel d'offres. Jusqu'à ce jour, il ne semble pas que le Gouvernement du Mali et la Commission se soient mis d'accord sur l'attribution du marché en question.
5. Les requérantes estiment qu'elles doivent être considérées comme les adjudicataires de l'appel d'offres au sein du marché en cause soit en vertu de l'article 122, paragraphe 5, de la deuxième convention de Lomé, du 31 octobre 1979, soit en vertu de l'article 123, paragraphe 2, sous c), de cette même convention.
6. Sur le premier moyen, les requérantes font valoir que la proposition d'attribution du marché en cause a été notifiée aux délégués de la Commission au Mali le 2 janvier 1986. La Commission n'aurait réagi à cette notification que le 14 février 1986. Or, d'après l'article 122, paragraphe 5, précité, les décisions prises par l'ordonnateur national sont réputées approuvées par la Commission dans un délai de trente jours à compter de leur notification au délégué pour les marchés inférieurs à 3,5 millions d'écus et, d'une façon générale, pour tous les marchés faisant l'objet d'une procédure accélérée. Le marché en cause ferait partie de cette catégorie.
7. Selon les requérantes, l'article 122, paragraphe 5, de la convention instituerait une présomption irréfragable d'approbation de la proposition d'attribution du marché.
8. En ce qui concerne le deuxième moyen, même si la Cour estimait que l'article 122, paragraphe 5, n'avait pas les effets allégués, les requérantes soutiennent que la Commission aurait commis une voie de fait fautive en n'approuvant pas la proposition d'attribution de marché conformément à l'article 123, paragraphe 2, sous c), de la convention précitée, puisque cette offre était la moins-disante, ne dépassait pas les crédits affectés au marché en cause et constituait l'offre économiquement la plus avantageuse, conformément à l'article 130, paragraphe 1, de la convention de Lomé. Les requérantes avancent leurs arguments à l'appui de ces différents points.
9. En ce qui concerne le préjudice que subissent les requérantes, elles soutiennent que la décision d'attribution de marché doit être prise d'urgence pour que les travaux puissent débuter dès la saison sèche, qui commence au mois de septembre. Les travaux seraient impossibles à réaliser pendant la saison des pluies qui débute vers le mois de mai. Si les requérantes devaient attendre l'issue du litige au fond, elles seraient dans l'obligation de licencier le personnel spécialement destiné à mener à bien le projet en cause. Six personnes hautement spécialisées auraient été immobilisées provisoirement et attendraient que le marché soit attribué aux requérantes. Elles ne pourraient pas se permettre d'attendre plusieurs mois sans que ce personnel soit utilisé. Le licenciement de ce personnel spécialisé rendrait impossible ou fort improbable le maintien de l'offre actuelle, étant donné que ce personnel serait engagé dans d'autres projets ou dans d'autres sociétés.
10. La Commission, dans ses observations, fait état d'une erreur qui aurait été commise, selon elle, par les requérantes. Elle fait valoir que le marché en question est un marché de services qui est donc régi, en attendant une décision arrêtée par le Conseil des ministres ACP-CEE, en exécution de l'article 142 de la convention de Lomé II, par les articles 24 à 27 du protocole n° 2 de la convention de Lomé I. Selon l'article 24, paragraphe 2, le contrat est attribué à celui des candidats qui a remis l'offre jugée économiquement la plus avantageuse par la Commission et l'état ACP intéressé. La Commission relève, également, que les lettres du directeur du cabinet du ministre d'Etat chargé du développement industriel et du tourisme malien ne constituent pas une notification d'une décision prise par l'ordonnateur national au sens de l'article 122, paragraphe 5, de la convention de Lomé II ni une proposition d'attribution du marché établie par l'ordonnateur national au sens de l'article 123, paragraphe 2, sous c), de la même convention, l'ordonnateur national n'étant pas le ministre d'Etat chargé du développement industriel et du tourisme, mais le ministre des Affaires Etrangères et de la Coopération Internationale.
11. La Commission relève, en outre, l'irrecevabilité du recours en annulation introduit à titre principal. Il n'existerait pas, en effet, d'acte qui puisse être annulé. L'échange de correspondance entre l'Etat malien et la Commission ne serait que le stade de négociations techniques entre les deux parties. Selon la jurisprudence de la Cour, pour qu'il y ait décision qui puisse être annulée, il faudrait que l'acte en cause émané de l'organe compétent, soit destiné à produire des effets juridiques, constitue le terme ultime de la procédure interne audit organe, et par lequel celui-ci statue définitivement, dans une forme permettant d'en identifier la nature. Le télex des services de la Commission, du 12 février 1986, ne présenterait aucune de ces caractéristiques.
12. En ce qui concerne le recours en responsabilité introduit, à titre subsidiaire, par les requérantes, la Commission estime que les circonstances de fait et de droit permettant d'établir sa responsabilité prima facie ne sont pas présentes.
13. En outre, la Commission conteste l'urgence, étant donné que c'était à leurs risques et périls que les requérantes auraient engagé du personnel pour mener à bien le projet avant d'être définitivement reconnues comme attributaires du marché.
14. Les mesures demandées auraient, en outre, des conséquences irréversibles et le fait de les ordonner préjugerait gravement de la décision au fond. Le fait d'ordonner de verser les crédits au Mali et d'autoriser celui-ci à conclure avec les requérantes n'aurait rien de provisoire, mais serait, au contraire, une mesure définitive, à savoir l'attribution du marché aux requérantes.
15. Une audience a eu lieu devant le président de la Cour le 25 septembre 1986, lors de laquelle les parties requérantes ont eu l'occasion d'exposer oralement leurs arguments. La Commission était également représentée, mais le président n'a pas estimé nécessaire d'entendre ses observations et a annoncé, à la fin de l'audience, que la demande serait rejetée et que les motifs seraient communiqués aux parties le plus tôt possible.
16. Il ressort d'une jurisprudence constante de la Cour que des mesures provisoires ne sauraient être prises en considération que si les circonstances de fait et de droits invoqués pour les obtenir justifient, à première vue, leur octroi. Il faut, en outre, qu'elles soient urgentes en ce sens qu'il est nécessaire qu'elles soient édictées et sortent leurs effets dès avant la décision du juge sur le fond pour éviter que la partie qui les sollicite ne subisse un préjudice grave et irréparable. Il faut, enfin, qu'elles soient provisoires en ce sens qu'elles ne préjugent pas la décision au fond.
17. La demande en référé doit être rejetée pour deux raisons. En premier lieu, il est évident que le recours au principal est prématuré et irrecevable, en l'absence d'une décision attaquable. Il n'est pas nécessaire d'exprimer un avis sur la question de savoir si le marché en cause est gouverné par les articles 120 à 124 de la convention de Lomé II, ou par son article 142 et les articles 24 à 27 du protocole n° 2 de la convention de Lomé I. Il est clair que le Gouvernement du Mali, même s'il a exprimé une préférence pour les requérantes à un certain moment, n'a pas encore attribué le marché, et il n'existe pas non plus de décision conjointe de l'Etat malien et de la Commission. Dans cet état des choses, il n'y a effectivement rien que la Cour puisse annuler, ni encore de préjudice certain de nature à engager la responsabilité de la Commission, même s'il existait des preuves d'une faute de sa part.
18. En deuxième lieu, il est tout à fait patent que les mesures demandées à la Cour dépassent de loin les mesures provisoires qui peuvent être envisagées dans le cadre d'un référé. Ce que les requérantes demandent, en fait, est une ordonnance à la Commission de faire tout ce qui est nécessaire pour que le contrat soit signé avec elles. Du point de vue des requérantes, si une telle mesure était adoptée, l'action au principal perdrait toute raison d'être, parce qu'elles auraient gagné ce qu'elles cherchaient par son recours en annulation et son recours en responsabilité. Le fait d'adopter de telles mesures préjugerait ainsi la décision au fond.
Par ces motifs,
LE PRESIDENT,
Statuant au provisoire,
Ordonne :
1) Le recours est rejeté.
2) Les dépens sont réservés.