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Décisions

CA Pau, 1re ch., 8 mars 1990, n° 987-89

PAU

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Leclerc (ès qual.)

Défendeur :

UCB (Sté) ; Cie française d'épargne et de crédit (SA) ; Torres (Epoux)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Simonin (faisant fonction)

Conseillers :

MM. Larque, Lacroix

Avoués :

SCP Rodon, Me Galinon

Avocats :

Me Laparade, Madar

TGI Pau, du 12 janv. 1989

12 janvier 1989

L'Union de Crédit pour le Bâtiment (UCB) et la Compagnie Française d'épargne et de crédit (CFEC) ont, suivant acte reçu par Maître Cabarrouy, notaire associé à Navarrenx, le 09 mars 1979, consenti une ouverture de crédit à Jacques Torres et à son épouse Elise Laude.

Madame Torres a été déclaré en liquidation par jugement du Tribunal de commerce de Pau, en date du 3 février 1988. Maître Leclerc étant nommé liquidateur.

L'UCB et la CFEC ont, le 15 février 1988 déclaré à titre provisoire une créance de 300 000 F entre les mains du mandataire liquidateur.

Par acte du 16 mars 1988, elles ont délivré à Jacques Torres et son épouse un commandement aux fins de saisie immobilière en vertu de la grosse de l'acte susmentionné, faisant état d'une créance en principal de 174 062,18 F.

Ce commandement a été dénoncé à Maître Leclerc suivant acte du 31 mars 1988.

Par exploit du 22 avril 1988, les époux Torres ont formé opposition à ce commandement et ont assigné l'UCB et la CFEC devant le Tribunal de grande instance de Pau pour voir déclarer cet acte nul et de nul effet.

Maître Leclerc est intervenu à l'instance, es qualité de mandataire liquidateur, aux fins de régularisation de la procédure.

Aux termes d'un jugement en date du 12 janvier 1989, le tribunal a :

- déclaré recevable l'opposition formée par Jacques Torres et Elise Torres représentée par Maître Leclerc, es qualité au commandement délivré le 16 mars 1988,

- donné acte à Maître Leclerc de son intervention volontaire,

- débouté Monsieur Torres et Madame Torres représentée par Maître Leclerc, de leur opposition relative à la nullité de la procédure ;

- confirmé la validité de l'acte à l'égard de Monsieur Torres,

- autorité, par application de l'article 161 de la loi du 25 janvier 1985, l'UCB et la CFEC à poursuivre la saisie sur l'immeuble commun des époux Torres, sis à Narp, cadastré sous les numéros 78, 79, 80, 143 et 406 de la section B pour une contenance totale de 52 à 56 ca avec les constructions y édifiées ou en cours d'édifications,

- rejeté toute demande pour le surplus,

- condamné les époux Torres et Maître Leclerc, es qualité, aux entiers dépens.

Maître Leclerc, es qualité de mandataire liquidateur à la liquidation de biens de Madame Torres, a interjeté appel de cette décision dans les formes et délais légaux, à l'encontre de l'Union de Crédit pour le Bâtiment, de la Compagnie française d'épargne et de crédit SA, de Jacques Torres et de Elise laude épouse Torres.

En application de l'article 908 du nouveau Code de procédure civile, il a assigné Jacques Torres devant la cour par acte du 19 octobre 1989.

la clôture de la procédure été prononcée par ordonnance du 09 janvier 1990.

A l'appui de son appel, Maître Leclerc, es qualité, fait valoir, dans ses premières écritures :

- qu'admettre qu'un créancier puisse poursuivre la saisie d'un bien commun contre le seul époux ne se trouvant pas en liquidation serait contraire aux règles du dessaisissement du débiteur, le liquidateur exerçant seul les droits et actions relatifs au patrimoine du débiteur,

- que le commandement ayant été délivré à Madame Torres alors qu'elle était en liquidation judiciaire est forcément nul, la dénonciation de cet acte à lui-même ne valant pas commandement et ne pouvant avoir pour effet de régulariser la procédure,

- que de toute façon, la nullité de la procédure s'impose puisqu'en violation de l'article 161 de la loi du 25 janvier 1985, aux termes duquel les créanciers hypothécaires ne peuvent exercer leur droit de poursuite que si le liquidateur n'a pas entrepris la liquidation des biens grevés dans le délai de 3 mois du jugement de liquidation qui, en l'occurrence, a été prononcé le 03 février 1988, l'UCB a délivré commandement le 16 mars 1988 et l'a dénoncé le 31 mars 1988,

- qu'enfin, un créancier ne peut poursuivre qu'après avoir obtenu une ordonnance du juge-commissaire (art, 125 du décret du 27 décembre1985). Il demande dès lors à la cour de réformer le jugement frappé d'appel, de déclarer nul et de nul effet le commandement de saisie immobilière et d'en ordonner la radiation et de condamner l'UCB et la CFEC à lui payer la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

L'Union de Crédit pour le Bâtiment et la Compagnie française d'épargne et de crédit rétorquent :

- qu'elles sont parfaitement fondées, nonobstant la liquidation judiciaire concernant Madame Torres, a poursuivre la saisie-immobilière des biens communs contre Monsieur Torres, in bonis, d'autant que les époux étaient engagés solidairement et sont mariés sous le régime de la communauté,

- que le dessaisissement allégué n'a affecté que Madame Torres et que la procédure de saisie n'ayant pas été dirigée contre l'épouse en liquidation, il n'y avait pas lieu à signification d'un quelconque commandement à Maître Leclerc, la dénonciation à celui-ci n'ayant été opérée qu'à toutes fins utiles,

- qu'en admettant même qu'il ait été diligenté contre Madame Torres également une procédure de saisie, celle-ci devrait être considérée comme régulière, en vertu de l'article 161 de la loi du 25 janvier 1985, la réalisation de l'actif n'ayant pas été entreprise par le liquidateur dans le délai de 3 mois visé par cet article,

- que les articles 125 et suivants du décret du 27 décembre 1985 ne sont applicables qu'aux ventes sur saisie ou adjudications entreprises par le syndic.

Concluant à la confirmation en toutes ses dispositions du jugement entrepris, elles sollicitent, par voie d'appel incident, la condamnation de Maître Leclerc es qualité, à leur payer la somme de 10 000 F à titre de dommages et intérêts et sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par conclusions responsives, Maître Leclerc, es qualité, fait observer :

- que l'UCB contrairement à ce qu'elle affirme, a engagé des poursuites tant envers Monsieur Torres que Madame Torres qui n'avait pourtant aucune qualité pour recevoir l'acte de commandement qui est donc nul ainsi que la dénonciation adressée à lui-même qui ne vaut pas commandement,

- qu'en toute hypothèse, l'UCB a violé les dispositions des articles 125 et suivants du décret du 27 décembre 1985, ainsi que celles de l'article 154 de la loi du 25 janvier 1985 qui prévoient l'intervention du juge-commissaire pour fixer la mise à prix et les conditions essentielles de la vente, le débiteur et le liquidateur étant par ailleurs entendus ou dûment appelés.

Dans leurs dernières écritures, l'UCB et la CFEC objectent que les poursuites sur saisie dirigées contre le débiteur solidaire, propriétaire du gage, demeurent valables, de toute façon même si leur nullité pouvait par hypothèse d'école être envisagée à l'égard du failli.

Sur quoi

Attendu que la procédure engagée par commandement de saisie immobilière délivré à Madame Torres qui a été déclarée en liquidation de biens suivant jugement du 03 février 1988 est irrecevable à son égard en vertu de l'article 47 de la loi du 25 janvier 1985, aux termes duquel le jugement d'ouverture interdit notamment toute voie d'exécution de la part des créanciers dont la créance a son origine antérieurement audit jugement, étant précisé que l'UCB et la CFEC ne sauraient se prévaloir utilement des dispositions de l'article 161 de la même loi qui, par exception à la règle susmentionnée autorisent un droit de poursuite individuelle sous certaines conditions non remplies en l'espèce ;

Qu'en effet, il ressort des termes de cet article que la faculté accordée aux créanciers hypothécaires d'exercer leur droit de poursuite individuelle dans l'hypothèse où le liquidateur n'a pas entrepris la liquidation des biens grevés dans un délai de trois mois à compter du jugement prononçant la liquidation judiciaire se trouve elle-même soumise nécessairement au respect dudit délai non observé en l'occurrence, les créanciers ne recouvrant leur droit qu'à l'expiration de celui-ci ; qu'au surplus, Maître Leclerc serait fondé à invoquer précisément la procédure introduite comme constitutive d'un obstacle à la liquidation qu'il aurait, autrement, pu diligenter ;

Que l'irrecevabilité de la procédure tant envers Madame Torres que son représentant légal en la matière, Maître Leclerc, résulte encore de ce que le commandement a été signifié à Madame Torres qui était pourtant dessaisie de l'administration et de la disposition de ses biens, la dénonciation ultérieure de cet acte au mandataire liquidateur ne pouvant avoir d'autre effet que d'informer celui-ci de la saisie entreprise et n'étant en tout cas pas susceptible de régulariser la procédure à son endroit, à défaut de commandement signifié à lui-même, es qualité ;

Attendu, en revanche, qu'il convient d'admettre que la procédure de saisie-immobilière a été valablement introduite à l'encontre de Monsieur Jacques Torres par le commandement qui lui a été délivré le 16 mars 1988 et qui doit produire tous ses effets à son égard ;

Qu'en effet, alors que Jacques Torres s'est, par l'acte du 09 mars 1979, engagé solidairement au remboursement du prêt contracté et qu'il y a eu défaillance des emprunteurs et alors que les époux sont soumis au régime légal de la communauté de biens, se trouvent applicables les dispositions de l'article 1413 du Code civil, aux termes desquelles le paiement des dettes dont l'un des époux est tenu pour quelque cause que ce soit, peut être poursuivi pendant le cours de la communauté sur les biens communs ;

Que l'argument exposé par Maître Leclerc, selon lequel un syndic de faillite qui représente le débiteur et la masse des créanciers peut aliéner les biens communs ne saurait être perçu comme de nature à empêcher le créancier de poursuivre lui-même la saisie immobilière contre l'époux qui n'est pas affecté par la procédure collective ;

Que plus précisément, le dessaisissement du débiteur en liquidation de biens ne s'étendant pas à son époux le droit des créanciers à agir contre celui-ci par une poursuite sur les biens communs qu'il a engagées par sa dette demeure, sauf récompense, due à la communauté, s'il y a lieu ;

Qu'il apparaît même que l'arrêt rendu par la cour de cassation le 21 novembre 1978 sur la base duquel Maître Leclerc développe son argumentation a autorisé le syndic à vendre en vue du règlement des créanciers des biens communs, sans le consentement de l'épouse du débiteur en liquidation, précisément parce que les créanciers qu'il représentait disposaient d'un droit de poursuite sur ces biens, qui se trouvaient engagés dans leur intégralité par le débiteur en vertu des dispositions de l'article 1413 du Code civil, et dont, par suite le mari pouvait être dessaisi ;

Attendu, par ailleurs, que les éléments de la cause ne commandent pas l'application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; qu'ainsi, les parties doivent être déboutées de leurs demandes réciproques formées à ce sujet ;

Qu'enfin., il y a lieu de faire masse des dépens qui seront supportés moitié par les intimés, moitié par Jacques Torres et Maître Leclerc, es qualité, les parties succombant chacune sur un chef de demande ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire en vertu des dispositions de l'article 474 du nouveau Code de procédure civile, et en dernier ressort ; Reçoit les appels tant principal qu'incident comme réguliers en la forme ; Au fond confirme, le jugement entrepris en ce qu'il a retenu la validité du commandement aux fins de saisie immobilière à l'égard de Jacques Torres ; Précise que les poursuites engagées à l'encontre de ce dernier en vertu de cet acte sont valables et produisent leur plein effet, la procédure de saisie immobilière devant se poursuivre sur ses derniers errements ; Infirmant pour le surplus la décision attaquée ; Déclare irrecevable la procédure de saisie immobilière en ce qu'elle a été diligentée contre Elise Laude épouse Torres et Maître Leclerc, es qualité de mandataire liquidateur à la liquidation de biens de Madame Torres ; Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Rejette toutes demandes plus amples ; Fait masse des dépens de première instance et d'appel qui seront supportés moitié par l'Union de Crédit pour le Bâtiment et la compagnie française d'épargne et de crédit et moitié par Jacques Torres et Maître Leclerc, es qualité de mandataire liquidateur de la liquidation de biens de Madame Torres ; Autorise, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile, les avoués de la cause à recouvrer directement contre eux ceux des dépens dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision.