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Décisions

CJCE, président, 27 janvier 1988, n° 376-87 R

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

Distrivet (SA)

Défendeur :

Conseil des Communautés européennes, Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocat :

Me Marissens

CJCE n° 376-87 R

27 janvier 1988

LA COUR,

1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 18 décembre 1987, la société Distrivet SA (ci-après "Distrivet") a introduit, en vertu de l'article 173, alinéa 2, du traité CEE, un recours visant à l'annulation de la décision n° 87-561 du Conseil, du 18 novembre 1987, relative aux mesures transitoires concernant l'interdiction d'administrer certaines substances à effet hormonal aux animaux d'exploitation (JO L 339, p. 70).

2. Par requête déposée au greffe de la Cour le même jour, la partie requérante a introduit, en vertu des articles 185 et 186 du traité CEE et de l'article 83 du règlement de procédure, une demande en référé visant à obtenir :

- d'une part, le sursis à l'exécution de la décision n° 87-561 du Conseil, du 18 novembre 1987, précitée, et

- d'autre part, une injonction provisoire ordonnant au Conseil d'adopter une autre décision arrêtant des mesures transitoires de la directive n° 85-649 du Conseil, du 31 décembre 1985, qui aurait pour objet de suspendre la transposition en droit interne des articles 2 et 6, paragraphe 1, de cette directive jusqu'à ce que le Conseil ait adopté et fait publier une directive modifiant ou remplaçant la directive n° 85-649, susvisée, qui serait conforme aux obligations internationales de la Communauté découlant du GATT.

3. Par ordonnance du 14 janvier 1988, la Commission a été admise, en vertu de l'article 37, alinéa 1, du statut CEE, à intervenir à l'appui des conclusions de la partie défenderesse et a présenté ses observations oralement, à l'audience.

4. La partie défenderesse a présenté ses observations écrites le 11 janvier 1988. Les parties ont été entendues en leurs explications orales le 20 janvier 1988.

5. Avant d'examiner le bien-fondé de la présente demande en référé, il apparait utile de rappeler succinctement le contexte et le cadre légal de cette affaire.

6. Distrivet est une société dont l'activité consiste à fabriquer et à distribuer, sur le territoire du Marché commun, des médicaments vétérinaires, notamment des substances à effet hormonal utilisées, à des fins thérapeutiques, ou non, dans l'élevage d'animaux destinés à la consommation.

7. L'instauration d'une politique communautaire en matière de substances à effet hormonal et thyréostatique s'est d'abord matérialisée par l'adoption, par le Conseil, le 31 juillet 1981, de sa directive n° 81-602 concernant l'interdiction de certaines substances à effet hormonal et des substances à effet thyréostatique (JO L 222, p. 32). L'article 2 de cette directive comporte, à l'égard des substances à effet thyréostatique et à effet hormonal, une interdiction de principe qui implique que l'administration de ces substances aux animaux d'exploitation est prohibée, de même que la mise sur le marché des animaux traités avec ces mêmes substances ainsi que leurs viandes. Son article 4, paragraphe 1, prévoit que, par dérogation à ce principe, les Etats membres peuvent néanmoins autoriser l'administration à des animaux d'exploitation de substances à effet hormonal, à des fins thérapeutiques ou zootechniques.

8. Pour l'administration de cinq substances, en l'occurrence l'œstradiol 17/b, la progestérone, la testostérone, la trenbolone et le zeranol, un régime particulier a été instauré par l'article 5 de cette directive. Cette disposition, dans ses alinéas 1 et 2, prévoit que le Conseil prendra, le plus tôt possible, une décision concernant l'administration de ces substances aux animaux à des fins d'engraissement et précise que, dans l'attente d'une telle décision, les réglementations nationales en vigueur demeurent applicables. Son alinéa 3 énonce que les Etats membres ne peuvent, au cours de cette période transitoire, autoriser l'utilisation de nouvelles substances.

9. Cette législation communautaire a été complétée par la directive n° 85-649 du Conseil, du 31 décembre 1985, précitée, qui a arrêté le principe de l'interdiction absolue d'administrer des substances à effet hormonal, y compris les cinq substances mentionnées au point 8 de cette ordonnance, pour l'engraissement des animaux d'exploitation dans la Communauté, sauf à des fins thérapeutiques. En outre, cette directive prohibe la mise sur le marché, l'admission aux échanges intracommunautaires et l'importation en provenance des pays tiers d'animaux traités avec ces substances ainsi que de leurs viandes. Son article 10 stipule que l'interdiction générale des substances à effet hormonal qu'elle comporte doit être transposée par les Etats membres dans leur système juridique interne pour le 1er janvier 1988 au plus tard.

10. En vue d'éviter un arrêt brutal des possibilités d'écoulement intérieur pour les animaux non encore abattus au 1er janvier 1988, auxquels des hormones ont été légalement administrées, ainsi que pour les viandes de ces animaux non encore entièrement écoulées à cette date, le Conseil, sur proposition de la Commission, a estimé nécessaire d'adopter, le 18 novembre 1987, sa décision n° 87-561 instaurant des mesures transitoires au régime mis en place par la directive n° 85-649, précitée.

11. L'article 1er, paragraphe 3, de cette décision confirme qu'en ce qui concerne la nouvelle production le régime d'interdiction absolue instauré par la directive n° 85-649 du Conseil, précitée, est d'application à partir du 1er janvier 1988. Le paragraphe 1 de cette disposition prévoit qu'en ce qui concerne la commercialisation de la production existante les Etats membres maintiennent, jusqu'au 31 décembre 1988, le régime résultant des dispositions nationales en vigueur, tant en ce qui concerne sa mise sur le marché que son accès aux échanges intracommunautaires, et spécifie que cette mesure transitoire est également d'application pour l'importation de telles viandes en provenance de pays tiers.

12. Selon les termes de l'article 185 du traité CEE, les recours formés devant la Cour de justice n'ont pas d'effet suspensif. Toutefois, celle-ci peut, si elle estime que les circonstances l'exigent, ordonner le sursis à l'exécution de l'acte attaqué.

13. Selon les termes de l'article 186 du traité CEE, la Cour de justice peut prescrire les mesures provisoires nécessaires dans les affaires dont elle est saisie.

14. Pour que des mesures provisoires comme celles sollicitées puissent être ordonnées, l'article 83, paragraphe 2, du règlement de procédure prescrit que les demandes en référé doivent spécifier les circonstances établissant l'urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant, à première vue, l'octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent.

15. A titre liminaire, avant de déterminer s'il est nécessaire de procéder à l'examen des arguments avancés par la partie requérante pour démontrer que sa demande en référé satisfait aux conditions d'octroi du sursis et de la mesure provisoire demandée, il apparaît utile de se pencher sur un problème soulevé par la partie défenderesse et qui a trait à la recevabilité du recours principal.

16. La partie défenderesse soulève en effet l'irrecevabilité manifeste du recours au fond sur lequel se greffe la demande en référé pour alléguer que cette demande est, par voie de conséquence, manifestement irrecevable. A l'appui de sa thèse, elle fait valoir que, s'agissant d'une décision adressée aux Etats membres, un recours en annulation introduit par une personne morale, comme Distrivet, sur base de l'article 173, alinéa 2, du traité CEE, n'est recevable que si cette décision la concerne directement et individuellement.

17. Elle rappelle, à cet égard, qu'il est de jurisprudence constante que "les sujets autres que les destinataires d'une décision ne sauraient prétendre être concernés individuellement que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d'une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d'une manière analogue à celle du destinataire". Il ne serait pas satisfait à cette condition en l'espèce, principalement pour deux motifs. Elle avance d'abord que, par sa nature, la décision n° 87-561 est un acte de portée générale habilitant les Etats membres à maintenir, en ce qui concerne la commercialisation, leurs dispositions nationales qui, elles-mêmes, s'appliquent de manière générale et abstraite, de sorte qu'un tel acte ne pourrait concerner individuellement un opérateur économique déterminé. Elle met en exergue, ensuite, que cette décision a pour objet d'assurer l'écoulement des animaux et viandes qui ont déjà été traités, légalement, avant le 1er janvier 1988, avec des hormones en facilitant leur commercialisation jusqu'au 31 décembre 1988. Elle ne viserait donc aucunement l'administration de substances hormonales et ne serait dès lors en aucun cas susceptible de concerner un fabricant et distributeur de telles substances comme Distrivet.

18. Le Conseil soutient également que la partie requérante ne serait pas non plus concernée directement par la décision n° 87-561 du Conseil, précitée. Il fait valoir, à cet égard, que cette décision, ainsi que cela ressort de son article 1er, paragraphe 3, n'est que confirmative de l'interdiction d'administration des substances à effet hormonal édictée par la directive n° 85-649 du Conseil et qu'un tel acte de portée purement déclaratoire ne pourrait concerner directement une entreprise comme Distrivet.

19. Pour sa part, Distrivet a avancé qu'elle devrait être considérée comme individuellement concernée par la décision n° 87-561 étant donné que, d'une part, les seuls et uniques produits concernés par cette décision seraient les cinq substances hormonales mentionnées au point 8 de cette ordonnance et, d'autre part, ces cinq produits seraient fabriqués et distribués uniquement par quatre entreprises en l'y incluant. Cette décision la concernerait également directement aux motifs qu'elle laisserait persister l'interdiction faite aux éleveurs d'administrer, à partir du 1er janvier 1988, des substances à effet hormonal, y compris les cinq substances précitées, à des fins d'engraissement et ne laisserait aux Etats membres aucune discrétion quant au résultat à atteindre.

20. A l'audience, en réponse à des questions qui lui ont été posées, Distrivet a développé les raisons qui l'inclinent à penser que son recours au principal est recevable. Elle a précisé que la décision n° 87-561 du Conseil devrait être considérée comme un acte à caractère hybride, à savoir de portée générale à l'égard des éleveurs de bétail et de portée individuelle à l'égard des fabricants et distributeurs des cinq substances hormonales précitées. Son caractère individuel résulterait du fait que, au moment de l'adoption des directives n° 81-602 et 85-649 et de la décision n° 87-561, le Conseil était conscient que ces actes concernaient une catégorie fermée d'opérateurs économiques, les fabricants des cinq substances hormonales mentionnées à l'alinéa 1 de l'article 5 de la directive n° 81-602, non susceptible de fluctuations puisque l'alinéa 3 de cet article interdit aux Etats membres d'autoriser de nouvelles substances, ce qui a eu pour effet d'empêcher par le fait même l'adjonction de nouveaux fabricants à ladite catégorie.

21. S'il est vrai que la Cour a déjà souligné à diverses reprises que le problème de la recevabilité du recours au principal ne doit pas, en principe, être examiné dans le cadre d'une procédure en référé sous peine de préjuger le fond de l'affaire (voir en ce sens, notamment, l'ordonnance du Président de la Cour, du 8 avril 1987, dans l'affaire n° 65-87 R, Pfizer/Commission, Rec. p. 1691), il apparaît néanmoins nécessaire, lorsqu'il s'agit, comme en l'espèce, de l'irrecevabilité manifeste du recours au fond sur lequel se greffe la demande en référé qui est soulevée, d'établir l'existence de certains éléments permettant de conclure, à première vue, à la recevabilité d'un tel recours (voir en ce sens, notamment, les ordonnances du Président de la Cour du 16 octobre 1986 dans l'affaire n° 221-86 R, Groupe des droites européennes et parti "front national"/Parlement européen, Rec. p. 2969, et du 8 mai 1987 dans l'affaire n° 82-87 R, Autexpo/Commission, Rec. p. 0000).

22. Une telle approche s'impose d'autant plus dans l'hypothèse où il s'agit d'un particulier, comme la partie requérante, qui demande l'annulation d'un acte de portée générale, afin d'éviter qu'il puisse, par la voie du référé, obtenir le sursis à l'exécution d'un acte dont il se verrait par la suite refuser l'annulation par la Cour, son recours ayant été déclaré irrecevable lors de son examen au fond.

23. A cet égard, il faut convenir que les éléments permettant de conclure, à première vue, à la recevabilité d'un tel recours semblent faire défaut.

24. En effet, ainsi que l'a exprimé à juste titre la partie défenderesse, une analyse des dispositions législatives communautaires applicables aux substances à effet hormonal révèle que l'interdiction de l'utilisation des cinq substances précitées à des fins d'engraissement est contenue non dans la décision n° 87-561, mais dans la directive n° 85-649, à l'encontre de laquelle la partie requérante n'a formé aucun recours en annulation dans les délais prévus à l'article 173, alinéa 3, du traité CEE, ni de demande en référé. La décision n° 87-561, quant à elle, ne vise aucunement l'administration de telles substances, mais concerne exclusivement l'écoulement, jusqu'au 31 décembre 1988, des animaux et viandes qui ont été traités aux hormones avant que l'interdiction prévue par la directive n° 85-649 n'entre en vigueur, circonstance qui ne semble pas pouvoir, à première vue, concerner individuellement une société comme Distrivet dont l'activité consiste exclusivement à fabriquer et distribuer des substances hormonales.

25. Il faut relever, par ailleurs, que, contrairement à ce qu'allègue Distrivet, il n'y avait pas une catégorie fermée non fluctuable de fabricants et de distributeurs qui étaient concernés au moment où le Conseil a adopté ses directives, étant donné que tout fabricant était encore libre, en vertu de l'article 5 de la directive n° 81-602, d'introduire sur le marché de nouvelles spécialités contenant une des cinq substances précitées. Cette disposition visait uniquement à interdire la mise sur le marché d'autres substances que les cinq substances hormonales précitées. Il en résulte que tant en 1981 qu'en 1985 et 1987 l'identité et le nombre d'opérateurs économiques concernés par les actes adoptés par le Conseil n'étaient pas individualisés de manière définitive, de sorte que Distrivet était concernée en sa qualité de fabricant et de distributeur de substances hormonales au même titre que tout autre opérateur économique se trouvant actuellement ou potentiellement dans une situation identique.

26. Sans qu'il soit même nécessaire de se pencher sur la question de savoir si la décision n° 87-561 concerne directement Distrivet, ces constatations suffisent pour conclure, à première vue, à l'irrecevabilité du recours en annulation et donc, par voie de conséquence, à celle de la demande en référé.

Par ces motifs,

LE PRESIDENT,

Statuant au provisoire,

Ordonne :

1) La demande en référé est rejetée.

2) Les dépens sont réservés.