CJCE, 24 février 1988, n° 260-86
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes
Défendeur :
Royaume de Belgique
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Mackenzie Stuart
Présidents de chambre :
MM. Bosco, Due
Avocat général :
M. Mischo.
Juges :
MM. Everling, Bahlmann, Galmot, Joliet
LA COUR,
1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 16 octobre 1986, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CEE, un recours visant à faire constater que le Royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 13, alinéa 2, et 14 du protocole sur les privilèges et immunités des Communautés européennes (ci-après "protocole") et de l'article 7 du traité CEE
- en adoptant les dispositions de l'article 17 de la loi du 10 février 1981, devenu l'article 162, paragraphe 6, du Code des impôts sur les revenus,
- en appliquant lesdites dispositions aux fonctionnaires et agents des Communautés européennes depuis l'exercice 1981 qui leur suppriment le bénéfice des réductions du précompte immobilier normalement accordées aux personnes qui acquittent un impôt sur leur traitement au Trésor belge, sans leur ouvrir un droit à remboursement.
2. Il ressort du dossier que ledit précompte immobilier est perçu sur le revenu cadastral des propriétés foncières sises en Belgique ; il est dû par le propriétaire, possesseur, emphytéote, superficiaire ou usufruitier des biens imposables. Des réductions du précompte peuvent être accordées, notamment en fonction de la situation sociale de l'occupant de l'immeuble. Ainsi, en vertu de l'article 162, paragraphes 1, 2 et 3, du Code belge des impôts sur les revenus, une réduction, de 10 ou 20 % selon le cas, est accordée lorsque l'immeuble est occupé par un grand invalide de guerre, par une personne handicapée ou par un chef de famille comptant au moins deux enfants en vie ou une personne handicapée. Ces réductions qui, aux termes du paragraphe 3 de cet article, sont déductibles du loyer, nonobstant toute convention contraire, ne sont toutefois pas applicables lorsque l'habitation est occupée, notamment, "par un locataire qui, dans son chef ou dans le chef de son conjoint, est exonéré de l'impôt des personnes physiques en vertu de conventions internationales", conformément au paragraphe 6 du même article, introduit par l'article 17 de la loi de redressement relative aux dispositions fiscales et financières, du 10 février 1981.
3. Le présent recours est dirigé en substance contre le refus, résultant de la législation fiscale précitée, d'accorder ladite réduction du précompte immobilier dans l'hypothèse où le locataire, ou son conjoint, est fonctionnaire ou autre agent des Communautés européennes et est, en cette qualité, exonéré de l'impôt sur le revenu des personnes physiques, conformément aux dispositions du protocole.
4. Pour un plus ample exposé de la législation belge en cause, des dispositions communautaires en la matière et des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
Sur le premier grief de la Commission
5. Le premier grief se fonde sur la thèse que la dérogation prévue à l'article 162, paragraphe 6, du Code des impôts sur les revenus est contraire à la fois aux articles 13, alinéa 2, et 14 du protocole et à l'article 7 du traité CEE.
6. A l'appui de cette thèse, la Commission fait valoir, en premier lieu, que la législation en cause a pour effet d'imposer au propriétaire de l'immeuble un taux plus élevé du précompte immobilier lorsque le locataire est fonctionnaire ou autre agent des communautés. Etant donné que le précompte immobilier serait, dans la réalité économique, répercuté par le propriétaire sur le locataire, ce seraient, en fin de compte, les fonctionnaires ou autres agents des communautés qui supporteraient la charge du taux plus élevé, contrairement à l'article 13, alinéa 2, du protocole aux termes duquel ces fonctionnaires ou agents "sont exempts d'impôts nationaux sur les traitements, salaires et émoluments versés par les communautés".
7. La Commission fait valoir, en outre, que la législation incriminée enfreint l'article 14 du protocole selon lequel, pour les impôts sur les autres revenus, les fonctionnaires ou autres agents des communautés sont censés conserver le domicile fiscal qu'ils avaient au moment de leur entrée en service.
8. Enfin, la Commission fait valoir que, en opérant, sans justification objective, une différence de traitement entre les travailleurs de nationalité belge et les travailleurs ressortissants d'autres Etats membres, locataires de leur logement, d'une part, et les fonctionnaires et autres agents des communautés placés dans la même situation, d'autre part, cette législation exercerait une discrimination en raison de la nationalité, interdite par l'article 7 du traité CEE.
9. Le Gouvernement belge ne conteste pas le manquement qui lui est reproché, mais se réfère aux difficultés pratiques rencontrées pour rapporter la législation litigieuse.
10. En ce qui concerne, en premier lieu, l'argument tiré d'une violation de l'article 13, alinéa 2, du protocole, il convient de constater que cette disposition, selon ses termes et son économie, vise l'exemption de toute imposition nationale basée tant directement qu'indirectement sur les traitements, salaires ou émoluments versés par les communautés à leurs fonctionnaires ou autres agents. Elle s'oppose, par conséquent, à toute imposition nationale, quelles que soient sa nature ou ses modalités de perception, qui a pour effet de grever, directement ou indirectement, les fonctionnaires ou autres agents des communautés, en raison du fait qu'ils sont bénéficiaires d'une rémunération versée par les communautés, même si l'impôt en cause n'est pas calculé en proportion du montant de cette rémunération.
11. Il est vrai que les assujettis du précompte immobilier dont il s'agit en l'espèce sont les propriétaires et non pas les locataires de l'immeuble. Il n'en reste pas moins que, lorsque l'habitation est donnée en location, la charge financière du précompte immobilier est supportée au plan économique par les locataires de l'immeuble. C'est pour cette raison que l'article 162, paragraphe 3, du Code des impôts sur les revenus prévoit que les réductions du précompte sont déductibles du loyer, nonobstant toute convention contraire.
12. Dans ces conditions, le fait de subordonner l'octroi des réductions en cause à la condition que ni le locataire de l'immeuble ni son conjoint ne soit fonctionnaire ou autre agent des communautés et, en cette qualité, exonéré de l'impôt des personnes physiques, en vertu de l'article 13, alinéa 2, du protocole, revient à faire supporter à cette catégorie de personnes, dans la mesure où elles remplissent les autres conditions de la législation belge pour bénéficier d'une réduction, une charge financière supplémentaire, à savoir la différence entre le montant résultant de l'application du taux normal et celui résultant de l'application du taux réduit, précisément en raison du fait qu'ils sont bénéficiaires d'une rémunération sous-traitée aux impôts nationaux. Une telle charge est contraire aux exigences de l'article 13, alinéa 2, du protocole, telles que spécifiées ci-dessus.
13. En revanche, on ne saurait retenir le grief tiré d'une violation de l'article 14 du protocole, relatif au domicile fiscal des fonctionnaires ou autres agents des communautés. Ainsi que la Commission l'a admis elle-même, cette disposition ne s'oppose pas à ce que ces fonctionnaires ou agents, même s'ils ont leur domicile fiscal dans un autre Etat membre, soient soumis au précompte immobilier en Belgique. Elle ne saurait donc non plus faire obstacle à ce que d'éventuelles réductions de ce précompte leur soient refusées.
14. On ne saurait davantage retenir à l'encontre du Royaume de Belgique un manquement à l'article 7 du traité CEE. En effet, l'article 162, paragraphe 6, du Code des impôts sur les revenus exclut l'application des réductions dès lors que le locataire de l'immeuble, ou son conjoint, est fonctionnaire ou autre agent des communautés, sans qu'aucune distinction ne soit établie à cet égard entre ressortissants belges et ressortissants d'autres Etats membres. La législation en cause ne comporte donc aucune différence de traitement fondée sur la nationalité des personnes considérées.
15. Au vu de l'ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que, en refusant d'accorder des réductions du précompte immobilier, dès lors que le locataire de l'habitation, ou son conjoint, est fonctionnaire ou autre agent des communautés et, en cette qualité, exempt d'impôts nationaux sur les traitements, salaires et émoluments versés par les communautés, au titre de l'article 13, alinéa 2, du protocole sur les privilèges et immunités des Communautés européennes, le Royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de cette disposition.
Sur le deuxième grief de la Commission
16. Le deuxième grief est, en substance, dirigé contre le fait que le Royaume de Belgique applique effectivement les dispositions incriminées de sa législation et qu'il ne prévoit pas le remboursement des sommes perçues à tort pendant les exercices passés.
17. A cet égard, il suffit de constater que ce reproche porte sur la mise en application de la législation litigieuse et ne saurait, de ce fait, être considéré comme un grief distinct. Par conséquent, il n'y a pas lieu d'y statuer séparément.
Sur les dépens
18. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. Le Royaume de Belgique ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR
Déclare et arrête :
1) En refusant d'accorder des réductions du précompte immobilier, dès lors que le locataire de l'habitation, ou son conjoint, est fonctionnaire ou autre agent des communautés et, en cette qualité, exempt d'impôts nationaux sur les traitements, salaires et émoluments versés par les communautés, au titre de l'article 13, alinéa 2, du protocole sur les privilèges et immunités des Communautés européennes, le Royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de cette disposition.
2) Le Royaume de Belgique est condamné aux dépens.