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Décisions

CA Amiens, 3e ch. civ., 29 novembre 1990, n° 386-90

AMIENS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Grandvallet (Epoux)

Défendeur :

Leroy (Epoux) ; Banque La Henin (SA) ; Les Fils d'Henri Picot (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cachelot

Conseillers :

M. Brunhes, Mme Planchon

Avoués :

Me Caussain, SCP Le Roy, Congos, SCP Guillaume, Tetelin Marguet

Avocats :

Mes Chopine, Lequillerier, Cabeli, Lardin,

T. com. Senlis, du 22 déc. 1989

22 décembre 1989

Par acte sous seing privé en date du 1 septembre 1988, les époux Grandvallet ont vendu aux époux Leroy un fonds de commerce de boulangerie pâtisserie confiserie situé à Béthisy Saint Pierre (Oise) moyennant le prix de 1 000 000 F ; les époux Leroy se sont adressés à la Banque La Henin pour obtenir un prêt permettant d'acquérir le fonds ; la SA Les Fils d'Henri Picot rédacteur de l'acte, a été constitué en qualité de séquestre du prix.

Le 27 septembre 1988, les époux Leroy ont pratiqué opposition entre les mains du séquestre pour le montant du prix de cession ; exposant principalement que les vendeurs avaient, d'une part cessé en juillet 1988 d'effectuer de façon régulière les tournées dans les communes limitrophes de Béthisy Saint Pierre alors qu'il était précisé dans l'acte de cession que la tournée représentait 20 % du chiffre d'affaires, et d'autre part cédé dans le même temps sans les avertir une autre boulangerie dont ils étaient propriétaires à Saint Denis alors que les ventes en pâtisserie et pain à cette boulangerie participaient au chiffre d'affaires du fonds vendu annoncé dans l'acte de cession, les époux Leroy ont assigné par actes du 29 septembre 1988 leurs vendeurs époux Grandvallet ainsi que la Banque La Henin et la SA Les Fils d'Henri Picot en demandant à titre principal la résolution de la vente.

Par jugement du 22 décembre 1989, le Tribunal de commerce de Senlis a :

- prononcé la résolution judiciaire du contrat de cession de fonds de commerce,

- en conséquence condamné les époux Grandvallet

* à restituer aux époux Leroy la somme de 1 000 000 F,

* à leur régler le montant total des frais exposés pour l'acquisition et le montant du prix des marchandises et du matériel se trouvant dans les lieux au moment de la résolution,

* à les garantir de toute condamnation en règlement d'une indemnité contractuelle au profit de la Banque La Henin compte tenu du remboursement anticipé du prix,

- jugé qu'en qualité de séquestre, la SA Les Fils d'Henri Picot devra restituer aux époux Leroy la somme de 1 000 000 F,

- ordonné l'exécution provisoire.

Les époux Grandvallet ont régulièrement interjeté appel et, après avoir été autorisés par ordonnance de Monsieur le Premier Président à assigner à jour fixe, concluent à l'infirmation du jugement par le rejet de toutes les demandes des époux Leroy, à la condamnation de ces derniers à leur payer la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Les époux Leroy concluent à la confirmation du jugement et, formant appel incident, à la condamnation des époux Grandvallet à leur payer la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts, ils demandent également leur condamnation pour somme de 10 000 F an application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

Dans ses conclusions, la Banque La Henin s'en rapporte à justice au sujet de la validité du contrat de cession du fonds de commerce ; au cas ou la cour prononcerait la résolution de la vente, elle demande qu'il soit jugé que les sommes restant dues au jour du prononcé de l'arrêt seront immédiatement exigibles, que les époux Leroy et Grandvallet soient solidairement condamnés au paiement de ces sommes, aux indemnités prévues en application du prêt et à la somme de 3 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La SA Les Fils d'Henri Picot régulièrement assignée devant la Cour, n'a pas constitué avoué ; l'arrêt sera donc réputé contradictoire.

Sur ce

Attendu que les époux Grandvallet font valoir au soutien de leur appel que le tribunal a fondé sa décision sur les affirmations de Monsieur et Madame Leroy alors que les faits relatés dans leurs affirmations n'étaient pas démontrés par eux et sont en outre inexacts que les époux Leroy n'ont en effet fourni aucun document établissant la perte de la clientèle de tournée qu'ils ont dénoncée, aucune pièce de comptabilité sur, la perte prétendue de chiffre d'affaires qui en serait résultée que de plus, eux-mêmes, appelants, rapportent la preuve que les tournées vont été assurées au mois de juillet 1988 ;

Que les époux Leroy ont pratiqué indûment une opposition au paiement du prix de cession, voie de droit exceptionnellement réservée aux créanciers du vendeur, même s'ils ont obtenu par la suite l'autorisation de pratiquer une saisie arrêt entre les mains dû séquestre ; qu'en raison de cette opposition, leur dette à eux vendeurs s'est trouvée aggravée ce qui justifie les dommages-intérêts sollicités ;

Attendu que les époux Leroy ont donc mis en avant pour présenter leurs demandes deux faits et ont, à propos de ces faits soutenu que dans ces conditions les époux Grandvallet n'avaient pas respecté l'obligation de délivrance à laquelle il étaient tenu en qualité de vendeurs ;

Attendu qu'à propos du premier de ces faits, selon lequel une partie de la production du fonds de commerce de Béthisy Saint Pierre était destinée à un autre fonds dont les époux Grandvallet étaient propriétaires à Saint Denis et, ce dernier ayant été vendu en juillet 1988, cette part de production et donc de chiffre d'affaires était dès lors perdue pour les acquéreurs, les époux Leroy reconnaissent eux mêmes qu'ils ne peuvent présenter aucun élément de preuve pour le démontrer ; que les deux attestations qu'ils produisent aux débats sur ce point émanant de la vendeuse, Melle Masson, et du livreur M. Henocq, qu'ils semblent avoir conservés à leur service sont insuffisantes et non déterminantes sur ce point qu'au demeurant aucune obligation, aucune garantie ni aucune promesse ne figurent dans l'acte de cession ou dans un autre document au sujet des relations éventuelles entre l'activité et la production des deux fonds de commerce ; qu'ainsi cet argument des époux Leroy n'est pas fondé ;

Attendu qu'au sujet du second fait évoqué par les époux Leroy relatif à la tournée, il convient d'indiquer que selon la déclaration faite par les vendeurs dans l'acte de cession, la "tournée sur les communes de Béthisy HLM Les Tourelles, Val d'Automne, Vaucelle, Nery, Huleux" représente 20 % du chiffre d'affaire total TTC;

Que d'un côté les époux Leroy affirment que M. Grandvallet a cessé la tournée en cause dès juillet 1988 en produisant principalement une lettre du maire de Nery faisant appel à un autre boulanger pour servir ses administrés, tandis que de l'autre, les époux Grandvallet en fournissant le livre de tournée et la justification du paiement par chèques de clients des communes concernées, indiquent qu'il ont poursuivi la tournée en juillet ;

Que quoi qu'il en soit de la réalité de l'abandon de la tournée, il importe d'observer que par leur raisonnement et l'engagement de cette procédure, les époux Leroy expliquent et ont considéré que ce délaissement de clientèle pendant un ou deux mois avait définitivement fait perdre pour l'avenir cette partie de la clientèle au fonds de commerce vendu, que 20 % du chiffre d'affaires était donc ainsi perdu et ceci dès le 29 septembre 1988, date de l'assignation, soit moins d'un mois après la vente elle même ; que ce raisonnement est abusivement péremptoire et bien hâtif ; que de plus, comme les époux Grandvallet l'on fait remarquer, il ne s'appuie sur aucun document ou aucune attestation ; que le bilan comptable du fonds de boulangerie pour l'exercice de septembre 1988 à août 1989, produit en cause d'appel par les époux Leroy, et faisant état d'une baisse importante du chiffre d'affaires du commerce après la vente, n'apparaît pas démonstratif tant il est vrai qu'une baisse de chiffre d'affaires peut être due à de multiples causes que la preuve d'un lien de causalité direct entre l'abandon partiel ou total de la tournée à le supposer démontré et la baisse du chiffre d'affaires n'est en toute hypothèse pas rapportée ;

Attendu que, à propos du fondement juridique choisi par les époux Leroy à l'appui de leur demande en résolution judiciaire de la vente du fonds de commerce, les faits mis en avant par eux évoquent en quelque sorte la notion de fautes qui auraient été commises par leurs prédécesseurs dans la bonne manche du commerce et le soin à apporter à la clientèle, et non pas le non respect de l'obligation de délivrance, les époux Grandvallet ayant mis les époux Leroy en possession au jour prévu des éléments du fonds de commerce vendu ;

Que dans ces conditions il n'y a pas lieu à résolution de la vente et le jugement doit être infirmé que par voie de conséquence la demande de dommages-intérêts des époux Leroy et la demande de la banque La Henin doivent être rejetées ;

Qu'au sujet de la demande de dommages-intérêts des époux Grandvallet, ceux-ci ne démontrent pas au vu des éléments qu'ils produisent, compte tenu des circonstances de la cause, et du fait que les époux Leroy ont en fin de compte obtenu une autorisation judiciaire pour pratiquer une saisie-arrêt sur le prix de cession entre les mains du séquestre, la réalité du préjudice qu'ils invoquent ; que leur demande à ce titre ne peut donc être reçue ;

Attendu qu'il n'y a pas lieu en la cause de faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, En la forme, Reçoit les appels principal et incident, Au fond, Infirme le jugement, Dit n'y avoir lieu à résolution de la vente du fonds de commerce, Déboute toutes les parties de leurs demandes en dommages-intérêts, Condamne les époux Leroy aux dépens de première instance et d'appel dont distraction pour ces derniers au profit de Maître Caussain, avoué à la cour, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.