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Décisions

CJCE, 25 septembre 1979, n° 232-78

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des Communautés européennes

Défendeur :

République française

CJCE n° 232-78

25 septembre 1979

LA COUR,

1. Par requête déposée au greffe le 25 octobre 1978, la Commission a saisi la Cour, en vertu de l'article 169 du traité CEE, d'un recours visant à faire constater que "la République française, en continuant d'appliquer après le 1er janvier 1978 son régime restrictif national à l'importation de viande ovine en provenance du Royaume-Uni, a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 12 ainsi que de l'article 30 du traité CEE". Pour sa défense, le Gouvernement français a fait valoir essentiellement qu'il serait en droit, en vertu de l'article 60, paragraphe 2, de l'acte d'adhésion, de maintenir les restrictions à l'importation visées aussi longtemps que la viande ovine ne relève pas d'une organisation commune des marchés.

2. Invoquant l'arrêt rendu par la Cour le 29 mars 1979 (affaire n° 231-78, Commission/Royaume-Uni), en cours de procédure, la Commission a modifié ses conclusions à l'audience et a demandé à la Cour, compte tenu de la conception qui serait à la base de l'arrêt, de constater que le régime national à l'importation de viande ovine maintenu par les autorités françaises était incompatible avec les articles 12 et 30 du traité CEE, par certains de ses aspects, dès le 1er juillet 1977, par d'autres, dès le 1er janvier 1975, et, par d'autres enfin, dès la date d'adhésion. Selon la Commission, il résulterait de l'arrêt précité que seuls les nouveaux Etats membres étaient en droit de se prévaloir des dispositions de l'article 60, paragraphe 2, de l'acte d'adhésion et que, par conséquent, pour les Etats membres originaires, c'est en fonction des dates fixées aux articles 35, 36 et 42 de l'acte d'adhésion qu'il y aurait lieu d'apprécier la conformité avec le traité de restrictions à l'importation applicables aux produits en provenance d'un nouvel Etat membre.

3. Les nouvelles conclusions présentées par la Commission à l'audience sont irrecevables en tant qu'elles sont contraires aux prescriptions de l'article 38 du règlement de procédure. Aux termes de cette disposition, les parties ont l'obligation de définir l'objet du litige dans l'acte introductif d'instance. Même si l'article 42 du règlement de procédure permet, sous certaines conditions, la production de moyens nouveaux, une partie ne peut en cours d'instance modifier l'objet même du litige. Il en découle que le bien-fondé du recours doit être examiné uniquement au regard des conclusions contenues dans la requête introductive d'instance, c'est-à-dire concernant la période postérieure au 1er janvier 1978.

4. Il résulte des motifs qui sont à la base de l'arrêt du 29 mars 1979, cité ci-dessus, que l'article 60, paragraphe 2, de l'acte d'adhésion a épuisé ses effets à la fin de l'année 1977. Cette disposition n'est donc pas d'application pour la période pour laquelle la Commission a demandé de constater le manquement de la République française. Elle doit, donc, rester hors de considération pour la solution du présent litige. Celui-ci doit être décidé sur base des seules dispositions du traité CEE, à savoir les articles 12 et 30. Les arguments tirés par le Gouvernement français de l'acte d'adhésion doivent dès lors être écartés de l'examen du litige.

Sur le fond

5. Il est constant que les importations de viande ovine en France sont soumises à un régime restrictif à l'importation reposant sur un "prix de seuil", lequel est protégé par un système d'interdiction d'importation et de "reversements". Les importations de viande ovine en France ne sont autorisées que lorsqu'une certaine cotation de référence en France atteint ou dépasse le niveau du prix de seuil. En outre, un "reversement" dont le montant varie en fonction de la cotation nationale de référence du mouton sur le marché français est perçu sur les importations d'animaux vivants de boucherie et de carcasses de viande ovine fraîches ou réfrigérées.

6. Le Gouvernement français ne conteste pas le fait que ce régime est contraire aux dispositions du traité relatives à la suppression des obstacles à la libre circulation des marchandises à l'intérieur de la communauté. Toutefois, en vue de justifier le maintien de ce régime et son application aux importations de viande ovine en provenance du Royaume-Uni, il fait valoir, en substance, trois arguments. En premier lieu, il met en avant les conséquences économiques et sociales graves d'un démantèlement de l'organisation nationale de marché pour l'économie de certaines régions économiquement défavorisées, pour lesquelles l'élevage ovin constitue une ressource importante. En second lieu, il attire l'attention sur l'état d'avancement des travaux en vue de l'instauration d'une organisation commune de marché de la viande ovine, en soulignant l'effet néfaste de l'intercalation d'une phase de libre-échange entre la suppression de l'organisation nationale et le remplacement de celle-ci par une organisation commune. Enfin, il fait valoir l'inégalité concurrentielle qui résulterait du fait qu'il serait obligé de supprimer sa propre organisation de marché, alors qu'en Grande-Bretagne subsisterait intacte, dans le secteur considéré, une organisation nationale fondée sur le système des "deficiency payments", dont l'effet serait de subventionner des exportations de viande ovine vers la France.

7. Sans méconnaître la réalité des problèmes auxquels les autorités françaises doivent faire face dans le secteur considéré et l'intérêt qu'il y aurait à aboutir à la mise en place, dans les délais les plus brefs, d'une organisation commune de marché pour la viande ovine, la Cour doit rappeler, ainsi qu'elle l'a déjà souligné dans ses arrêts du 2 décembre 1974 (affaire n° 48-74, Charmasson, Rec. p. 1383) et du 29 mars 1979, cités ci-dessus, qu'après l'expiration de la période de transition du traité CEE et, en ce qui concerne les nouveaux Etats membres, l'expiration des délais de transition spécifiquement prévus par l'acte d'adhésion, le fonctionnement d'une organisation nationale du marché ne saurait plus faire obstacle au plein effet des dispositions du traité relatives à l'élimination des restrictions aux échanges intracommunautaires, les exigences des marchés concernés étant désormais prises en charge par les institutions communautaires. L'expiration des délais de transition implique, donc, que les matières et domaines attribués explicitement à la communauté relèvent de la compétence communautaire, de sorte que, s'il est encore nécessaire de recourir à des mesures particulières, celles-ci ne pourront plus être décidées unilatéralement par les Etats membres concernés, mais doivent être adoptées dans le cadre de l'ordre communautaire, destiné, à garantir que l'intérêt général de la communauté soit sauvegardé.

8. Il appartient dès lors aux institutions compétentes et à elles seules de prendre dans les délais appropriés les mesures nécessaires en vue de trouver, dans un cadre communautaire, une solution d'ensemble au problème du marché de la viande ovine et aux difficultés particulières qui se présentent à ce sujet dans certaines régions. Le fait que ces travaux n'aient pas encore abouti ne constitue pas, cependant, une raison suffisante, pour un Etat membre, de maintenir une organisation nationale de marché comportant des caractéristiques incompatibles avec les exigences du traité relatives à la libre circulation des marchandises, telles que les restrictions à l'importation et la perception de redevances sur les produits importés, sous quelque dénomination que ce soit.

9. La République française ne saurait justifier l'existence d'un tel régime par la considération que, pour sa part, le Royaume-Uni aurait maintenu une organisation nationale de marché pour le même secteur. Si la République française estimait que ce régime comporte des éléments incompatibles avec le droit communautaire, elle aurait la possibilité d'agir, soit au sein du Conseil, soit par l'intermédiaire de la Commission, soit enfin dans le cadre des recours juridictionnels en vue d'obtenir l'élimination de ces incompatibilités. En aucun cas, un Etat membre ne saurait s'autoriser à prendre, unilatéralement, des mesures correctives ou des mesures de défense, destinées à obvier à une méconnaissance éventuelle, par un autre Etat membre, des règles du traité.

10. Il convient donc de conclure que l'organisation nationale de marché de la viande ovine maintenue par les autorités françaises est incompatible avec le traité en ce qu'elle comporte la détermination d'un prix de seuil protégé par un système d'interdiction d'importation et la perception d'une redevance à l'importation de viande ovine en provenance d'un autre Etat membre. Il convient de souligner que cette constatation n'empêche pas les autorités françaises de prendre, en faveur du secteur concerné, en attendant la mise en place d'une organisation commune de marché, toute mesure d'aide dont les caractéristiques seraient compatibles avec les dispositions du traité.

11. Il s'ensuit qu'en continuant d'appliquer après le 1er janvier 1978 son régime restrictif national à l'importation de viande ovine en provenance du Royaume-Uni, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 12 et 30 du traité CEE.

12. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La partie défenderesse ayant succombé dans ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR

Déclare et arrête :

1) En continuant d'appliquer après le 1er janvier 1978 son régime restrictif national à l'importation de viande ovine en provenance du Royaume-Uni, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 12 et 30 du traité CEE.

2) La défenderesse est condamnée aux dépens.