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Décisions

CA Versailles, 1re ch. sect. 2, 8 mars 1991, n° 3648-89

VERSAILLES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Mutuelle Centrale d'Assurances (USMA)

Défendeur :

Bonduelle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Garrec

Conseillers :

M. Remy, Mme Dutheillet-Lamonthezie

Avoués :

SCP Lefevre, Tardy, SCP Fievet, Rochette

Avocats :

Mes Chevalier, Praquin

TI Saint-Germain en Laye, du 21 mars 198…

21 mars 1989

Statuant sur l'appel déclaré par la société Mutuelle Centrale d'Assurance à l'encontre de M. Xavier Bonduelle, du jugement prononcé le 21 mars 1989 par le TI de Saint Germain en Laye :

Faits et procédure

La société Mutuelle Centre d'Assurances (MCA), se prétendant créancière de Xavier Bonduelle, en qualité de caution de prêts, a requis et obtenu du Président du TI de Saint Germain en Laye une ordonnance en date du 5 novembre 1987 enjoignant à son débiteur de lui payer la somme de 44 311,74 F avec intérêts au taux légal à compter de la signification de ladite ordonnance,

Sur l'opposition formée à cette ordonnance par M. Bonduelle, le Tribunal d'instance de Saint Germain en Laye par jugement prononcé le 21 mars 1989 :

- a dit l'action de la MCA irrecevable comme prescrite

- a condamné la MCA à payer à M. Bonduelle la somme de 1 000 F (article 700).

La MCA, appelante de ce jugement, demande à la cour, en infirmant la décision entreprise :

- de dire et juger que la prescription de deux ans lui est inopposable au motif que celle-ci n'appartient à aucune des catégories de personnes visées par la loi du 10 janvier 1978, qu'elle n'est intervenue dans l'opération de crédit litigieuse qu'en qualité de caution, et que la présente action n'est pas exercée par subrogation aux droits du Crédit Lyonnais;

- de dire, subsidiairement, que l'aveu fait par le débiteur du non-paiement de sa dette, suffit à écarter la courte prescription instituée par l'article 27 de la loi du 10 janvier 1978.

- de condamner M. Xavier Bonduelle à lui payer :

- la somme de 44 311,74 F en principal,

- les intérêts de cette somme au taux légal depuis le 6 novembre 1984,

- la somme de 5 000 F à titre de dommages-intérêts,

- la somme de 3 500 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC,

- de le condamner en tous les dépens de première instance et d'appel.

Monsieur Bonduelle, intimé, demande la confirmation du jugement déféré et la condamnation de l'appelante à lui payer la somme de 5 000 F (article 700) ;

Par dernières conclusions l'appelante demande encore à la cour de dire inapplicables au contrat de cautionnement les dispositions de la loi du 10 janvier 1978 en vigueur à la date des prêts et de leur remboursement.

Sur ce, LA COUR

Considérant que le Crédit Lyonnais a consenti à M. Xavier Bonduelle :

Par acte sous seings privés du 28 mai 1981 un prêt de 16 000 F produisant intérêts au taux de 9,25 % et remboursable en 36 mensualités de 668,10 F chacune à compter du 7 juillet 1984 - par acte sous seings privés du 2 avril 1982 un prêt de 18 000 F produisant intérêts au taux de 9,75 % et remboursable en 36 mensualités de 698,76 F chacune à compter du 13 mai 1984 ;

Que la Caisse Mutuelle d'Assurances (CMA) s'est portée caution envers le Crédit Lyonnais des engagements de M, Bonduelle.

Considérant qu'il ressort des productions que par courrier du 12 juillet 1984 le Crédit Lyonnais a mis en demeure M. Bonduelle d'avoir à lui régler les échéances du 13 mai et du 13 juin 1984, soit la somme de 698,96 F x 2 = 1 397,92 F lesquelles n'avaient pu être prélevées d'office sur son compte bancaire, faute de provision ; que cette mise en demeure étant demeurée sans effet, la MCA a réglé au Crédit Lyonnais le 6 novembre 1984 :

1°) sur le prêt de 16 000 F :

4 échéances de juillet à octobre 1984 : 2 675,00 F

Capital restant dû : 18 900,68 F

Total : 21 575,68 F

2°) sur le prêt de 18 000 F :

6 échéances de mai à novembre 1984 : 4 194,76 F

Capital restant dû : 18 542,30 F

Total : 22 736,06 F

Considérant que pour dire l'action engagée par la CMA a l'encontre de M. Bonduelle irrecevable le Tribunal a énoncé dans les motifs de sa décision :

Qu'en application des dispositions de l'article 27 de la loi du 10 janvier 1978 les actions engagées en application de ladite loi doivent l'être dans les deux ans de l'événement qui leur a donné naissance à savoir le premier incident de paiement, et que sont considérés comme interruptifs de prescription l'aveu du débiteur ou sa mise en demeure résultant en application de l'article 2244 du Code civil d'une action en justice ou d'un commandement ou d'une saisie délivrés par acte d'huissier, que par le jeu de la subrogation conventionnelle les droits et actions attachés à la créance du subrogeant sont transmis au subrogé par le seul effet du paiement, et qu'ainsi l'assureur subroger peut se voir opposer les exceptions que le débiteur pouvait invoquer à l'égard du subrogeant ; qu'en l'espèce suivant quittance subrogative en date du 6 novembre 1984 les droits et actions attachés à la créance du Crédit Lyonnais ont été transmis à la compagnie Mutuelle Centrale Assurances qui peut donc se voir opposer toutes les exceptions et notamment celles résultant de l'application de la loi du 10 janvier 1978 relatives aux rapports prêteur-emprunteur, que les premiers incidents de paiement concernant les deux prêts litigieux sont intervenus respectivement le 17 juillet 1984 pour le prêt de 16 000 F consenti le 28 mai 1981 et le 13 mai 1984, pour le prêt de 18 000 F consenti le 2 avril 1982 ; qu'avant la requête en injonction de payer déposée le 13 octobre 1987, seules des mises en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception non interruptives de proscription ont été adressées à Monsieur Bonduelle ; qu'enfin l'aveu du débiteur dont il est fait état résulte d'un écrit du 15 décembre 1987 postérieur à l'ordonnance d'injonction de payer et qui contient un certain nombre de reproches sur l'évolution de ce contentieux ; qu'en conséquence il y a lieu de déclarer l'action prescrite en application de l'article 27 de la loi du 10 janvier 1978.

Considérant que la MCA fait valoir au soutien de son appel que dans le but d'aider ses élèves à bénéficier de prêts d'études l'Institut Supérieur de Gestion a souscrit auprès de la MCA un contrat aux termes duquel celle-ci donne sa garantie au prêteur pour le remboursement dos sommes versées à l'emprunteur, que la loi du 10 janvier 1978 concerne textuellement toutes opérations de crédit faites à titre habituel par des personnes physiques ou morales, que ce soit à titre onéreux ou à titre gratuit, que le Crédit Lyonnais qui a été, en l'espèce, le fournisseur de deniers, correspond certes à cotte définition, que tel n'est pas le cas ni de l'Institut Supérieur de Gestion, ni de la MCA, que le premier n'intervient dans ce genre d'opération que dans le milieu limité de son effectif scolaire et qu'il n'y a fait participer la seconde que parce qu il est un sociétaire, que ni l'une ni l'autre de ces sociétés ne s'adresse au public, leurs activités ayant, en ce domaine, un caractère privé, qu'à moins de forcer le sons des mots, il n'est pas possible de les considérer comme faisant des opérations de crédit à titre habituel, que cet argument est à lui seul suffisant et que l'on peut d'ores et déjà conclure que la seule prescription applicable est celle du droit commun, qu'il ne faut cependant pas négliger de préciser qu'en tout état de cause la courte proscription de l'article 27 de la loi du 10 janvier 1978 ne joue que dans les rapports entre le prêteur et l'emprunteur et qu'elle ne peut être opposée à la caution, que la doctrine et la jurisprudence qui contestent cette solution en reconnaissant pourtant la justesse lorsque le cautionnement des opérations de crédit n'est pas donné "à titre habituel", que ce caractère fait défaut en l'espèce, qu enfin l'argument que le premier juge a cru pouvoir tirer de la subrogation est radicalement faux, que la MCA à laquelle le Crédit Lyonnais a donné une quittance subrogation ne saurait, selon le jugement, avoir plus de droits que le subrogeant, qu'en fait, la formule subrogation a été mentionnée en l'espèce par routine et sans nécessité dès lors que le Crédit Lyonnais n'avait aucune sûreté particulière à transmettre à la caution, que celle-ci, bien que bénéficiant de la subrogation peut toujours exercer l'action personnelle qui lui est réservée par l'article 2028 du Code civil et qu'elle en tire comme avantage légitime celui d'échapper à la proscription qui frapperait l'action transmise par la subrogation ;

Qu'il est, dès lors, légitime d'assimiler cotte disposition à celles qui figurent dans l'article 2272 du Code civil et de lui faire application de la règle de droit commun selon laquelle les courtes prescriptions visées par ce texte étant basées sur une présomption de paiement, doivent être écartées lorsque le débiteur avoue qu'il n'a pas payé sa dette, que cet aveu ne requiert aucune forme solennelle, il peut même être implicite, qu'il existe indubitablement en l'espèce, sous la forme d'une lettre adressée le 15 décembre 1987 par M. Bonduelle au Crédit Lyonnais, alors que la procédure était en cours, qu'après trois pages de récrimination contre le personnel de cotte Banque et de considérations d'un goût douteux, il arrive au fait, en se déclarant prêt à régler les crédits consentis et sollicite des modalités de paiement particulièrement conciliantes, que l'aveu est ici exceptionnellement net, qu'il fait disparaître la présomption légale, et la courte proscription à qui elle sert de support.

Considérant que les articles 2028 et 2029 du Code civil réservent à la caution doux recours distincts contre le débiteur principal ; que si l'article 2029, qui énonce que la caution qui a payé est subrogée à tous les droits qu'avait le créancier contre le débiteur, lui réserve ainsi une action subrogation,qu'eu l'espèce la MCA n'entend pas invoquer ; l'article 2028 qui dispose que la caution qui a payé à son recours contre le débiteur principal lui accorde certes une action personnelle tirée du contrat de cautionnement ; que cependant, il demeure que ladite action, pour être personnelle, n'en dépend pas moins du contrat principal dans la mesure où le cautionnement ne peut excéder ce qui est dû par le débiteur, ni être contracté dans des conditions plus onéreuses ; que la loi n° 78-22 du 10 janvier 1978 en sa rédaction originaire, énonce, en son article 5, que les prêts, contrats et opérations de crédit visées à l'article 2 ci-dessus sont conclus dans les termes d'une offre préalable, remise en double exemplaire à l'emprunteur et, éventuellement, en un exemplaire aux cautions et que l'offre préalable doit comporter non seulement l'identité du prêteur et de l'emprunteur, mais encore colle de la caution ; qu'ainsi la MCA ne peut prétendre s'affranchir dos dispositions protectrices du consommateur que constitue la loi du 10 janvier 1978 dans laquelle la caution se trouve intégrée ;

Considérant que l'article 27 de la dite loi dispose que les actions nées de l'application de celle-ci doivent être engagées devant le tribunal d'instance dans le délai de doux ans de l'événement qui leur a donné naissance ; qu'en la cause s'agissant du prêt du 28 mai 1981, cet événement s'est produit le 7 juillet 1984, date d'échéance impayée, et que, s'agissant du prêt du 2 avril 1982, cet événement s'est produit le 13 mai 1984, date d'échéance impayée ; que le délai de deux ans expirait donc pour le premier contrat le 7 juillet 1986 et pour le deuxième le 13 mai 1986 ; que la MCA n'a engagé ses poursuites qu'en 1987 soit bien postérieurement à l'expiration du délai de deux ans ;

Considérant que la loi n° 89,421 du 23 juin 1989, modifiant l'article 27 de la loi n° 78-22 du 10 janvier 1978 a, énoncé que les actions engagées devaient l'être dans les deux ans de l'événement leur ayant donné naissance, à peine de forclusion ; que cotte loi, étant de caractère interprétatif, est rétroactive et est donc applicable à toutes les situations contentieuses non encore résolues par une décision ayant acquis force de chose jugée ; qu'elle trouve donc a s'appliquer en la cause.

Considérant enfin que le délai de forclusion n'étant susceptible d'aucune interruption, il y a lieu de déclarer forclose l'action en paiement dirigée par la MCA contre M. Bonduelle ;

Considérant qu'il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de M. Bonduelle le montant dos frais qu'il a exposés et qui ne seront pas compris dans les dépens ;

Considérant que le rejet de ses prétentions retire tout fondement à la demande en dommages-intérêts formulée par la MCA ; qu'en outre succombant entièrement sur les dépens, elle est irrecevable en sa demande fondée sur l'article 700 du NCPC ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement : Réformant Déclare forclose l'action en paiement engagée par la Mutuelle Centrale d'Assurance à l'encontre de M. Bonduelle, Déboute la MCA de sa demande en dommages-intérêts, Rejette les demandes respectives des parties fondées sur l'article 700 du NCPC, Condamne la MCA aux dépens d'instance et d'appel dit que ceux d'appel pourront être recouvrés directement par la SCP Fievet-Rochette, titulaire d'un office d'avoués, conformément à l'article 699 du NCPC.