CA Bourges, 1re ch., 26 janvier 1994, n° 263-93
BOURGES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Auto Service (SA)
Défendeur :
Auger
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Présidents :
Mme Cheron, M. Couturier
Conseillers :
M. Baudron, Mmes Perrin, Warein
Avoués :
Mes Rahon, Le Roy des Barres
Avocats :
Mes Gendre, Cerisier
Statuant sur l'appel interjeté par la société Auto Service à l'encontre d'un jugement en date du 17 février 1988 par lequel le Tribunal d'instance de Blois a annulé la vente qu'elle avait conclue avec M. Jean Auger ;
Faits et procédure
Par acte sous seing privé en date du 24 juin 1987, M. Auger passe commande auprès de la société Auto Service à Blois d'un véhicule de marque Audi, modèle 90, type 115 CV, année modèle 1988, carrosserie conduite intérieure 4 portes, couleur extérieure bleue lagon, et à défaut remplacé par une couleur extérieure blanche, avec option peinture métallisée dont le coût supplémentaire est pris en charge par la société VAG ;
Il verse à titre d'acompte une somme de 15 000 F ;
Le 26 juin 1987, M. Auger adresse à la société venderesse un courrier aux termes duquel il annule sa commande et réclame la restitution de l'acompte versé ;
La société Auto Service lui ayant fait savoir, le 29 juin suivant, qu'elle refuse ladite annulation ;
M. Auger tente un nouvel arrangement amiable par l'intermédiaire de son conseil, avant de saisir le Tribunal d'instance de Blois par acte du 16 octobre 1987 ;
Considérant que le bon de commande du 24 juin 1987 ne comporte aucune indication relative au prix du véhicule, le tribunal, par jugement du 17 février 1988 :
- prononce la nullité du contrat du 24 juin 1986,
- condamne la société Auto Service à payer à M. Auger
* la somme de 15 000 F en principal avec intérêts de droit à compter du 24 juin 1987,
* 1 000 F à titre de dommages et intérêts,
* 1 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- débouté la SA Auto Service de sa demande fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire,
- condamne la SA Auto Service aux dépens ;
La SA Auto Service ayant relevé appel de ce jugement, la Cour d'appel d'Orléans, dans son arrêt du 13 novembre 1990, relève que le document du 26 juin 1987 ne stipule qu'un prix indicatif, et que la SA Auto Service ne démontre pas qu'elle était à même de livrer le véhicule commandé dès le 2 juillet 1987 ; en conséquence elle :
- confirme le jugement déféré,
- y ajoutant, condamne la SA Auto Service au paiement d'une somme de 1 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux dépens ;
Sur pourvoi de la SA Auto Service, la Cour de cassation dans son arrêt du 9 décembre 1992, casse et annule l'arrêt du 13 novembre 1990 et renvoie les parties devant la Cour d'appel de Bourges, au motif, que la Cour d'Orléans n'a pas recherché si le prix de vente du véhicule était déterminable indépendamment de la volonté des parties et notamment si le tarif pris comme référence n'était pas ignoré par le fabricant et indépendant de la volonté du vendeur ;
Moyens et prétention des parties devant la cour
La SA Auto Service reproche au premier juge de ne pas avoir fait état du véritable fondement de la demande de M. Auger, à savoir des raisons familiales et d'avoir retenu deux moyens tirés de la relation contractuelle des parties, à savoir l'absence de prix sur le bon de commande et le défaut de couleur alors que :
- sur le premier moyen s'agissant de concessionnaires, les tarifs sont imposés ainsi qu'il ressort de l'article 3 du contrat de concession versé aux débats,
- sur le second moyen, le contrat litigieux précise que M. Auger souhaite certes un véhicule bleu, mais qu'à défaut, la peinture extérieure peut être blanche ;
Elle demande en conséquence à la cour de :
- réformer la décision entreprise,
- condamner en tant que de besoin, M. Auger à lui payer la somme de 15 000 F qu'elle a été contrainte de lui restituer en vertu des décisions précédentes,
- le condamner également, en tant que de besoin, à restituer la somme de 1 000 F à titre de dommages et intérêts ainsi que la somme de 1 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et ce, sous les mêmes conditions d'intérêts de droit que précédemment fixées par les décisions déférées,
- débouter M. Auger de ses demandes,
- le condamner à lui payer la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- le condamner en tous les dépens ;
M. Auger soutient que le prétendu bon de commande valant contrat de vente en date du 24 juin 1987 ne comporte aucune mention particulière en ce qui concerne le prix, se bornant à faire référence au tarif année modèle 1988 lequel ne lui a pas été remis, et que le document émis par la SA Auto Service le 26 juin 1987 n'indique qu'un prix indicatif pour le modèle 88 ;
Il ajoute que la SA Auto Service ne démontre pas en quoi ses références à 1 prétendu tarif année modèle 1988 permettait de déterminer le prix le 24 juin 1987, puisqu'elle ne verse aucun tarif aux débats, que le prix de référence cité dans son courrier du 26 juin 1987 est de 129 760 F, que le prix normal aurait dû être de 132 750 F, et qu'elle ne s'est même pas conformée aux conditions générales de son propre contrat de vente ; que le seul tarif, communiqué est un tarif prix maxima qui ne rend pas le prix déterminable ;
Il expose que si la cour admet que le prix était déterminable, il lui appartient alors de vérifier que la SA Auto Service a rempli les prestations qui lui incombaient ;
Qu'il persiste, quant à lui, à reprocher à la venderesse de ne pas être en mesure de livrer le 2 juillet 1987 un véhicule conforme à la commande, nonobstant les affirmations contraires de cette dernière, qui n'en justifie pas ;
Qu'ainsi il a appris que le véhicule objet de la commande n'était disponible qu'en octobre 1987 et que l'avis d'affectation du 13 Mai 1987 produit pas la SA Auto Service a été annulé le 20 mai suivant ;
Qu'en outre, ce véhicule ne pouvait porter le millésime de l'année modèle 88 qu'à condition d'avoir été vendu à l'utilisateur à partir du 1er juillet de l'année civile précédente ;
Qu'enfin, il était de couleur blanche et non métallisée, contrairement au bon de commande ;
Il demande en conséquence à la cour de :
- confirmer, ne serait ce que par substitution de motifs, le jugement entreprise,
- subsidiairement, prononcer la résiliation du contrat dont s'agit,
- confirmer dans tous les cas, la condamnation prononcée à l'encontre d'Auto Service,
- dire toutefois qu'il lui sera fait application des dispositions de l'article 1154 du Code civil avec toutes conséquences de droit,
- y ajoutant, condamner la société Auto Service à lui payer la somme complémentaire de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code civile ainsi qu'aux dépens ;
Sur quoi, LA COUR,
Sur la demande d'annulation de la vente
Attendu que selon l'article 1591 du Code civil le prix de la vente doit être déterminé est désigné par les parties ;
Que le contrat de vente n'est parfait que s'il permet, au vu de ses clauses, de déterminer le prix par des éléments ne dépendant plus de la volonté de l'une dès parties et de la réalisation d'accords ultérieurs ;
Attendu qu'il ressort des éléments de l'espèce que le bon de commande du 24 juin 1987 ne comporte aucune mention particulière en ce qui concerne le prix si ce n'est "tarif année modèle 1988" ;
Que le courrier adressé par la SA Auto Service le 26 juin 1987 à son client stipule que le prix fait (129 760 F) est "indicatif" ;
Mais attendu que selon l'article 3 du contrat de concession régulièrement versé aux débats par la venderesse, "le programme de commande s'exécute en cours d'exercice par des achats de concessionnaire à des conditions de prix et de remise qui résultent tout moment des barèmes et conditions de paiement édictés par le concédant et en vigueur le jour de la livraison ;
Qu'en conséquence le prix était déterminable indépendamment de la volonté du vendeur, ce dernier, en tant que concessionnaire n'étant pas maître du prix fixé par le constructeur ;
Qu'il importe peu dès lors que le tarif communiqué par la SA Auto Service soit un tarif prix maxima, dès lors que la fixation du prix du véhicule de marque étrangère, objet de la vente, échappait à sa volonté, elle-même n'étant que simple concessionnaire ;
Attendu qu'à tort le premier juge a annulé la vente intervenue entre les parties pour défaut de prix et que sa décision doit être réformée ;
Sur la demande de résiliation
Attendu qu'il appartient à la cour de statuer sur les obligations réciproques de chacune des parties, et de vérifier si la société Auto Service a rempli les prestations qui lui incombaient, conformément à la demande subsidiaire de M. Auger ;
Attendu que l'obligation de délivrance de nature à entraîner, en cas d'inexécution, la résolution de la vente explique non seulement la délivrance de la chose mais celle d'une chose conforme à sa destination ;
Que selon l'article 1610 du Code civil, si le vendeur manque à faire la délivrance dans le temps convenu entre les parties, l'acquéreur pourra, à son choix, demander la résolution de la vente, ou sa mise en possession si le retard ne vient que du fait du vendeur ;
Attendu qu'il ressort des éléments de la cause que le véhicule objet de la commande doit être de couleur bleu lagon, à défaut blanc, avec peinture métallisée et être de l'année modèle 1988 ;
Que la société Auto Service ne justifie pas d'une quelconque mise en disponibilité à son profit d'un véhicule conforme à ces caractéristiques, dès lors qu'elle verse un avis d'affectation de véhicule daté du 13 mai 1987 pour un modèle blanc, qui ne peut porter le millésime 88, ce millésime ne pouvant concerner que les véhicules vendus à partir du 1er juillet ;
Qu'en outre, le courrier de la SA Mehineau concessionnaire Audi au Mans établit que le modèle choisi par M. Auger n'est disponible qu'à compter d'octobre 1987 ;
Que le manquement grave constitué par une impossibilité de livrer l'objet vendu dans le délai prévu au contrat justifie la résolution du contrat intervenu entre les parties ;
Qu'il convient en conséquence de prononcer cette résolution, et de confirmer la condamnation prononcée à l'encontre de la société Auto Service pour la somme de 15 000 F ;
Que la résistance de la SA Auto Service était abusive, celle-ci n'étant pas en mesure de respecter les engagements contractuels pris ; que le premier juge a, à juste titre, alloué à M. Auger une somme de 1 000 F à titre de dommages-intérêts ;
Attendu que M. Auger est fondé à réclamer qu'il soit fait application à son profit des dispositions de l'article 1154 du Code civil ;
Attendu que le premier juge a, à bon droit, alloué à M. Auger une somme de 1 000 Fen application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, après avoir dit qu'il serait inéquitable de lui laisser la charge de ses frais irrépétibles ;
Qu'il serait tout aussi inéquitable de lui laisser celle de ses frais d'appel ; que la SA Auto Service lui versera en conséquence une somme supplémentaire de 4 000 F, soit une somme globale de 5 000 F ;
Que la SA Auto Service succombant doit être déboutée de ses demandes ;
Par ces motifs, Vu l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 9 décembre 1992, En la forme, reçoit l'appel de la SA Auto Service déclaré régulier ; Au fond, réforme le jugement déféré ; Prononce la résolution du contrat liant les parties ; Condamne la SA Auto Service à payer à M. Auger les sommes de 15 000 F en principal avec intérêts de droit à compter du 24 juin 1987 et de 1 000 F à titre de dommages-intérêts ; Dit qu'il sera fait application de l'article 1154 du Code civil au profit de M. Auger avec toutes conséquences de droit ; Condamne la SA Auto Service à payer à M. Auger une somme globale de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ; Condamne la SA Auto Service aux entiers dépens ; alloue pour ceux d'appel à Maître Le Roy des Barres, avoué, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.