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Décisions

CJCE, 5e ch., 18 décembre 1997, n° C-284/96

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Tabouillot

Défendeur :

Directeur des services fiscaux de Meurthe-et-Moselle,

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Gulmann

Juges :

MM. Wathelet, Moitinho de Almeida, Edward, Puissochet

Avocat général :

M. Jacobs

Avocat :

Me Benabes

CJCE n° C-284/96

18 décembre 1997

LA COUR (cinquième chambre),

1. Par jugement du 8 août 1996, parvenu à la Cour le 22 août suivant, le Tribunal de grande instance de Briey a posé à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE, deux questions préjudicielles relatives à l'interprétation de l'article 95 du même traité, en vue d'apprécier la compatibilité avec cette disposition du système français de taxation des véhicules à moteur.

2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant M. Tabouillot à l'administration fiscale française au sujet de l'application à son véhicule de fabrication étrangère, aux fins d'en calculer la puissance fiscale, d'un mode de calcul aboutissant à une taxation plus élevée que celle s'appliquant aux véhicules de production nationale similaires.

3. Le législateur français a instauré, par les articles 1599 C à 1599 J du Code général des impôts, la taxe différentielle sur les véhicules à moteur. Des tranches d'imposition comportant plusieurs puissances fiscales sont établies par voie législative; à chacune d'elles correspond un coefficient. Le montant de la taxe différentielle résulte de la multiplication d'un tarif de base, voté annuellement par les conseillers généraux des divers départements, par les coefficients correspondant à la tranche d'imposition concernée.

4. Le requérant au principal conteste le mode de calcul de la puissance administrative des voitures particulières.

5. Deux circulaires successives régissent le mode de calcul de la puissance administrative des voitures particulières: la circulaire du 28 décembre 1956 (JORF du 22 janvier 1957, p. 910) et la circulaire n° 77-191, du 23 décembre 1977 (JORF du 8 février 1978, p. 1052). Elles ont fait l'objet d'une validation législative, avec effet rétroactif, en application de l'article 35 de la loi de finances rectificative pour 1993 (loi n° 93-859, du 22 juin 1993, JORF du 23 juin 1993, p. 8815).

6. La formule de calcul de la puissance fiscale, déterminée par la circulaire du 28 décembre 1956, est la suivante : P = K n D2 L Áu. P désigne la puissance administrative exprimée en chevaux-vapeur; n le nombre de cylindres; D l'alésage en centimètres; L la course des pistons en centimètres; Áu la vitesse de rotation en tours par seconde; K est un coefficient numérique. Selon la Commission, qui n'a pas été contredite sur ce point, cette formule linéaire peut être résumée plus simplement par la multiplication de la cylindrée du véhicule, exprimée en litres, par un coefficient de 5.7294 V pour les véhicules essence et de 4.0106 pour les véhicules diesel; le résultat de l'application de cette formule aux véhicules varie donc exclusivement en fonction de la cylindrée du moteur.

7. Une nouvelle formule, issue de la circulaire du 23 décembre 1977, a pris effet au 1er janvier 1978, selon laquelle: P = m (0,0458 . C/K)1,48. Dans cette formule, P désigne la puissance administrative; m vaut 1 pour l'essence et 0,7 pour le gazole; C est la cylindrée du moteur exprimée en centimètres cubes; K est un paramètre exprimant la transmission du mouvement et s'obtient en calculant "la moyenne arithmétique pondérée des vitesses exprimées en kilomètres par heure, théoriquement atteintes par le véhicule au régime du moteur de mille tours par minute pour les différents rapports de la boîte de vitesses en marche avant".

8. La circulaire du 23 décembre 1977 s'applique "aux voitures particulières de moins de neuf places, équipées de moteurs thermiques à combustion interne fonctionnant selon un cycle à quatre temps et d'une transmission appartenant à l'un des types décrits en annexe ... et réceptionnées par type à dater du 1er janvier 1978". Son champ d'application a été modifié par la circulaire n° 87-56 du 24 juin 1987 (ci-après la "circulaire n° 87-56"). Il a été décidé, pour remédier à "certaines distorsions apparues pour des modèles équivalents réceptionnés par type ou à titre isolé", que les dispositions de la circulaire du 23 décembre 1977 "s'appliquent aussi aux voitures particulières réceptionnées à titre isolé conformes à un type réceptionné ou considérées comme équivalentes, du point de vue du calcul de la puissance administrative, à un type réceptionné dont la puissance administrative a été calculée conformément à la présente circulaire".

9. La circulaire n° 87-56 précise que "[l]es véhicules autres que les voitures particulières visées ci-dessus restent soumis aux dispositions de la circulaire de 1956".

10. Il apparaît en conséquence que coexistent en France, depuis le 1er janvier 1978, deux modes distincts de calcul de la puissance administrative.

11. Il ressort du dossier au principal que la grande majorité des véhicules réceptionnés en France relève de la formule prévue par la circulaire du 23 décembre 1977. Néanmoins, la formule issue de la circulaire du 28 décembre 1956 est toujours applicable, de manière résiduelle, s'agissant:

- des voitures particulières réceptionnées par type ou à titre isolé dont le type a été reçu en France avant le 1er janvier 1978;

- des véhicules présentés à la réception à titre isolé et non conformes à un type réceptionné en France postérieurement au 1er janvier 1978;

- des voitures particulières conformes à un type réceptionné après le 1er janvier 1978, mais considérées comme non équivalentes, du point de vue de la puissance fiscale, à un type réceptionné dont la puissance administrative a été calculée conformément à la circulaire du 23 décembre 1977 (circulaire n° 87-56).

12. M. Tabouillot est propriétaire d'une Chevrolet type Corvette d'une cylindrée de 5 735 cm3, qui a été mise en circulation pour la première fois le 1er janvier 1980 et immatriculée pour la première fois en France le 29 mai 1992 à la suite d'une dérogation ministérielle du 5 mai 1992 mentionnée sur la carte grise.

13. L'administration fiscale a établi la puissance administrative de ce véhicule à 33 CV, par application de la méthode de calcul prévue par la circulaire du 28 décembre 1956.

14. Le 10 septembre 1994, une infraction a été constatée à l'encontre de M. Tabouillot pour défaut d'apposition sur le pare-brise de son véhicule de la vignette fiscale due au titre de la période d'imposition 1993-1994. Lui ont été réclamées la somme de 6 031 FF au titre de ladite vignette ainsi que celle de 11 710 FF au titre de l'amende prévue à l'article 1840 N quater du Code général des impôts, soit un montant total de 17 741 FF, ramené à 17 152 FF après dégrèvement.

15. M. Tabouillot, estimant que cette taxe était contraire à l'article 95 du traité, a contesté le bien-fondé des sommes qui lui étaient réclamées auprès de l'administration fiscale. Ce recours gracieux a été rejeté le 25 septembre 1995.

16. Par requête du 14 novembre 1995, M. Tabouillot a assigné le directeur des services fiscaux de Meurthe-et-Moselle devant le Tribunal de grande instance de Briey. Il considère, en effet, que les dispositions fiscales relatives à la taxe différentielle sur les véhicules à moteur frappant les véhicules de plus de 16 CV doivent être déclarées inapplicables pour non-conformité avec l'article 95 du traité.

17. A l'appui de son recours, M. Tabouillot a notamment fait valoir que l'emploi concomitant de deux modes de calcul de la puissance administrative, l'un issu de la circulaire du 28 décembre 1956 et l'autre de celle du 23 décembre 1977, aboutissait à des résultats défavorables pour les véhicules achetés hors de France afin d'y être importés et était donc susceptible d'affecter le commerce intracommunautaire.

18. Le directeur des services fiscaux a conclu à ce que M. Tabouillot soit débouté de sa requête. Selon lui, le système de taxe différentielle sur les véhicules à moteur issu de la loi n° 87-1061, du 30 décembre 1987, et des circulaires subséquentes était conforme au droit communautaire, ainsi d'ailleurs qu'en a jugé le Conseil d'État par un arrêt du 20 mars 1992.

19. C'est dans ces conditions que le Tribunal de grande instance de Briey a posé à la Cour les deux questions préjudicielles suivantes:

"1) L'article 95 du traité CEE doit-il être interprété en ce sens qu'il s'oppose à l'application d'une méthode de détermination de la puissance administrative des véhicules qui aboutit à conférer une puissance administrative supérieure à certains véhicules et donc à détourner les consommateurs de ceux-ci, dès lors que les véhicules figurant dans les catégories les plus taxées sont exclusivement des véhicules importés qui se trouvent dans un rapport de concurrence directe avec les véhicules similaires vendus en France, qui sont, eux, placés dans des catégories fiscales plus favorisées?

2) L'article 95 du traité CEE doit-il être interprété en ce sens qu'il s'oppose à l'utilisation simultanée de deux modalités de détermination de la puissance administrative des véhicules dont l'une, plus défavorable, est appliquée notamment aux véhicules importés d'autres États membres et a pour effet de détourner les consommateurs français de ceux-ci au profit de véhicules similaires vendus en France?"

20. Par lettre du 8 décembre 1997, parvenue à la Cour le 10 décembre suivant, donc postérieurement au prononcé des conclusions de M. l'Avocat général, M. Tabouillot a présenté des observations sur certains points des conclusions, relatifs à la recevabilité de la question préjudicielle, et a demandé à la Cour de déclarer la demande de décision préjudicielle recevable.

21. Il convient, à cet égard, de constater que les arguments avancés à l'appui de cette position ne sont pas de nature à rendre nécessaire la réouverture de la procédure orale, telle que le prévoit l'article 61 du règlement de procédure de la Cour.

22. Il y a lieu de relever que, en réponse à une question posée par la Cour, le conseil de M. Tabouillot a précisé que le véhicule de ce dernier avait été directement importé des États-Unis d'Amérique en France.

23. Or, selon une jurisprudence constante (voir arrêts du 10 octobre 1978, Hansen, 148-77, Rec. p. 1787, point 23; du 9 juin 1992, Simba e.a., C-228-90 à C-234-90, C-339-90 et C-353-90, Rec. p. I-3713, point 14, et du 13 juillet 1994, OTO, C-130-92, Rec. p. I-3281, point 18), l'article 95 n'est applicable qu'aux marchandises importées des autres États membres et, le cas échéant, aux marchandises originaires de pays tiers qui se trouvent en libre pratique dans les États membres. Il s'ensuit que cette disposition est inapplicable aux produits importés directement de pays tiers.

24. Dans ces conditions, l'article 95 du traité est inapplicable à une situation telle que celle du litige au principal.

25. Le conseil du requérant au principal a cependant soutenu, lors de la procédure orale, qu'il incombait néanmoins à la Cour de répondre aux questions posées, car il pourrait se prévaloir en droit interne de cette décision au titre du principe de l'égalité des contribuables et des citoyens français devant l'impôt et devant la loi.

26. Il convient, à cet égard, de constater qu'aucun élément du jugement de renvoi ne permet de considérer que les questions préjudicielles visent à obtenir une réponse sur ce point. Au contraire, ainsi que l'a relevé M. l'Avocat général au point 30 de ses conclusions, la juridiction nationale a posé ces questions en partant de l'hypothèse que le véhicule en cause avait été importé d'un autre État membre.

27. En conséquence, il convient de répondre aux questions préjudicielles qu'une situation telle que celle résultant de l'importation dans un État membre d'un véhicule en provenance directe d'un pays tiers n'entre pas dans le champ d'application de l'article 95 du traité.

Sur les dépens

28. Les frais exposés par le Gouvernement français et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre),

Statuant sur les questions à elle soumises par jugement du 8 août 1996, par le Tribunal de grande instance de Briey, dit pour droit:

Une situation telle que celle résultant de l'importation dans un État membre d'un véhicule en provenance directe d'un pays tiers n'entre pas dans le champ d'application de l'article 95 du traité CE.