CJCE, 21 mars 2000, n° C-110/98
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Gabalfrisa SL e.a.
Défendeur :
Agencia Estatal de Administración Tributaria (AEAT),
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Rodríguez Iglesias
Présidents de chambre :
MM. Moitinho de Almeida, Sevón, Schintgen
Juges :
MM. Kapteyn, Gulmann, Puissochet, Hirsch, Jann, Ragnemalm, Wathelet
Avocat général :
M. Saggio
Avocats :
Mes Fernández, Andres, Azpeitia Gamazo, Galiano Quesada, Gibert Canet, Marcos
LA COUR,
1. Par ordonnances du 19 décembre 1997 (C-110-98 à C-115-98, C-117-98, C-120-98 et C-125-98 à C-146-98), du 30 janvier 1998 (C-121-98 à C-124-98 et C-147-98) et du 25 février 1998 (C-116-98, C-118-98 et C-119-98), parvenues à la Cour le 14 avril 1998, le Tribunal Económico-Administrativo Regional de Cataluña a posé, en application de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), une question préjudicielle relative à l'interprétation de l'article 17 de la sixième directive 77-388-CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la "sixième directive").
2. Cette question a été posée dans le cadre d'un litige opposant plusieurs entrepreneurs ou travailleurs indépendants à divers services de l'Agencia Estatal de Administración Tributaria (Agence d'État de l'administration fiscale, ci-après l'"AEAT") à propos de la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la "TVA") acquittée pour des opérations réalisées avant le début de leur activité.
La sixième directive
3. L'article 4, paragraphes 1 et 2, de la sixième directive, qui définit la notion d'assujettis, dispose:
"1. Est considéré comme assujetti quiconque accomplit, d'une façon indépendante et quel qu'en soit le lieu, une des activités économiques mentionnées au paragraphe 2, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.
2. Les activités économiques visées au paragraphe 1 sont toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est notamment considérée comme activité économique une opération comportant l'exploitation d'un bien corporel ou incorporel en vue d'en retirer des recettes ayant un caractère de permanence."
4. L'article 17 de la sixième directive, qui régit le droit à déduction, énonce:
"1. Le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible.
2. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l'assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable:
a) la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti.
..."
5. L'article 22 de la sixième directive, qui régit les obligations des redevables en régime intérieur, prévoit:
"1. Tout assujetti doit déclarer le commencement, le changement et la cessation de son activité en qualité d'assujetti.
...
8. Sans préjudice des dispositions à arrêter en vertu de l'article 17 paragraphe 4, les États membres ont la faculté de prévoir d'autres obligations qu'ils jugeraient nécessaires pour assurer l'exacte perception de la taxe et pour éviter la fraude.
..."
La réglementation nationale en matière de TVA
6. L'article 100 de la loi n° 37-1992, du 28 décembre 1992, portant adoption de la taxe sur la valeur ajoutée (BOE n° 312, du 29 décembre 1992, rectificatif BOE n° 33, du 8 février 1993), prévoit la caducité du droit à déduction à l'expiration d'un délai de cinq ans à compter de la naissance de ce droit.
7. L'article 111 de la loi n° 37-1992, tel que modifié par l'article 10, paragraphe 7, de la loi n° 13-1996, du 30 décembre 1996, portant mesures fiscales, administratives et d'ordre social (BOE n° 315, du 31 décembre 1996, ci-après la "loi n° 37-1992"), dispose:
"1. Les entrepreneurs ou travailleurs indépendants peuvent déduire la taxe acquittée avant le début de leurs activités d'entreprise ou professionnelles à partir du début effectif de ces activités ou, le cas échéant, d'une branche de ces dernières, pourvu et à condition que le droit à déduction ne soit pas devenu caduc par suite de l'expiration du délai établi à l'article 100 de cette loi.
...
5. Par exception aux dispositions du paragraphe 1 du présent article, les entrepreneurs ou travailleurs indépendants qui souhaitent déduire les taxes supportées avant le début de leurs activités, conformément aux dispositions de l'article 93, paragraphe 3, de la présente loi, doivent remplir les conditions suivantes:
1° avoir présenté, suivant des modalités à déterminer par voie réglementaire, une déclaration préalable à l'engagement des activités d'entreprise ou professionnelles, ou d'une branche d'entre elles, avant d'avoir supporté lesdites taxes...
2° engager les activitées d'entreprise ou professionnelles dans le délai d'un an à compter de la présentation de la déclaration indiquée au point 1° précédent. Néanmoins, l'administration peut, suivant des modalités à déterminer par voie réglementaire, proroger le délai précité d'un an lorsque la nature des activités à développer à l'avenir ou les circonstances qui entourent le lancement de l'activité le justifient.
Lorsque les conditions indiquées ne sont pas remplies, les taxes acquittées ne pourront être déduites avant le début effectif des activités et l'assujetti sera tenu de rectifier toute déduction éventuelle.
Les dispositions du présent paragraphe 5 ne s'appliquent pas aux taxes supportées pour l'acquisition de terrains, qui ne pourront être déduites qu'à partir du début effectif des activités d'entreprise ou professionnelles ou, le cas échéant, de celles du secteur différencié. Dans ce cas, le droit à déduction sera réputé naître à la date marquant le début des activités en question."
8. La deuxième disposition transitoire de la loi n° 13-1996 ajoute:
"La procédure de déduction des taxes supportées avant le début des activités d'entreprise ou professionnelles, qui a été engagée avant l'entrée en vigueur de la présente loi, est réglée conformément aux dispositions de cette dernière.
La présente disposition transitoire s'applique exclusivement aux taxes supportées au cours des cinq années précédant l'entrée en vigueur de la présente loi".
9. L'article 28 du décret Royal n° 1624-1992, du 29 décembre 1992, portant adoption du règlement sur la TVA (BOE n° 314, du 31 décembre 1992), précise:
"1. Les assujettis peuvent formuler les demandes et exercer l'option indiquée ci-après:
...
4°. demander la prorogation du délai prévu à l'article 111, paragraphe 1, de la loi pour engager les activités d'entreprise ou professionnelles.
2. ...
La présentation de la demande doit être effectuée dans les périodes suivantes:
...
4°. dans le cas visé au point 4° du paragraphe précédent, deux mois avant l'expiration du délai prévu d'un an".
Les faits du litige au principal et la question préjudicielle
10. Divers services de l'AEAT ont refusé aux requérants au principal la déduction de la TVA acquittée pour des opérations réalisées avant le début de leur activité, souvent des travaux de construction, en raison du non-respect des conditions prévues à l'article 111 de la loi n° 37-1992 ou de celles visées à l'article 28 du décret Royal n° 1624-1992.
11. Estimant que les conditions énoncées à l'article 111 de la loi n° 37-1992 étaient contraires à l'article 17, paragraphes 1 et 2, sous a), de la sixième directive, les requérants au principal ont introduit, contre les décisions des divers services de l'AEAT, une réclamation devant le Tribunal Económico-Administrativo Regional de Cataluña.
12. Il ressort des ordonnances de renvoi que, conformément à une ordonnance du Tribunal Económico-Administrativo Central du 29 mars 1990, un Tribunal Económico-Administrativo constituerait une juridiction au sens de l'article 177 du traité. Un tel organisme remplirait en effet les cinq conditions requises par la jurisprudence de la Cour relative à la notion de juridiction au sens de cette disposition, à savoir l'origine légale, la permanence, la juridiction obligatoire, la procédure contradictoire et l'application des règles de droit.
13. Ayant des doutes quant à la compatibilité de la loi n° 37-1992 avec l'article 17 de la sixième directive, le Tribunal Económico-Administrativo Regional de Cataluña a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour, dans chacune des affaires, la question préjudicielle suivante:
"En ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée acquittée par un assujetti avant le début de la réalisation habituelle des opérations taxées, la façon dont l'article 17 de la sixième directive 77-388-CEE du Conseil, du 17 mai 1977, a aménagé le droit à déduction permet-elle que, en raison de la nécessité d'éviter les fraudes, l'exercice de ce dernier soit subordonné à certaines conditions - comme la présentation d'une demande expresse avant que la taxe ne soit devenue exigible et le début de la réalisation habituelle des opérations taxées dans un délai déterminé à compter de la date de cette demande - dont le non-respect est sanctionné par la perte du droit à déduction ou, à tout le moins, par le report de l'applicabilité de ce droit jusqu'au début de ladite réalisation habituelle des opérations taxées?"
14. Par ordonnance du 8 mai 1998, le président de la Cour a décidé de joindre les affaires C-110-98 à C-147-98 aux fins de la procédure écrite et orale et de l'arrêt.
Sur la recevabilité
15. À titre liminaire, il convient de vérifier que le Tribunal Económico-Administrativo Regional de Cataluña est une juridiction au sens de l'article 177 du traité.
La réglementation nationale relative aux Tribunales Económico-Administrativos
16. L'article 90 de la loi fiscale générale n° 230-1963, du 28 décembre 1963 (BOE du 30 décembre 1963), prévoit que la gestion, la liquidation et le recouvrement des taxes et impositions, d'une part, et le traitement des réclamations, d'autre part, sont confiés à des organes différents.
17. L'article 163 de la loi n° 230-1963 dispose que les réclamations fiscales relèvent des Tribunales Económico-Administrativos.
18. L'article 1er du décret Royal n° 391-1996, du 1er mars 1996, approuvant le règlement de procédure des réclamations économico-administratives (BOE n° 72, du 23 mars 1996; corrigendum au BOE n° 168, du 12 juillet 1996), prévoit que les réclamations fiscales sont instruites et tranchées conformément aux dispositions législatives et audit décret.
19. L'article 3 dudit décret dispose:
"Sont compétents pour connaître des réclamations économico-administratives et statuer:
1. Le ministre de l'Économie et des Finances.
2. Le Tribunal Económico-Administrativo Central.
3. Les Tribunales Económico-Administrativos Regionales.
4. Les Tribunales Económico-Administrativos Locales de Ceuta et Melilla."
20. L'article 40 du décret législatif n° 2795-1980, du 12 décembre 1980, portant mise en œuvre de la loi n° 39-1980 établissant les bases de la procédure économico-administrative (BOE du 30 décembre 1980), et les articles 4, paragraphe 2, et 119, paragraphes 3 et 4, du décret Royal n° 391-1996 précisent que les décisions des Tribunales Económico-Administrativos peuvent faire l'objet d'un recours devant les juridictions contentieuses administratives.
21. Les articles 4, paragraphe 1, point 3, du décret législatif n° 2795-1980 et 8, paragraphe 1, du décret Royal n° 391-1996 prévoient que le ministre de l'Économie et des Finances statue, notamment, sur les réclamations fiscales dont le Tribunal Económico-Administrativo Central a estimé qu'elles devaient être tranchées par ledit ministre en raison de leur nature, de leur montant ou de leur importance.
22. Les articles 5, sous c), du décret législatif n° 2795-1980 et 9, paragraphe 1, sous b), du décret Royal n° 391-1996 disposent que le Tribunal Económico-Administrativo Central statue, notamment, sur les appels interjetés contre les décisions des Tribunales Económico-Administrativos Regionales.
23. L'article 16, paragraphes 1, 5 et 7, du décret Royal n° 391-1996 précise que les Tribunales Económico-Administrativos Regionales sont composés d'un président, d'au moins trois membres et d'un greffier, chacun disposant d'une voix. Le président, les présidents de chambre et les membres sont nommés parmi les fonctionnaires des administrations mentionnées dans le descriptif des postes et révoqués par décision du ministre de l'Économie et des Finances. Le greffier est abogado del Estado.
24. En vertu des articles 169 de la loi n° 230-1963, 17, paragraphe 1, du décret législatif n° 2795-1980 et 40, paragraphe 1, du décret Royal n° 391-1996, lorsqu'une réclamation fiscale est introduite, l'instance compétente a le pouvoir de réexaminer toutes les questions qui découlent de la liquidation ou de la réclamation, qu'elles aient été ou non posées par les intéressés.
25. L'article 40, paragraphe 2, du décret Royal n° 391-1996 ajoute que l'instance compétente peut, par conséquent: a) confirmer l'acte contesté; b) l'annuler, en totalité ou en partie; c) préciser les droits et obligations pertinents ou ordonner aux organes de gestion qu'ils prennent les actes qui s'imposent eu égard à la décision adoptée à la suite de la réclamation.
26. Les articles 17, paragraphe 2, du décret législatif n° 2795-1980 et 40, paragraphe 3, du décret Royal n° 391-1996 précisent que, si l'instance compétente entend se prononcer sur des questions qui n'ont pas été posées par les intéressés, elle en informe ceux qui sont représentés et leur accorde un délai de quinze jours pour formuler des observations.
27. L'article 35, paragraphe 1, du décret législatif n° 2795-1980 prévoit que les Tribunales Económico-Administrativos doivent statuer sur les réclamations qui leur sont soumises. Les articles 23, paragraphe 1, du décret législatif n° 2795-1980 et 104 du décret Royal n° 391-1996 précisent que, si, dans le délai d'un an après son introduction devant quelque instance que ce soit, une réclamation fiscale n'a pas abouti, elle est présumée avoir été rejetée, en sorte que l'intéressé peut introduire un recours contre ce rejet devant la juridiction compétente.
28. En vertu de l'article 55 du décret Royal n° 391-1996, les décisions définitives des Tribunales Económico-Administrativos ne peuvent pas être révoquées ou modifiées par l'administration, hormis les cas de nullité de plein droit ou de recours extraordinaire en révision.
29. Les articles 30 et 32 du décret législatif n° 2795-1980 ainsi que 90 et 97 du décret Royal n° 391-1996 permettent aux intéressés de présenter des mémoires et des preuves à l'appui de leurs prétentions et de demander la tenue d'une audience publique.
30. Les articles 20 et 35, paragraphe 2, du décret législatif n° 2795-1980 précisent que les décisions des Tribunales Económico-Administrativos sont motivées en fait et en droit.
31. L'article 110, paragraphe 2, du décret Royal n° 391-1996 prévoit que, si, à la suite d'une décision prise par un Tribunal Económico-Administrativo Regional, l'administration doit rectifier l'acte qui a fait l'objet de la réclamation, elle doit le faire dans un délai de quinze jours. L'article 110, paragraphe 4, du décret Royal n° 391-1996 ajoute que, si, à la suite d'une décision prise par un Tribunal Económico-Administrativo Regional, l'administration doit rembourser des sommes indûment perçues, l'intéressé aura droit aux intérêts légaux à compter de la date à laquelle il a procédé au paiement indu.
32. L'article 112 du décret Royal n° 391-1996 dispose que les greffiers des Tribunales Económico-Administrativos Regionales veillent à l'exécution des décisions prises par ces derniers et adoptent ou, le cas échéant, proposent au président d'adopter les mesures appropriées pour supprimer les obstacles s'opposant à leur exécution.
Appréciation de la Cour
33. Pour apprécier si l'organisme de renvoi possède le caractère d'une juridiction au sens de l'article 177 du traité, question qui relève uniquement du droit communautaire, la Cour tient compte d'un ensemble d'éléments, tels l'origine légale de l'organe, sa permanence, le caractère obligatoire de sa juridiction, la nature contradictoire de la procédure, l'application, par l'organisme, des règles de droit, ainsi que son indépendance (voir, notamment, arrêt du 17 septembre 1997, Dorsch Consult, C-54-96, Rec. p. I-4961, point 23, et jurisprudence citée).
34. À cet égard, il y a lieu, d'abord, de constater que la mission des Tribunales Económico-Administrativos a été définie par la loi n° 230-1963 et le décret législatif n° 2795-1980. La procédure des réclamations fiscales a été organisée par le décret Royal n° 391-1996. La loi n° 230-1963, le décret législatif n° 2795-1980 et le décret Royal n° 391-1996 confèrent ainsi aux Tribunales Económico-Administrativos une origine légale et une permanence.
35. Il convient, ensuite, de constater que, conformément à l'article 35, paragraphe 1, du décret législatif n° 2795-1980, les Tribunales Económico-Administrativos doivent statuer sur les réclamations qui leur sont soumises. Il découle en outre des articles 163 de la loi n° 230-1963, 40 du décret législatif n° 2795-1980, 4, paragraphe 2, et 119, paragraphes 3 et 4, du décret Royal n° 391-1996 que les décisions de l'administration fiscale ne peuvent être attaquées devant les juridictions contentieuses administratives qu'après qu'une réclamation a été introduite devant les Tribunales Económico-Administrativos. La juridiction de ces Tribunales revêt dès lors un caractère obligatoire.
36. En outre, il résulte des articles 55 et 110 du décret Royal n° 391-1996 que, hormis les cas de nullité de plein droit et de recours extraordinaire en révision, les décisions définitives des Tribunales Económico-Administrativos ne peuvent être ni révoquées ni modifiées par l'administration fiscale, laquelle doit les exécuter et, le cas échéant, rectifier l'acte attaqué ou rembourser les sommes indûment perçues. Conformément à l'article 112 dudit décret, les greffiers des Tribunales Económico-Administrativos veillent à l'exécution des décisions prises par ces Tribunales et adoptent les mesures appropriées pour supprimer les obstacles s'opposant à leur exécution. Les décisions définitives des Tribunales Económico-Administrativos ont donc force obligatoire.
37. Quant au caractère contradictoire de la procédure des réclamations fiscales, il convient de rappeler que l'exigence d'une procédure contradictoire n'est pas un critère absolu (arrêt Dorsch Consult, précité, point 31). En l'espèce, les intéressés peuvent, conformément aux articles 30 et 32 du décret législatif n° 2795-1980 ainsi que 90 et 97 du décret Royal n° 391-1996, présenter des mémoires et des preuves à l'appui de leurs prétentions et demander la tenue d'une audience publique. En outre, selon les articles 17, paragraphe 2, du décret législatif n° 2795-1980 et 40, paragraphe 3, du décret Royal n° 391-1996, un Tribunal Económico-Administrativo qui entend se prononcer sur des questions qui n'ont pas été posées par les intéressés doit en informer ceux qui sont représentés et leur accorder un délai de quinze jours pour formuler des observations. Dans ces conditions, il y a lieu de conclure que la procédure des réclamations fiscales satisfait à l'exigence d'une procédure contradictoire.
38. En outre, il ressort des articles 20 et 35, paragraphe 2, du décret législatif n° 2795-1980 que les décisions des Tribunales Económico-Administrativos sont motivées en fait et en droit. L'article 1er du décret Royal n° 391-1996 précise que les Tribunales Económico-Administrativos statuent sur les réclamations fiscales conformément aux dispositions législatives et audit décret. Selon l'article 40, paragraphe 2, dudit décret, les Tribunales Económico-Administrativos soit confirment l'acte contesté, soit l'annulent, en totalité ou en partie, soit, enfin, précisent les droits et obligations pertinents ou ordonnent aux organes de gestion de prendre certains actes. Il résulte des dispositions qui précèdent que les Tribunales Económico-Administrativos appliquent les règles de droit.
39. Enfin, il importe de souligner que l'article 90 de la loi n° 230-1963 garantit une séparation fonctionnelle entre, d'une part, les services de l'administration fiscale chargés de la gestion, du recouvrement et de la liquidation et, d'autre part, les Tribunales Económico-Administrativos, lesquels statuent sur les réclamations introduites contre les décisions prises par lesdits services sans recevoir aucune instruction de l'administration fiscale.
40. De telles garanties confèrent aux Tribunales Económico-Administrativos, à la différence du directeur des contributions directes et des accises en cause dans l'arrêt du 30 mars 1993, Corbiau (C-24-92, Rec. p. I-1277, points 15 et 16), la qualité de tiers par rapport aux services qui ont adopté la décision faisant l'objet de la réclamation et l'indépendance nécessaire pour pouvoir être considérés comme une juridiction au sens de l'article 177 du traité.
41. Il résulte de ce qui précède que le Tribunal Económico-Administrativo Regional de Cataluña doit être considéré comme une juridiction au sens de l'article 177 du traité, de sorte que la question préjudicielle est recevable.
Sur la question préjudicielle
42. Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l'article 17 de la sixième directive s'oppose à une réglementation nationale qui subordonne l'exercice du droit à déduction de la TVA acquittée par un assujetti avant le début de la réalisation habituelle des opérations taxées à certaines conditions, telles que la présentation d'une demande expresse en ce sens avant que la taxe ne soit devenue exigible et le respect d'un délai d'un an entre cette présentation et le début effectif des opérations taxées, et qui sanctionne le non-respect de ces conditions par la perte du droit à déduction ou par le report de l'exercice de ce droit jusqu'au début effectif de la réalisation habituelle des opérations taxées.
43. Il convient, d'abord, de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le droit à déduction prévu aux articles 17 et suivants de la sixième directive fait partie intégrante du mécanisme de TVA et ne peut en principe être limité. Il s'exerce immédiatement pour la totalité des taxes ayant grevé les opérations effectuées en amont (voir, notamment, arrêt du 6 juillet 1995, BP Soupergaz, C-62-93, Rec. p. I-1883, point 18).
44. Il y a lieu, ensuite, de rappeler que le régime des déductions vise à soulager entièrement l'entrepreneur du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques. Le système commun de la TVA garantit, par conséquent, la parfaite neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de ces activités, à condition que lesdites activités soient elles-mêmes soumises à TVA (voir, notamment, arrêts du 14 février 1985, Rompelman, 268-83, Rec. p. 655, point 19, et du 15 janvier 1998, Ghent Coal Terminal, C-37-95, Rec. p. I-1, point 15).
45. Ainsi que la Cour l'a indiqué dans les arrêts Rompelman, précité (point 23), et du 29 février 1996, INZO (C-110-94, Rec. p. I-857, point 16), le principe de la neutralité de la TVA quant à la charge fiscale de l'entreprise exige que les premières dépenses d'investissement effectuées pour les besoins et en vue d'une entreprise soient considérées comme des activités économiques et il serait contraire à ce principe que lesdites activités ne débutent qu'au moment où l'entreprise est effectivement exploitée, c'est-à-dire où le revenu taxable prend naissance. Toute autre interprétation de l'article 4 de la sixième directive mettrait à la charge de l'opérateur économique le coût de la TVA dans le cadre de son activité économique sans lui donner la possibilité de la déduire, conformément à l'article 17, et procéderait à une distinction arbitraire entre des dépenses d'investissement effectuées avant l'exploitation effective d'une entreprise et celles effectuées au cours de ladite exploitation.
46. L'article 4 de la sixième directive ne s'oppose toutefois pas à ce que l'administration fiscale exige que l'intention déclarée de commencer des activités économiques donnant lieu à des opérations taxées soit confirmée par des éléments objectifs. Dans ce contexte, il importe de souligner que la qualité d'assujetti n'est définitivement acquise que si la déclaration de l'intention de commencer les activités économiques envisagées a été faite de bonne foi par l'intéressé. Dans les situations frauduleuses ou abusives dans lesquelles, par exemple, ce dernier a feint de vouloir exercer une activité économique particulière, mais a cherché en réalité à faire entrer dans son patrimoine privé des biens pouvant faire l'objet d'une déduction, l'administration fiscale peut demander, avec effet rétroactif, le remboursement des sommes déduites puisque ces déductions ont été accordées sur la base de fausses déclarations (arrêts précités Rompelman, point 24, et INZO, points 23 et 24).
47. Il s'ensuit que celui qui a l'intention, confirmée par des éléments objectifs, de commencer d'une façon indépendante une activité économique au sens de l'article 4 de la sixième directive et qui effectue les premières dépenses d'investissement à ces fins doit être considéré comme un assujetti. Agissant en tant que tel, il a donc, conformément aux articles 17 et suivants de la sixième directive, le droit de déduire immédiatement la TVA due ou acquittée sur les dépenses d'investissement effectuées pour les besoins des opérations qu'il envisage de faire et qui ouvrent droit à déduction, sans devoir attendre le début de l'exploitation effective de son entreprise.
48. Le Gouvernement espagnol fait toutefois valoir que les dispositions combinées de l'article 22, paragraphes 1 et 8, de la sixième directive permettraient de subordonner l'exercice du droit à déduction à des conditions telles que la présentation d'une demande expresse ou le respect d'un délai d'un an entre une telle demande et le début effectif des opérations taxées.
49. D'une part, une telle déclaration poursuivrait, selon ce Gouvernement, la même finalité de contrôle que la déclaration de commencement, de changement et de cessation d'activité prévue à l'article 22, paragraphe 1, de la sixième directive.
50. D'autre part, selon ce même Gouvernement ainsi que selon le Gouvernement hellénique, la faculté pour les États membres de prévoir, en vertu de l'article 22, paragraphe 8, de la sixième directive, d'autres obligations que celles prévues dans cette directive pour assurer l'exacte perception de la taxe et pour éviter la fraude inclurait celle de subordonner l'exercice du droit à déduction à la présentation d'une demande expresse et au respect d'un délai d'un an entre une telle demande et le début effectif des opérations taxées.
51. À cet égard, il importe de souligner que, ainsi que l'a à juste titre relevé la Commission, l'article 22, paragraphe 1, de la sixième directive prévoit seulement l'obligation pour les assujettis de déclarer le commencement, le changement et la cessation de leurs activités, mais n'autorise nullement les États membres, en cas de défaut de présentation d'une telle déclaration, à reporter l'exercice du droit à déduction jusqu'au début effectif de la réalisation habituelle des opérations taxées ou à priver l'assujetti de l'exercice de ce droit.
52. En outre, il convient de rappeler que les mesures que les États membres ont la faculté d'adopter, en vertu de l'article 22, paragraphe 8, de la sixième directive, afin d'assurer l'exacte perception de la taxe et d'éviter la fraude ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre de tels objectifs. Elles ne peuvent dès lors être utilisées de manière telle qu'elles remettraient systématiquement en cause le droit à la déduction de la TVA, lequel est un principe fondamental du système commun de la TVA mis en place par la législation communautaire en la matière (voir, en ce sens, arrêt du 18 décembre 1997, Molenheide e.a., C-286-94, C-340-95, C-401-95 et C-47-96, Rec. p. I-7281, point 47).
53. Or, force est de constater que la réglementation nationale en cause au principal non seulement subordonne l'exercice du droit à déduction de la TVA acquittée par un assujetti avant le début de la réalisation habituelle des opérations taxées à la présentation d'une demande expresse et au respect d'un délai d'un an entre une telle demande et le début effectif des opérations taxées, mais également sanctionne le non-respect de ces conditions par le report systématique de l'exercice du droit à déduction jusqu'au début effectif de la réalisation habituelle des opérations taxées. Une telle réglementation peut même aboutir à la perte de ce droit si lesdites opérations ne débutent pas ou si le droit à déduction n'est pas exercé dans un délai de cinq ans à dater de la naissance de ce droit.
54. Dans ces conditions, une telle réglementation va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs d'assurer l'exacte perception de la taxe et d'éviter la fraude.
55. Il convient dès lors de répondre à la question préjudicielle que l'article 17 de la sixième directive s'oppose à une réglementation nationale qui subordonne l'exercice du droit à déduction de la TVA acquittée par un assujetti avant le début de la réalisation habituelle des opérations taxées à certaines conditions, telles que la présentation d'une demande expresse en ce sens avant que la taxe ne soit devenue exigible et le respect d'un délai d'un an entre cette présentation et le début effectif des opérations taxées, et qui sanctionne le non-respect de ces conditions par la perte du droit à déduction ou par le report de l'exercice de ce droit jusqu'au début effectif de la réalisation habituelle des opérations taxées.
Sur les dépens
56. Les frais exposés par les Gouvernements espagnol et hellénique, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR,
Statuant sur la question à elle soumise par ordonnances du 19 décembre 1997 (C-110-98 à C-115-98, C-117-98, C-120-98 et C-125-98 à C-146-98), du 30 janvier 1998 (C-121-98 à C-124-98 et C-147-98) et du 25 février 1998 (C-116-98, C-118-98 et C-119-98), par le Tribunal Económico-Administrativo Regional de Cataluña, dit pour droit:
L'article 17 de la sixième directive 77-388-CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme, s'oppose à une réglementation nationale qui subordonne l'exercice du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée acquittée par un assujetti avant le début de la réalisation habituelle des opérations taxées à certaines conditions, telles que la présentation d'une demande expresse en ce sens avant que la taxe ne soit devenue exigible et le respect d'un délai d'un an entre cette présentation et le début effectif des opérations taxées, et qui sanctionne le non-respect de ces conditions par la perte du droit à déduction ou par le report de l'exercice de ce droit jusqu'au début effectif de la réalisation habituelle des opérations taxées.