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Décisions

CA Rennes, 6e ch., 15 décembre 1989, n° 671-88

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Locunivers (SA)

Défendeur :

Renaud ; Thomas

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bailhache (faisant fonction)

Conseillers :

M. Van Ruymbeke, Mme Bartholin

Avoués :

SCP Gautron & Chaudet, SCP Massart-Guillou

Avocats :

Mes Gosselin, Elghozi

TI Saint-Brieuc, du 29 févr. 1989

1 mars 1989

I°) Exposé du litige et objet du recours

La société Locunivers loue à M. Joseph Renaud un véhicule Mazda le 16 février 1983. Le contrat prévoit le paiement par celui-ci de 59 mensualités, représentant le loyer dû, d'un montant de 1 536,05 F et échelonnés du 5 avril 1983 au 5 février 1988, avec possibilité de rachat en fin de location moyennant le paiement de la valeur résiduelle fixée à 1 427,72 F. M. Renaud, après avoir honoré ses engagements, cesse tout versement à compter du 5 novembre 1983. Une lettre de mise en demeure avec accusé de réception lui est adressée le 3 août 1983 et l'huissier chargé de sommer M. Renaud de restituer doit dresser un procès-verbal de recherches le 17 septembre 1984. La société Locunivers dépose plainte le 12 novembre 1984. Le 7 janvier 1986, lors de l'instance pénale, la société prend connaissance de la nouvelle adresse de M. Renaud. Elle délivre le 13 mars 1986 une sommation de restituer le véhicule à M. Renaud, lequel répond à l'huissier qu'il tient le véhicule à sa disposition. La société procède à la vente du véhicule en avril 1986 moyennant le prix de 15 706,40 F. Le 10 juin 1986, elle adresse à M. Renaud une mise en demeure de régler le solde dû après déduction du prix de vente. La mise en demeure restant sans effet, elle fait délivrer le 16 octobre 1986 une sommation de payer, puis présente une requête aux fins d'injonction de payer au Tribunal d'instance de Saint-Brieuc le 5 février 1987, lequel la rejette au motif que l'article 27 de la loi du 10 janvier 1978 ne parait pas respecté. Les 30 décembre 1987 et 5 janvier 1988, la société Locunivers fait assigner respectivement Joseph Renaud (débiteur) et Sylvie Thomas épouse Renaud (caution) afin d'obtenir paiement de la somme de 59 199,47 F outre 800 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile avec exécution provisoire. Par jugement du 29 février 1988, le Tribunal d'instance de Saint-Brieuc déclare l'action de Locunivers irrecevable comme prescrite en ver- tu des dispositions de l'article 27 de la loi du 10 janvier 1978 et laisse les dépens à sa charge.

La société Locunivers interjette appel du jugement le 6 mai 1988. Faisant valoir que le délai de l'article 27 est un délai de prescription et qu'en l'espèce le délai a été interrompu par la plainte, puis la vente du véhicule (24 avril 1986), elle renouvelle sa demande relative à la condamnation conjointe et solidaire de Joseph Renaud et Sylvie Thomas au paiement de la somme de 59 199,47 F à titre principal avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 3 août 1984. Elle réclame 5 000 F au titre des frais irrépétibles. Quoique régulièrement assignée, Mme Sylvie Thomas épouse Renaud n a pas constitué avoué.

M. Renaud Joseph conclut à la confirmation du jugement en ce qu il a déclaré l'action irrecevable, mais à sa réforme en ce qu'il a précisé que le délai de l'article 27 est un délai de prescription. Selon lui, ce délai est un délai de forclusion, ce que confirme la nouvelle rédaction du texte opérée par la loi du 23 juin 1989 qui s'applique aux procédures en cours s'agissant d'une règle de procédure. Très subsidiairement, il conclut que même s'il s'agit d'un délai de prescription, celui-ci n'a pas été interrompu. Il réclame 5 000 F au titre des frais irrépétibles.

L'appelant, dans ses dernières conclusions, rétorque que l'article invoqué de la loi du 23 juin 1989 n'est pas applicable aux instances en cours.

II°) Motifs de la décision :

Considérant que la loi 89-421 du 23 juin 1989 a dans son paragraphe XII, complété l'article 27 de la loi du 10 janvier 1978 en précisant que les actions engagées devant le tribunal d'instance devaient être formées dans les deux ans de l'événement qui leur avait donné naissance "à peine de forclusion" ;

Considérant qu'il est constant que si les travaux préparatoires et débats parlementaires de la loi Scrivener pouvaient permettre de retenir que l'intention du législateur était d'instituer un délai préfix, la jurisprudence de la Cour Suprême et de diverses cour d'appel avait jugé au contraire que le délai de deux ans prévu par l'article 27 était un délai de prescription susceptible d'interruption ou de suspension ;

Considérant que la loi du 23 juin 1989, qui précise le caractère préfix du délai, s'analyse comme une loi interprétative par nature puisque s'appliquant à un domaine dans lequel la règle de droit était incertaine et discutée et tranche la controverse en se bornant à reconnaître un droit préexistant qu'une définition imparfaite avait rendu susceptible d'interprétations divergentes, sans apporter aucun élément de droit nouveau, comme la jurisprudence eût pu le faire seule ; qu'il en résulte qu'elle est rétroactive et s'applique aux instances en cours ;

Considérant que M. Renaud a cessé ses versements à compter du 5 novembre 1983 ; que cet événement a donné naissance aux actions engagées par Locunivers devant le tribunal d'instance courant 1987 à l'encontre de Joseph Renaud (débiteur) et son épouse (caution) ; qu'il s'est écoulé plus de deux ans entre la naissance et l'exercice de l'action qui se trouve prescrite, sans que les incidents allégués n'aient pu suspendre ou interrompre le délai de forclusion édicté par l'article 27 de la loi précitée qu'ainsi Locunivers doit être déboutée de ses demandes irrecevables et le jugement confirmé ;

Considérant que l'appelant qui succombe supportera les dé- ne saurait de ce fait prétendre à un quelconque remboursement de ses frais irrépétibles par application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Considérant qu'il n'est pas inéquitable de laisser supporter par Joseph Renaud la charge de ses frais non compris dans les dépens ;

III°) Décision

Par ces motifs, Confirme le jugement entrepris Déboute les parties du surplus de leurs demandes Condamne la société Locunivers aux dépens d'appel, lesquels seront recouvrés par la SCP Massapt-Guillou, avoués associés, conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.