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Décisions

CA Montpellier, 1re ch. B, 4 septembre 1996, n° 94-0002994

MONTPELLIER

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Concorde (SA)

Défendeur :

GAEC de Pujol Louis et Fils, Bouchonneries de Provence (SA), Mutuelles du Mans Assurances IARD (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Guichard

Conseillers :

M. Armingaud, Mme Minini

Avoués :

SCP Touzery-Cottalorda, SCP Argellies, SCP Estival-Divisia

Avocats :

Mes Bellaiche, Richer, Melmoux

TGI Carcassonne, du 17 févr. 1994

17 février 1994

Les faits

Le GAEC de Pujol Louis et Fils est propriétaire d'une exploitation viticole à Saint-Frichoux dans l'Aude et commercialise ses récoltes. Pour assurer les opérations d'embouteillage de la récolte 1987, le GAEC a commandé en février 1988 17 000 bouchons de liège auprès de la SA Les Bouchonneries de Provence. Les livraisons ont été réalisées entre février et août 1988. Le GAEC a assuré l'embouteillage de 15 800 bouteilles de vin AOC Minervois rosé et rouge en février et septembre 1988 et a procédé à la commercialisation du vin.

Fin octobre 1989, le GAEC, informé par plusieurs acheteurs de la mauvaise qualité du vin (goût de bouchon) et de défectuosités concernant la fermeture de certaines bouteilles (bouteilles suinteuses et couleuses) a signalé ces faits à la SA Les Bouchonneries de Provence qui a dès le 20 décembre 1989 effectué une déclaration de sinistre auprès de son assureur Les Mutuelles du Mans. Des expertises amiables ont été réalisées en novembre 1989, janvier et mai 1990 par le Laboratoire d'Oenologie de Suz-La-Rousse (26790) et le Laboratoire Dubernet de Narbonne. En l'état des conclusions expertales ne mettant pas formellement en cause la qualité des bouchons comme étant directement à l'origine des défectuosités signalées par les consommateurs, Les Mutuelles du Mans ont refusé selon le courrier en date du 26 décembre 1989 de prendre en charge toutes réparations du préjudice subi par le GAEC. Par la suite, cet assureur a invoqué sa non-garantie dès lors que le contrat de responsabilité civile professionnelle souscrit par la SA Les Bouchonneries de Provence avait pris effet seulement le 8 octobre 1988 sans reprise du passé, alors que le sinistre avait une origine antérieure.

Le GAEC et la SA Les Bouchonneries de Provence ont alors tenté une conciliation entre février 1990 et février 1991. N'ayant obtenu aucun résultat, le GAEC a effectué le 27 mars 1991 une déclaration de sinistre auprès de la SA La Concorde, premier assureur de la SA Les Bouchonneries de Provence. Invoquant la résiliation du contrat le 8 octobre 1988, la SA La Concorde a refusé sa garantie après avoir fait valoir que le sinistre avait été déclaré postérieurement à cette date. De nouveaux pourparlers se sont poursuivis entre le GAEC, la SA Les Bouchonneries de Provence et ses assureurs mais sans aucun succès.

La procédure

Sur assignation en référé en date du 4 juin 1992, le GAEC de Pujol a obtenu le 9 juillet 1992 la désignation de Monsieur André Bernard en qualité d'expert. Celui-ci a déposé le 25 février 1993 un rapport par lequel il a précisé :

- que les opérations d'embouteillage avaient été effectuées dans de bonnes conditions et n'étaient pas à l'origine des défectuosités affectant la fermeture des bouteilles et la qualité du vin,

- que par contre les bouchons utilisés étaient de mauvaise qualité s'agissant de bouchons " bas de gamme " avec un colmatage très important des défauts naturels du liège initial,

- que cette mauvaise qualité était à l'origine des bouteilles " couleuses " et " suinteuses " et des goûts de bouchon.

Le GAEC de Pujol a donc attrait les 15 et 19 avril 1993 et 3 mai 1993 la SA Les Bouchonneries de Provence et ses deux assureurs Les Mutuelles du Mans et La Concorde devant le Tribunal de grande instance de Carcassonne afin d'obtenir que le fournisseur des bouchons soit déclaré responsable du sinistre et condamné solidairement avec l'un ou l'autre de ses assureurs au paiement de la somme de 98 798 F représentant l'indemnisation des préjudices subis et déterminés dans le cadre des opérations d'expertise outre les sommes de 10 000,00 F à titre de dommages-intérêts complémentaires et de 10 000 F au titre des frais non taxables exposés.

Devant le Tribunal de grande instance de Carcassonne, la SA Les Bouchonneries de Provence n'a pas comparu. Les Mutuelles du Mans ont refusé leur garantie en invoquant la souscription par le fournisseur des bouchons d'un contrat postérieurement au fait dommageable sans reprise du passé. La SA Concorde a refusé sa garantie en invoquant la résiliation du contrat souscrit avec le fournisseur des bouchons avant la déclaration de sinistre. Cet assureur a également contesté la recevabilité de l'action engagée sans respect du bref délai imposé par l'article 1648 du Code civil ainsi que l'existence du vice caché et la régularité des opérations expertales.

Par jugement en date du 17 février 1994, le Tribunal de grande instance de Carcassonne a :

- débouté le GAEC de Pujol de ses demandes dirigées contre Les Mutuelles du Mans,

- déclaré le GAEC bien fondé en son action en garantie des vices cachés dirigée contre la SA Les Bouchonneries de Provence,

- dit la Compagnie La Concorde tenue de garantir son assurée pour le sinistre litigieux,

- rejeté toutes les fins de non-recevoir et les nullités soulevées par la SA La Concorde,

- condamné en conséquence la SA Les Bouchonneries de Provence et la Compagnie La Concorde à payer au GAEC de Pujol les sommes de 94 359 F au titre du préjudice et de 10 000 F au titre des frais non taxables exposés outre les entiers dépens comprenant les frais de référé et d'expertise,

- rejeté la demande complémentaire en paiement de dommages-intérêts.

La SA La Concorde a relevé appel à l'encontre de cette décision. Elle demande à la cour de dire que sa garantie ne peut être acquise puisque la réclamation formulée par GAEC est postérieure à la résiliation du contrat et alors que celui-ci ne garantit les sinistres que pour autant qu'ils aient fait l'objet d'une réclamation pendant la durée des périodes de garantie. Subsidiairement, elle fait valoir :

- l'irrecevabilité de l'action engagée par le GAEC qui n'a pas respecté le bref délai prévu à l'article 1648 du Code civil,

- la nullité du rapport d'expertise qui ne respecte pas le principe de la contradiction,

- l'inexistence d'un vice caché,

- l'absence de preuve du préjudice qu'il convient au moins de ramener dans de plus justes proportions.

Enfin, la SA La Concorde sollicite l'indemnisation de ses frais non taxables à la somme de 8 000 F outre la condamnation de tous succombant aux entiers dépens.

Le GAEC de Pujol, adoptant la motivation du premier juge et réfutant l'argumentation développée par la compagnie d'assurance a conclu à la confirmation du jugement et à la condamnation de l'appelante au paiement des sommes complémentaires de 50 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et de 10 000 F au titre des frais non taxables exposés en cause d'appel.

Les Mutuelles du Mans ont également conclu à la confirmation de la décision déférée les ayant mis hors de cause et à la condamnation de la SA La Concorde et du GAEC de PUJOL au paiement de la somme de 10 000,00 F au titre des frais irrépétibles exposés.

La SA Les Bouchonneries de Provence régulièrement assigné à la personne de son représentant légal selon exploit d'huissier en date du 23 septembre 1994 n'a pas constitué avoué.

La cour statue donc par arrêt réputé contradictoire.

SUR CE, MOTIFS DE LA DECISION

1°) Sur la recevabilité de l'action engagée

Vu les dispositions des articles 1641 à 1648 du Code civil

Le premier juge a justement rappelé que le délai prévu par l'article 1648 ne court que du jour de la découverte du vice par l'acheteur et qu'il convient en outre d'apprécier la durée en fonction de la nature du vice et des circonstances de la cause. Dans le cas présent il résulte de l'exposé des faits que le GAEC de Pujol a agi avec diligence à partir du moment où il a été informé des premières manifestations des consommateurs critiquant la qualité du vin acquis en signalant dès le 31 octobre 1989 à son fournisseur de bouchons les défectuosités susceptibles d'affecter les bouchons livrés et utilisés lors des opérations d'embouteillage.

Toutefois, il convient de relever que les premières expertises amiables effectuées par les Laboratoires de Suze-La-Rousse et Dubernet ne permettaient pas la mise en cause directe et exclusive des bouchons. Par ailleurs, il est constant que le GAEC de Pujol et la SA Les Bouchonneries de Provence ont tenté pendant de nombreux mois de trouver un accord en vue de permettre l'indemnisation du préjudice subi se heurtant finalement aux refus de garantie successivement opposés par les assureurs du fournisseur pour des motifs ayant essentiellement trait à la date de survenance du sinistre par rapport aux dates de souscription des contrats et de déclaration du sinistre.

En conséquence, l'introduction de l'action par l'assignation en référé suivie immédiatement après le dépôt du rapport d'expertise de l'assignation au fond devant la juridiction civile, respecte le bref délai imposé par la loi. La cour confirme donc de ce chef la décision déférée.

2°) Sur le bien-fondé de l'action en garantie des défauts de la chose vendue

L'existence de défectuosités affectant les bouchons a été mise en évidence dès les premières investigations effectuées par le Laboratoire Dubernet mais surtout par les travaux réalisés par l'expert Bernard. A cet effet, la SA La Concorde élève à torts des critiques concernant la régularité des opérations d'expertise. Or, il résulte de la lecture du rapport que cette compagnie d'assurance a régulièrement été appelée à participer dès le début des opérations aux divers accédit et constatations effectuées notamment le 22 octobre 1992 et est intervenue en étant assistée par son conseil. L'expert a par ailleurs souligné que tous les documents demandés par cette compagnie lui avaient été remis ce qui lui avait permis d'assurer la défense de ses propres intérêts dès le 23 octobre 1992. Enfin, l'expert a souligné l'absence de toute remarque faite par cet assureur malgré l'invitation faite avant le dépôt du rapport (lettre en date du 8 janvier 1993).

En ce qui concerne le bien-fondé des défectuosités affectant les bouchons, l'expert Bernard a longuement analysé les conditions d'embouteillage ainsi que les bouteilles de vin retournées par les consommateurs au GAEC et a conclu à l'existence de graves défauts concernant les bouchons utilisés, ceux-ci étant à l'origine exclusive de la mauvaise qualité du vin et de l'absence d'herméticité des bouteilles. Ces constatations, au demeurant non critiquées par la SA Les Bouchonneries de Provence, permettent de retenir la responsabilité de ce fournisseur.

3°) Sur la garantie de la SA La Concorde au titre du contrat souscrit par la SA Les Bouchonneries de Provence.

La SA La Concorde refuse sa garantie en invoquant le bénéfice de la clause de "réclamation de la victime" insérée dans le contrat souscrit par la SA Les Bouchonneries de Provence et résilié le 8 octobre 1988. Selon cette clause, le dommage doit toujours être réalisé entre la prise d'effet et la résiliation du contrat pour être garanti mais en outre, la réclamation de la victime doit aussi s'être manifestée avant la résiliation. Or, dans le cas présent, la manifestation du GAEC de Pujol est postérieure à la résiliation intervenue.

Cette interprétation de la garantie doit être écartée.

En effet, cette clause est nulle et de nul effet car elle porte atteinte à la définition même du critère de réalisation du dommage et aux droits de la victime (nullité reconnue par la Cour de cassation dans plusieurs arrêts rendus le 19 décembre 1990). Il est en effet constant que c'est la réalisation du dommage donc " le fait dommageable " qui fait naître la dette de responsabilité de l'assuré et la garantie de l'assureur en assurance de responsabilité et que celle-ci doit se situer pendant la période de validité du contrat. Mais ceci est vrai non seulement lorsque le fait dommageable résulte à l'évidence d'un événement soudain mais même lorsque les effets diffus du fait dommageable créent une période de latence au terme de laquelle la manifestation du dommage suscitera la réclamation différée de la victime. Par ailleurs, le maintien d'une telle clause risquerait de priver l'assurance de presque toute efficacité au détriment de l'assuré et de la victime lorsque le contrat garantit les responsabilités encourues à propos de dommages qui se révèlent assez longtemps après le fait dommageable initial.

En conséquence, c'est en faisant une juste application des règles de droit que le premier juge a dit que la SA La Concorde devait sa garantie à son assurée, la SA Les Bouchonneries de Provence, après avoir constaté que celle-ci avait régulièrement versé les primes pour la période se situant entre la prise d'effet du contrat d'assurance et sa résiliation, ce qui avait pour contrepartie nécessaire la garantie des dommages trouvant leur origine dans les opérations d'embouteillages ayant eu lieu pendant cette période, le caractère tardif de la réclamation du GAEC étant sans effet sur le maintien de la garantie pour la durée de la responsabilité pesant sur la personne assurée. Le jugement est donc confirmé de ce chef.

4°) Sur le montant de l'indemnisation

L'expert Bernard a analysé les préjudices divers invoqués par le GAEC de Pujol sans encourir aucune critique de la part de la Compagnie La Concorde durant les opérations d'expertise et après dépôt du rapport. Devant les juridictions tant de première instance que d'appel, la SA La Concorde conteste toute forme de trouble apporté à l'exploitation viticole alors qu'à l'évidence les défaillances relatives à l'étanchéité de nombreuses bouteilles ont occasionné un préjudice au niveau commercial et financier.

L'expert a tout d'abord constaté l'existence d'un préjudice par suite des invendus et il a fixé très précisément celui-ci à la somme de 54 907 F après avoir relevé l'impossibilité d'atténuer cette perte par récupération des vins.

L'expert a en outre calculé le préjudice financier en limitant celui-ci dans le temps et en prenant comme référence le coût du financement des stocks à long terme tel qu'il est pratiqué par les banques. Cette évaluation justifiée doit être approuvée.

Enfin, l'expert, reprenant les éléments d'appréciation déjà engagés lors de l'expertise amiable, a estimé qu'une somme de 20 000 F pouvait assurer la réparation du préjudice commercial réparant la mauvaise image de l'entreprise, la perte de clientèle et la nécessité de recourir à des nouvelles prospections pour rechercher de nouveaux clients. Ces constatations sont parfaitement pertinentes et la cour confirme le jugement déféré en ce qu'il a fait droit à cette réclamation au demeurant tout à fait modeste.

5°) Sur les autres demandes

La cour écarte la demande complémentaire en paiement de dommages-intérêts présentée par le GAEC de Pujol sans justification et alors que l'appel formalisé n'a pas revêtu de caractère abusif.

Par contre, la cour fait droit à sa réclamation au titre des frais non taxables exposés en appel tout en la limitant à la somme de 8 000 F.

La cour écarte par contre la même réclamation présentée par Les Mutuelles du Mans.

Vu l'article 696 du nouveau Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et par décision réputée contradictoire. Reçoit l'appel en la forme. Confirme le jugement rendu le 17 février 1994 par le Tribunal de grande instance de Carcassonne. Condamne la SA La Concorde à payer au GAEC de Pujol Louis et Fils la somme complémentaire de huit mille francs (8 000 F) au titre des frais non taxables exposés en appel. Déboute les parties du surplus de leurs demandes. Condamne la SA La Concorde aux entiers dépens et autorise les avoués de la cause à recouvrer directement ceux exposés en appel conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.